LA
VIE DE SAINT SOUR
ermite
et premier
abbé de Terrason
avec
Une notice historique
sur
l’abbaye de
Terrasson
Dédiée
à Mgr J.-B.-A. George, évêque de Périgueux et de Sarlat
Par
A.-B. PERGOT
Curé de Terrasson
Il fut comme un vase d’or massif, orné
de toutes sortes de pierres précieuses.
(Ecclesiastique, ch. 50, v. 10)
1857
A Monseigneur J.-B.-A. George, évêque de Périgueux et
de Sarlat 1
I. ― Comment nous devons dire saint Sour et non pas saint
Sore 5
II. ― Pourquoi nous avons écrit la vie du bon saint Sour,
et à quelles sources nous
III. ― Sous le rocher de Saint-Sour 27
IV. ― Comment le bon saint Sour naquit en Auvergne, et
comment, s'étant lié d'amitié
avec
saint Amand et saint Cyprien, il voulut, dès son enfance, se vouer à Dieu 31
V. ― Comment le père et la mère du bon saint Sour
s'opposèrent à son départ, et comment
ils
finirent par y consentir 41
VI. ― Comment le bon saint Sour, accompagné de saint Amand
et de saint Cyprien, quitta
l'Auvergne,
et comment il se retira dans le monastère de Genouillac 48
VII. ― Comment le bon saint Sour quitta le monastère de
Genouillac, et de son séjour, avec
saint
Amand et saint Cyprien, à Peyre Levade
57
VIII. ― Comment les trois amis quittèrent Peyre-Levade, et
comment le bon saint Sour,
pendant
le sommeil de saint Amand, et de saint Cyprien s'en fut à la découverte de sa
retraite 66
IX. ― Comment les trois amis prirent l'Eulogie sacrée et
se séparèrent ensuite, et comment
le bon
saint Sour opéra un miracle 73
X. ― D'une vigie romaine au rocher de Saint-Sour; comment
notre saint se fixa dans
une
grotte et se condamna ensuite à la vie de reclus 82
XI. ―
Comment
le bon saint Sour avait fait un voeu, et comment il punit une femme de
XII. ―
Comment
le bon saint Sour, ayant deux serviteurs, opéra un miracle pour les nourrir 98
XIII.
― Comment
le bon saint Sour reçut la visite de sa mère, et comment la foi triompha
XIV. ―
Comment
le bon saint Sour éprouva une nouvelle vocation, et comment il renonça
XV. ―
Comment
le bon saint Sour, ayant renoncé à la vie de reclus, se forma quelques
disciples,
et quelle règle il leur donna 122
XVI. ―
Comment
le roi Gontran, étant lépreux, vint visiter le bon saint Sour, et comment
le bon
saint Sour le guérit et opéra en sa présence d'autres miracles 129
XVII.
― Comment
le Xenodochium fut bâti avant le monastère, et donna naissance à une
petite ville. ― Pourquoi cette ville fut
appelée Terrasson, et comment le bon saint Sour bâtit
une église en l'honneur de saint Julien et
jeta les fondements d'un vaste monastère 148
XVIII.
― Comment
le bon saint Sour érigea un Oratoire à Notre-Dame-de-Consolation 162
XIX. ―
Comment
le bon saint Sour et ses moines exécutèrent de grands travaux 172
XX. ―
Comment
les disciples du bon saint-Sour étaient très-fervents 183
XXI. ―
Comment
le bon saint Sour se lia d'amitié avec saint Yrier, et comment il le pria
de prendre la direction de son monastère 189
XXII.
― Comment
le bon saint Sour mourut, et comment son tombeau fut glorieux 199
XXIII.
― Comment
le bon saint Sour fut très-honoré après sa mort, et comment il l'a été
XXIV.
― Comment
l'église de Terrasson possède les reliques du bon saint Sour, et
comment elles sont authentiques 227
Conclusion 245
Notice
historique sur l'Abbaye de Terrasson 251
Catalogue
des Abbés qui ont gouverné l'Abbaye de Terrasson 390
Sigillographie 405
Notes et
pièces justificatives 415
A MONSEIGNEUR
JEAN-BAPTISTE-AMEDEE
GEORGE.
EVEQUE DE PERIGUEUX
ET DE SARLAT.
MONSEIGNEUR,
Avant de publier la Vie de notre
bon saint Sour, j'ai voulu qu'elle fût déposée aux pieds de Votre Grandeur, et
je vous en ai fait l'offrande en toute simplicité, comme un enfant qui, ne
suivant que l'impulsion de son coeur, s'empresse d'apporter à son père la première
fleur qu'il a cueillie.
Cet opuscule, qui
va se présenter au public, sans apprêt, sans ornement, sans prétention
aucune, Votre Grandeur a daigné l'accueillir avec bonté, le regarder d'un oeil
favorable elle a
p. 2
permis
qu'il lui fût spécialement dédié. La Vie d'un saint ne pouvait paraître sous de
meilleurs auspices, son auteur ne pouvait recevoir une faveur plus grande, un
témoignage plus flatteur.
Vous le savez, Monseigneur, la
terre de notre Périgord ne fut pas tout-à-fait stérile en fleurs de sainteté:
elles germèrent, plusieurs sur le siège épiscopal, quelques-unes dans les rangs
les plus élevés de la société, un plus grand nombre au soleil de nos champs et
à l'ombre de nos forêts; on en composerait un bouquet de la plus suave odeur.
Celle qui vous est offerte aima la solitude, mais plus d'une fois son parfum la
trahit, et, après treize siècles, elle embaume encore la terre où elle vint
s'épanouir sous le regard de Dieu, à la douce chaleur de son Esprit.
Ai-je bien réussi à recueillir
tout ce parfum? Non, sans doute. Pour écrire la Vie d'un saint, pour bien dire
tout ce qu'il y a d'exquis, de suave, de sublime, de divin dans la sainteté, il
faudrait être saint.... Mais la Vie du bon saint Sour se présente sous le
patronage d'un auguste
p. 3
prélat,
que ses vertus rendent l'objet de l'admiration et de l'amour de tous, ― le
pieux lecteur trouvera facilement dans cette Vie une odeur de sainteté.
Je serai toujours avec le plus
profond respect,
MONSEIGNEUR,
de
Votre Grandeur,
le
très-humble et très-obéissant serviteur.
AUGUSTE PERGOT,
Curé de Terrasson.
Terrasson, le 5 octobre 1856.
LA VIE
DE SAINT SOUR.
Il fut comme un vase d'or massif,
orné de toutes sortes do pierres précieuses.
(Ecclésiastique, ch.
50, y. 10.)
I.
Comment nous devons dire saint Sour et non pas saint Sore.
Quel nom devons-nous donner au
Saint dont nous écrivons la vie?
C'est une question un peu étrange
que celle-là; et, cependant, l'historien est ici obligé de se la poser et de la
résoudre. Devons-nous dire saint Sore ou saint Sour?
Longtemps nous avions cru que le
mot Sour
p. 6
était
l'idiome vulgaire du mot français Sore, celui-ci dérivant du latin Sorus. Un
fait, néanmoins, nous étonnait: nous trouvions le mot Sour dans la bouche de
l'homme lettré comme dans la bouche du paysan; dans les écrits d'une époque
récente comme dans ceux d'une époque reculée; de l'époque où la langue
française était arrivée à sa perfection comme de l'époque où elle était encore
enveloppée des langes grotesques de son enfance; dans les actes émanés de
l'abbaye de Terrasson comme dans les actes émanés de l'administration civile ou
des officiers publics; mais jamais le mot Sore.
Toujours nous avons eu un grand
respect pour les traditions locales et populaires, et celle-ci, en nous
apportant le mot Sour à l'encontre de toutes nos idées, a été souvent de notre
part l'objet de sérieuses réflexions; nous avons cru devoir en pénétrer le
mystère.
Dans ce but, nous sommes remonté
à l'origine du fait traditionnel, au mot employé du
p. 7
vivant de notre saint, et, à la
faveur des lumières d'un homme dont le nom est une autorité incontestable en
fait de linguistique, de notre savant M. de Mourcin (1), nous avons trouvé le
mot Sour dans la langue des Gaulois, signifiant ermite, anachorète. Dès ce
moment, la voie nous a été ouverte à une démonstration qui paraîtra naturelle.
On peut faire à ce sujet cette
première supposition: Un pieux ermite s'étant retiré, au VIe siècle,
sur les bords de la Vézère, pour y vivre ignoré du monde, y fut trahi par
l'éclat de ses vertus. Les peuples allèrent le visiter, et, frappés d'un genre
de vie si extraordinaire, ils l'appelèrent Sour, comme nous dirions aujourd'hui
anachorète. Si le vrai nom du saint fut connu, il fut peu usité dans le langage
du pays; le nom qualificatif fut le seul prononcé et finit par devenir le nom
propre. L'histoire nous offre plusieurs exemples de semblables transforma-
(1)
Lorsque l'auteur composait cet ouvrage, les sciences n'avaient pas encore à
regretter la perte de M. de Mourcin.
p. 8
tions:
il en est un bien connu. Sait-on aujourd'hui le vrai nom du célèbre gentilhomme
d'Amiens, qui abandonna la profession des armes pour embrasser la vie
érémitique et fut le premier prédicateur des croisades? L'histoire n'a conservé
que son nom qualificatif: nous ne connaissons plus cet illustre personnage que
sous le nom de Pierre-l'Ermite.
Nous ferons observer que, dans
cette première supposition, disparaît tout soupçon de saint apocryphe, car il
est admis que, lorsqu'un personnage se présente dans l'histoire sous la
dénomination de sa qualité, il nous apporte, par cela même, la preuve la plus
authentique de son existence. Aussi la critique, même la moins religieuse, mais
éclairée, mettra-t-elle toujours notre saint au nombre de ceux dont l'existence
ne peut être soumise au moindre doute.
On peut faire une seconde
supposition, et dire que Sour était déjà le nom de notre saint lorsqu'il vint
se fixer dans nos grottes. Cette suppo-
p. 9
sition
est très-conforme aux moeurs de l'époque où il vivait, car il n'y avait pas
alors de noms de famille. On sait qu'il n'en existait pas chez les Francs; il
en était de même dans les Gaules, où l'usage des Romains n'avait point prévalu
à cet égard. Chaque individu avait une désignation particulière, un nom qui lui
était tout personnel. Il ne serait donc pas déraisonnable de penser que les
parents de notre saint, voyant en leur fils, dès sa plus tendre enfance, un
goût prononcé pour la vie érémitique, lui eussent eux-mêmes donné le nom de
Sour.
Quoi qu'il en soit, il est
certain que le mot Sour, nom propre, dans le principe, ou simplement
qualificatif, peu importe, est un mot gaulois, et il en résulte que, du vivant
de notre saint, on devait écrire et prononcer Sour. Nous pouvons établir, par
des documents historiques, qu'il en était encore ainsi au IXe et au
XIe siècle. Saint Adon de Vienne, dans sa Chronique, et Usuard, dans
son Martyrologe, au
p. 10
teurs
très-estimés du IXe siècle, ont écrit Sur; nous voyons également
sancte Sur dans des litanies d'un manuscrit de la Bibliothèque impériale,
provenant du monastère de Saint-Martial de Limoges, et marqué sur le catalogue
comme étant du XIe siècle. Il faut se rappeler que chez les Latins
la lettre u se prononçait comme notre diphtongue ou, et l'on aura la preuve
évidente que, dans le langage du pays, au IXe siècle comme au XIe,
on écrivait et on prononçait Sour, et que saint Adon, Usuard et l'auteur de ces
litanies n'ont écrit Sur que pour conserver dans le latin la prononciation
populaire. Ils écrivaient Sur et, nécessairement, ils prononçaient Sour.
Mais comment quelques auteurs
français en sont-ils venus à écrire Sore? La réponse est facile.
Lorsque les légendaires et les
chroniqueurs des XIe et XIIe siècles voulurent parler de
l'abbaye de Terrasson et de son fondateur, ils ne
p. 11
purent
trouver dans les vieilles chartes recueillies par les moines, ni dans le
langage usuel du pays, que le mot: Sour. Ils virent dans ce mot les langues
gauloise et romane, et, voulant se conformer au génie de la langue latine
qu'ils adoptaient, ils écrivirent Sorus. Toutefois, le peuple, qui parlait peu
latin, ayant passé du gaulois au roman pour arriver, plus tard, au français, le
peuple continua de dire et d'écrire Sour. Observons, d'ailleurs, que ce
monosyllabe s'accommodait très-bien au génie de ces diverses langues, qui
n'admettent point de variantes dans les substantifs; ce qui nous expliqué
comment le mot Sour est arrivé du gaulois à notre français sans avoir reçu la
moindre altération.
Vint ensuite l'époque des premiers
légendaires français. Ils ne purent s'inspirer que des légendes et des
chroniques écrites en latin; ils n'étudièrent pas l'histoire sur les lieux, et
ne trouvant que le mot Sorus, ils le traduisirent par le mot Sore, comme de
Titus nous faisons Tite, et de Tacitus, Tacite. S'ils eurent connaissance du
mot
p. 12
Sour; ils n'en cherchèrent pas
l'origine; ils crurent à l'idiome vulgaire, au patois, à un corrompu du latin.
Les auteurs qui vinrent plus tard
imitèrent leurs devanciers. Tels, le P. Giry, dans sa Continuation de la vie
des saints (1), et l'auteur de l'Histoire de l'Eglise gallicane (2); tels,
quelques auteurs récents et contemporains (3). Mais en ce même temps, à
Terrasson, où l'on parlait aussi et où l'on écrivait le français, on disait et
on écrivait Sour; comme on le dit et comme on l'écrit encore.
Nous ferons observer qu'entre les
auteurs anciens, ceux du Périgord, qui avaient visité Terrasson, ou du moins
avaient pu converser avec des personnes de cette ville, n'ont pas adopté le mot
Sore; ils ont eu connaissance de la tradition, locale et l'ont respectée.
Ainsi, l'auteur de l'Abrégé de la vie des saints de la province du Pé-
(1)
Voir cet ouvrage au 1er février.
(2)
Tome III, p. 259, édition de 1780.
(3)
Le Périgord illustré, le Bref annuel du diocèse.
p. 13
rigord,
Mgr de Prémeaux, évêque de Périgueux, dans son Catéchisme (1), le
chanoine Tardes, dans ses Estats du Périgord, écrivent et nous font prononcer
Sour.
Quant à l'auteur de l'Estat de
l'Eglise du Périgord, le P. Dupuy, il a hésité. Connaissant la tradition
locale, sans toutefois s'en rendre compte, et n'osant se prononcer entre le mot
Sore et le mot Sour, il a adopté les deux, mais avec une légère modification;
dans l'intérieur de la page il a écrit Sor et sur la marge Sour.
Nous pouvons citer encore, comme
ayant conservé la tradition locale, D. Claudius Estiennot, bénédictin, l'abbé
Legros (2), le Calendrier de Périgueux de 1789, les savants manuscrits de
Lespine, Leydet et Prunis (3), et, enfin, le Dictionnaire d'hagiographie sacrée,
publié tout récemment par M. l'abbé Migne.
On le voit, le mot Sour est le
vrai nom de no-
(1)
Imprimé en 1760.
(2)
Manuscrit de la bibliothèque du séminaire de Limoges.
(3)
Conservés à la bibliothèque impériale.
p. 14
tre
saint. Il existait avant le mot latin Sorus; il est arrivé jusqu'à nous par la
double tradition orale et écrite de treize siècles, jamais un instant
interrompue; il a passé et il est resté dans le français moderne; nous dirons
donc: saint Sour.
Cette démonstration, déjà un peu
aride pour le lecteur qui ne demande qu'à s'édifier (elle était cependant
nécessaire), se terminera par un dernier trait tout à la louange de notre saint
et des bons habitants de notre paroisse.
A Terrasson, le peuple, lorsqu'il
parle de saint Sour, ne se contente pas de la qualification de saint. Dans sa
bouche, cette qualification est toujours précédée d'une autre, témoignage d'un
pieux amour et d'une douce reconnaissance. Il n'y a que Dieu qui soit bon,
disait Jésus à un jeune homme qui l'interrogeait, il n'y a que Dieu qui soit
bon; et le béni Sauveur ne voulait pas être appelé bon si ou ne le
reconnaissait pour Dieu (1). Dieu est bon par essence et le principe
(1)
Evangile de saint Matthieu, chap. 19, v. 17.
de tout
ce qui est bon dans la créature, et celle-ci ne prouve bien que par la bonté,
qu'elle émane de Dieu et remonte à son principe. Or, le peuple, qui a
l'instinct d'appeler chaque chose par le nom qui lui est propre, le peuple a
toujours dit: Le bon saint Sour.
Nous avons cru devoir conserver à
notre saint cette naïve qualification, qui le place si près de Dieu et lui
donne son plus beau titre à l'amour, à la vénération des fidèles; nous dirons:
Lebon saint Sour.
II.
Pourquoi nous avons écrit la vie du bon saint Sour,
et à quelles sources nous avons puisé pour l'écrire.
A ceux qui nous demanderaient
pourquoi nous avons écrit la Vie du bon saint Sour, nous pourrions répondre
tout simplement: C'était notre plaisir, chacun le cherche où il croit le
trouver.
p. 16
Il nous a fait plaisir, en effet,
de fouiller dans nos vieilles chroniques, de secouer la poussière de nos vieux
parchemins: car il y a toujours dans les souvenirs religieux du passé
d'agréables et utiles enseignements. « Qui a pu lire, demande un auteur moderne,
qui a pu lire les Vies des anciens Pères du désert sans émotion, sans
admiration? Quel pied a foulé avec indifférence les ruines d'une abbaye
antique? Celui qui, parcourant les corridors et les cellules des couvents à
moitié démolis, ne se sent assailli d'aucun souvenir et n'éprouve pas même la
curiosité d'examiner, celui-là peut, fermer les annales de l'histoire et cesser
ses études sur le domaine du beau. Il n'existe pour lui ni phénomènes
historiques ni beauté morale: son intelligence est dans les ténèbres, son coeur
dans la poussière (1). »
Il nous a fait plaisir d'écrire,
car, sans être très-facile à l'enthousiasme (notre tête est ordi-
(1)
Jacques Balmès, le Protestantisme comparé au Catholicisme, t. II, p. 215.
p. 17
nairement froide et rarement notre
coeur bat plus fort une fois qu'une autre), il n'est pas de jour que nous ne
soyons ému au souvenir des moines qui vivaient où nous vivons, foulaient la
terre que foule notre pied, et s'abritaient sous le toit qui nous abrite. Nous
les trouvons à l'heure de la prière et du sacrifice: ils priaient et
sacrifiaient dans le lieu où nous-même prions et sacrifions; et lorsque nous
chantons, sous les voûtes de leur antique église, les hymnes sacrées, la pensée
nous vient que là aussi retentissaient, les voix graves et mystérieuses des
moines, chantant, aux heures de la nuit et aux heures du jour, les mêmes hymnes
que nous chantons.
Toutefois, notre plaisir n'a pas
été notre unique but. Nous avons voulu apprendre aux bons habitants de notre
paroisse la vie et les vertus du saint patron qu'ils aiment et invoquent sans
bien le connaître, et qui les a toujours exaucés. Le connaissant mieux, ils
l'aimeront davantage et le prieront avec plus de ferveur.
Mais la vie des saints
n'appartient pas seule-
p. 18
ment au
pays qui les a vus naître ou qu'ils ont habité; elle est du domaine de toute
l'Eglise, et chaque fidèle a le droit d'y puiser un bon exemple, une bonne
pensée, un sujet d'édification. Du récit des actions et des paroles de ces
hommes d'élite, sur lesquels se reposa l'Esprit de Dieu, il s'exhale comme un
suave parfum qui embaume le coeur et répand sur notre âme la douce paix, un
bien-être ineffable, ― on se sent porté à devenir meilleur. Aussi
avons-nous cru pouvoir ajouter pour le bien de tous, au catalogue des saints
dont nous lisons les Vies avec tant d'intérêt, la Vie non moins édifiante de
notre bon saint Sour.
Il existait, sous le rocher qui
porte le nom de notre saint, un petit et gracieux oratoire, appelé
Chapelle-de-Saint-Sour. Il fut, durant douze siècles, pour toute la contrée, un
lieu de dévotion et le but de pieux pèlerinages: nous avons promis de le
rétablir, et nous voulons essayer d'en poser la première pierre en répandant ce
petit livre autour de nous et au loin.
p. 19
Avouerons-nous un autre but?
Il nous a paru qu'on élèverait un
beau monument à la gloire de notre antique Eglise du Périgord, en réunissant,
dans un ou plusieurs volumes, les Vies des saints qui l'ont illustrée, phares
lumineux que Dieu a plantés çà et là sur notre sol, et à diverses époques, pour
guider les générations des chrétiens. Nous convions à cette oeuvre nos frères
dans le sacerdoce, ceux-là surtout qui ont, comme nous, l'insigne privilége
d'habiter les lieux qui virent naître ou possédèrent ces hommes de sublime
intelligence et d'austères vertus, et nous leur apportons notre pierre pour cet
édifice. Elle sera jugée, sans doute, un peu lourde et mal polie, mais il faut
de telles pierres à tout architecte; elles ont leur place utile, dérobées aux
regards et cachées dans les fondations.
Le petit ruisseau qui gazouille à
nos oreilles et fait couler sur nos lèvres son eau limpide et rafraîchissante
ne dit pas toujours de quelle roche il émane, et son bienfait n'en est pas
moins
p. 20
apprécié;
le rayon de miel n'est pas moins doux à notre bouche, parce que nous ignorons
sur quelle fleur l'ingénieuse abeille l'a cueilli. Mais notre lecteur voudra
connaître les sources où nous avons puisé pour écrire la Vie d'un saint si peu
connu: nous les lui montrerons.
La vie d'un homme, encore moins
celle d'un saint, ne s'invente pas; aussi n'avons-nous rien inventé. Nous avons
trouvé des faits, nous en avons déduit les conséquences naturelles. Nous avons
sondé la profondeur de notre sol, interrogé nos antiques monuments, nos
vieilles pierres dispersées çà et là, nos vieux parchemins, nos traditions
populaires; et la voix du passé s'est fait entendre, et notre main a écrit.
Mais, si nous n'avons rien
inventé, nous avons tenu à ne rien omettre; ne reconnaissant à personne le
droit d'ajouter aux actes et aux paroles des saints, ou d'en retrancher un
iota. Devions-nous être moins crédule, plus timide narrateur que ceux qui nous
ont précédé, plus rapprochés de neuf siècles de l'époque où vivait notre saint?
p. 21
Voici, du reste, nos sources;
difficilement on en trouverait de plus pures.
Nous citerons en première ligne
l'immense et savante collection des Bollandistes, Acta sanctorum. Le premier
volume du mois de février, imprimé en 1658, ayant pour auteurs les PP. Jean
Bollandus et Godefroi Henschenius, renferme une Vie de saint Sour. Ces auteurs
nous en indiquent l'origine; elle leur fut envoyée par André du Chesne, qu'on a
surnommé Le Père de l'Histoire de France (1), et celui-ci l'avait extraite d'un
vieux manuscrit ayant pour titre: Historia ecclesiastica, et faisant partie de
la bibliothèque, du célèbre de Thou, (ex bibliothecâ Thuanâ.)
Déjà, un an plus tôt, la même
Vie, conforme, à quelques expressions près, à celle des Bollandistes, avait été
éditée par le P. Labbe, dans son ouvrage intitulé: Bibliotheca manuscriptorum.
Mais cette Vie de saint Sour, de
la bibliothè-
(1)
Dictionnaire de Feller, à l'article André du Chesne.
p. 22
que de
de Thou, qui servit de thème au P. Labbe et aux Bollandistes, ne devait être
qu'une copie, imparfaite; même, d'un manuscrit plus ancien qui se trouvait dans
la bibliothèque des Carmes-Déchaussés de Clermont. Le P. Claudius Estiennot, en
ses Antiquitates benedictinae du diocèse de Périgueux (1), le P. Bonaventure de
St Amable, Carme-Déchaussé, en son Histoire de saint Martial et ses Annales, du
Limousin, déclarent avoir lu ce manuscrit et s'en être servis pour parler de
saint Sour et de l'abbaye de Terrasson; et, le P. Bonaventure nous apprend que
le P. Labbe. en aurait seulement, édité un extrait. Il
nous rapporte, en effet, quelques traits qui ne se trouvent ni dans le P. Labbe
ni dans les Bollandistes (2).
Le lecteur a compris déjà de
quelle importance était pour nous la découverte de ce manuscrit; il devait nous
fournir des documents
(1)
Manuscrit de la bibliothèque impériale.
(2)
Histoire de saint, Martial, tome 1, pages 538 et 539,
p. 23
utiles
et restés inconnus. Mais les recherches les plus minutieuses à la bibliothèque
de Clermont, qui possède, cependant, un grand nombre de manuscrits, ont été
sans résultat. Cette Vie de saint Sour dut disparaître dans l'incendie qui
dévora, en 1697, la plus grande partie des livres des Carmes-Déchaussés de
Clermont.
Mais à quelle époque fut écrite
cette Vie de saint Sour, et quel en fut l'auteur? Quelques mots de la préface
nous font comprendre que l'auteur n'était point contemporain de saint Sour; il
reproche aux écrivains qui l'ont précédé d'avoir négligé si long-temps (per tot
tempora jamjamque transacta) de recueillir les actes de ce saint. Nous ne
croyons pas, cependant, que bien des siècles le séparassent de saint Sour, car,
souvent, il emploie cette phrase incidente: Comme nous l'avons appris de la
bouche des anciens. Il est à présumer qu'il vivait vers la fin du Xe
siècle ou au commencement du XIe, à la veille de la grande époque
des légendaires et des chroniqueurs. Quant à son nom, il serait
p. 24
inconnu,
d'après les Bollandistes; cependant, l'Extrait qu'ils ont édité semble le
désigner par celui de Paulin, qualifié du titre de Bienheureux. Il est question
d'un songe du roi Gontran et de la découverte d'un trésor, et l'Extrait porte:
Nous laissons au bienheureux Paulin le soin de raconter comment cela se fit
(1). Or, nous trouvons dans le P. Bonaventure le récit de ce fait avec tous ses
détails, tiré du manuscrit des Carmes-Déchaussés de Clermont. On peut en
conclure que ce bienheureux Paulin fut l'auteur de ce manuscrit. Nous devons,
cependant, faire remarquer avec les Bollandistes que cet auteur avait pour
composer la vie de saint Sour des documents déjà écrits, qu'il cite
quelquefois, et qui devaient sans doute lui venir des moines de l'abbaye de
Terrasson.
Après ce manuscrit, revêtu de
l'autorité du P. Labbe, des Bollandistes, du P. Claudius Estien-
(1)
Quod qualiter factum sit non est nostri temporis evolvere, beato viro Paulino
narranda committimus.
p. 25
not, du
P. Bonaventure, et qui est notre source principale, nous citerons
La Chronique de Geoffroi de
Vigeois, dans le P. Labbe;
La Gallia Christiana;
L'Estat de l'église du Périgord,
par le P. Dupuy, religieux Récollet de Sarlat;
L'Abrégé de la Vie des Saints de
la province du Périgord (1);
Le Proprium sanctorum du diocèse
de Sarlat, pour le Bréviaire romain (2);
L'ancien Bréviaire de Périgueux
(3);
Le Bréviaire de Limoges. (4);
Le Supplémentaux Vies des Pères
et saints Personnages, par M. l'abbé Legros (5);
(1)
Ouvrage rare et peu connu, sans nom d'auteur, imprimé à Périgueux en 1728. Il
n'est remarquable que par une lettre sur l'apostolat de saint Front.
(2)
La dernière édition de ce livre, qu'on trouve difficilement, est de 1699.
(3)
Imprimé en 1559.
(4)
Editions de 1710 et 1736.
(5)
Manuscrit déposé à la bibliothèque du séminaire de Limoges.
p. 26
Les manuscrits de Lespine, Leydet et Prunis, de la bibliothèque Impériale (1);
M. de Merlhiac, notre voisin,
dont les savantes études ont plus d'une fois éclairé les ténèbres et aplani les
aspérités de notre route.
Voilà nos sources: elles sont
abondantes, et tout autre que nous, avec les mêmes documents, aurait pu faire
ce que nous avons fait. Le pieux lecteur connaît aussi notre but: s'il nous est
donné de l'atteindre, nous en remercierons Dieu, car c'est en invoquant son Nom
que nous avons écrit.
Dieu Tout-Puissant que votre ange
prenne à votre autel le charbon de feu qui purifia les lèvres du prophète, pour
en purifier aussi notre coeur et nos lèvres, afin que nous puissions dignement
raconter la vie et les vertus de votre humble serviteur! pour
votre plus grande gloire,
(1)
Nous devons le dépouillement de cette immense collection, qui ne renferme pas
moins de 120 volumes in-folio, au zèle et a l'intelligence de M. Philippe de
Bosredon, auditeur au Conseil-d'Etat, déjà avantageusement connu par de savantes
recherches sur les biens des anciennes maladreries.
Seigneur, et le bien des âmes que
vous nous avez confiées
III.
Sous le rocher de Saint-Sour (1).
Nous voici sous le rocher qui
s'élève, majestueux, au-dessus de la plaine, de Terrasson: plaine fraîche et
riante, limitée, au sud, par la Vézère, à l'eau douce et limpide; au nord, par
les coteaux boisés du Bas-Limousin, et partagée, dans sa longueur, par une
double ligne de peupliers bordant la route de Lyon à Bordeaux. Ici vint
habiter, au sixième siècle, un de ces hommes qu'on ne voit plus aujourd'hui,
mais, nombreux alors, sublimes anachorètes, saints ermites, pieux solitaires;
fuyant le monde, peu
(1)
Le rocher de Saint-Sour est à l'ouest et à un kilomètre de Terrasson. De là, on
jouit du coup-d'oeil le plus ravissant; c'est un des plus beaux sites qu'offre
le cours de la Vézère.
p. 28
digne de
les posséder, et cherchant dans les solitudes le calme et le bonheur.
Ces lieux ne présentaient point
l'aspect qu'ils offrent aujourd'hui.
Ce n'était point cette plaine si
riche, si gracieuse, aux productions si variées.
Il n'y avait point là cette
pittoresque petite ville de Terrasson, qui descend, avec tant de charme, du
milieu de la colline pour admirer son quai, sa Vézère et ses deux ponts.
Et, dans la plaine, toutes ces
maisons, s'élevant comme d'antiques villas!
Et ce clocher de Lavilledieu,
glorieux de son nom, mais qui cache sa simplicité dans un bouquet de
feuillages!
Et ce bourg de Cublac (1) qui
semble s'être échappé des forêts du Bas-Limousin pour respirer, au soleil de la
plaine, l'air embaumé du Périgord!
(1)
Cublac est une paroisse du diocèse de Tulle, à deux kilomètres seulement de
Terrasson.
p. 29
Rien de tout cela n'existait.
De quelque côté que l'oeil se portât, il ne découvrait
qu'un vaste marécage, des terres incultes, quelques arbres séculaires auxquels
la main de l'homme n'avait point touché.
Mais depuis, sous ce rocher, se firent, entendre les
soupirs de la prière et le chant des hymnes du Seigneur.
Il y eut là un oratoire, un autel, et, pendant plus de
douze siècles, on y vit couler le sang de la victime sainte.
Là se pressait la foule des fidèles, écoutant la divine
parole.
Ici le pèlerin, venu des lointaines contrées,
s'agenouillait et priait, et puis, ayant déposé son offrande en reconnaissance
d'un bienfait, s'en retournait; heureux et racontant ce qu'il avait vu et
entendu.
Rien de tout cela aujourd'hui!
L'abomination de la désolation a passé par là, comme en
tant d'autres lieux, et n'a laissé après elle que des ruines, le silence de la
mort.
p. 30
Mais elle n'a pu détruire le souvenir du saint ermite qui,
le premier, vint ici méditer et se livrer aux macérations de la plus austère
pénitence.
Son nom est écrit sur le front de ce rocher, géant des âges
antiques, resté là, debout, pour recevoir un baptême de sainteté et répéter ce
nom glorieux jusqu'à la dernière génération.
Il est écrit sur chaque feuille de ce lierre qui serpente,
symbole de reconnaissance et d'amour;
Dans cette grotte d'où s'exhale encore un parfum de
sainteté;
Sur chaque brin d'herbe qui perce le pavé du petit
oratoire;
Sur chaque, petite pierre qui s'est détachée du vieux mur
gothique
Et les habitants de la contrée disent encore: La Montagne
de Saint-Sour, Le Rocher de Saint-Sour, La Grotte de Saint-Sour.
C'est la vie de cet homme de bien, sublime bienfaiteur de
tout ce pays, que nous avons voulu raconter;
Nous commençons.
IV.
Comment le bon
saint Sour naquit en Auvergne, et comment,
s'étant lié d' amitié avec saint Amand et saint
Cyprien,
il voulut, dès son enfance, se vouer à Dieu.
Le bon saint Sour naquit en Auvergne (1), la première
année du sixième siècle.
Les légendes ne nous disent point quelle partie de cette
province fut le berceau de notre saint, et les recherches que nous avons
faites, à ce sujet, ne permettent pas la moindre conjecture, la moindre
supposition. Le nom de son père et celui de sa mère nous sont également
inconnus; nous savons seulement qu'il était issu d'une famille non moins remarquable
par sa piété et son attachement à la foi orthodoxe, que par l'éclat de sa
position dans le monde (2).
(1) Le P. Labbe, les
Bollandistes, les Bréviaires de Périgueux et de Limoges, le Proprium
Sarlatense, le manuscrit de M. l'abbé Legros.
(2) Parentibus secundum
saeculi dignitatem non infimis, divinis tamen legibus et orthodoxae fidei
deditis altus est. ― Le P. Labbe. ― Les Bollandistes.
p. 32
Dieu prend ses élus dans tous les rangs de la société, et
la première et la plus honorable illustration est celle que donne la vertu. La
sainteté sera toujours un titre de noblesse, devant lequel toutes les grandeurs
et toutes les gloires terrestres viendront s'évanouir. Aussi nous suffit-il de
savoir que la famille de notre saint était chrétienne et orthodoxe. Dieu,
disent les légendaires, voulant en récompenser les vertus, choisit un de ses
membres pour se le consacrer de bonne heure et en faire, plus tard, le modèle
de la vie cénobitique, (1).
Instruit, dès son enfance, des principes de notre foi et
initié à la connaissance des lettres, le bon saint Sour ne tarda pas à faire
présager les vues de Dieu sur son avenir. On le vit té-
(1) Ainsi que nous l'avons
remarqué, les Bollandistes et le P. Labbe ont édité une Vie de saint Sour,
légende la plus complète que nous ayons; nous la suivons dans tous ces détails.
Cette observation nous dispensera de citer désormais aussi souvent ces auteurs.
Lorsque nous emploierons ces mots, la légende, le légendaire, ce sera toujours
cette Vie ou son auteur que nous voudrons désigner.
p. 33
moigner un grand éloignement pour
les plaisirs et les vanités du monde, et, comme le dit saint Grégoire en
parlant de saint Benoît, « ayant déjà le coeur d'un homme dans la maturité de
la vieillesse, il montrait une vertu au-dessus de son âge et ne se laissait pas
séduire ni corrompre par les attraits du plaisir (1). »
Ainsi ouvert, dès le matin de la vie, aux inspirations les
plus sublimes de la grâce, son coeur avait déjà goûté la parole de Jésus: «
Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple; si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix
chaque jour et me suive (2); » et, déjà vrai disciple par toutes les affections
de son âme, le jeune prédestiné se promettait bien de répondre un jour comme
l'apôtre saint. Pierre: « Seigneur, voilà que j'ai tout quitté et que je vous
ai suivi (3). »
(1) In vita sancti Benedicti
(2) Evangile de saint Luc,
ch. 14, v. 59, et ch. 9, v. 23.
(3) Evangile de saint
Matthieu, ch. 19, v. 17
p. 34
Tant et de si heureuses dispositions ne pouvaient manquer
de le rendre l'objet des complaisances divines, et d'attirer sur son âme les
plus abondantes bénédictions. Aussi, à mesure qu'il croissait en âge, sa foi
devenait plus vive, sa piété plus tendre et son désir de se vouer à Dieu plus
ardent.
Les divers auteurs que nous avons déjà cités donnent au
bon saint Sour pour amis et pour disciples saint Amand et saint Cyprien, et lui
font quitter avec eux l'Auvergne, sa patrie. Sour, Amand, Cyprien, harmonieuse
triade, grâcieux accord, fraîches fleurs du désert qui viennent confondre leurs
parfums pour embaumer les premières pages de l'histoire religieuse du Périgord;
Sour, que Dieu plaça dans son Eglise comme un des plus courageux soldats de la
milice de Jésus-Christ (1), Amand, l'homme de Dieu par excellence, « aimable à
tous, » et dont la parole douce et facile gagnait les coeurs de tous ceux qui
(1) Les Boll. ― Le P.
Labbe.
p. 35
l'écoutaient (1), Cyprien, homme
d'une grande sainteté, dont Dieu se servit pour rendre la vue aux aveugles, le
mouvement aux paralytiques et la santé à trois lépreux (2); Sour, Amand,
Cyprien, ayant tous trois la même pensée, le même désir, nous les voyons
marcher quelque temps ensemble dans la même voie.
Mais nous devons faire observer que quelques légendes,
notamment celle du Propre des Saints du diocèse de Sarlat, et le P. Bonaventure
(3) font saint Amand originaire de Limoges. Comment alors saint Sour a-t-il
passé avec ce saint les années de son enfance et quitté l'Auvergne avec lui?
En admettant comme vraie cette origine, qui ne nous paraît
pas bien établie, il faut supposer que ces légendes, si elles nous avaient
parlé de l'enfance et de la jeunesse de saint Amand, n'auraient pas manqué de
nous dire qu'il avait
(1) Le P. Labbe, Vita sancti
Amandi.
(2) Le Propre de Sarlat, au
9 décembre.
(3) Annales du Lim., p. 188.
p. 36
passé du moins quelques années
dans le voisinage de la famille de notre saint. Ainsi disparaît la
contradiction qui semble exister entre la légende de saint Sour et celle de
saint Amand. Nous devons constater aussi l'accord de ces diverses légendes à
donner au bon saint Sour la prééminence, et à ne considérer en quelque sorte
saint Amand et saint Cyprien que comme ses disciples. Le P. Labbe le dit même
en propres termes de saint Amand: il donne pour titre à la vie de ce saint: Vie
de saint Amand, confesseur, DISCIPLE de saint Sour (1).
D'après cette observation, il paraîtra étonnant, sans
doute, à ceux qui liront la légende du Nouveau Propre (2) du diocèse de
Périgueux pour le Bréviaire romain, de trouver, contrairement aux légendes
anciennes, saint Cyprien constitué chef, tandis que saint Sour et saint Amand
sont désignés comme ses compagnons et
(1) Vita sancti Amandi,
confessoris, discipuli sancti Sori.
(2) Imprimé à Lyon en 1847.
p. 37
ses disciples. Nous fûmes
nous-même surpris de ce changement hiérarchique et nous en demandâmes la
raison; elle nous fut donnée. Il avait fallu soumettre à l'approbation de la
cour de Rome ce Nouveau Propre. Or, un saint n'est pas admis dans la liturgie
par le Saint-Siège, si déjà son nom ne se trouve inscrit au martyrologe romain,
et, des trois amis, saint Cyprien ayant seul cette faveur, il fut nommé le
premier dans la légende, afin de faire passer, dérobés sous son égide, saint
Amand et saint Sour.
Saint Sour eut, conservé, sans nul doute, son rang
hiérarchique, et le Saint-Siège n'eût fait aucune difficulté de l'admettre, si
on eût remarqué que son nom se trouve dans le célèbre Martyrologe d'Usuard, le
seul dont l'Eglise romaine se servait avant la publication du Martyrologe de
Baronius. Nous revenons à notre récit.
Le bon saint Sour s'était donc uni d'une étroite amitié
avec saint Amand et saint Cyprien, jeunes comme lui, et comme lui doués d'une
p. 38
grande foi et d'une grande piété.
La suite fera voir qu'il avait bien choisi Ce que L'Esprit-Saint appelle un
précieux trésor. Il faut, en effet, prendre nos amis, ces autres nous-mêmes,
dépositaires de nos pensées les plus intimes, toujours parmi les hommes
vertueux: vous n'en voyez pas diminuer le nombre, ils ne vous laissent pas seul
lorsque vous êtes malheureux, ils ne vous abandonnent pas lorsqu'ils n'ont
plus; besoin de vous. Une amitié basée sur le sentiment religieux ne peut avoir
que de bons résultats, et celle, qui a pu cesser, dit saint Ambroise, ne fut
jamais une vraie amitié (1)
Le bon saint Sour, saint Amand et saint Cyprien
resserraient les liens qui les unissaient par de fervents exercices et de
pieuses conversations; la gloire de Dieu n'y était jamais oubliée. Il y avait
entre eux une telle sympathie, une telle communauté dépensées et d'actions,
qu'on pouvait bien dire en les voyant ce qu'on disait des
(1) Saint Ambr. De fide
rerum invisibilium.
p. 39
premiers chrétiens « Un seul
coeur, une seule âme (1)! »
Un jour, les trois amis ont dirigé leurs pas vers un lieu
solitaire, et, après l'exercice habituel de l'oraison, ils chantent les psaumes
sacrés: prière sublime, chant divin, que les anges écoutent et redisent ensuite
avec leurs mille voix au pied du trône de Dieu! Mais le bon saint Sour s'est
arrêté, ses yeux se sont fixés vers le ciel et des larmes coulent sur ses
joues; on dirait un séraphin en adoration devant le Très-Haut. Ses deux amis le
contemplent avec ravissement et n'osent proférer une parole pour ne point le
distraire de sa pieuse extase.
Quelques instants se passent ainsi. Revenu ensuite comme
d'un profond sommeil, le bon saint Sour regarde avec tendresse saint Amand et
saint Cyprien, encore sous l'impression de l'étonnement. « Bienheureux, leur
dit-il, ceux qui ont tout quitté pour suivre le Seigneur! Dès cette
(1) Actes des Apôtres, ch.
4, v. 32.
p. 40
vie, une paix ineffable qui
surpasse tout bien, inonde leur âme; ils recevront au ciel le centuple et
posséderont la vie éternelle. »
Il continue ensuite à leur parler des avantages de la vie
solitaire, mais avec tant de foi, avec une si grande conviction, qu'on eût
pensé entendre un homme vieilli dans les déserts de la Thébaïde, loin du monde
et de ses frivolités, un saint Antoine, un saint Hilarion, un saint Paul.
L'enthousiasme du bon saint Sour avait passé bien vite
dans l'âme de ses deux amis, et à l'instant il se traduit par le voeu qu'ils
formulent tous trois d'un même coeur, d'une même voix, là, sous l'ombre du
feuillage, sous le seul regard de Dieu, aux applaudissements de la cour
céleste, de quitter le monde pour embrasser la vie solitaire.
L'avenir prouva que cette détermination, qui, chez d'autres,
aurait pu être prise pour le résultat d'une émotion passagère, fut le
commencement d'une vie plus fervente qui disposa les trois amis à la
consommation de leur sacrifice.
V.
Comment le père
et la mère du bon saint Sour s'opposèrent à son départ,
et comment ils finirent par y consentir.
Les premières années du bon saint Sour s'étaient écoulées,
calmes et pures comme son âme, dans les épanchements d'une amitié entretenue
par un même amour pour le Créateur, un même désir de se consacrer à son
service, il était parvenu à cet âge que les anciens appelaient libre et qui lui
conférait à peu près les mêmes droits que donne la majorité de nos jours.
A cette époque, l'histoire de notre pays nous présente le christianisme définitivement établi, depuis
quelques années, dans les Gaules par la conversion de Clovis et les résultats
heureux de la bataille de Vouglé. Délivrés des fureurs de l'Arianisme qui avait
été transporté au-delà des Pyrénées avec la domination des Goths, les peu
p. 42
ples « se reposaient dans la
beauté de la paix et dans des tabernacles de confiance (1). »
Bientôt la vie religieuse absorba toutes les idées, comme
aux trois premiers siècles de l'Eglise. On vit, encore une fois, « la terre
déserte et sans chemin se réjouir, la solitude tressaillir d'allégresse et
fleurir comme le lis. Elle poussait et germait dans une effusion de joie et de
louanges, elle recevait la gloire du Liban; la beauté du Carmel et de Saxon lui
était donnée (2). » De toutes parts, dans les creux des rochers, dans les
obscures profondeurs des bois, sur la cime aride des montagnes, on voyait
s'établir de pieux ermites, de saints anachorètes, qui se formaient, des
disciples et préludaient ainsi à ces fondations religieuses que nous présente,
en si grand nombre, le milieu du sixième siècle. L'impulsion et l'exemple
étaient donnés parles membres des familles les plus marquantes de cette époque,
par des hommes qui, se dépouillant des
(1) Isaïe, ch. 32, v. 18.
(2) Isaïe, ch. 35, v. 1.
p. 43
grandeurs du monde, allaient au
désert vivre d'une vie de pénitence et d'abnégation.
Telle était la disposition des consciences, tel
l'entraînement des esprits. Aussi le père et la mère du bon saint Sour
n'avaient-ils pu voir dans leur fils les marques d'une piété si bien soutenue,
un si grand éloignement pour toutes les choses du monde, sans se douter du
projet qu'il nourrissait dans son coeur. Leur tendresse s'en était alarmée, et
le saint jeune homme eut à soutenir les combats réservés à presque tous ceux qui
veulent se consacrer à Dieu: il lui fallut triompher de la tendresse et des
larmes de ce père et de cette mère. L'âge et les lois de son pays parlaient
bien en sa faveur, mais il ne se croyait point pour cela autorisé à secouer le
joug de l'autorité paternelle, joug suave et délicieux que l'homme bien né
porte toujours avec le même plaisir, le même bonheur, dans l'âge mûr comme dans
l'âge de l'enfance, tout le temps qu'il peut dire ces deux mots, les plus doux
à
p. 44
prononcer après ceux de Jésus et
de Marie: Mon père! Ma mère!
Saint Jean Chrysostôme nous dit que sa vocation fut
soumise à une semblable épreuve, et il nous a conservé le discours aussi
touchant qu'ingénieux et sublime que sa mère lui adressa, voulant le garder
auprès d'elle et l'empêcher de partir pour la solitude (1).
Les parents du bon saint Sour ne furent pas moins
pressants dans les moyens employés pour retenir leur fils. Pourquoi voulait-il
les quitter? Ne pouvait-il pas servir Dieu dans la maison paternelle aussi bien
que dans le silence du désert? Du reste, il n'aurait pas long-temps à attendre;
ils étaient déjà sur le déclin de l'âge, la mort ne tarderait pas à les
appeler. Alors, après leur avoir fermé les yeux, il pourrait exécuter son
projet, rien ne saurait plus le retenir. Ainsi cherchaient-ils à ébranler sa
résolution, à émouvoir sa tendresse. Et tels sont les motifs ordinai-
(1) De sacerdotio, l. 1, c. 1.
p. 45
res, en apparence louables, sous
lesquels vient se cacher l'égoïsme des pères et des mères pour s'opposer à la
vocation de leurs enfants; et, on le conçoit, il faut, à cet âge surtout, une
vertu bien solide, dans l'âme une énergie peu commune, pour ne pas être
ébranlé. Saint Jean-Chrysostôme ne résista pas aux larmes de sa mère; ce ne fut
que deux ans plus tard, et après avoir reçu son dernier soupir, qu'il se retira
parmi les solitaires des montagnes voisines d'Antioche. Et, de nos jours, que
de vocations perdues par suite de ces résistances! que
de jeunes personnes arrêtées sur le seuil du sanctuaire des épouses du Seigneur!
que de jeunes gens manquent à la gloire du sacerdoce
parce qu'ils ne savent pas triompher de ces oppositions!
Disons-le, cependant, Dieu permet quelquefois ces luttes
sous le toit paternel pour éprouver les âmes et les affermir dans leur
vocation. C'est pourquoi, si l'on blâme les pères et les mères, qui ne basent
leur opposition que sur les motifs d'une tendresse aveugle et égoïste, il faut
ap-
p. 46
prouver d'autant plus ceux qui
veulent acquérir dans la prudence du retard les preuves d'une vraie vocation.
La conduite de ces derniers est digne de toute
louange, et, après le temps de l'épreuve, on les voit toujours heureux et
empressés de seconder de tout leur pouvoir les desseins de Dieu.
Tels se montrèrent le père et la mère du bon saint Sour.
Ils reconnurent enfin, dans la persévérance de leur fils, la volonté de Dieu et
consentirent à son départ. « Allez, lui dirent-ils, allez au désert où la voix
de Dieu vous appelle; lorsque vous ne serez plus auprès de nous, sa Providence
sera la lumière de nos yeux, le bâton de notre vieillesse, le soulagement de
notre vie. »
Ce consentement dilata d'une joie ineffable le coeur du
jeune prédestiné. Comme le cerf altéré soupire après les sources d'eau vive,
ainsi son âme, pressée par le divin amour, soupirait après la possession de
Dieu seul. Mais, de même qu'un affectueux respect l'avait rendu soumis et rési-
p. 47
gné dans le temps de l'épreuve,
de même le rendit-il calme dans la démonstration de son bonheur. Sa joie resta
tout intérieure, comme tout intérieure avait été sa peine; il l'épancha dans le
sein de Dieu, et, rapportant à son inépuisable amour le bienfait de ce
changement de volonté, il l'en remercia avec effusion.
Nous ne dirons pas tout ce qu'il y eut de déchirant pour
le coeur de ce père et de cette mère, lorsqu'ils durent se séparer de leur cher
fils, ni la douleur de ce fils dans les derniers embrassements de son père et
de sa mère. Nul doute, que, le sacrifice qu'ils faisaient tous trois ne fût
inspiré par la pensée et le désir de plaire à Dieu; mais le sentiment
religieux, quelque profond qu'il soit dans un coeur, ne le rend pas insensible
à de telles séparations. Loin de la; plus épuré par ce sentiment et plus dégagé
de toute autre affection terrestre, le coeur n'en reçoit que mieux toutes les impressions
de l'amour paternel et de l'amour filial. Le coeur le plus pieux fut toujours
le coeur, qui aima davantage. Mais, plus
l'amour est vif, plus vive aussi
est la douleur lorsque le coeur sent se rompre les liens qui l'attachent.
Toutefois, si l'amour trouve dans la piété un aliment actif, il y trouve aussi
la grâce qui dispose au sacrifice et le fait accomplir avec résignation.
Telles étaient, au moment de se séparer, les impressions
de ces trois coeurs, douloureusement affectés, mais heureux de faire un
sacrifice que Dieu demandait.
VI.
Comment le bon
saint Sour, accompagné de saint Amand et de saint Cyprien,
quitta l'Auvergne, et comment il se retira dans le
monastère de Genouillac.
Le bon saint Sour n'avait point tardé à instruire ses deux
amis du consentement de son père et de sa mère, et, l'amour, divin qui les
pressait ne souffrant pas de retard, les trois jeu-
p. 49
nes prédestinés abandonnèrent tout et sortirent de
l'Auvergne, laissant à Dieu le soin de leur trouver un asile où il leur fût
permis de vivre inconnus et ignorés du monde.
Dieu les conduisit, disent les légendaires et les
chroniqueurs, dans la province du Périgord.
Ici le manuscrit, édité par le P. Labbe et les
Bollandistes, ne nomme pas le lieu qui servit de première retraite aux trois
pieux émigrés de l'Avernie; il nous dit seulement qu'arrivés en Périgord, ils
vécurent quelque temps ensemble de la même vie, et qu'ensuite, importunés par
la foule que la réputation de leur sainteté attirait auprès d'eux, ils
abandonnèrent leur premier asile. Mais les légendes du Propre du diocèse de
Sarlat, des Bréviaires de Périgueux et de Limoges, l' Abrégé de la Vie des
Saints de la province du Périgord, le P. Dupuy (1), le P. Bonaventure (2), la
Gallia Christiana, le P. Labbe lui-
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, tome I, page 160.
(2) Annales du Limousin,
page 188.
p. 50
même, dans la Vie de saint Amand,
nous les montrent entrant, dès leur arrivée en Périgord, dans le monastère de
Genouillac, où, après s'être rasé la tête, ils prirent l'habit de moine.
Nous avons dû faire des recherches sur ce monastère de
Genouillac, qui fut comme le berceau de la vie religieuse de notre saint, et
que toutes les chroniques placent en Périgord. Nous les consignons dans une note,
pour ne pas interrompre notre récit; elles auront de l'intérêt pour
quelques-uns de nos lecteurs (1).
(1) En ne consultant que les
chroniques du Périgord et du Limousin, nous avons dû chercher Genouillac dans
la province du Périgord, et, en suivant le P. Dupuy et la Gallia Christiana,
nous devions le trouver dans la partie même de cette province qui formait le
diocèse de Périgueux, après la création du diocèse de Sarlat.
Mais il n'existe plus dans
les limites actuelles du Périgord de localité du nom de Genouillac, et nous ne
pensons pas qu'il en ait jamais existé. Nous savons bien que des bourgades et
des cités ont disparu de la surface du sol; il est rare, cependant, il n'y a
peut-être pas d'exemple qu'il ne reste aucune trace de leur nom.
Remarquons d'abord que les
anciens légendaires, en spécifiant la position, topographique de Genouillac, se
servent tous de ces expressions: Sur le territoire pétrocorien (in territorio
petrocorensi). Or, comme le fait observer un auteur moderne, là partie du
Bas-Limousin comprise entre Brive et
p. 51
Lorsque le bon saint Sour, accompagné de ses deux amis,
s'y présenta, le monastère de
la Dordogne, et toute la
partie du diocèse de Cabors qui avoisine cette rivière, appartenaient à la
province des Petrocorii (Marvaud, Hist. du Bas-Lim.), dont le territoire, si on
voulait en croire Pline, se serait étendu jusqu'au Tarn (tome II, liv. v, ch.
XIX, édit. de 1777). Ce ne fut même qu'en 1376 que la ville de Brive et la
partie du Limousin dont nous parlons, furent distraites de l'évêché de
Périgueux pour être réunies à celui de Limoges.
L'étendue du Périgord
n'étant plus aujourd'hui ce qu'elle était autrefois, nous avons dû chercher
Genouillac au-delà des limites actuelles du Périgord, et nous l'avons trouvé à
quelques lieues seulement de la Dordogne, dans, le diocèse de Cabors, non loin
de la route qui conduisait de l' Avernie dans le pays
des Cadurques.
Il n'est pas étonnant,
d'après l'étendue bien constatée de notre ancienne province, que les moines de
l'abbaye de Terrasson, les premiers sans doute qui recueillirent les actes de
saint Sour, et peu de temps après sa mort, aient placé Genouillac sur le
territoire des Petrocorii. Nous comprenons encore que nos légendaires et nos
chroniqueurs aient continué à le placer dans la même province: ils écrivaient
avant 1376, et ne pouvaient, d'ailleurs, s'inspirer que des cartulaires et des
annales de l'abbaye de Terrasson.
Mais les rédacteurs des
Bréviaires de Limoges, en 1710 et 1736, de Sarlat, en 1776, et de Périgueux, en
1781, auraient dû insérer dans la légende de saint Sour un mot qui fît
comprendre que ce Genouillac appartenait, de leur temps, au diocèse de Cahors.
Nous devons remarquer,
cependant, que les trois légendes de saint Sour, de saint Amand et de saint
Cyprien, dans le Propre du diocèse de Sarlat, ne disent rien qui puisse faire
croire qu'elles placent Genouillac dans le Périgord; la légende même de saint
Cyprien nous indique assez clairement que ce
p. 52
Genouillac était sous la direction d'un abbé du nom de
Salane (quelques auteurs ont écrit Sa-
monastère doit être pris où nous le prenons nous-même; elle dit:
Monastère de Genouillac sur les limites des Petrocorii (in finibus
Petrocoriorum); or, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, le Genouillac du
Quercy est peu éloigné des limites actuelles du diocèse de Périgueux.
Quelques écrivains ont fait
des recherches pour découvrir la position de Genouillac; mais ils ne se sont
point préoccupés de l'étendue qu'avait primitivement notre province, ni des
limites du diocèse de Périgueux, considérablement restreintes en 1317 par la
création du diocèse de Sarlat. Aussi leurs recherches ont-elles été inutiles.
Du nombre de ces écrivains sont Claudius Estiennot et
les auteurs de la Gallia Christiana. Le premier nous, dit: «Mais quel était ce
monastère? Je l'ignore. J'ai consulté les savants dans l'histoire du Périgord,
ils n'ont-pu rien m'apprendre. » (Antiq. Benedict. Dioeces. Petroc., cap. XI,
fol. 81 et 82.) Les seconds, ne trouvant pas dans le diocèse de Périgueux de
monastère du nom de Genouillac, le classent parmi les abbayes de ce diocèse qui
n'existent plus ou qui ont changé de nom.
Quant au P. Dupuy, on doit
s'étonner qu'il ne nous ait point dit la position exacte de Genouillac; il ne
pouvait l'ignorer. Habitant Sarlat, il ne s'en trouvait pas à une grande
distance; il récitait dans le Propre de son Bréviaire la légende de saint
Cyprien, et nous pouvons établir que, de son temps, le clergé de Sarlat plaçait
dans le Quercy le monastère où s'était retiré saint Sour. (Voir la lettre du
chanoine Gérard, note C.) Le P. Dupuy était originaire de Périgueux.
Craignait-il, par un mot qui eût pu éclairer le lecteur, d'enlever à son pays
l'honneur d'avoir ouvert la voie de la sainteté à saint Sour, à saint Amand et
à saint Cyprien, dont la présence avait illustre: Genouillac, et sans lesquels
on ignorerait qu'il exista, au sixième siècle, une abbaye de ce nom?
Toutefois, le Quercy n'a
point voulu nous céder la propriété
p. 53
vale et Canalis), « lequel
conduisait à la perfection plusieurs saints moines qui, de toutes parts, se
rangeaient à sa sainte pédagogie (1). »
La vertu de nos jeunes religieux s'y fit bientôt
remarquer, et, en peu de temps, ils furent l'objet de l'estime et de la
vénération de tous. On les voyait, dit la légende, ardents à la mortifi-
de Genouillac; voici ce que nous lisons dans la
Statistique départementale du Lot, par M. Delpon: « Il existait (à Genouillac),
dans des temps fort reculés, un monastère détruit plusieurs siècles avant la
révolution, et dans lequel trois personnages révérés par l'Eglise, saint Sour,
saint Amand et saint Cyprien, prirent l'habit monastique. »
Du reste, les preuves que
nous venons d'apporter à l'appui de notre assertion sont clairement confirmées
par l'itinéraire que suit saint Sour pour arriver de Genouillac à Terrasson. La
station qu'il fait se trouve sur la ligne directe entre ces deux points. Nous
aurons lieu d'en parler.
Ce n'est qu'à l'occasion de
notre saint et de ses deux amis qu'il est fait mention, dans nos chroniques et
nos histoires, de l'abbaye de Genouillac; on ignore l'époque de sa fondation et
de sa destruction. Genouillac, ou Ginouillac, est aujourd'hui le nom d'une
paroisse du canton de Labastide-Fortunière. On n'y trouve aucune trace, aucune
ruine, aucun souvenir traditionnel de l'antique monastère. Un puits, assez
profond et bien bâti, est le seul monument qui semble dans son nom en rappeler
quelque chose: on l'appelle Puits de l'Ermissou, diminutif d'ermitage dans le
langage du peuple. Le nom de Genouillac semble dériver de Genulus ou Genulfus,
nom du premier évêque de Cahors; on pourrait présumer que ce saint fut le
fondateur du monastère.
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. I, p. 160.
p. 54
cation, châtier les membres de
leur corps pour les dégager des affections terrestres, et s'appliquer à
embellir leur âme des charmes de la vertu. Ils se rendaient agréables à tous,
et par leurs oeuvres, qui avaient toujours pour principe et pour fin la
charité, et par leurs discours, assaisonnés de cet esprit d'aimable franchise
et de douce gaîté qui fait le charme des conversations. On était heureux de les
voir, plus heureux de les entendre: car la chasteté leur prêtait sa grâce
attrayante, fraîche et pure fleur qui l'accompagne partout et n'appartient qu'à
elle: la foi, sa force invincible; la pureté du coeur, son aimable simplicité:
leur vie en recevait un éclat qui les rendait dignes de toute louange. Mais ils
se distinguaient, surtout, par une grande humilité. Cette belle vertu, base et
couronnement de toute perfection, ils en connaissaient tout le prix; et leurs
paroles, leurs actes, tout leur extérieur la reflétait si bien, qu'ils
apparaissaient ornés de cette vertu divine comme d'un vêtement spirituel,
comme; sont ornés, la douce colombe de
p. 55
son blanc plumage, le lis de sa blancheur
éclatante, la prairie de sa verdure et de l'émail de ses mille fleurs.
Mais Dieu ne destinait pas notre saint à demeurer toute sa
vie dans un monastère. Sa Providence ne l'avait conduit à Genouillac que pour
réprouver au feu de la charité monastique; lui faire acquérir, sous la
direction du saint abbé Salane, la science si difficile de gouverner les
autres; l'exercer à la pratique des vertus fondamentales debout Ordre
religieux: la pauvreté, la chasteté, l'obéissance, et remplir son âme de l'esprit
de mortification et de sacrifice qu'il devait, lui-même, un jour, enseigner aux
autres. Le bon saint Sour doit être le fondateur, d'un monastère, le chef d'une
société nombreuse; nous verrons comment Dieu se servit, pour le retirer de
Genouillac, de l'inclination qu'il avait eue, dès ses plus tendres années, pour
la vie solitaire.
Nous devons consigner ici un fait que nous
p. 56
trouvons dans le P. Dupuy (1), D.
Claudius Estiennot (2) et le P. Bonaventure (3), s'appuyant tous les trois sur
le témoignage de l'ancien Bréviaire de Périgueux (4). D'après ces auteurs, le
bon saint Sour serait arrivé et aurait vécu à Genouillac en même temps qu'un
personnage non moins illustre par sa sainteté que par les malheurs de sa
famille: Clodoalde, petit-fils de Clovis et de la reine sainte Clotilde, et
vénéré par l'Eglise sous le nom de saint Cloud, Ce prince, bien jeune alors,
aurait été conduit dans ce monastère, après avoir été sauvé, plus heureux que
ses frères, du fer assassin de Clotaire, son oncle. Il y serait resté jusqu'à
ce que, l'âge lui permettant de renoncer, par
lui-même, à toutes les grandeurs terrestres, il pût se retirer auprès de saint
Séverin et fonder un monastère à Nogent, aujourd'hui Saint-Cloud.
Ce fait nous offre une circonstance peu im-
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. 1, p. 160.
(2) Antiquitates
Benedictinae dioec. Petroc, p. 99.
(3) Annales du Lim., p. 188.
(4) Imprimé en 1559.
portante, sans doute, de la vie de notre saint; mais nous
avons cru devoir le rapporter parce qu'il était consigné dans l'ancien
Bréviaire de notre diocèse, et qu'il nous a semblé, d'ailleurs, que la critique
la plus sévère pouvait en admettre la possibilité historique.
VII.
Comment le bon
saint Sour quitta le monastère de Genouillac,
et de son séjour, avec saint Amand et saint
Cyprien, à Peyre-Levade.
« Vivre dans la solitude, dit saint Ambroise, c'est
participer déjà, à la vie éternelle (1). » En effet, les douces jouissances que
procure à notre âme l'union avec Dieu, peuvent se prendre pour le commencement
du souverain bonheur; et ce n'est bien que dans la solitude, dans le silence du
désert, loin du bruit, des agitations du monde,
(1) Saint Ambroise, épit.
26.
p. 58
que peut s'établir cette union
déifique. Il faut entrer dans le jardin mystérieux de l'époux céleste, pour
recevoir ses douces caresses, ses chastes embrassements (1).
Le bon saint Sour l'avait compris, et son âme si ardente
et déjà si élevée dans la connaissance de Dieu, ne formait pas d'autres désirs.
Aussi, après trois ans (2) de séjour au monastère de Genouillac, le voyons-nous
solliciter de l'abbé Salane (3) l'autorisation de se retirer dans le désert
pour y vivre comme avaient vécu, dans les déserts de la Thébaïde, les Paul, les
Antoine, les Hilarion et tant d'autres saints illustres.
Quelque pénible que fût cette demande au coeur du saint
abbé, qui avait apprécié le bon saint Sour et découvert en lui un véritable
tré-
(1) Au liv. des Cantiques,
ch. V, v. 1.
(2) Aucun des légendaires ni
des chroniqueurs, en parlant du séjour de notre saint à Genouillac, n'en
détermine la durée; mais ils donnent tous à entendre qu'elle fut courte. En la
fixant à trois ans, nous nous conformons à l'ordre des faits que nous aurons à
raconter.
(3) Abrégé de la Vie des
Saints de la province du Périgord.
p. 59
sor pour la régularité et la
sainteté de ses moines, il ne put s'empêcher d'y adhérer. Les motifs allégués
par le jeune religieux étaient puissants, l'abbé dut y voir une manifestation
de la volonté de Dieu.
Mais le bon saint Sour ne partira point seul. L'amitié,
qui ne se refroidit jamais dans le coeur des saints, ne lui permet pas
d'oublier les deux amis de son enfance: il leur communique son projet. La
solitude d'un monastère n'est point la vie qu'ils ont voulue en quittant leurs
parents et les douceurs du foyer domestique; ils ont bien mis la main à la
charrue, mais, déjà, Dieu peut leur reprocher d'avoir regardé derrière eux (1);
c'est au désert qu'ils doivent aller, et,là seulement,
ils trouveront une solitude assez intime, assez retirée.
Ces considérations que le bon saint Sour développe avec
toute la vivacité de sa foi et l'enthousiasme de son amour, suffisent
pour réveil-
(1) Evangile selon saint
Luc, ch. IX, v. 62.
p. 60
ler dans le coeur de ses deux
amis, le désir de la vie solitaire. D'ailleurs, comme le remarque le P. Dupuy
après le légendaire, « leur arrivée à Genouillac avait fait sensation dans le
pays, et, pensant y demeurer inconnus au monde, ils avaient vu en peu de temps
aborder un concours de peuple qui, importunément de tous côtés, se rendait en
ce lieu, les uns pour voir le changement de la dextre du Très-Haut fait en ces
nobles mépriseurs du siècle, les autres pour faire à leur imitation divorce
avec le monde: ainsi, cet applaudissement populaire les faisait soupirer après
quelque plus étroite et sauvage retraite (1). »
Le jour du départ des trois amis fut donc irrévocablement
fixé.
Mais, lorsqu'un moine quitte le monastère pour se retirer
dans le désert, l'usage veut qu'il ne parte qu'après avoir reçu la bénédiction
de l'abbé et l'accolade fraternelle de tous les reli-
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. 1, p. 162.
p. 61
gieux: saint Sour, saint Amand et
saint Cyprien se conformeront à cet usage. Entrons dans le sanctuaire au jour
fixé pour le départ et à l'heure de l'office du matin. Ils sont là, prosternés
devant l'autel; leur recueillement plus profond témoigne de leur foi plus vive,
de leur amour plus ardent: on dirait trois archanges à genoux devant le trône
de Dieu, pour recevoir ses ordres et les porter à la terre.
Ils ont déjà reçu le pain céleste du voyageur, et le
vénérable abbé leur a remis à chacun le bâton de pèlerin. « Allez, mes fils,
leur dit-il ensuite, allez où le Seigneur vous appelle. Que le Dieu
tout-puissant et miséricordieux vous dirige dans la voix de la paix! Que l'ange
Raphaël, ami du voyageur, marche avec vous dans votre chemin! Sauvez, Seigneur,
vos enfants, qui espèrent en vous! Fils bien-aimés, que la bénédiction de Dieu
soit et demeure avec vous! »
Les trois amis ont écouté avec un saint recueillement ces
paroles, et ils échangent avec le
p. 62
vénérable abbé et tous les
religieux le baiser fraternel, expression touchante de l'amitié, langage
mystérieux qui semble dire: Nous ne serons qu'à moitié séparés; j'emporte
quelque chose de vous et je vous laisse quelque chose de moi. Ensuite, ils sont
conduits par l'abbé et tous les religieux jusqu'à la porte extérieure du
monastère.
Le dessein des trois amis, en quittant Genouillac, était
de ne point se séparer, de vivre ensemble, se prêtant un mutuel secours et
s'encourageant par des exemples réciproques dans un genre de vie si au-dessus
des forces humaines. Ce dessein nous est insinué par l'auteur de l'Abrégé de la
Vie des Saints de la province du Périgord. Après nous avoir dit que saint Sour,
saint Amand et saint Cyprien reçurent l'habit de moine, dans le monastère de
Genouillac, des mains de l'abbé Salane, cet auteur ajoute: « Mais, cette vie ne
leur paraissant pas assez cachée, Sour persuada à ses deux associés d'aller
chercher un lieu plus retiré, avec la
p. 63
permission de l'abbé; ils se
séparèrent ensuite pour mener une vie plus retirée. » Immédiatement après,
l'auteur nomme le lieu que chaque solitaire choisit. Or, ces mots: Ils se
séparèrent, en suite, peuvent leur être appliqués seulement après leur sortie
du monastère de Genouillac et après quelque temps d'un séjour commun dans le
lieu plus retiré qu'ils avaient choisi.
La légende du Propre du diocèse de Sarlat les fait aussi
habiter ensemble, et nous désigne le lieu de leur retraite par le nom de
Petrae-erectae, Pierres-levées, aujourd'hui Peyre-Levade, sur les confins des
paroisses de Saint-Sernin (1) et de Chavagnac (2). Ce lieu tire son nom d'un
autel druidique qu'on y aperçoit encore.
Le P. Labbe et les Bollandistes font bien paraître en ce
même Peyre-Levade les trois moines de Genouillac, mais seulement après qu'ils
ont
(1) Diocèse de Tulle.
(2) Diocèse de Périgueux.
p. 64
vécu quelque temps ensemble dans
un autre lieu qui n'est point nommé.
Nous avons cru devoir placer ici toutes ces remarques,
afin de faire mieux apprécier les moyens dont Dieu se servit pour élever ses
trois élus à la plus haute sainteté, et les maintenir, par un combat continuel
avec le monde, dans la voie du renoncement où il voulait les faire marcher.
La position de Peyre-Levade était des plus favorables au
but que se proposaient les trois solitaires: l'éloignement du monde et le
recueillement de la vie intérieure. Ils se trouvaient sur le plateau d'une
montagne assez élevée; ils avaient sous leurs yeux, dans cet autel dressé par
leurs pères, une preuve des grossières erreurs de l'humanité, lorsqu'elle est
privée des lumières de la foi; autour d'eux se développait un vaste horizon,
image, faible sans doute, mais image de l'immensité de Dieu; et leurs regards,
le coeur même des saints caresse avec plaisir les souvenirs de la patrie, leurs
regards, lorsqu'ils étaient fa-
p. 65
tigués de contempler le ciel,
pouvaient se reposer sur les blanches montagnes de l'Auvergne.
Les trois amis s'y étaient construit
trois cellules, comme trois tentes sur le Thabor. Ils y appelaient, dans leurs
ferventes oraisons et le chant des hymnes sacrées, Moïse et Elie, la Loi et les
Prophètes; et Jésus, qui leur avait dit de tout quitter pour le suivre, se
trouvait au milieu d'eux. C'était pour ces âmes le commencement du souverain
bonheur.
« Qu'il est bon, qu'il est doux que les frères habitent
ainsi ensemble! C'est comme le parfum répandu sur la tête d'Aaron, qui descend
sur toute la barbe d'Aaron, qui descend sur le bord de son vêtement: comme la
rosée d'Hermon qui descend sur la montagne de Sion. Car c'est là que le
Seigneur a ordonné que fût la bénédiction et la vie jusque dans l'éternité (1).
»
(1) Psaume 132
VIII.
Comment les
trois amis quittèrent Peyre-Levade, et comment le bon saint Sour,
pendant le sommeil de saint Amand et de saint
Cyprien,
s'en fut à la découverte de sa retraite.
Les diverses légendes et les chroniques se taisent sur le
temps que nos saints demeurèrent ensemble à Peyre-Levade, mais non sur la cause
de leur séparation; elle nous est formellement indiquée.
Ce lieu ne pouvait être tellement retiré, que l'éclat de
leurs vertus et leur genre de vie si extraordinaire ne les fissent découvrir.
D'ailleurs, Dieu ne permet pas toujours que la sainteté se dérobe sous le voile
de l'humilité; il entre souvent dans ses desseins, qu'elle soit manifestée aux
yeux du monde pour l'instruction et l'exemple de tous. Aussi les habitants des
contrées voisines vinrent-ils bientôt en foule à Peyre-Levade,
p. 67
attirés, les uns par la simple
curiosité, les autres par le désir de s'instruire ou d'être témoins des
miracles qui s'y opéraient. Ceux-ci imploraient le secours des prières des
trois ermites, ceux-là demandaient la guérison de quelque maladie; on en
voyait, même qui se proposaient de les imiter, et déjà se déclaraient leurs
disciples (1).
Le bon saint Sour gémissait en secret de toutes ces
obsessions de la foule, qui le détournaient des prédilections nourries dans son
coeur depuis son enfance. Il savait, comme le remarque le légendaire, que,
rarement, au milieu du tumulte des hommes, on peut composer une assemblée
d'anges, et il songeait à fuir encore loin de ces lieux. Un soir, après le
départ de la foule, qui avait été plus nombreuse, plus empressée, et lui avait
à peine laissé, durant le jour, quelques instants pour se recueillir, il
appelle ses deux amis, leur fait part de son projet et leur dé-
(1) Proprium Sarlatense, ―
le P. Estiennot, ― l'abbé Legros, ― Abrégé de la Vie des Saints de
la province du Périgord.
p. 68
montre la nécessité, pour le bien
de chacun, d'une prompte séparation. Pourquoi, en effet, ont-ils quitté le
monde s'il faut qu'ils vivent au milieu du monde et ne soient occupés que des
choses du monde?
On le comprend, il ne fallut pas à notre saint un long
discours pour faire passer dans l'âme de ses deux amis les impressions qui
agitaient la sienne. Depuis long-temps ils souffraient eux-mêmes de ces pieuses
importunités du monde, comme ils en avaient souffert à l'abbaye de Genouillac,
et si leur bouche n'avait encore proféré aucune plainte, ce n'avait été que par
respect, par déférence pour leur ami dont ils s'étaient faits les disciples.
Mais, puisqu'il a parlé, rien ne saurait plus les retenir; nul retard ne sera
mis à l'exécution du projet du bon saint Sour, et, dès le jour suivant, les
pieux ermites quittent Peyre-Levade et s'en vont, dans la direction du soleil
couchant, où les conduira la volonté de Dieu.
Ici nous rentrons dans le récit du P. Labbe et
p. 69
des Bollandistes, et nous voyons
les trois fugitifs, après une longue marche, pendant laquelle ils ont trompé
les fatigues et les ennuis du voyage par de pieuses conversations, nous les
voyons éprouver le besoin de prendre quelques instants de repos. Ils se sont
arrêtés. Bientôt, soit par lassitude, soit que Dieu, pour favoriser notre
saint, le voulût ainsi, saint Amand et saint Cyprien s'abandonnent à un profond
sommeil. Ils sont là, non loin du lieu qui doit. être
l'asile du bon saint Sour, au sein d'une vaste forêt, repaire habituel des
bêtes sauvages (1); mais l'ange du Seigneur, compagnon du voyageur, veille sur
eux, et « les bêtes des champs leur seront pacifiques (2). »
Le sommeil de ses deux amis est une occasion favorable
pour le bon Saint Sour, qui n'a point
(1) Nous ne savons pas le
lieu où s'endormirent saint Amand et saint Cyprien, mais, d'après les faits que
les légendaires nous racontent, nous devons le supposer peu éloigné et au midi de
Terrasson, dans cette partie appelée aujourd'hui le Causse, et qui, à cette
époque, n'était qu'une épaisse forêt.
(2) Job, ch.5, v. 23.
p. 70
perdu un instant la pensée ni le
désir de la solitude: il en profite, et, se levant, il s'en va de droite et de
gauche, explorant le pays, pour s'assurer s'il n'y trouvera pas un lieu où il
puisse fixer sa demeure. L'Esprit de Dieu le conduisait. Bientôt se présente à
sa vue un site tellement agreste et retiré, qu'il ne paraît point qu'aucun
mortel y ait jamais porté ses pas. Le saint s'y dirige et le trouve des plus
convenables, par sa position, au but de la vie solitaire.
Placé au flanc d'une colline, ce site était dominé et
protégé par une roche majestueuse d'élévation, auprès de laquelle sortait une
source d'eau vive qui, s'écoulant par petits ruisseaux, y entretenait une douce
fraîcheur (1). Au bas de la colline se développait une vaste plaine parcourue,
d'intervalle en intervalle, par une rivière mal renfermée dans son lit.
(1) Le légendaire a sans
doute voulu désigner ici la fontaine des Marjarides, peu éloignée de la grotte,
de saint Sour. Elle est très-abondante, et ses eaux forment et fécondent sur le
penchant de la colline une prairie toujours verdoyante.
p. 71
A la vue de ces lieux, notre saint est transporté d'une
joie ineffable, et, tombant à genoux, il porte ses regards vers le ciel et
remercie la divine Miséricorde qui lui a préparé cette retraite, la priant
d'ajouter à cette première faveur, la faveur plus grande de pouvoir y produire
des fruits de justice et de sainteté. Il se relève ensuite, après cette
expression de sa reconnaissance, et se hâte de revenir vers ses frères qu'il
trouve encore profondément endormis et qui, ne s'étant pas aperçus de son
départ, ne s'aperçoivent point de son retour. Pour mieux les tromper et ne pas
leur donner le moindre soupçon de la course et de l'exploration qu'il vient de
faire, le bon saint Sour se place auprès d'eux et feint de s'y endormir.
Cependant, le départ des trois ermites de Peyre-Levade
n'avait pu rester longtemps secret. Quelques habitants de la contrée, du nombre
de ceux qui, déjà, s'étaient déclarés leurs disciples, n'avaient pas tardé à
venir les visiter, comme ils le faisaient tous les jours; et, désolés de ne
p. 72
plus les voir dans leurs cellules,
ils s'étaient mis sur leurs traces. Ils étaient arrivés, quelques instants
après le retour de notre saint, au lieu où ses deux amis reposaient, et, les
croyant tous trois endormis, ils avaient respecté leur sommeil et s'étaient
tenus, silencieux, à l'écart.
Le sommeil de saint Amand et de saint Cyprien durait
depuis deux heures, doux et paisible, comme le sommeil de deux justes. Ils se
réveillent enfin, et aussitôt les trois amis de s'exhorter mutuellement à
l'exécution de leur projet. Ils s'entretiennent des douceurs de la patrie
céleste où ils se retrouveront un jour, et rappellent tout ce qui peut
fortifier leur foi, leur désir du souverain bonheur.
IX.
Comment les
trois amis prirent l'eulogie sacrée et se séparèrent ensuite,
et comment le bon saint Sour opéra un miracle.
Nous l'avons déjà dit, les liens de l'amitié la plus
intime avaient unis, dès l'enfance, saint Sour, saint Amand et saint Cyprien.
Leurs âmes s'étaient collées ensemble, comme « l'âme de Jonathas s'était collée
à l'âme de David, et ils s'aimaient (1). » Aussi ne peuvent-ils maintenant se
séparer sans verser d'abondantes larmes: ils restent long-temps à s'embrasser.
Mais notre saint, craignant que quelque ruse de l'ennemi
ne se glisse dans ces témoignages mutuels d'affection et de regret, s'ils se
prolongent encore; pressé, d'ailleurs, du désir de consommer un sacrifice
commencé, dit à ses frères:
(1) 1er liv. des
Rois, ch. 18, v. 1.
p. 74
« O mes amis! vous que je préfère
à tout ce que j'ai de plus cher en ce monde, je vous en conjure, hâtons-nous
d'accomplir ce que nous avons arrêté dans notre coeur! Enrôlés au service de
Dieu, devenus ses enfants de prédilection, ne restons pas plus long-temps
embarrassés dans les affaires du monde; elles nous rendraient misérables aux
yeux du Seigneur. Nous connaissons déjà le frein salutaire du travail, des
fatigues, des sueurs qu'on supporte pour Dieu; entrons avec courage dans la
voie où nous sommes appelés à triompher des ennemis du salut: nous les
combattrons avec les armes de la prière et du travail. Mais, avant, si vous le
voulez, comme la distance des lieux ne peut séparer ceux que la charité unit,
en signe de la charité qui devra régner entre nous, et pour en goûter, dès ce
moment, les douceurs, prenons ensemble quelque chose de l'eulogie sacrée (1). »
(1) Le P. Labbe, ― les
Bollandistes, ― l'abbé Legros, Supplément aux Vies des Saints,
p. 75
On sait l'origine de l'eulogie, plus connue parmi nous
sous le nom de pain bénit, et de quel mystère ineffable elle est le symbole. «
Dans les premiers siècles de l'Eglise, tous ceux qui assistaient à la
célébration du saint sacrifice participaient à la communion; mais lorsque la
pureté des moeurs et la piété eurent diminué parmi les chrétiens, on
restreignit la communion sacramentelle à ceux qui s'y étaient préparés, et,
pour conserver la mémoire del'ancienne communion, qui était pour tous, on se
contenta de distribuer à tous les assistants un pain ordinaire bénit par une
prière. Dans l'Eglise grecque, on l'appelait eulogie, bénédiction ou chose
bénite, et l'objet de cette cérémonie est le même que celui de la communion,
qui est de nous rappeler que nous sommes tous enfants d'un même père et membres
d'une même famille, assis à la même table, nourris par les bienfaits d'une même
Providence, appelés à posséder un même héritage, frères par conséquent et
obligés de nous aimer les uns
p. 76
les autres. Pour exprimer cette
union, nous voyons qu'au quatrième siècle les chrétiens s'envoyaient
mutuellement des eulogies ou du pain bénit; saint Grégoire de Nazianze, saint
Augustin, saint Paulin et plusieurs conciles en ont parlé... Nous voyons aussi
que non-seulement les évêques et les prêtres, mais encore les ermites faisaient
la bénédiction du pain ou de l'eulogie (1). »
C'était comme gage de cette union que le bon saint Sour
proposait à ses deux amis de prendre ensemble cette nourriture symbolique. Mais
il n'avait point de pain pour le bénir et en former l'eulogie; il n'avait
qu'une parcelle de lard, et, remarque le légendaire, on était dans le saint
temps de carême. Que faire alors? Notre saint ne fut pas longtemps embarrassé:
« La fin de tout précepte est la charité (2), et l'Esprit de Dieu le dirigeait.
Il prend cette parcelle de lard, il la bénit, la divise et en donne un peu à
chacun
(1) Bergier, Dictionnaire de
Théologie.
(2) Saint Paul, 1re
épît. à Tim., ch. 1, v. 5.
p. 77
de ses amis. Il en donne
également aux étrangers qui les ont suivis, car la charité est universelle et
n'admet point la distinction des personnes.
C'est ainsi que le bon saint Sour, saint Amand et saint
Cyprien, avant de se séparer, cimentaient par le sentiment religieux leur
ancienne amitié qui ne devait point finir.
La fin de tout précepte, avons-nous dit avec
l'Esprit-Saint, est la charité; la charité doit passer avant tout. Le bon saint
Sour connaissait le précepte, il le respectait; mais l'exercice de la charité
était pour lui une nécessité, et la nécessité n'eut jamais de loi.
Nous aimons cette simplicité des moeurs antiques, ce
symbole ingénieux de l'union de ces trois coeurs qui, depuis long-temps, n'en
faisaient qu'un (1). On ne voit plus cela de nos jours, la civilisation a
marché; mais avec elle aussi ont marché la défiance et l'égoïsme, et,
(1) Un fait semblable est
raconté de saint Mélaine. (Bolland., 6 janvier.)
p. 78
pour trouver sur la terre des
traces de cette antique amitié, il faut la chercher dans les cloîtres, car elle
a fui le monde pour la solitude. Là seulement, sous l'influence de la divine
eulogie, on voit, comme chez les premiers chrétiens, un seul coeur, une seule
âme (1).
Il y a du merveilleux dans l'histoire du bon saint Sour,
et nous y arrivons. Le lecteur chrétien n'en sera pas étonné: tout n'est-il pas
merveilleux dans la vie des saints? Leur sainteté même, si nous considérons la
fragilité et la corruption de notre pauvre nature, n'est-elle pas la plus
étonnante des merveilles?
L'eulogie mystérieuse était prise, et les trois amis,
fortifiés et encouragés par le symbole de l'union la plus intime, s'étaient
séparés. Notre saint se hâtait de revenir au lieu qu'il avait choisi pour sa
retraite; ― mais tout-à-coup il entend des pas précipités et des cris
déchirants; il se retourne et voit un homme accourir. C'était
(1) Actes des Apôtres, ch.
4, v. 2.
p. 79
un des disciples dont nous avons
parlé. Comme les autres, il avait reçu l'eulogie sainte, mais, comprenant mal
l'excellence de la charité, il avait eu scrupule d'enfreindre la loi de
l'abstinence, et, au lieu de manger l'eulogie, il l'avait furtivement cachée
dans son sein. Il n'avait pas tardé à recevoir la punition de sa faute. Ayant
voulu, après la séparation des trois amis, retirer cette parcelle de lard, il
l'avait vue se changer aussitôt en un énorme serpent dont les noeuds serrés
avaient enlacé tout son corps; et le malheureux, saisi d'effroi, accourait
auprès du saint, avouant à grands cris sa désobéissance et la justice de sa
punition, le priant de lui pardonner et de lui sauver la vie.
Le bon saint Sour est touché de ses larmes et de son
repentir; il fait le signe de la croix, et, à l'exemple du divin Sauveur, il
commande au démon de sortir du corps du reptile, cet ami des anciens jours,
dont il a pris la forme à cause de la désobéissance de ce disciple, comme il la
p. 80
prit autrefois pour tromper le
premier homme et la première femme.
Après avoir ainsi chassé le démon et rendu à l'oblation sa
première substance, le saint la bénit de nouveau, ordonne au coupable de la
prendre, comme il a vu que les autres l'ont fait, et l'avertit qu'il faut,
avant tout, avoir la charité et la conserver toujours, car elle couvre la
multitude des péchés (1). Le disciple obéit cette fois, et, se prosternant aux
pieds du saint, il se confond en actions de grâces, et s'en retourne ensuite,
heureux d'avoir échappé à un danger si imminent (2).
Et le bon saint Sour, après ce miracle de miséricordieuse
charité, arrive à la grotte bénie où il doit fixer sa demeure.
Revenons à ses deux amis. Saint Amand découvrit, non loin
de là, une solitude qui lui
(1) Livre des Proverbes, ch.
10, v. 12.
(2) Le récit du repas
mystérieux des trois amis se trouve aussi dans le manuscrit de l'abbé Legros;
il y est parlé de la désobéissance du disciple, de sa punition et du miracle
opéré en sa faveur.
p. 81
convenait et qui a tiré du séjour
qu'il y fit le nom qu'elle porte encore aujourd'hui (1). Il y fut le fondateur
d'un monastère qui devint, plus tard, une célèbre abbaye de chanoines réguliers
de Saint-Augustin.
Saint Cyprien alla plus loin; il se fixa sur la rive
droite de la Dordogne, dans un lieu qui, depuis, a porté son nom. Il y bâtit
aussi un monastère qui devint un prieuré, possédé par les mêmes chanoines
réguliers de Saint-Augustin (2).
Ne voulant écrire, dans cet ouvrage, que la
(1) Saint-Amand-de-Coly, à
deux lieues de Terrasson.
(2) L'abbaye de Saint-Amand
existait encore lorsque arriva notre première révolution. Mais, à cette époque,
les moines furent dispersés, et leur magnifique demeure fut détruite. On ne
conserva que leur belle église, bâtie en 1178. Les arts regrettent l'abandon
auquel est condamné ce monument, l'un des plus remarquables du Périgord, placé
au sein d'une population pauvre, qui ne peut pourvoir à son entretien et à sa
conservation.
Le monastère de
Saint-Cyprien vit aussi, à la même époque, ses moines dispersés. Mais la
population de cette ville ne porta point ses haines religieuses jusques sur des
pierres. Elle sut conserver avec le bâtiment des moines leur magnifique église;
c'est aujourd'hui l'église paroissiale qui, après bien des révolutions, semble
indiquer encore dans ses bases, celles du clocher surtout, le caractère des
constructions du sixième siècle.
vie du bon saint Sour, nous
n'aurons plus à nous occuper de ses deux amis.
X.
D'une vigie
romaine au rocher de Saint-Sour; comment notre saint se fixa
dans une grotte et se condamna ensuite à la vie
de reclus.
Nous avons dit, en parlant du lieu que le bon saint Sour
avait choisi pour sa demeure: « Il était tellement retiré, qu'il ne paraissait
point qu'aucun mortel y eût jamais porté ses pas. » En nous exprimant ainsi,
nous n'avons fait que traduire la légende; mais nous sommes en désaccord avec
les amateurs d'antiquités romaines, qui, facilement, en trouvent un peu
partout. Il faut l'avouer cependant, ici leur opinion ne paraît pas dépourvue
de toute probabilité, et nous devons en dire un mot.
D'après ces antiquaires, il existait, et on en voit encore
des traces, une voie romaine, allant
p. 83
de Tintiniac (Tintiniacum) à
Vésone (Vesumna). Les Romains avaient établi, de distance en distance, dans le
parcours de cette voie, des vigies ou stations
militaires, dont il est aisé de voir des vestiges très-caractérisés dans les
grottes de Terrasson, dites de Saint-Sour. Des médailles et des pièces de
monnaie qu'on y a trouvées, à diverses époques, viennent à l'appui de ces
conjectures. Du reste, la position de ces grottes se prêtait admirablement bien
au but de ces vigies: de là l'oeil pouvait découvrir, dans une étendue de
plusieurs lieues, la voie qu'il s'agissait de protéger.
Dans cette hypothèse, le bon saint Sour et ses premiers
disciples qui, nous le dirons bientôt, ne tardèrent pas à devenir nombreux, se
seraient fixés dans les logements abandonnés de l'une de ces vigies (1).
Nous devions donner cette satisfaction à nos
(1) Voir, pour plus amples
détails, M. Marvaud, Histoire du Bas-Limousin; ― M. de Merlhiac,
Recherches historiques sur le tracé ancien de la route de Lyon à Bordeaux.
p. 84
savants antiquaires; nous allons
reprendre notre récit en suivant toujours le P. Labbe et les Bollandistes.
Ainsi que nous l'avons dit déjà, notre saint, s'étant
séparé de ses deux amis, était arrivé à la retraite, objet de ses désirs les
plus ardents. Il s'était prosterné, baisant avec respect cette terre qui devait
être sa demeure, et s'était écrié dans le transport de sa joie: « C'est ici
pour toujours le lieu de mon repos; j'y habiterai, parce que je l'ai choisi
(1). »
Nous ne pouvons préciser l'année que le bon saint Sour
vint habiter en ce lieu, mais nous pouvons la fixer dans la période de 525 à
530, sous l'épiscopat de Chronope II, pieux évêque, zélé pacificateur de la
province du Périgord, qui commença sous lui « d'humer un air plus doux que par
le passé (2), » heureux Néhémie de la loi nouvelle, qui trouva grâce devant un
autre Ar-
(1) Psaume 131, v. 15.
(2) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. 1, p. 138.
p. 85
taxerce, ramena dans sa ville
épiscopale son malheureux peuple, qui en avait été chassé, et réédifia les
temples du Seigneur (1).
La demeure du bienheureux solitaire fut d'abord au pied
d'un rocher. C'était bien une grotte, comme s'exprime la légende, mais,
cependant, peu profonde. Le saint, afin de se mettre à l'abri du mauvais temps
et des attaques des bêtes sauvages, nombreuses dans ces forêts, dut en fermer
la façade et tout un côté avec des branches d'arbres, unies ensemble par des
tiges d'osier (2).
On reconnaît ce premier asile du bon saint Sour; la piété
lui en a conservé le nom; il est peu vaste, mais bien aéré, et il serait facile
d'y établir encore un logement assez commode. C'est là qu'il vécut, pendant
quelques années, d'une vie tout employée à la prière, à la mortification des
(1) A
la prière de Chronope, Alaric II, roi des Goths, rétablit dans leur ville les
habitants de Périgueux, que les persécutions d'Euric, son père, en avaient,
chassés.
(2) Lento vimine, ― Labbe, ― Boll.,
― Proprium Sarlatense.
p. 86
membres de son corps par les
jeûnes, les veilles, les exercices de la plus austère pénitence. Un peu de
pain, quelques herbes grossières formaient toute sa nourriture, et l'eau du
rocher était son unique breuvage; et encore n'usait-il de ces aliments qu'une
fois le jour et en très-petite quantité: car il n'avait pour vivre que le fruit
de son travail, et, remarque l'auteur de sa vie, il ne travaillait que pour se
procurer l'absolu nécessaire, toutes ses heures étant, d'ailleurs, employées à
la prière et à la contemplation. « L'homme est né pour le travail, » et
l'humble solitaire travaillait; l'homme est né aussi pour « parler avec
confiance à Dieu, qui fait des choses grandes et impénétrables, des choses
miraculeuses et sans nombre (1), » et l'humble solitaire lui parlait.
Mais le bon saint Sour ne put long-temps se cacher de la
sorte; sa sainteté le trahit ici comme elle l'avait trahi à Peyre-Levade; la
bonne odeur
(1) Job, ch, 5, v. 7, 8, 9.
p. 87
s'en répandit bientôt, et les peuplades
voisines accoururent auprès de sa grotte.
La vie du solitaire, remarque la légende, était tout à la
fois un exemple admirable offert à ceux qui voulaient imiter, et un discours
éloquent et facile que les plus simples pouvaient comprendre. Aussi la foule,
avide de le voir et de l'entendre, devint-elle, de jour en jour, plus
nombreuse, plus empressée, à tel point qu'il dut songer encore à se dérober à
ses regards et à ses importunités. Nous voyons, en effet, qu'après en avoir
obtenu l'autorisation de l'évêque Chronope, il adopta le genre de vie des
véritables reclus (1).
On n'ignore pas ce qu'était, dans les premiers âges des
institutions monastiques, la vie de reclus. « Pierre de Cluny, surnommé le
vénérable, écrivant à Gigelbert, reclus, nous apprend, dit l'auteur de l'Estat
de l'Eglise du Périgord, quelle était cette vie, et que celui-là volontai-
(1) Le P. Labbe, ― les
Bollandistes, ― le P. Dupuy.
p. 88
rement, pour se détacher tout à
fait de la conversation du monde, choisissait une petite cellule de dix ou
douze pieds, et s'étant retiré avec congé de son abbé, l'on fermait de
murailles la porte, lui laissant une petite fenêtre, par laquelle il recevait
la viande spirituelle de l'adorable sacrement pour son âme, et la nourriture de
son corps par les aumônes qu'on lui apportait. Les uns se renfermaient pour dix
ou douze ans, les autres pour toute leur vie, et Dieu souvent honorait ces âmes
contemplatives des dons de prophétie, des miracles et autres vertus
surnaturelles, non sans admiration et étonnement du peuple qui les venait
visiter (1). »
Ce genre de vie était assez commun en France, au sixième
siècle, et, ajoute le P. Dupuy, fort pratiqué dans le Périgord. Nous pourrions
citer, du temps même de saint Sour, au nombre des plus illustres reclus, saint
Léobard à Marmou-
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. 1, p. 161.
p. 89
tier, saint Fraimbauld et saint
Constantien dans le diocèse du Mans, saint Sénoch dans le diocèse de Tours,
saint Junien dans le diocèse de Limoges, saint Caluppan dans l'Auvergne, saint
Patrocle à Tours, saint Lomer à Chartres, notre saint Euparche à Angoulême,
saint Hospice près de Nice, en Provence, saint Salvi qui fut arraché de force
de sa cellule pour être élevé sur le siége épiscopal d'Alby.
Le bon saint Sour, voulant donc se soustraire aux regards
de la foule, s'enfonça dans le creux du rocher où dans une grotte pratiquée
au-dessous de celle qu'il occupait déjà, et dont la voûte était si basse, qu'il
ne pouvait s'y tenir que courbé. Il s'y était fait un siège avec quelques
morceaux de bois mal unis; mais, sur le dossier, à la hauteur de la tête, il
avait planté comme une couronne de grands clous dont les pointes aigües
devaient le réveiller, s'il lui arrivait de se laisser gagner par le sommeil,
dans le temps de ses longues méditations: couronne mystérieuse de pénitence que
le juste ne quitte-
p. 90
rait pas pour toutes les
couronnes du monde, et qui se change dans le ciel en lumineuse auréole de
gloire.
Ainsi notre saint voulait-il n'être surpris d'aucune
manière ni en aucun temps par les ruses du démon.
Il avait ménagé à l'entrée de cette seconde cellule une
petite porte: elle ne devait s'ouvrir que la nuit, lorsqu'il sortait pour
vaquer à la prière, admirer la gloire de Dieu que les cieux nous racontent, et
contempler la magnificence des ouvrages de sa main que publie le firmament (1).
Auprès de cette porte, il avait pratiqué une petite ouverture en forme de
fenêtre, qui ne lui apportait qu'obliquement le jour nécessaire.
Qu'on ne s'étonne point de ce genre de vie. Lorsque
l'Esprit Saint nous parle de l'épouse des cantiques, il nous la représente
amoureuse colombe, cachée dans le creux du rocher (2).
(1) Psaume 18.
(2) Liv. des Cant., ch. 2,
v. 14.
p. 91
En effet, l'amour se plaît dans la solitude; là, ses
ardeurs sont plus vives, et rien ne peut le distraire de son objet. Si Dieu
veut se communiquer à une âme, lui parler et l'entendre, il la prend et la
conduit en un lieu retiré (1), et celui-là seul qui l'a éprouvé comprend ce qui
se passe alors entre Dieu et cette âme, mais aucune bouche ne saurait
l'exprimer. Aussi n'essaierons-nous pas de raconter à notre pieux lecteur le
commerce de notre saint avec son Dieu, pendant les quelques années qu'il resta
ainsi reclus, loin de tout contact avec le monde; quelles grâces intérieures
inondèrent son âme durant une conversation si longue et une union si intime
avec celui qui est la source de tout bien; de quelle lumière il fut éclairé, de
quelle prudence il fut rempli pour l'accomplissement des desseins de Dieu. Le
bon saint Sour était seul avec son Dieu, et il le voyait d'autant plus purement
que plus familièrement il conversait
(1) Osée, ch. 2, v. 14.
avec lui. Là, son âme, creusant
dans elle-même un grand fondement d'humilité, s'élevait jusqu'au faîte du plus
parfait amour.
XI.
Comment le bon
saint Sour avait fait un voeu,
et comment il punit une femme de son entêtement.
Nous avons omis une des causes qui avaient le plus
fortement déterminé notre saint à adopter la vie de reclus. Nous la trouvons
dans le manuscrit édité par le P. Labbe et les Bollandistes.
Un jour que le pieux anachorète, à genoux sous son rocher,
vaquait à la prière, ses yeux s'étant ouverts, il aperçut une femme se baignant
dans la Vézère, peu attentive à conserver cette sévère modestie et ce respect
d'elle-même qu'une femme chrétienne n'oublie jamais. Son
p. 93
âme en fut troublée. « La mort,
dit Jérémie, est montée par nos fenêtres; elle est entrée dans nos maisons pour
exterminer nos petits enfants (1). » Or, les sens de notre corps sont les
fenêtres par lesquelles la mort pénètre dans notre âme, à la suite du péché.
Mais, de toutes ces fenêtres, comme le remarque saint Augustin (2), celles de
la vue et de l'ouïe sont les plus dangereuses; nous sommes plus
particulièrement entraînés au mal par les objets qui se présentent à nos yeux,
par les discours qui frappent nos oreilles. Et le bon saint Sour, voulant se
punir d'un regard involontaire, mû aussi par une délicatesse de conscience
qu'on ne saurait trop louer, fit voeu de ne jamais de sa vie regarder une
femme.
Ce n'est pas sans motif, dirons-nous avec le légendaire,
que nous citons cette particularité de la vie de notre saint; elle nous donne
l'explication de quelques faits qui resteraient pour
(1) Jérémie, ch. 9, v. 21.
(2) Saint Aug., Serm. 293,
n° 3.
p. 94
nous incompréhensibles. Nous
allons les raconter.
Le bon saint Sour n'avait pas encore commencé sa vie de
reclus, mais déjà il avait fait le voeu dont nous venons de parler.
Or, une femme, qui restait dans le voisinage, avait
coutume d'aller tous les jours balayer le devant de sa cellule, et le saint,
pour la récompenser de ce charitable office, lui donnait chaque fois une petite
aumône.
Mais il est écrit: « Celui qui aime le danger y périra
(1), » et la prudence veut que nous éloignions de nous les occasions qui
peuvent nous faire faillir. Le bon saint Sour le savait; aussi, craignant de
rencontrer cette femme lorsqu'il sortirait de sa cellule ou qu'il y rentrerait,
et de manquer à son voeu, lui défendit-il de revenir. Il comprit bien qu'une
simple défense ne suffirait pas: l'habitude était là et l'intérêt aussi. Le
saint accompagna sa défense de la menace des plus sévères châtiments.
(1) Ecclésiastique, ch. 3,
v. 27.
p. 95
La femme en eut une peine extrême, et on la vit ce jour-là
s'en retourner en pleurant et se lamentant. On pouvait croire que la cause de
ses larmes était de ne pouvoir plus désormais remplir son oeuvre de
bienveillante charité, mais sa conduite prouva que tous ses regrets se
portaient sur la récompense habituelle dont elle serait privée.
Un jour, deux jours se passèrent, la femme ne reparut
point. Mais, le troisième jour, on la vit revenir, et, ne tenant aucun compte
de la défense qui lui avait été faite, rester à la porte du saint,
l'importunant de ses clameurs et lui demandant son aumône de chaque jour.
Ni les prières, ni les menaces du saint ne peuvent la
retirer de son entêtement. Elle redouble ses cris et ses demandes; elle restera
là, elle ne s'en retournera pas qu'elle n'ait reçu sa récompense.
Le bon saint Sour voit avec une vive peine cette
obstination; il désespère de la vaincre. Faisant alors violence à son coeur,
poussé aussi
p. 96
par un mouvement de l'esprit de
Dieu, qui veille sur la solitude de son serviteur et la fidélité à son voeu, et
saisi d'une sainte colère, il sort précipitamment de sa cellule, et de cette
bouche habituée à ne s'ouvrir que pour célébrer les louanges de Dieu, il crache
sur cette femme.
La malheureuse, qui avait relevé la tête comme pour
recevoir sa récompense, jette à l'instant un grand cri. ― Atteinte sur un
oeil par l'homme de Dieu, elle n'y voyait plus de cet oeil.
Ainsi punie de son obstination, elle est bien contrainte
de se retirer; elle part alors et s'en va, répandant partout ses clameurs et
reconnaissant mal la justice de sa punition.
Le légendaire ajoute que cette femme, en arrivant dans sa
maison, trouva toutes les personnes qui l'habitaient borgnes comme elle et du
même oeil qu'elle-même l'était; et, comme on le rapporte (c'est le légendaire
qui parle, écrivant dans le Xe ou dans le XIe siècle),
depuis ce moment jusqu'à ce jour, tous les animaux, les volatiles même de cette
maison ont été frap-
p. 97
pés de la même infirmité. Dieu
voulut aussi que non-seulement la femme, qui avait osé troubler le repos de la
solitude du saint et ne pas respecter sa parole, mais toute la famille de cette
femme, toute sa parenté, tout ce qui était dans sa maison fut continuellement
sous l'impression de la terreur et du pressentiment d'une ruine et d'une fin
prochaines.
Un châtiment si sévère prouva combien le voeu du bon saint
Sour avait été agréable à Dieu, avec quelle sollicitude la divine Providence
veillait sur la retraite que l'humble anachorète s'était choisie.
Il fallut sans doute que la femme coupable persévérât dans sa faute, qu'elle ne
revînt pas s'humilier devant le saint; le saint lui eût pardonné, eût obtenu sa
guérison et celle des membres de sa famille.
On se rappelle, en lisant ce trait, qui n'est qu'une
traduction du légendaire, les pages si attrayantes de naïveté qu'offrent les
Vies des Pères du désert.
XII
Comment le bon
saint Sour, ayant deux serviteurs, opéra un miracle pour les nourrir.
Parmi les personnes les plus assidues à le visiter dans sa
retraite, le bon saint Sour avait distingué deux jeunes gens qu'il avait
attachés à sa personne en qualité de serviteurs, ou plutôt de disciples. Le
légendaire nous a conservé leurs noms: ils s'appelaient, l'un Bonite, et
l'autre Principi. Ils aimaient leur bon maître et ils en étaient aimés; ils lui
furent utiles lorsqu'il se fut condamné à la vie de reclus. Etablis dans de
petites grottes auprès de sa cellule, ils lui procuraient, par les aumônes
qu'ils allaient recueillir, tout ce qui était nécessaire à la nourriture et au
vêtement, et se nourrissaient eux-mêmes du superflu de ces aumônes. Mais,
quoique habitués à vivre avec un saint, ils étaient loin de partager son ardeur
pour les austérités et les mortifications. Le fait
p. 99
que nous allons raconter le
prouvera; il nous fera voir aussi la bonté du pieux reclus pour ses deux
serviteurs, et la puissance de sa prière auprès de Dieu.
On était, dit le légendaire, au premier dimanche de la
sainte quarantaine, à ce jour le plus mauvais de tous par les excès, dans le
boire et le manger, auxquels il donne lieu (1).
Or, les deux serviteurs commencèrent de murmurer et de se
plaindre; et ils disaient: « De toutes parts on prépare, selon l'usage, des
festins et des réjouissances; pour, nous, nous n'avons rien qui puisse nous
permettre de passer ce jour un peu plus gaîment que les autres. »
(1) On voit, par ce trait,
remarque Mabillon (Annales Ordinis Sti. Benedicti), que le premier
dimanche, de la quadragésime n'était pas encore jour d'abstinence. Ce ne fut,
en effet, qu'après le VIe siècle, observe Ratramne (l. 4, Contra
graecorum opiniones, c. 4, t. 2, p. 224), qu'il fut bien réglé que le jeûne du
carême serait de quarante jours et non plus seulement de trente-six, comme il
avait été jusqu'alors, d'après saint Grégoire-le-Grand (hom. 16, in ev.).
On voit aussi, par ce même
trait, qu'il était d'usage alors, comme aujourd'hui, de fêter l'ouverture du
jeûne quadragésimal par un adieu solennel aux aliments gras: carni vale.
p. 100
Et le saint, du fond de sa cellule, écouta ces plaintes
avec beaucoup de douceur, et il s'empressa de les apaiser en rappelant ses deux
serviteurs aux enseignements de la foi et de la charité.
Et il leur dit: « Mes petits enfants, ne vous plaignez
pas, ne murmurez pas; la main de Dieu est toute puissante. Celui qui, dans le
désert de la Judée, rassasia cinq mille hommes avec cinq pains et quelques
petits poissons, peut bien, dans le nouveau désert où nous sommes, donner la
nourriture nécessaire à deux de ses serviteurs.
Ne savez-vous pas ce que le psalmiste dit des Israélites,
murmurant et se plaignant de manquer de viandes dans le désert? Les viandes
étaient encore dans leur bouche lorsque la colère de Dieu s'éleva contre eux
(1).
Ne murmurez donc pas comme murmurèrent quelques-uns
d'entre eux, qui furent tués
(1) Ps. 77, v. 53,
p. 101
par des serpents (1); mais ayez
confiance et espérez en Dieu. »
Et le saint, ayant ainsi consolé et encouragé ses deux
serviteurs par ces douces paroles, se mit en prière.
Et il était plein de confiance en la bonté du Seigneur,
qui nous a dit: « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez
à cette montagne: Passe d'ici là, et elle vous obéirait (2). »
Et sa prière ne fut point longue: il l'avait à peine
commencée, qu'un cerf, d'une grandeur peu ordinaire, sortant de son fort,
s'élance et se précipite du haut de la montagne, et vient tomber, la tête
fracassée, sans mouvement et sans vie, devant la cellule du saint.
Ce que voyant, l'un des serviteurs accourt en toute hâte
annoncer à son maître ce qui vient d'arriver, et lui dit: « Maître, que faut-il
faire du présent que Dieu nous envoie? »
(1) Saint Paul, 1re
épît. aux Cor., c. 10, v. 10.
(2) Saint Malth., c. 17, v.
19.
p. 102
Et le bon saint Sour, élevant son âme à Dieu, dont la
bonté n'abandonne pas ceux qui espèrent en lui, remercie, avec une grande
effusion d'amour, l'auteur de ce bienfait,
Puis il reproche à ses deux serviteurs l'injustice de
leurs murmures, et les avertit d'avoir désormais plus de foi et de ne point
oublier que Dieu, dans l'adversité comme dans la prospérité, leur est toujours
présent. Et il ordonne ensuite qu'on dépouille le cerf de sa peau.
De cette peau, le bon saint Sour veut se faire un vêtement
qui sera pour lui comme un témoignage de sa reconnaissance envers l'auteur de
ce bienfait, et dont la vue réveillera la foi dans le coeur de ses disciples,
et les prémunira contre le danger de la défiance, si funeste au bien des âmes
dans les voies de Dieu.
Le légendaire observe que le bon saint Sour usa toute sa
vie de ce vêtement, sous lequel il portait une grosse chaîne attachée an cou et
tombant sur la poitrine, de manière à n'être vue
p. 103
de personne. Ainsi protégeait-il,
par cet instrument de pénitence, la pureté de son coeur.
Le cerf dépouillé de sa peau, le bon saint Sour en fait
distribuer la chair aux veuves et aux orphelins, rendant ainsi à Dieu ce qui
lui vient de Dieu, et permet à ses deux serviteurs de garder ce qui leur est
nécessaire pour la nourriture du jour.
Le lecteur habitué aux Vies des saints ne s'étonnera point
de ce prodige. Nous voyons, en effet, que Dieu a souvent pris les animaux pour
intermédiaires entre sa Providence et l'homme, et les a fait servir
d'instruments à son amour. Aux animaux qu'il a pu apprivoiser pour son usage,
l'homme donne de sa main la nourriture et les autres soins que leur position réclame;
et souvent les animaux restés à l'état sauvage, ont donné la nourriture à
l'homme qui, par amour pour Dieu, s'était éloigné de la société de ses
semblables, et lui ont rendu les autres services dont il avait besoin.
Ce n'est pas toujours un ange qui porte aux
p. 104
successeurs d'Elie, dans le
désert, le pain cuit sous la cendre et le vase plein d'eau.
Ce n'est pas toujours un Raphaël qui conduit le jeune
voyageur dans un pays lointain, et le ramène, sain et sauf, dans la maison de
son pere.
Ce n'est pas toujours un Tobie qui creuse une fosse pour
les corps des serviteurs de Dieu.
Pendant soixante ans, un corbeau apporte régulièrement
chaque jour la moitié d'un pain à saint Paul l'ermite, et un pain tout entier
le jour que le solitaire reçoit la visite de saint Antoine. Et lorsqu'il est
mort, deux lions viennent creuser sa fosse et aider à saint Antoine à
l'ensevelir.
Un lion creuse la fosse de sainte Marie-Egyptienne, au
commandement du prêtre Zozime.
Lorsque saint Théon sort, la nuit, et s'en va à travers
les sombres forêts, les bêtes sauvages se rassemblent autour de lui, lui font
cortége, l'accompagnent partout et le reconduisent à sa cellule.
Saint Hélain veut aller chercher un prêtre pour la
célébration des saints mystères; mais il faut traverser un fleuve: un crocodile
lui prête son dos écailleux (1).
Quoi d'étonnant, après cela, qu'un cerf vienne de lui-même
s'offrir pour la nourriture des serviteurs du bon saint Sour? Dieu n'est-il pas
toujours et partout bon envers ceux qui l'aiment? toujours
et partout admirable dans ses oeuvres?
XIII.
Comment le bon
saint Sour reçut la visite de sa mère,
et comment la foi triompha de l'amour
maternel.
L'amour est fort comme la mort (2): le plus fort des
amours est l'amour maternel; mais la foi en triomphe, et c'est alors un
prodige. Nous
(1) Voir la Vie des Pères du
désert.
(2) Le Cantique des
Cantiques, c. 8.
p. 106
en voyons un exemple dans la vie
du bon saint Sour.
On n'a pas oublié les instances que ses parents avaient faites
pour le retenir auprès d'eux, et comment, cédant enfin à une vocation si bien
éprouvée, ils avaient consenti à son départ. Bien des années s'étaient écoulées
depuis la séparation... et la douleur de la mère était aussi vive que le
premier jour. Pour le père, Dieu l'avait appelé dans le sein de sa miséricorde.
Une mère éloignée de son fils conserve toujours
l'espérance de le revoir; et cette espérance est devenue une conviction,
presque une certitude, si elle a puisé son principe dans le sentiment religieux.
Nous avons connu une pieuse mère; son souvenir ne
s'effacera jamais de l'âme de son fils. Dieu lui avait donné la récompense
promise au juste sur la terre: une nombreuse famille. Mais son coeur n'était
point partagé entre ses huit enfants; elle aimait chacun d'eux comme si elle
n'en avait eu qu'un.
p. 107
L'aînée des quatre filles, ange descendu sur la terre,
était, après dix-huit ans, remontée vers le ciel. Nous avons vu cette mère la
pleurer toute sa vie, comme si elle avait perdu tous ses enfants.
Des sept, qui lui restaient, sa gloire était d'en voir
quatre consacrés à Dieu: trois dans le sacerdoce et une dans la vie religieuse.
Celle-ci, la pieuse mère en était séparée depuis près de vingt ans, et la grâce
que chaque jour elle demandait à Dieu, était de revoir sa fille une fois encore
avant de mourir.
Elle vieillissait, cependant, la pieuse mère, et sa fille
restait toujours éloignée.
Un jour, à midi, une missive est apportée... Quel bonheur!
Dieu a exaucé la prière de chaque jour ― le soir, la mère verra sa fille
bien aimée... Elle ne se possède pas de joie. C'est la femme de l'Evangile qui
a retrouvé la drachme perdue; elle court, elle va, elle vient d'une maison à
l'autre, communiquant sa joie à ses voisines et recevant, leurs félicitations.
p. 108
L'heure indiquée dans la missive est arrivée... l'heureuse
mère a sa fille dans ses bras; et, avec un accent impossible à décrire, cette
exclamation, beau triomphe de la foi sur l'amour maternel, s'échappe de son
coeur: « Mon Dieu, je vous remercie! »
Point d'autre parole...
Ce coeur, trop faible pour supporter tant de bonheur, n'a
eu de force que pour s'élever a Dieu, mais il en a eu
assez...
La pauvre mère reste longtemps comme privée
de vie.
Nous fûmes témoin de cette scène, la plus attendrissante,
que nous ayons jamais vue. Nous savions la prière de
chaque jour, et l'exclamation de reconnaissance, poussée par la foi dans soir
triomphe, fit sur nous une de ces impressions qu'on ne saurait dépeindre, mais
qui ne s'oublient jamais.
La mère du bon saint Sour, elle aussi, avait prié et
conservé l'espérance de revoir son fils. Mais, où le chercher? où le trouver? était-il
p. 109
encore de ce monde? La main de
Dieu n'avait-elle pas cueilli, de bonne heure, ce fruit prématuré pour le ciel?
Enfin, la renommée, portant au loin l'éclat des vertus et
des miracles du fils, a découvert le lieu de sa retraite. L'amour maternel ne
souffre point de retard: la tendre mère est partie, elle est arrivée à la porte
de la cellule de son fils, et demande à lui parler, à le voir.
Cette nouvelle déchire le coeur de l'austère reclus; il se
souvient du voeu qu'il a fait. Mais il ne balance pas entre le cri de sa
conscience et le cri de l'amour filial; il comprend que Dieu demande de lui un
exemple du renoncement le plus parfait, de l'abnégation la plus absolue; et,
quelques instances que fasse la mère, le fils refuse de la voir; ni ses larmes,
ni ses plaintes ne peuvent le fléchir.
Le coeur d'une mère comprendra seul ce que dut souffrir le
coeur de celle-ci. « Eh quoi! mon fils! » lui dit-elle, « rien ne peut vous tou-
p. 110
cher! vous
ne voulez pas accorder cette satisfaction à ma vieillesse! » ― Et elle
garde le silence, comme si elle attendait la réponse. Mais, tandis que le fils,
recueilli au fond de sa cellule, disait à Dieu: « Vous êtes mon père, vous êtes
ma mère, » l'âme de la mère, fortement trempée au feu de la foi, s'était élevée
vers le ciel pour y puiser une grande lumière et la force d'un grand sacrifice.
Après quelques instants, elle relève la tête. Ses larmes ne coulent plus, son
visage semble illuminé d'un reflet de l'inspiration divine; on dirait une
prophétesse des temps antiques au moment de prononcer un oracle: « Eh bien! mon fils! » s'écrie-t-elle, et
c'est ici encore le triomphe de la foi sur l'amour maternel, « eh bien! mon fils, puisque je ne puis vous voir sur la terre, vous ne
m'empêcherez pas de vous voir dans le ciel; j'y serai avec vous pour la
récompense éternelle. »
Et ayant dit ces paroles, témoignage de la foi la plus
vive, la pieuse mère, soumise et résignée, se retira.
p. 111
Et l'ange de Dieu eut à écrire ce jour-là, dans le livre
de vie, un sacrifice sublime et des plus méritoires à côté du nom de la mère et
à côté du nom du fils.
Les esprits légers, incapables de goûter les choses de
Dieu, blâmeront cette conduite de notre saint et l'accuseront de dureté; mais
les esprits sérieux et vraiment chrétiens, qui savent la valeur d'un sacrifice,
trouveront également admirables et la foi de la mère et l'abnégation du fils
(1)
(1) La tradition locale a
conservé le souvenir de cette visite de la mère du bon saint Sour, mais elle y
ajoute une circonstance peu vraisemblable: « La mère, ne pouvant obtenir que
son fils se montrât à elle, le conjura de lui laisser voir au moins un doigt de
sa main. Le fils y consentit, et la mère, saisissant ce doigt, le coupa et
l'emporta, en disant: J'aurai quelque chose de mon fils. »
On raconte un fait à peu
près semblable de saint Jean, abbé du monastère de Réomaüs, en Bourgogne, et
qui vivait du temps de notre bon saint Sour. Sa mère, qui était dans une
extrême vieillesse, vint le visiter pour avoir la consolation de le voir encore
une fois. Mais la grâce fit triompher le saint abbé des sentiments de la
nature; il se refusa à lui-même le plaisir de parler à une mère qu'il aimait
tendrement. Il lui accorda, cependant, celui de le voir, et il passa devant
elle afin qu'elle pût contenter en partie son amour maternel. Après quoi il lui
fit dire qu'elle ne le verrait plus sur la terre, qu'elle tâchât seulement de
vivre de telle sorte qu'ils pussent se revoir dans le ciel. (Hist. de l'Église
Gallicane, t. 2, p. 360.)
XIV.
Comment le bon
saint Sour éprouva une nouvelle vocation,
et comment il renonça à la vie de reclus.
Nous avons dit les efforts ingénieux qu'avait faits notre
saint pour se cacher et se soustraire aux importunités de la foule. Ils avaient
été inutiles; la foule ne cessait d'accourir, désireuse de le voir et de
l'entendre.
Le monde, quelque mauvais qu'il soit, se rend parfois justice;
il approuve ceux qui le méprisent et le fuient, il les estime et les recherche.
Son empressement fut tel auprès de la cellule du bon saint Sour, que celui-ci
dut enfin examiner si Dieu ne lui manifestait point une nouvelle vocation, et
ne demandait pas autre chose de lui que les austérités de la vie de solitaire
et de reclus.
Et il méditait au fond de sa cellule:
« Pour fuir le monde, il a quitté son pays et
p. 113
la maison de son père, et le monde l'a suivi et recherché
au monastère de Genouillac; il a quitté le calme de cette douce solitude, et le
monde l'a suivi et recherché dans sa retraite de Peyre-Levade; il a renoncé à
la société de saint Amand et de saint Cyprien, aux charmes d'une amitié qui, en
même temps qu'elle faisait ses délices, soutenait son courage dans les combats
du Seigneur, et le monde l'a suivi et recherché en un lieu où jamais mortel
n'avait porté ses pas.
La contemplation, favorisée par la solitude, est bien
l'objet de ses délices, son âme y trouve les plus douces jouissances; mais la
foule se presse et réclame le pain de la parole divine; comment ne pas le lui
rompre? Dieu ne lui reprocherait-il pas un jour d'avoir refusé la nourriture
aux petits enfants, alors qu'ils la demandaient à grands cris? »
Toutes ces considérations agitaient l'âme de notre saint.
Il y a deux voies qui mènent à Dieu, la voie
p. 114
de la vie contemplative et celle
de la vie active; nous ne dirons pas que l'une soit meilleure que l'autre.
Nous aimons Jésus retiré sur la montagne pour prier, nous
l'aimons sur le Thabor, éblouissant les trois disciples par les rayons de
gloire qui s'échappent de son visage et par la blancheur de ses vêtements; mais
nous l'aimons aussi dans la plaine, appelant à lui les petits enfants pour les
instruire et les bénir, ou multipliant les pains et les petits poissons pour
nourrir le pauvre peuple.
Nous aimons le Chartreux dans le fond de sa cellule,
priant et attirant sur le monde, qui ne prie point, les bénédictions de Dieu;
mais nous aimons aussi saint Vincent-de-Paul, lorsqu'il fonde nos hôpitaux et
se retire le soir dans sa pauvre demeure, portant dans un pan de sa robe un
petit enfant qu'il a ramassé dans la rue.
Nous aimons la séraphique sainte Thérèse, lorsque, par les
extases de son amour, elle s'élève jusqu'au troisième ciel; mais nous aimons
p. 115
aussi l'humble soeur de charité, soit que nous la
trouvions entourée de petits enfants qu'elle instruit et forme à la piété, à la
vertu; soit qu'elle nous apparaisse dans les hôpitaux, au chevet du malade, ou
dans la chaumière du pauvre, lui apportant le pain de chaque jour.
Il y a dans ces deux voies Marie et Marthe: Marie aux
pieds de Jésus, écoutant sa divine parole, Marthe s'agitant beaucoup pour
préparer à Jésus ce dont il a besoin.
Notre bon saint Sour crut voir dans l'empressement de la
foule, la volonté de Dieu lui ordonnant, comme autrefois à saint Pierre, de
descendre du Thabor; et, après plusieurs années de cette vie d'austère
réclusion, il se décida enfin à sortir de sa retraite.
Il nous paraît utile de placer ici une observation.
Quelques historiens n'ont voulu voir dans saint Sour qu'un pieux anachorète,
priant et chantant les psaumes sacrés, et le P. Dupuy nous affirme que « sa vie
persévéra en la réclusion dans laquelle, comme dans un sépulere, il s'é-
p. 116
tait volontairement enseveli pour
vivre et mourir seul à son seul Dieu (1). » Nous croyons que ces auteurs, s'ils
avaient un peu étudié les faits, auraient vu l'impossibilité d'accorder ce
genre de vie avec les diverses fondations que fit notre saint, Le P. Dupuy n'en
parle pas.
Quant au P. Labbe et aux Bollandistes, ils auraient dû
remarquer la contradiction qui existe dans leur légende. D'un côté, après nous
avoir donné la description de la grotte du bon saint Sour, ils nous disent
qu'il y vécut pendant quarante ans, « solitaire comme le passereau sur un toit
(2). » D'un autre côté, ils lui font quitter sa grotte et son rocher pour se
mettre à la tête d'une nombreuse société de moines.
L'auteur de l'Abrégé de la Vie des Saints de la province
du Périgord en a jugé comme nous; aussi est-ce à quatorze, seulement, qu'il
fixe le nombre des années que le saint vécut dans sa
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. 1, p. 161.
(2) Ps. 101, v. 8.
p. 117
grotte. Nous croyons que ces
années doivent se prendre depuis l'arrivée de saint Sour sous le rocher
jusqu'au moment où il renonça à la vie de reclus. Cette remarque était nécessaire à la
justification des divers actes que nous aurons à raconter. Nous en reprenons le
récit.
Le bon saint Sour s'était résolu à sortir de sa cellule et
à se montrer au peuple, et le concours de ceux qui venaient, pour le voir et
l'entendre n'étant plus arrêté par les obstacles d'une sévère réclusion, fut de
plus en plus nombreux. De son côté, le pieux solitaire, désirant avant tout la
gloire de Dieu, ne négligeait rien de ce qui pouvait contribuer au bien de ce
peuple. L'avidité de ces fervents disciples pour la parole sainte le
remplissait de la plus douce joie; mais il gémissait de les renvoyer toujours à
jeun du pain eucharistique et de les exposer ainsi, sans force et sans vigueur,
aux défaillances de l'âme dans le chemin de la vie. Aussi voulut-il qu'ils
pussent participer, en ce lieu même, aux mys-
p. 118
tères sacrés, en même temps
qu'ils y venaient pour s'instruire. Dans ce but, dit le légendaire, il dressa
un autel auprès de sa cellule et s'adjoignit un prêtre pour y célébrer le saint
sacrifice (1) et distribuer au peuple la nourriture spirituelle, que lui-même
ne pouvait lui donner. Ne remplissant que le ministère de la parole, il s'en
acquittait avec le zèle, la simplicité de l'apôtre, et, lorsqu'il avait cessé
de parler à la foule, satisfait à toutes ses demandes, il rentrait dans sa
cellule, s'y tenait renfermé par respect et humilité, tout le temps du
sacrifice, et recevait, par la petite fenêtre dont nous avons parlé, sa part de
l'oblation sainte.
Nous avons, recueilli tous ces détails de la bouche des
anciens, ajoute le légendaire. Il est à regretter qu'il ne nous ait pas
conservé le nom de ce prêtre, bienheureux auxiliaire du bon saint Sour, témoin
de ses vertus et de ses miracles.
Nous voyons sous le rocher les traces d'un ora-
(1) Saint Sour n'était pas
alors prêtre. ― Rien ne nous indique qu'il l'ait été plus tard.
p. 119
toire et le lieu où fut cet
autel. L'oratoire et l'autel existaient encore en 1793, nos vieillards les ont
vus; ils se souviennent d'avoir plus d'une fois entendu la messe sous le rocher
de Saint-Sour, et citent le nom du prêtre qui, le dernier, y célébra les saints
mystères (1). Mais à cette époque, la main des profanateurs s'y appesantit et
n'y laissa que des ruines. On n'y voit plus aujourd'hui que les restes d'un
autel en pierre, et un mur qui séparait, la chapelle de la grotte habitée par
le saint. Ils sont restés là debout, ce mur et cet autel, témoins autrefois de
tant de merveilles, comme pour les redire au rare pèlerin qui y porte encore
ses pas; commander au profane le respect et la vénération; l'avertir qu'il est
sur une terre sainte et que malheur à lui s'il y commettait l'iniquité.
Cet ancien autel et ce vieux mur, que nous n'avons jamais
visités sans une profonde émotion, ont plus d'une fois parlé fortement à notre
coeur
(1) Dom François Mayaudon de
Prayssac, dernier prieur du monastère de Terrasson.
p. 120
de prêtre, à nous le dernier venu
pour recueillir l'héritage du bon saint Sour. Que de fois, solitaire au sein de
cette grotte, rappelant dans l'amertume de notre âme les traditions du passé,
n'avons-nous pas gémi de notre impuissance à relever cet autel, à rassembler
les pierres dispersées de ce petit sanctuaire! Une voix, la voix du bon saint
Sour, semblait s'élever du milieu de ces ruines, grave et suppliante, et nous
accuser, d'indifférence. Mais, ce que nous ne pouvions faire alors, nous le
pouvons aujourd'hui, et bientôt, car Dieu nous sera en aide et la charité des
fidèles ne se refroidira pas, nous aurons rebâti la petite chapelle et rendu à
ces lieux vénérés leur aspect des anciens jours. Nous rétablirons la cellule du
solitaire, telle qu'elle était et que nous l'avons décrite; il y aura là petite
porte qui ne s'ouvrait que la nuit, la petite fenêtre qui lui donnait une
lumière douteuse et par laquelle le saint recevait les aliments et les autres
objets nécessaires à la vie. Nous recomposerons ce siége de morceaux
p. 121
de bois mal unis, instrument tout
à la fois de repos et de pénitence. De nouveau nous appellerons ici le pèlerin
pour prier et méditer. Heureux nous-même si, lorsque notre main tremblante ne
pourra plus tenir la houlette du pasteur; lorsque notre voix affaiblie ne
pourra plus nourrir le troupeau de la parole sainte; lorsque nos pieds
chancelants ne pourront plus courir après la brebis égarée, heureux si, déposant
alors un fardeau devenu trop pesant, il nous est permis de venir faire ici la
dernière station de notre pèlerinage, y méditer pour le jugement à venir, les
années de notre sacerdoce, y célébrer notre dernière messe, y formuler notre
dernier acte de foi, d'espérance et d'amour, y rendre notre dernier soupir!...
XV.
Comment le bon
saint Sour ayant renoncé à la vie de reclus,
se forma quelques disciples, et quelle règle
il leur donna.
Le bon saint Sour commença bientôt à briller par des
signes éclatants, dit le légendaire il rendait la vue aux aveugles, l'ouïe aux
sourds, la parole aux muets, et guérissait toutes sortes de maladies.
Ces miracles élargirent le cercle de sa réputation. On
accourait à la cellule du solitaire, non plus seulement du voisinage, mais des
pays lointains, et nul ne s'en retournait sans avoir obtenu la grâce, le
bienfait qu'il était venu demander. Déjà plusieurs de ceux qui avaient éprouvé
les effets du pouvoir de notre saint auprès de Dieu, ou qui en avaient été les
témoins, s'étaient faits ses disciples, et, à son exemple, renonçant au monde,
avaient pratiqué d'autres cellules à côté
p. 123
de la sienne et le long du
rocher. Ce fut bientôt une petite communauté, et en peu de temps assez nombreuse pour que le saint pensât à la régulariser. Il y
eut un prieur, un économe et les autres dignitaires; l'ordre le plus parfait
fut établi dans les divers exercices.
Alors, comme aujourd'hui, les monastères n'étaient pas
seulement des lieux de prière et de mortification, mais surtout l'asile des
lumières et des sciences. C'est là que se formaient et s'exerçaient, aux
combats de la foi ces doctes et saints athlètes qui, lorsque le besoin
l'exigeait, faisaient entendre, du fond de leur cellule, leur voix puissante pour
refouler dans ses ténèbres la hideuse hérésie. Il fut un temps, on le sait, où
le clergé, lui seul, cultivait les sciences et les lettres, et nous trouvons à
côté de chaque principale église, de chaque monastère, une école publique et un
religieux ou un prêtre avec le titre d'écolâtre, donnant des leçons
non-seulement aux clercs, mais aussi aux laïques.
Le légendaire nous apprend que le bon saint
p. 124
Sour voulut avoir, dès le principe, cette école parmi ses
disciples. Le peuple venait s'y instruire et les disciples s'y préparaient par
l'étude, non moins que par la prière, à soutenir les combats du Seigneur.
Le prudent fondateur eut soin surtout d'appliquer ses
disciples aux travaux manuels Il connaissait cette sentence des Pères de
l'Egypte: Un « moine qui travaille n'a qu'un démon qui le tente, mais celui qui
demeure oisif en a une infinité (1); » et bientôt la colline au flanc de
laquelle est suspendu le rocher qui protégeait les cellules des nouveaux
moines, fut défrichée.
Rien ne nous l'indique, mais nous devons présumer que l'un
des premiers et des plus fervents disciples du bon saint Sour fut le prêtre
dont nous avons parlé. Il dut recevoir le titre de prieur, et, de l'autorité
que lui donnait le sacerdoce, aider puissamment le saint dans la régularisation
de sa communauté.
(1) Cassien, liv. 10., c. 23.
p. 125
Quelle règle le bon saint Sour adopta-t-il, dès ce moment,
pour ses disciples? Nous l'ignorons, nous n'avons trouvé aucun document à ce
sujet. Déjà, depuis quelques années (en 545), la règle de saint Benoît avait
bien été apportée en deçà des Alpes par saint Maur; mais était-elle assez
connue pour que le bon saint Sour pût la donner, dès le principe, à ses
disciples? Nous ne le pensons pas; la régularisation de sa communauté ayant dû
se faire dans la période de 545 à 550, et, dans l'année même 545, d'après un
auteur assez estimé (1). Nous admettrions comme très-probable que cette règle
ne devait pas différer de celle du monastère de Genouillac, tirée, sans doute,
des Institutions de Cassien, et dont le saint avait pu apprécier par lui-même
les heureux résultats. Il est, cependant, un fait digne de remarque: toutes les
chroniques nous, parlent de l'abbaye des Bénédictins de Terrasson, et aucune ne
constate en quelle année cette ab-
(1) Dom Beaumier, Recueil
historique des abbayes de France.
p. 126
baye fut soumise à la règle de
ces doctes disciples de saint Benoît; ce qui nous permet de conclure que, si le
saint fondateur ne donna pas cette règle, dès le principe, à ses religieux, il
la leur donna, du moins, avant sa mort. A cette époque, elle était adoptée par
la plupart des monastères des Gaules, et, d'ailleurs, saint Maur avait honoré
le Périgord de sa présence; il avait fait bâtir l'abbaye d'Aubeterre (1), dont
il fut abbé et où son corps reposa quelque temps avant qu'il ne fût transporté
à Paris (2).
Telle fut l'origine, nous en aimons la vénérable
antiquité, de cet illustre monastère, connu dans nos annales sous le nom
d'Abbaye de Saint-Sour (3), et qui, nous aurons lieu de le constater, eut
l'honneur d'inscrire dans le catalogue de ses religieux les noms des familles
(1) Aubeterre appartient
aujourd'hui au diocèse d'Angoulême.
(2) Dubouchet, Annales
d'Aquitaine. ― Dupuy, Estat de l'Eglise du Périgord.
(3) Abbatia sancti Sori
Terracinensis.
p. 127
les plus distinguées du Périgord
et du Limousin (1).
Nous voyons encore, sous le rocher, les traces des
nombreuses petites cellules occupées par les premiers disciples de saint Sour;
les unes étaient établies dans les grottes, les autres avaient le rocher pour
appui. Le saint, comme nous le dirons bientôt, les abandonna pour se fixer avec
ses religieux dans un local plus vaste et plus commode; mais elles ne
discontinuèrent pas, jusqu'en 1793, d'être habitées par un, et quelquefois par
plusieurs religieux, qui prenaient le nom et le titre d'Ermites de
Saint-Sour-de-Terrasson. Ils étaient là, dans le domaine et sous là protection
des moines de l'abbaye, les gardiens de la chapelle et de la grotte du bon
saint Sour; vivant des aumônes qu'ils allaient recueillir, ou que les pèlerins
leur apportaient.
Nous voudrions pouvoir dire quelque chose de ces modestes
religieux, mais nous n'avons pu
(1) Voir, à la notice
historique, le catalogue des abbés.
p. 128
découvrir aucun document. Tout ce
que nous en savons, c'est qu'à une époque (en 1689) ils jouissaient d'une assez
grande estime pour que l'attestation par écrit de l'un d'entre eux, parût être
une preuve suffisante del'authenticité des reliques de saint Antoine, prises
dans le trésor de l'abbaye (l).
S'il faut en croire la tradition locale, les grottes de
Saint-Sour auraient été quelquefois l'asile, de grands criminels, venus là pour
se soustraire à la justice des hommes et s'y préparer par la pénitence au
jugement de la justice de dieu, qu'on n'évite pas (2).
(1) Voir, à la fin du
volume, la note A.
(2) On cite un solitaire,
nommé le chevalier de Belges, fils du comte de Freslon, en Provence, qui serait
resté sous le rocher de Saint-Sour pendant les années 1675 et 1676, et qui en
aurait été retiré par sa femme et sa fille. Il a été composé à ce sujet un
petit livre sous forme de roman, intitulé: Le Solitaire de Terrasson. Nouvelle;
par M. de M., imprimé à Paris, chez Barbin, en 1677.
Il en parut une seconde édition en 2 vol. in-12, à Amsterdam, en 1735.
Barbier, dans son
Dictionnaire des ouvrages anonymes, attribue le Solitaire de Terrasson à Mme
Bruneau de la Rabattellière, marquise de Merville.
Du reste, cet ouvrage, écrit
en assez mauvais style et avec peu de goût, n'offre aucun intérêt pour
l'histoire de Terrasson.
XVI
Comment le roi
Gontran, étant lépreux, vint visiter le bon saint Sour,
et comment le bon saint Sour le guérit et
opéra en sa présence d'autres miracles.
Nous avons déjà raconté quelques miracles opérés par le
bon saint Sour; nous ne passerons pas sous silence celui qui jeta le plus
d'éclat sur sa vie et fut comme le dénouement d'une mission spéciale reçue de
Dieu.
Il y a toujours, en effet, dans la vie des hommes, un
événement, une circonstance, un fait que la Providence leur ménage pour la
manifestation de ses desseins. Heureux celui qui sait bien comprendre et saisir
ces moments de Dieu!
Nous laisserons encore parler ici notre légendaire, en lui
conservant autant que possible sa naïve simplicité.
En ce temps-là vivait Gontran, roi de Bour-
p. 130
gogne, roi très-puissant et
très-saint, livré tout entier, et surtout vers la fin de sa vie, à la pratique
des saintes oeuvres. Il y eut bien dans sa jeunesse quelques taches, mais Dieu
daigna l'en purifier en le frappant d'une maladie hideuse, la lèpre, qui lui
couvrait tout le corps (1).
Or, ce roi, étant ainsi affligé, et reconnaissant que la
main d'un père l'a frappé pour le rendre meilleur, se met à prier et à demander
sa guérison; et, pendant qu'il prie avec le plus d'instances contrit et
humilié, un auge lui apparaît et lui dit: « Levez-vous, et allez en toute hâte
trouver le bienheureux Sour, solitaire dans la province d'Aquitaine, au
territoire du Périgord, homme puissant en oeuvres et en paroles. Dieu lui a
confié le soin de vous guérir. Vous ne pouvez conserver aucun espoir de
recouvrer la santé, si vous ne partez le plus
(1) La lèpre était une
maladie assez commune en France, au VIe siècle. Le IIIe concile de
Lyon, en 585, crut devoir s'occuper du sort des lépreux, et prescrivit à chaque
évêque le soin de nourrir et de vêtir tous les lépreux de son diocèse: il ne
fallait pas que la nécessité les rendît vagabonds.
p. 131
promptement possible pour vous
rendre auprès de ce serviteur de Dieu. »
Et Gontran reçoit avec bonheur ces paroles, et, plein de
confiance, il ordonne, dès le même jour, de préparer tout ce qui est nécessaire
et pour lui et pour les personnes de sa suite pendant le voyage. Il veut aussi
qu'on prenne pour l'homme de Dieu des présents dignes de toute la munificence
royale.
Or, les préparatifs sont promptement faits, et, dès le
lendemain, le roi se met en marche.
Et le voici, après beaucoup de fatigues, supportées avec
autant de courage que de pieuse résignation, arrivé en un lieu appelé Ouïrac
(1), en vue et à deux milles seulement de la grotte habitée par le saint dont
l'ange lui a parlé.
Et à peine a-t-il découvert ce lieu, objet de ses désirs,
qu'il se sent transporté de joie; son coeur surabonde et de douces larmes
coulent de
(1) Uriacum, dit la légende.
Ce lieu est situé en face de Terrasson, sur les coteaux qui dominent Cublac,
non loin du village de Lagéronie.
p. 132
ses yeux. A l'instant il met pied
à terre, abandonne son superbe destrier, se dépouille de son armure et se
prosterne humblement. Puis il marche sur les genoux et sur les mains (1), et,
entretenant dans son âme les pensées d'un profond repentir, moins humilié
extérieurement qu'intérieurement rempli d'une douce espérance, il se dirige, en
cet état, vers la grotte du pieux cénobite.
Quel spectacle touchant! Ce sont là vos miracles, ô Jésus!
ce sont là les oeuvres de votre magnificence! Rien de
tellement sauvage que vous ne puissiez rendre sensible! rien
de tellement dur que vous ne puissiez adoucir! Voilà un roi très puissant et,
jusqu'à ce jour, très-redouté, dont les chefs des familles les plus illustres
sont heureux
(1) On lit dans le manuscrit
édité par le P. Labbe et les Bollandistes: Palmisque et genibus reptans, ad
specum usque Beati Viri, devotus et spe nimia credulus, pervenit. Cette marque
de pénitence et de vénération est très-ancienne: on la trouve encore dans nos
pèlerinages les plus renommés. A Roc-Amadour, à Notre-Dame-du-Puy, à
Notre-Dame-de-Lorette, on voit des pèlerins faire presque une lieue à genoux
pour arriver au sanctuaire de Marie.
p. 133
de baiser les traces, le voilà,
maintenant, prosterné à la porte d'un pauvre solitaire, implorant la
bénédiction d'un homme qu'il n'a jamais vu, dont même, quelques jours
auparavant, il ignorait le nom. A vous la gloire, Seigneur! à
vous les actions de grâces! à vous qui exaltez les
humbles et abaissez les superbes; à vous qui rendez la santé aux malades, tirez
l'indigent de la poussière et élevez le pauvre de dessus son fumier (1).
Nous l'avons déjà dit, le roi est humblement prosterné. A
l'exemple d'un autre roi des anciens jours, il s'écrie: « Mon âme est comme
attachée à la terre; conservez-moi la vie, Seigneur, selon votre parole (2)! »
Ainsi, la grandeur rend hommage à l'humilité, la puissance à la faiblesse. Il doit
y avoir dans la vertu qui se cache un attrait bien irrésistible, pour que tout
vienne de la sorte s'abaisser devant elle!
Cependant l'homme de Dieu est sorti de sa
(1) Ps. 112, v. 6,
(2) Ps. 118, v. 25.
p. 134
cellule. Il ordonne au roi de se
relever, et lui demande, quoiqu'il ne l'ignore pas, la cause d'un si long
voyage et de tant de fatigues; qui lui a indiqué le lieu de sa retraite.
Et Gontran lui répond: « L'ange du Seigneur m'a parlé; ce
n'est pas sans y avoir bien réfléchi que j'ai entrepris et fait ce voyage. Vous
voyez devant vous un homme affligé d'une cruelle maladie, il n'est pas
nécessaire de lui demander ce qu'il veut. »
Et le bon saint Sour, dont la foi repose sur la pierre
ferme, se fait apporter de l'eau, la bénit, et, nouvel Elysée en présence d'un
autre Naaman, ordonne au roi de s'en laver.
Et le roi obéit; et à l'instant,
effet sublime de la vertu de Dieu! sa lèpre a disparu;
il n'en reste aucune trace, et, dans tout son corps, sa chair présente la
fraîcheur et la grâce de la chair d'un petit enfant. Il commence donc, avec
toutes les personnes de sa suite, et ne s'en lasse point, de célébrer les
louanges du Seigneur et du bon saint Sour, le fidèle serviteur de Dieu.
p. 135
Bientôt après, l'homme de Dieu fait appeler l'économe de
sa petite société et lui ordonne de préparer un festin royal, digne de l'hôte
que Dieu leur, au envoyé. (On était, dit la naïve légende, à la saison où les
raisins commencent à peine à rougir.) Et l'économe fait observer qu'il n'a
point de vin ni la possibilité de trouver dans les vignes un seul raisin assez
mûr pour en exprimer le jus.
Mais le saint toujours et tout entier absorbé dans le
Seigneur, portant ses regards suppliants vers le ciel: « Eh quoi! s'écrie-t-il,
la main de Dieu est-elle devenue impuissante? » Et il dit à l'économe: « Allez
bien vite au petit pied de vigne que vous connaissez, et apportez les trois
grains de raisin que vous, y trouverez. » Et l'économe s'empresse d'obéir, et
il revient, apportant les trois grains, vermeils et bien mûrs.
Et alors, l'âme toute remplie de l'esprit de Dieu: «
Allez, ajoute le saint, préparez tou-
p. 136
tes vos autres provisions, et
nettoyez avec soin les trois vaisseaux vinaires que vous avez. »
Et l'économe, habitué à voir le saint opérer des miracles,
se hâte de faire ce qui lui est commandé, et revient bientôt annoncer que tout
est prêt.
Et le bon saint Sour lui dit: « Prenez ces trois grains
que la bonté de Dieu nous donne, et exprimez en le jus dans, les trois
vaisseaux que vous avez préparés; très-certainement le Seigneur, qui, aux noces
de Cana, changea l'eau en vin, nous sera propice.
Ces nouveaux ordres sont encore exécutés, et, à l'instant,
les trois vaisseaux se trouvent pleins d'un vin exquis.
Ce n'est, aussitôt, que transports de joie. Frappés successivement
de tant de prodiges, le roi et les gens de sa suite exaltent à l'envi la faveur
du bon saint Sour et les louanges de Dieu. Puis chacun se dispose à prendre
part, à ce festin, que la charité monastique est heureuse d'offrir à la majesté
royale.
p. 137
Le roi Gontran a obtenu ce qu'il demandait, sa guérison;
mais il ne quittera pas immédiatement ces lieux; il restera plusieurs jours
avec le saint cénobite, s'entretenant avec lui et recevant ses conseils avec un
grand esprit de foi et d'humilité. Le premier besoin de son âme est d'exprimer
sa reconnaissance à son pieux libérateur; et de lui en laisser un éclatant
témoignage. Ayant donc visité attentivement tous les environs, il prie le saint
de faire bâtir, non loin du lieu qu'il habite, un monastère pour ses religieux
et un Xenodochium. ou hospice, dans lequel il pourra
recevoir les pauvres et les étrangers.
Les rois, lorsqu'ils reconnaissent un bienfait, ne peuvent
le faire qu'en rois; avec grandeur et magnificence. L'asile des moines et celui
des pauvres seront bâtis aux frais de Gontran, et ce prince leur créera des
revenus immenses, et les pourvoira de tout ce qui est nécessaire au bien-être
et à l'accroissement des disciples de son libérateur.
Quelle foi! quelle piété! Gontran
en recevra
p. 138
en ce lieu même la récompense. Il
a cru à la parole de l'ange, et Dieu lui a réservé la découverte d'un trésor
qui lui permettra de suivre les généreuses inclinations de son âme pour les
bonnes oeuvres.
Voici le fait tel qu'il est raconté par le P. Bonaventure,
après le récit de la guérison du saint roi, et qu'il dit avoir extrait du
manuscrit de la vie de saint Sour, de la bibliothèque des Carmes-Déchaussés de
Clermont:
« Or pendant le temps que Gontran donnait ordre au
bâtiment du monastère, et qu'il rôdait aux environs, ou cherchant le lieu qu'on
désigna pour le monastère, ou se récréant à la chasse, il s'endormit.
Notre-Seigneur lui montra en songe un trésor dans une grotte, qui était au bas
de la montagne ou colline voisine qui avait un ruisseau en bas. Le roi ayant
fait creuser au lieu qui lui avait été montré, il y trouva des statues et
images d'or... Tous les historiens conviennent de la substance de la chose, à
sa-
p. 139
voir que Gontran trouva un
trésor; et ils différent du lieu et des circonstances. »
Le P. Bonaventure dit ensuite que cette découverte eut
lieu sur les confins du Périgord et du Limousin; il établit aussi, en
s'appuyant sur les chroniques de Limoges et l'inscription que portaient ces
statues, « qu'elles avaient été cachées là par Duratius, qui fut proconsul de
Limoges et de toute l'Aquitaine pour les Romains, sous Jules César, en l'année
49 avant J.-C, et qui soutint le siège de Limoges contre Dumnaque, chef des
Angevins (1). »
Ainsi, le saint roi trouve sur les lieux mêmes de quoi satisfaire
sa piété et témoigner au bon saint Sour toute sa reconnaissance. « Et, ajoute
le P. Bonaventure, comme sa charité exubérante ne lui permettait pas de borner
ses aumônes à ce seul monastère, mais d'en faire
(1) Annales du Lim., p. 196;
Hist. de saint Martial, t. 1, liv. 10, ch. 14. Chron. de
Bernard Guidon. Dupleix, Hist. rom. Le P. Labbe et les Bollandistes, dans la
Vie de saint Sour, parlent aussi de la découverte de ce trésor, mais sans,
entrer dans aucun détail des circonstances.
p. 140
part à plusieurs églises, et qu'il avait rencontré ces
trésors dans le Limosin, pays du diocèse de saint Martial, il n'oublia pas de
lui en faire bonne part, comme de son propre bien, et aux autres saints du pays
(1). »
Tout étant ainsi réglé pour l'acquit de sa piété et de sa
conscience, le roi se dispose à se séparer du bon saint Sour. Il écoute encore
ses derniers conseils, et, moins heureux de sa guérison qu'édifié de tout ce
qu'il a vu et entendu, il le quitte enfin, comblé de ses bénédictions et
accompagné des voeux et des prières, de tous les disciples.
(1) Quelque, soin qu'ait eu
le P. Bonaventure d'établir, que ce trésor avait été découvert dans le
Limousin, la description qu'il nous fait des lieux prouve évidemment que ce fut
en Périgord. Nous trouvons dans les coteaux qui dominent Terrasson la montagne
ou colline voisine du lieu où s'endormit Gontran; et le ruisseau qui coulait au
bas; elle porte le nom de Roche-Libère.
On pourrait supposer, avec
quelque vraisemblance, que le privilége dont jouissait cette colline, comme son
nom l'indique, d'être libre de tout impôt, de toute redevance, lui venait de la
découverte même de ce trésor. Les moines de Terrasson ne voulaient retirer
aucune redevance d'une terre qui, dans le principe, leur avait fourni de quoi
bâtir leur monastère. Ces faits ont paru frapper le P. Bonaventure; au tome 1,
page 558 de l'Hist. de saint Martial, il est moins
affirmatif; il dit que la découverte du trésor eut lieu en Limousin ou vers ses
confins.
p. 141
Gontran n'oubliera jamais la grâce qu'il à reçue sous le rocher de Terrasson, ni les sages conseils
du pieux solitaire, qu'il ne cessera d'aimer et de vénérer (1). Sa tendre
piété, son zèle ardent pour les intérêts de la religion, ses grandes aumônes
aux pauvres et aux églises, la fondation de plusieurs monastères le feront mettre au nombre des saints. Il sera le premier de
nos rois qui aura reçu cet honneur.
Le fait que nous venons de raconter nous offre, dans la
vie de notre saint, un point litigieux de l'histoire religieuse du Périgord;
avant d'aller plus loin, nous devons en dire un mot. En suivant le manuscrit
des Carmes-Déchaussés de Clermont, nous attribuons au roi Gontran la fondation
du monastère dont saint Sour fut le premier abbé. Ce fait est consigné dans les
légendes des diverses éditions des Bréviaires de Périgueux et de Limoges, dans
le Propre des Saints du diocèse de Sarlat, et adopté par l'auteur de
(1) Dictionnaire
d'hagiographie sacrée de M. Migne.
p. 142
l'Abrégé de la Vie des Saints de
la province du Périgord, par le P. Bonaventure en ses Annales, et par d'autres
chroniqueurs.
Mais, en 1676, le P. Claudius Estiennot, en ses
Antiquitates Benedictinae des diocèses de Périgueux et de Sarlat, ne voyant pas
la possibilité d'établir par des documents historiques la maladie du roi
Gontran (1), rejeta comme une fable le voyage de ce prince à Terrasson et sa
guérison miraculeuse par saint Sour. Il écrivit que le saint avait bâti son
monastère à l'aide des largesses de Jocundus, qualifié du titre de prince,
gouverneur de Limoges; de sainte Pélagie, femme de Jocundus, et de saint Yrier,
leur fils.
Le jugement de Claudius Estiennot fut adopté par les
auteurs de la Gallia christiana, le Bréviaire de Sarlat, édition de 1776, le
Calendrier
(1) Nous placerons ici une
remarque des Bollandistes: Il n'est point fait mention, dans les histoires de
France, de cette maladie de Gontran; mais un même historien ne rapporte pas
toujours tout. Si ce fait ne se trouve pas dans les historiens, il se trouve
dans les légendaires, qui ont bien leur mérite.
p. 143
de Périgueux, de 1789; par
Lamartinière, en son Dictionnaire géographique; par l'abbé Legros, dans la Vie
de saint Sour, quoique, dans la Vie de saint Astié, il dise tout le contraire.
Nous devons le faire remarquer, Estiennot, que ces divers
auteurs ont copié, ne donne aucune preuve de son assertion; il s'appuie sur le
témoignage des Chroniques de Geoffroy de Vigeois et de Bernard Guidon; mais, on
le voit, il a fait une fausse citation. Il n'est question nulle part, dans ces
Chroniques, de la fondation de notre monastère. Estiennot nous paraît, en
outre, avoir écrit ce passage avec peu de réflexion et manquer essentiellement
de critique, du moins en ce qui concerne Jocundus. Sans doute, ce prince
possédait d'immenses richesses, était doué d'une grande piété, et il fonda
plusieurs monastères et églises; mais l'ordre chronologique des actes de saint
Sour ne nous permet d'admettre aucune construction de ce genre, à Terrasson,
avant l'année 550, et peut-être n'y en eut-il que bien des années plus
p. 144
tard. Or, nous voyons que
Jocundus était mort dès l'année 541, car ce fut en cette année que saint Yrier
revint de Trêves à Limoges pour consoler sa mère Pélagie (1).
Quant à sainte Pélagie et saint Yrier, si une part dans la
fondation de ce monastère leur est attribuée, on en trouve la cause dans
l'intimité qui régna entre saint Yrier et saint Sour, et dont nous aurons
occasion de parler.
ll est à remarquer, du reste,
qu'un manuscrit de la vie de Jocundus, cité par le P. Estiennot lui-même, reconnaît
le roi Gontran pour fondateur de l'abbaye de Saint-Sour. On ne sera donc pas
étonné de notre préférence pour le récit du P. Labbe et des Bollandistes,
conforme, d'ailleurs, aux traditions du pays, qui nous ont conservé le souvenir
de la visite du roi Gontran à notre bon saint Sour.
Il serait difficile de bien préciser l'époque du voyage de
Gontran à Terrasson. Le P. Bonaven-
(1) Le. P. Bonaventure,
Annales du Lim., p, 182.
p. 145
ture le place en l'année 569;
mais le manuscrit de la vie de saint Sour, duquel est extrait ce récit, ne
donne aucune date. Pour nous, en ne consultant que l'ordre chronologique des
faits qui nous intéressent, nous l'éloignerions peu de l'organisation en
communauté des disciples de saint Sour. Elle eut lieu, ainsi que nous l'avons
remarqué, dans la période de 545 à 550, et Gontran viendrait à Terrasson en
l'année 556. Cette date donnerait pleine satisfaction aux exigences de la
critique, en accordant la légende avec l'histoire. Celle-ci nous dit qu'en
cette année, Gontran et Charibert furent envoyés en Auvergne, par leur père,
Clotaire Ier, pour soumettre Chramne, qui avait méconnu l'autorité
paternelle; qu'arrivés en Auvergne, les deux frères apprenant que Chramne était
dans le Limousin, vinrent l'y joindre pour lui livrer bataille (1). On ne
ferait pas, ce nous semble, une supposition trop hasardée en disant que ce fut
(1) Lacépède, Hist. de
l'Europe, t. 1 p. 540.
p. 146
vers ce même temps et dans le
cours de cette expédition que Gontran, ayant été atteint d'une cruelle maladie,
vint trouver saint Sour, dont la réputation de sainteté était déjà
très-répandue dans l'Auvergne et le Limousin. La légende, il est vrai, donne
ici à Gontran le titre de roi, et, d'après l'histoire, il ne le fut que
quelques années plus tard, en 561, après la mort de son père; mais on sait que
les auteurs anciens, l'usage même en était reçu dans les premiers siècles de
notre monarchie, donnent assez facilement le titre de roi et de reine aux
princes et aux princesses, fils et filles de rois. Du reste, dans cette
supposition, pourquoi le légendaire, écrivant dans le Xe ou le XIe
siècle, n'aurait-il pu dire le roi Gontran, quoique ce prince ne fût pas roi à
l'époque où avaient lieu les faits racontés? Nous même, en écrivant cette Vie,
ne disons-nous pas saint Sour, quoique le titre de saint n'ait réellement
appartenu qu'après la mort à ce serviteur de Dieu?
Quoi qu'il en soit, que ce voyage ait eu lieu
p. 147
un peu plus tôt ou un peu plus
tard, où ne peut se refuser d'en reconnaître la possibilité, nous dirons même
la probabilité historique. Cette concession, qu'on, est forcé de nous faire,
nous l'avons trouvée plus que suffisante pour admettre comme vrai un fait
rapporté par des auteurs dont on ne peut suspecter la bonne foi, consigné dans
la liturgie de trois diocèses (1), et confirmé par une tradition de: treize
siècles, vivante encore dans le pays.
(1) Voir le Proprium
sanctorum du diocèse de Sarlat; ― le Bréviaire de Périgueux et celui de
Limoges de 1710 et de 1730.
XVII.
Comment le
Xenodochium fut bâti avant le monastère,
et donna naissance à une petite ville. ―
Pourquoi cette,
ville fut appelée Terrasson, et comment le bon
saint Sour bâtit une
église en l'honneur de saint Julien, et jeta les
fondements d'un vaste monastère.
La bienfaisance est aussi ancienne que le monde; elle a
commencé avec les besoins de l'humanité. Il appartenait au Christianisme d'en
régulariser l'exercice et de la présenter sous le nom d'une vertu essentielle,
fondamentale, la Charité; vertu qui se prononce en même temps et dans le ciel
et sur la terre, attache l'homme à son semblable sans le détacher de Dieu, son
principe et sa fin; vertu qui comprend et l'amour de Dieu et l'amour de
l'homme, et par conséquent toute la loi; vertu qui ne finira pas avec ce monde,
mais vivra éternellement, alors
p. 149
même que ses deux compagnes, la
Foi et l'Espérance, auront disparu. Un des actes de bienfaisance les plus
recommandés dans les premiers siècles de l'Église, non-seulement aux simples,
fidèles, mais encore aux prêtres et aux évêques, fut l'hospitalité, à l'égard
des étrangers, des voyageurs et des pauvres; les instituteurs de la vie
monastique durent la comprendre dans leurs règles, comme un des devoirs les
plus essentiels. Aussi trouvons-nous à côté de chaque abbaye, de chaque
monastère, un asile ouvert, à tous les étrangers, et connu, alors sous le nom
de Xenodochium ou Hospitium, et aujourd'hui, chez les Chartreux et les
Trappistes, sous le nom d'Hôtellerie. De là l'origine de nos hôpitaux.
Le bon saint Sour, en organisant sous le rocher la société
de ses disciples, n'avait pu ajouter à leurs cellules cet asile du pauvre et du
voyageur. Il avait donc accepté, avec une joie extrême, l'offre du roi Gontran
et voulu, pour le même motif, bâtir le Xenodochium ayant de
p. 150
jeter, les fondements du
monastère. Gontran avait consenti aux désirs du charitable cénobite, en se
réservant, toutefois, de donner à ce premier édifice des proportions telles,
qu'il pût être en même temps l'asile du pauvre et du voyageur, et la demeure
provisoire des religieux. Il avait aussi exigé que le saint en prît lui-même la
direction. Le bon saint Sour avait longtemps résisté, ne pouvant se résoudre à
s'éloigner de cette chère cellule où il avait coulé des années si nombreuses et
si douces dans les délices ineffables de la vie solitaire. Vaincu, enfin, par
les prières et les instances du roi, il avait promis. Il considérait, d'ailleurs,
que, dans cette nouvelle position, il trouverait les moyens d'accroître ses
mérites et sa récompense; et, les constructions, commencées et poursuivies sous
la double inspiration de la foi et de la charité, ayant été en peu de temps
achevées, il abandonna sa grotte et vint, avec une partie de ses disciples, se
fixer dans le Xenodochium, qui prit aussi le nom
p. 151
de Coenobium, assemblée de
Moines, monastère (1).
Nous ferons remarquer ici l'origine aussi illustre que
vénérable de l'hospice de Terrasson. Le bon saint Sour, nous ne pouvons en
douter, avait bâti son Xenodochium au lieu même que notre hospice occupait
avant 1793, et qui forme aujourd'hui le groupe de petites maisons placées à
gauche de la Chapelle-de-Secours. De larges fondations qu'on y découvre encore,
le voisinage de la vieille église de Saint-Julien, et le nom de Coenobium que
nous avons trouvé dans des écrits très-anciens, ne permettent aucun doute à ce
sujet. Les moines, comme nous le dirons bientôt, cessèrent de l'habiter, mais leurs
vertus y laissèrent des souvenirs qui ne périrent pas; et le local, devenu
exclusivement l'asile du pauvre, conserva le nom que lui avait donné la qualité
de ses premiers
(1) Labbe et les
Bollandistes, Vita s. Sori. ― Le P. Bonav., Annales du Limousin, p. 222.
p. 152
hôtes: il s'appela toujours
Coenobium. La peinture y avait tracé le fait traditionnel de sa fondation, à la
fois monastique et royale: on se souvient encore d'avoir vu, dans une des
salles, saint Sour en habit de moine guérissant un malade. Ce Coenobium ou
hospice fut, jusqu'en 1793, l'asile de nos pauvres. Sans doute, pendant ces
longs siècles, il avait subi bien des transformations, souffert bien des
désastres, et déjà, depuis longtemps, la main spoliatrice des seigneurs lui
avait enlevé une partie de ses revenus qui, dans le principe, étaient immenses;
mais, du moins, les pauvres possédaient encore quelques débris de l'antique
Xenodochium de saint Sour. Lorsque arriva la tourmente révolutionnaire, l'oeuvre
de spoliation fut consommée; les pauvres furent chassés du local que leur avait
légué la munificence royale, unie à la charité monastique, et jetés dans la rue
(1).
(1) Peu de temps après, les
pauvres furent recueillis dans la demeure des curés de Saint-Julien.
p. 153
Cependant, quelques habitations ne tardèrent pas à se
grouper autour du Xenodochium occupé par le bon saint Sour et ses religieux. En
peu de temps, elles furent assez nombreuses et composèrent une petite bourgade,
donnant naissance à une petite ville qui devait recevoir par la suite une assez
grande extension. Elle prit le nom du lieu même où elle se fondait; Terasôn, du
mot grec Teras, prodige, présage, et du mot gaulois ôn, fontaine. C'était le
nom d'une fontaine que les peuples païens avaient consacrée aux faux dieux, à
laquelle ils reconnaissaient, comme le mot l'indique, la vertu de rendre des
oracles, et que saint Sour appela du nom qu'elle porte aujourd'hui: Fontaine de
Saint-Julien (1).
(1) Nous devons à M. de
Merlhiac cette étymologie. Il l'a exposée savamment dans un article du
Chroniqueur du Périgord, 3e année, p. 125. L'usage, superstitieux
sans doute, mais qui a toujours existé, d'ouvrir la fontaine de Saint-Julien
lorsque la sécheresse continue après les processions des reliques de saint
Sour, ne serait-il pas une réminiscence et une continuation de la superstition
païenne qui allait demander des oracles à cette fontaine? Nous le croyons avec
M. de Merlhiac, toutes nos recherches pour trouver une autre origine à cet
usage ayant été infructueuses.
p. 154
Ce lieu pouvait encore s'appeler Terashôn, de deux mots
gaulois: Terash, chemin, et ôn, fontaine, c'est-à-dire chemin des fontaines ou
fontaines du chemin. C'était en ce lieu, en effet, que passait le chemin de
Périgueux à Tulle, ou la voie romaine dont nous avons parlé, et il y avait,
comme aujourd'hui, un très-grand nombre de sources (1).
Nous trouvons, du reste, la preuve que ce lieu s'appelait
déjà Terasôn ou Terashôn, peu importe, dans une gracieuse et naïve légende que
la tradition populaire nous a conservée, et que nous voulons consigner ici.
« Le bon saint Sour guérit le roi Gontran, et le roi
Gontran offrit au bon saint Sour, en témoignage de sa reconnaissance, de lui
faire bâtir un monastère.
(1) M. de Mourcin nous a donné
cette étymologie et a combattu celle de M. de Merlhiac, tout en admettant que
la fontaine de Saint-Julien était, avant le Christianisme, consacrée au culte
des faux dieux. ― Voir le Chroniqueur, 3e année, p. 153.
p. 155
Et le bon saint Sour accepta l'offre du roi Gontran, et
grande fut sa joie.
Mais, lorsqu'il fallut choisir l'emplacement pour bâtir le
monastère, on fut fort embarrassé: les uns le voulaient ici et les autres là.
Or, le bon saint Sour avait deux colombes qu'il aimait et faisait manger sur sa
main; et il dit: Lâchons les deux colombes, qu'elles s'envolent, et le
monastère sera bâti au lieu où elles se poseront. »
C'était une manière bien innocente d'appliquer ce qu'on
appelait alors le Jugement de Dieu.
« Et les deux colombes furent lâchées et s'envolèrent. Le
bon saint Sour et ses disciples d'un côté, Gontran et les gens de sa suite de
l'autre, les suivaient des yeux. »
Et les deux colombes, après bien des tours et des détours,
se posèrent enfin; et tous les spectateurs d'applaudir et de s'écrier: Terra
sunt! terra sunt! c'est-à-dire,
à terre elles sont. »
p. 156
La légende populaire ajoute: « Et depuis, ce lieu s'est
appelé Terrasson. »
On voit aisément que le fait principal a été ici dénaturé;
nous devons lui rendre son caractère de vraisemblance. Le peuple cria
Terrasson! non pour exprimer que les colombes étaient
à terre, mais bien parce que le lieu où elles se posèrent s'appelait ainsi,
comme il aurait crié le nom de tout autre lieu où elles se seraient arrêtées
(1).
Quoi qu'il en soit de l'origine du nom, tels furent les
commencements de notre ville: les peuples s'établirent auprès de la demeure du
bon saint Sour et de ses disciples.
II fallut peu d'années pour que la petite bourgade prît un
assez notable développement, et le saint dut s'occuper de pourvoir à ses
besoins spi-
(1) Il en est qui font
dériver le mot Terrasson de Terra Sori, terre de Sour. De cette opinion sont
l'auteur de l'Abrégé de la Vie des Saints de la province du Périgord et
l'auteur du Périgord illustré, dans une notice historique sur la ville de
Saint-Cyprien. Ce qui donnerait quelque poids à cette opinion, c'est
qu'anciennement on écrivait Terrassou; nous avons même trouvé dans des registres
de l'église de Chavagnac, de 1679, 1681, 1682, 1683 et 1684, le
mot Terrassours.
p. 157
rituels. Dans ce but, il jeta,
non loin du Xenodochium, les fondements d'une église, qu'un doux souvenir de la
patrie et le sentiment d'une tendre piété le portèrent à dédier à saint Julien,
le célèbre martyr de Brioude, en Auvergne (1).
Nous ne devons pas omettre ici une remarque. Ceux-qui
admettent l'existence, dans, nos grottes, de la vigie romaine dont nous avons
parlé, supposent à l'église de Saint-Julien une date plus ancienne. Elle aurait
été le Fanum ou Sacrarium des soldats romains, « peut-être un petit temple
construit expressément pour la fontaine du prodige ou de l'oracle Téras-ôn.
Elle offrait tous les caractères d'une haute antiquité, et, dans les soubassements
et autres détails, paraissait remonter à la domination romaine (2). »
Dans cette hypothèse, saint Sour aurait seu-
(1) Voir, à la fin du
volume, la légende de saint Julien, note B.
(2) M. de Merlhiac,
Recherches historiques. ― Chroniqueur du Périgord, 3e année,
p. 126.
p. 158
lement approprié ce Fanum au
culte chrétien, sous l'invocation du saint et illustre martyr.
Cette église, qui fut, jusqu'en 1789, la seule église
paroissiale de Terrasson, existait encore en 1825. A cette dernière époque,
elle fut démolie pour l'agrandissement du champ de foire. On ne peut que
déplorer la profonde indifférence qui présida à cette oeuvre de destruction.
Sans doute, l'église de Saint-Julien était peu nécessaire à Terrasson pour les
besoins du culte, et tombait de vétusté; mais ses vénérables débris, que la
main du temps et des révolutions avait respectés, nous
redisaient notre histoire, et la science pouvait y faire des recherches utiles.
Quelques voix s'élevèrent cependant. Pour les apaiser, on
construisit à la hâte, sans goût ni solidité, sur un sol toujours humide et
glacial, un je ne sais quoi, reconnu sous le nom de Chapelle-de-Secours,
n'ayant ni la forme d'une église, ni la forme d'une maison, que l'étranger ne
visite point; quelque chose, enfin, comme un de ces temples de l'hérésie, dont
l'isolement dans
p. 159
les campagnes n'apporte au regard
attristé que l'image de la désolation.
L'art et la piété sont ici en deuil et regrettent
l'antique Fanum romain, la vieille église, bâtie ou appropriée par saint Sour.
Mais revenons à notre saint et à ses disciples que nous
avons laissés déjà établis dans le Xenodochium.
Ce nouveau local, quoique bien restreint, plus spacieux et
plus propre à la régularité que les grottes occupées primitivement, et aussi
l'influence des vertus et des miracles de notre saint, avaient contribué
beaucoup à augmenter le nombre des religieux. On accourait de toutes parts se
ranger sous là houlette d'un pasteur qu'on était certain de trouver toujours
bon, paternel, généreux et dévoué. En peu de temps, le nombre des disciples fut
tel, que, pour ne pas mettre un obstacle, par l'exiguité du logement, aux
desseins de Dieu sur les serviteurs qu'il appelait dans la solitude, le saint
dut ne pas tarder à donner toute son ex-
p. 160
tension au témoignage de
reconnaissance du roi Gontran; et il jeta les fondements d'un vaste monastère.
La précipitation causée par le besoin d'exprimer vite une reconnaissance, dont
les élans ne pouvaient plus être contenus, avait présidé au choix de
l'emplacement du Xenodochium; il était loin d'offrir toutes les conditions
désirables. de salubrité, à la jonction de deux montagnes, dans une gorge assez
étroite, sur un terrain humide, et marécageux, Aussi, le bon saint Sour, dans
la nécessité de pourvoir au logement de tous ses disciples, ne pensa-t-il point
à ajouter aux premières constructions, des constructions nouvelles; mais il
choisit un autre emplacement, à quelque distance de là, à mi-côte, sur un
plateau qui lui présentait une surface assez développée pour y établir
non-seulement un vaste monastère, mais encore des cours et des jardins d'une,
assez grande étendue. Ce monastère, après la mort de son fondateur, prit le nom
d'Abbaye-de-Saint-Sour. Trois siècles plus tard, il n'en restait plus que le
p. 161
nom (1); mais des fouilles
pratiquées à diverses époques, et tout récemment encore sous nos yeux, nous en
ont fait reconnaître le plan. Il était moins vaste que celui que les comtes de
Périgord construisirent sur le même emplacement, vers la fin du neuvième siècle,
et dont nous parlerons dans la Notice historique.
Mais ce premier monastère fut-il achevé du vivant de saint
Sour, et le saint vint-il y habiter? Nous ne le pensons pas. On doit croire que
le saint n'abandonna point le Xenodochium, et même qu'il y mourut. Le monastère
achevé supposerait la construction d'une église. Or, nous n'en trouvons point
d'autre à Terrasson, du vivant de saint Sour, que celle qu'il avait lui-même
dédiée à Saint-Julien: elle fut le lieu de sa sépulture (2). Nul doute que ses
disciples n'eussent voulu conserver, dans leur propre église, le corps de leur
saint fondateur.
(1) Voir la Notice
historique.
(2) Le P. Labbe et les
Bollandistes, Vita S. Sori. ― Gallia Christiana.
Il nous paraît donc très-probable que ce monastère ne fut
achevé que bien des années après la mort du bon saint Sour. Il y eut alors une
église qui porta le nom du saint, que ses disciples lui avaient consacrée, et dans laquelle, nous aurons lieu de le dire,
ils transportèrent son corps.
XVIII.
Comment le bon
saint Sour érigea un Oratoire à Notre-Dame-de-Consolation.
La dévotion à la Sainte-Vierge est une marque de
prédestination; elle est aussi ancienne que le christianisme, et les plus
grands saints de tous les siècles se sont distingués par un attrait tout
spécial à honorer l'auguste Reine des anges et des hommes.
Notre bon saint Sour avait appris de bonne heure la parole
du Sauveur mourant: « Mon
p. 163
fils, voilà votre mère (l)! » Et,
pendant son séjour au monastère de Genouillac, se trouvant peu éloigné de
Roc-Amadour, il avait pu apprécier, par le récit de nombreux miracles, les
effets miséricordieux de la bonté de Marie (2). Aussi voyons-nous qu'il voulut
avoir, dans l'église dédiée à Saint-Julien, un Oratoire en l'honneur de la Mère
de Dieu, sous le vocable de Notre-Dame-de-Consolalion (3).
Heureuse pensée! C'est bien le titre de consolatrice des
affligés qui doit attirer de nombreux serviteurs à Marie! Quel coeur n'a pas
besoin de consolation! Il y a tant de peines dans cette vallée de larmes!
(1) Evangile de Saint-Jean,
chap. 19, v. 27,
(2) On n'ignore point
l'antiquité du célèbre pèlerinage de Notre-Dame-de-Roc-Amadour, en Quercy; il
remonte au premier siècle de l'Eglise. Il est prouvé que saint Amadour, qui
habita ce lieu et y dressa un autel à la Mère de Jésus, était le Zachée de
l'Evangile, l'un des disciples de Notre-Seigneur. (Odo de Gissey, Histoire de
N.-D.-de-Roc-Amadour, ― Le P. Bonaventure, Annales du Lim. et Histoire de
Saint-Martial.
(3) Nous n'avons ici pour
guide que la tradition locale, trop respectable, trop édifiante, pour que nous
ne la suivions pas scrupuleusement.
p. 164
Reine des anges! Reine des patriarches! Reine des apôtres!
Reine du ciel! Mère de Dieu! ― Voilà des noms que le ciel prononce à la
gloire de Marie. Mais la terre se plaît à dire: Santé des infirmes! Refuge des
pécheurs! Consolation des affligés! Secours des chrétiens! Mère de la
miséricorde!
Le titre de Notre-Dame-de-Consolation se présentait tout
naturellement à la pensée du bon saint Sour au milieu des pauvres, des malades,
des affligés qui imploraient sa protection auprès de Dieu. On rapporte que le
saint les renvoyait à l'Oratoire de Marie: « Allez, leur disait-il, ce n'est
pas moi qui peux vous soulager, ce n'est pas moi qui peux vous guérir, allez
trouver Notre-Dame-de-Consolation! » Ils y allaient, dit la tradition, pleins
de confiance, et ils en revenaient soulagés et guéris.
Cette dévotion à la mère de Dieu, le saint s'efforçait de
la faire passer dans toutes les âmes; il se plaisait à répéter à ses disciples,
qu'il aimait comme des enfants, et dont il était appelé
p. 165
le père: « Mes enfants, aimez
Marie, priez Marie, la Mère de Jésus et des chrétiens. Nous sommes de grands
pécheurs, mais la Mère de Jésus prie pour nous; ayons confiance. »
La semence de cette dévotion ne tombait point sur une
terre stérile; elle devait germer et pousser de profondes racines dans tous les
coeurs. Aussi trouvons-nous que, de tout temps, les moines, disciples du bon
saint Sour, se distinguent par leur zèle pour le culte de Marie. Nous en avons
recueilli un précieux témoignage dans l'histoire de Notre-Dame-de-Roc-Amadour.
C'est un pèlerinage que les moines de l'abbaye de Terrasson firent, vers la fin
du seizième siècle, à cet Oratoire illustre de la Mère de Dieu. Marie avait
exaucé leurs prières, dans un temps de calamité, et ils allaient remercier leur
bienfaitrice. Nous laisserons parler l'historien de Roc-Amadour
« La seconde procession, dit-il, que je veux ici tirer de
l'oubli, est celle d'une abbaye de saint Benoît, au diocèse de Sarlat, en
Périgord, appelée Terrasson. Les religieux de ce
p. 166
monastère, suivis et accompagnés d'une grande foule de
peuple, l'an 1598, le 25 juillet, se rendirent à Notre-Dame-de-Roc-Amadour en
procession, afin de s'acquitter de la promesse et du voeu que leur corps et
chapitre avaient fait à icelle, laquelle ayant agréé ce voeu, suivant que l'on
l'avait implorée, les délivra de deux maux qui ravageaient tout le pays L'un
était une mortalité de bétail, qui tuait presque tous les animaux de cette
contrée; l'autre était une grande sécheresse et brûlure des bleds, qui menaçait
d'une famine ce même climat. Merveille; le lendemain qu'ils se furent voués et
recommandés à là Mère de Jésus, il tomba du ciel une pluie si à propos et en
telle abondance, que les bleds en furent humectés et suffisamment arrosés. De
plus, la mortalité du bétail cessa; tant est bienfaisante la Mère de Dieu en
toutes choses à ceux qui lui adressent leurs voeux (1). »
(1) Le P. Odo de. Gissey,
Hist. de Notre-Dame-de-Roc-Amadour. ― La même Hist. par l'abbé Caillau.
p. 167
C'est, sans doute, à cause de cette grande dévotion de nos
moines envers la Sainte-Vierge, que quelques historiens, et notamment le P.
Bonaventure, ont donné parfois le titre d'Abbaye de Notre-Dame au monastère de
Terrasson (1). Mais, comme on peut le voir par le fait que nous venons de
citer, cette dévotion n'était point renfermée dans l'enceinte du monastère. Le
peuple, lui aussi aimait et priait la miséricordieuse Vierge; voué a Marie avec
les saints religieux, il les accompagnait dans ce pieux pèlerinage. Il aimait
Marie, et se plaisait à prier devant l'autel de Notre-Dame-de-Consolation (2)
Nous devons le consigner ici: ces pieuses traditions du
passé sont encore vivantes au milieu de notre troupeau; il aime et prie Marie,
il
(1) Annales du Lim., p. 199.
(2) La statue de
Notre-Dame-de-Consolation fut respectée en 1793, le jour où tout fut brisé et
détruit dans l'église de Saint-Julien; elle est aujourd'hui la propriété de Mme
de S... H... Nous espérons que cette pieuse dame voudra bien, lorsque
l'Oratoire sera rebâti sous le rocher de Saint-Sour, rendre au culte public une
image, devant laquelle tant de générations se sont agenouillées.
p. 168
aime l'Oratoire qui a remplacé
celui de Notre Dame-de-Consolation. Si la tâche qui nous est imposée de le
nourrir de la parole sainte est parfois douce et consolante, c'est lorsque
notre langue lui bégaie les louanges de Marie; et nos jeunes filles, vierges de
la terre, aimant à marcher suivies traces de la Vierge du ciel, sont heureuses
lorsque, aux yeux de Dieu et de l'Eglise, il leur est permis de prendre le
titre glorieux d'Enfants de Marié (1).
Aussi, dans, ces derniers temps, avec quel saint
enthousiasme n'a pas été reçue parmi nous, là proclamation du dogme de la
Conception Immaculée! Quelle joie! quels transports! quel bonheur! ― On ne l'oubliera jamais.
C'était le dimanche 25 février 1855. Le matin, à toutes
les messes, la bulle du Souverain Pontife, consacrant ce dogme, avait été
(1) La Congrégation des
Enfants de Marie est établie depuis trois ans dans la paroisse de Terrasson.
Les jeunes personnes qui en font partie sont l'édification du troupeau, la joie
et la consolation du pasteur.
p. 169
publiée du haut de la chaire; et
le soir, après les vêpres, dans une procession nombreuse et pieusement
recueillie, avec ses bannières flottantes, ses cantiques ravissants, ses mille
oriflammes où le nom de Marie apparaissait dans des couronnes de blanches
fleurs, la statue de la Vierge-Immaculée était solennellement portée en
triomphe.
Mais l'expression de la joie et de la piété devait se
prolonger bien avant dans la nuit. Le feu, qui fut de tout temps, chez tous les
peuplés, le symbole des grandes joies, de l'ivresse du bonheur, nous prêta son
langage éblouissant et produit sous toutes les formes. Pas un village dans la
campagne qui n'eût son feu comme au jour de la Saint-Jean; pas une maison dans
la ville qui ne fût splendidement illuminée, pas une, la plus pauvre comme la
plus riche, qui n'eût, au lieu le plus apparent, sa statue de Marie, richement
entourée de lumières et de fleurs.
La ville du bon saint Sour se montrait, ce
p. 170
jour-là, bien digne de son pieux
fondateur, et prouvait qu'après treize siècles elle n'avait rien perdu de sa
dévotion à Marie.
Cette tradition de voeux et de prières, constamment
adressés à la Mère de Dieu, devait être un jour couronnée par une solennelle
consécration de toute la paroisse à la Vierge-Immaculée. Dieu et Marie nous en
avaient réservé la gloire, et ce fut alors le plus beau jour de notre
ministère.
C'était le 9 du mois de mai 1855, à huit heures du soir. Mgr
l'évêque de Périgueux, toujours si zélé pour le bien des âmes, avait bien voulu
se rendre à nos désirs et faire lui-même cette consécration. L'église avait été
splendidement décorée, et une brillante illumination se dessinant le long des
murs, sous les formes les plus gracieuses, éclairait cette solennité de ses
mille feux. Derrière l'autel, quatre magnifiques colonnes, autour desquelles
venaient s'enrouler des rubans de feu et de verdure, soutenaient un trône de
lumière, et sur
p. 171
ce trône resplendissait la statue
de Marie, portant le diadème de douze étoiles. Tous les yeux y étaient attachés
et pouvaient à peine en soutenir l'éclat.
Quel moment bien solennel que celui où le pieux et
éloquent prélat prononçait, du haut de la chaire,
l'acte de consécration tel que son coeur le lui dictait! L'émotion de tous
était profonde, bien des larmes coulaient dans le silence du recueillement,
sous les regards de la Vierge Immaculée qui, descendue parmi nous, contemplait
ses enfants et les recevait dans le sein de son amour.
Les habitants de Terrasson n'oublieront jamais leur
consécration à Marie. ― Vierge Sainte! aimez
toujours ce troupeau et soyez-en toujours aimée! ― Bon saint Sour,
contemplez vos enfants! ― Ils n'ont point dégénéré.
XIX.
Comment le bon
saint Sour et ses moines exécutèrent de grands travaux.
Nous entrons dans une nouvelle phase de la vie du bon
saint Sour. Ce n'est plus seulement ici l'humble anachorète, méditant sous le
rocher et s'y livrant aux austérités de la pénitence, ni le saint abbé
uniquement désireux de conduire ses disciples dans les voies de la perfection,
et leur donnant l'exemple des vertus les plus sublimes. Un homme nouveau se
révèle avec une mission spéciale reçue de Dieu, pour être dans un ordre
inférieur sans doute, mais cependant digne de toute louange, le bienfaiteur du
pays qui eut le bonheur de le posséder.
Les bienfaits du bon saint Sour ne se bornèrent pas au
court espace de sa vie, ils lui survécurent, et encore la génération actuelle
en jouit: nous aimons à les lui rappeler.
Dans l'organisation de son monastère, notre
p. 173
saint n'avait pas oublié de poser
pour base le travail des mains. On sait, l'histoire profane et l'histoire
ecclésiastique nous l'attestent, qu'en Occident, cette
base fut commune à toutes les institution religieuses, d'après ce principe; «
Celui qui ne veut point travailler ne doit point manger (1). »
Mais ce travail ne consistait pas seulement, comme on
pourrait le croire, à tresser des nattes et des corbeilles, à l'exemple de la
plupart des solitaires et des moines de l'Orient. Abattre les antiques forêts
dont la terre était surchargée; donner aux eaux stagnantes un libre cours;
assainir les vallées marécageuses; dessécher les terrains inondés; renfermer
dans leur lit les eaux des rivières; fouiller dans les entrailles de la terre
pour remettre à la surface la couche végétale; tels étaient les travaux
qu'exécutaient les divers Ordres religieux de l'Occident. On n'oubliera pas
l'influence que ces institutions exer-
(1) Saint Paul, 1re
épît. aux Thess. c. 5, v. 10.
p. 174
cèrent sur l'agriculture en Europe,
plus particulièrement en France et, dirons-nous, plus spécialement dans la
province du Périgord. Dispersées çà et là sur la surface du sol, elles
inspirèrent le goût de la vie des champs, et chaque monastère devint un centre
d'action auprès duquel les peuples; aimèrent à se grouper. On sait qu'un grand
nombre de villes de France doivent leur origine à ces moines, pieux
agriculteurs, sanctifiant le travail par la prière, le jeûne, les
mortifications de tous genres. Outre Terrasson, nous pourrions citer, dans le
Périgord, Sarlat, Saint-Cyprien, Saint-Astier, Brantôme, et le Périgueux du
moyen-âge, groupé autour du monastère de Saint-Front.
Pour atteindre ce noble but de la vie monastique, un vaste
champ s'offrait à la pensée et au regard du saint fondateur de l'abbaye de
Terrasson. Au midi, sur ces coteaux, aujourd'hui si fertiles, s'étendait une
gigantesque forêt qui n'était connue, comme l'attestent les anciennes
chroniques et la légende même de saint Sour,
p. 175
que des bêtes sauvages; au nord, se développait, de l'est
à l'ouest, une vaste plaine, ou plutôt cette plaine, aujourd'hui l'une des plus
riantes et des plus fertiles du Périgord, n'était encore, au sixième siècle,
qu'un marécage qui s'étendait depuis Larche jusqu'à Lavilledieu. La Vézère n'était
point resserrée dans son lit, mais elle roulait sans
aucun obstacle de côté et d'autre ses eaux vagabondes.
La connaissance de cet état primitif nous vient d'une
tradition constante, conservée dans le pays, et qui, d'ailleurs, se trouve
confirmée par les fouilles et les observations géologiques faites à diverses
époques. Il suffit, du reste, de parcourir les lieux: après douze siècles de
culture et de fertilité, l'oeil découvre facilement dans cette plaine les
traces d'un marais. La Vézère elle-même semble, de nos jours encore, ne pas
avoir oublié son ancien domaine, et, de temps en temps, elle essaie d'en
reprendre possession. On cite, parmi ses tentatives les plus hardies, les
débordements de 1783 et de 1843.
p. 176
il fallut donc abattre ces
forêts, dessécher ces terres et ouvrir ainsi une source de bien-être aux
générations futures. Pensée immense, grandiose projet que la charité
chrétienne, seule, pouvait concevoir et exécuter!
Ici la tradition nous montre le bon saint Sour
établissant, afin d'opérer avec plus d'ordre, et en même temps avec plus
d'économie, deux succursales de sa communauté, l'une en un lieu dont le nom
rappelle encore sa pieuse origine, Lavilledieu, Villa Dei (1), et l'autre à
Pazayac, Pascuosae-aquae, ainsi appelé de son site marécageux. Il en confia la
direction à deux moines qu'on croit, sans fondement peut-être, avoir été ses
parents, mais dont il avait apprécié les mérites.
Ces deux succursales, l'une à l'extrémité occidentale, et
l'autre presque à l'extrémité orientale de la plaine, formaient deux ateliers
agri-
(1) D'après une charte de
Pierre de Ferrières, abbé de Saint-Sour, donnée le 10 des kalendes d'octobre
1321, il existait, encore à cette époque, à Lavilledieu, un établissement qui
appartenait au monastère de Terrasson.
p. 177
coles dont les travaux
correspondaient avec l'atelier central et intermédiaire, placé à Terrasson,
sous la direction immédiate du chef de l'abbaye.
La chronique rapporte que notre saint allait souvent à
Lavilledieu et à Pazayac visiter les moines, ses disciples, afin d'entretenir
parmi eux, par sa présence et ses discours, le zèle pour le travail en même
temps que la pratique des vertus religieuses.
La tradition, au sujet de l'établissement de ces deux
succursales, se trouve confirmée par une coutume respectable et immémoriale,
qui existe encore.
On sait que, dans, les calamités publiques (nous en
parlerons plus tard), les reliques du bon saint Sour sont portées
processionnellement hors de l'enceinte de la ville et des limites de la
paroisse. Mais, de temps immémorial aussi, trois localités ont eu le privilège
exclusif de recevoir dans ces pieuses pérégrinations les saintes reliques: le
Rocher de Saint-Sour, Lavilledieu et
p. 178
Pazayac. Si vous en demandez la raison à nos bons
agriculteurs, gardiens fidèles des traditions antiques, de celles surtout qui
ont un caractère religieux, ils vous diront: « Il faut porter le Corps du bon
saint Sour dans les lieux que le saint avait coutume de visiter pendant sa vie.
» Remarquons dans ce langage, comme l'a fait M. de Merlhiac, une frappante
analogie avec l'usage consacré, dès la fin du quatrième siècle, dans la
translation des reliques des saints. « C'est un fait attesté par les anciens
Rituels et par une foule d'autres documents historiques que, dans les exhibitions
extérieures et publiques des reliques des saints, fondateurs des monastères,
églises et abbayes, les stations se faisaient et se font encore, et
exclusivement, dans les lieux que la tradition ou des actes authentiques
indiquaient comme ayant été illustrés par les miracles, les retraites ou les
fondations du saint vénéré. On y bâtissait même des églises, et beaucoup de
paroisses, de chapelles et d'oratoires en France, en Allemagne et en Italie,
p. 179
doivent leur existence à cette
coutume. L'usage immémorial des stations exclusives de la châsse de Sorus à
Terrasson, à Lavilledieu et à Pazayac étant un fait avéré, on serait réellement
fort embarrassé s'il fallait assigner à ce fait tout autre cause ou origine que
la loi et les usages, déjà très-certains aussi, des abbayes et des monastères
primitifs (1). »
Nous n'oublierons pas de constater ici l'origine antique
et vénérable des paroisses de Lavilledieu et de Pazayac; paroisses fortunées
que le bon saint Sour, du haut du ciel, aime et bénit encore.
« Tel fut, ajouterons-nous avec M. de Merlhiac, tel fut,
on ne peut, en douter, le plan de Sorus, et dont la piété et les traditions
populaires honorent encore la sagesse, lorsque ce Triptolème chrétien, inspiré
par l'esprit du Christianisme qui, surtout dans les premiers
(1) M. de Merlhiac,
Recherches historiques sur le tracé de la route de Lyon à Bordeaux.
p. 180
siècles de l'Eglise, a remédié à
tant de misères morales et matérielles, entreprit de rendre à la fertilité et à
la salubrité une contrée qui, avant lui, devait être le théâtre des tourments
de la famine et le foyer de la mort. Les vertus, les pieuses exhortations et
surtout l'exemple de Sorus et de ses compagnons qui, au sixième siècle,
commencèrent les asséchements et les défrichements des plaines de la Vézère,
entraînèrent les populations vers ces utiles travaux. Un désert humide et
pestilentiel fut fertilisé, et, dès lors, se modifièrent et bientôt cessèrent
les famines, les mortalités horribles qui, d'après les traditions et toutes les
chroniques du Périgord et du Limousin, ravageaient fréquemment le pays, ou
plutôt constituaient son état normal. C'est probablement depuis cette époque
que la Vézère entre Larche et Lavilledieu, et la Corrèze, entre Brive et
Larche, furent progressivement amenées et resserrées dans leurs lits actuels
mais les fouilles et les observations géologiques
p. 181
qui, de temps en temps, nous
découvrent l'intérieur et les profondeurs du sol, indiquent que l'achèvement de
ce grand travail fut, très probablement aussi, l'oeuvre de plusieurs siècles.
Ces vastes plaines qui s'étendent de Brive à Terrasson, n'offrirent plus alors
l'aspect d'un vaste marécage infect, fangeux et profond. Régénérées par les
travaux et les exemples successifs du zèle et de la charité évangélique, elles
furent, enfin, livrées aux exploitations bienfaisantes de l'agriculture (1). »
Voilà ce que les moines faisaient à Terrasson. A leur
zèle, à leur industrie pieuse, intelligente, nous devons la fertilité, la
beauté, la richesse de notre pays. Et ce qu'ils faisaient à Terrasson, ils le
faisaient dans tout le Périgord, dans toute la France. Ils n'étaient donc pas
des hommes oisifs, paresseux, comme on a bien voulu les repré-
(1) Nous n'avons pu citer M.
de Merlhiac toutes les fois que nous nous sommes inspiré de ses Recherches dans
ce chapitre. Nous renvoyons avec plaisir notre lecteur aux Recherches
historiques; la question qui nous occupe y est traitée à fond, avec les détails
les plus vrais et les plus intéressants.
p. 182
senter? Elles n'étaient donc pas
inutiles ces institutions qui fécondaient la terre, et, appelant les peuples à
les imiter dans leurs travaux, les disposaient, par les bienfaits de
l'agriculture, aux bienfaits de la civilisation? Mais elles avaient un
caractère religieux, et il fallait qu'elles tombassent sous le tolle général
prononcé en France, par le dix-huitième siècle, contre tout ce qui portait ce
caractère. En vérité, nos pères furent des ingrats! « Ils moissonnaient ce que
les moines avaient semé; ils n'avaient point travaillé, mais, entrant dans les
travaux des moines, ils en recueillaient les fruits (1) ; » s'ils ne trouvaient
pas dans leur coeur assez de vertu pour aimer ceux qui leur avaient fait tant
de bien, du moins devaient-ils ne pas les maudire!
(1) Evangile de Saint-Jean,
ch. 4, v. 58.
XX.
Comment les
disciples du bon saint Sour étaient très-fervents.
Tout ce que nous venons de dire, au chapitre précédent, a
pu faire oublier, le caractère religieux des disciples du bon saint Sour et ne
laisser voir qu'une association d'agriculteurs, pieux sans doute, mais
spécialement occupés à se procurer le bien-être matériel. Le travail, il est
vrai, était bien une base essentielle de leur saint institut, mais il n'en
était pas la base unique. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les
Institutions de Gassien, qui furent d'abord la règle de conduite des moines de
saint Sour, et sur la règle de saint Benoît, qu'ils adoptèrent avant la mort de
leur fondateur, ainsi que nous l'avons remarqué, pour se convaincre que ces
célestes mépriseurs du monde (1) s'appliquaient, avant
(1) Dupuy, Estat de l'Eglise
du Périgord.
p. 184
tout et par dessus tout, par les
jeûnes, les veilles, l'humilité, la pauvreté, l'obéissance; en un mot, par
toutes les vertus et les austérités de tout genre, à former en eux l'homme
intérieur.
La sainte Psalmodie n'était pas oubliée dans leurs pieuses
réunions; leur règle nous parle du nombre des Psaumes pour les heures de la
nuit et pour les heures du jour.
Ce qui est réglé pour les repas indique la plus sévère
sobriété et le but plutôt de nourrir le corps, puisqu'il faut le nourrir, que
d'accorder aux sens la moindre satisfaction. Leur sommeil était moins quelques
heures données au repos, qu'une mystérieuse pénitence; car, après les fatigues
des saints exercices et des rudes travaux dont nous avons parlé, Ils ne
trouvaient, pour délasser leurs membres et réparer leurs forces, qu'une natte,
étendue sur le pavé de leur cellule.
Nous appliquerions très volontiers aux fervents disciples
de saint Sour ce que saint Jean Climaque raconte d'un célèbre monastère, situé
p. 185
près d'Alexandrie, où il demeura
assez long-temps; « Je rapporterai, dit-il, là sainte vie de ces religieux et
ce qui se pratiquait en cet illustre monastère, que j'ai considéré à loisir et
qui me ravit de telle sorte, que je ne pouvais assez m'étonner de voir le
courage avec lequel des hommes mortels s'efforçaient d'imiter les actions des
immortels. La charité était le lien qui les unissait inséparablement ensemble,
et, ce qui est plus admirable, c'était une charité pleine d'honneur et de
respect, sans aucune parole trop hardie ou peu considérée...
J'ai vu, parmi ces religieux, des choses non-seulement
utiles, mais encore véritablement admirables; une Communauté assemblée dans
l'esprit de Dieu; une union de coeur dont Jésus-Christ était le noeud sacré,
indissoluble, et un mariage de ce qu'il y a de plus parfait dans la vie active
et dans la vie contemplative. Leurs exercices étaient réglés, et ils
s'adonnaient avec tant de ferveur aux actions de la vertu, qu'ils n'avaient
presque besoin d'aucun
p. 186
avertissement du supérieur pour
s'y porter, mais ils s'y excitaient les uns les autres et s'y donnaient: un
mutuel courage...
Aux heures qu'il leur était permis de parler, tous leurs
entretiens étaient de la mort et du jugement dernier, et du souvenir qu'on en
doit avoir...
Si quelqu'un d'entre eux faisait quelque faute, les autres
le priaient de se décharger sur eux du soin de la confesser au supérieur et
d'en recevoir la punition, avec tant d'instance, qu'il ne pouvait le leur
refuser: et le supérieur, voyant cette extrême charité de ses disciples que
celui qui conféssait la faute en était innocent, il ne lui ordonnait pour
châtiment que des peines très-légères, et mêne ne s'enquérait pas qui était
véritablement coupable (1). »
Telles étaient, du vivant de
saint Sour, la vie et la ferveur des moines de l'abbaye de Terras-
(1) Saint Jean-Clim,
Climax-Grad. 4.
p. 187
son (1); et, on le comprend, le
saint fondateur ne montrait pas moins de zèle, moins de perfection que ses
disciples. N'oubliant pas la responsabilité imposée à celui qui commande aux
autres, combien il sera exigé de celui qui aura reçu beaucoup, il s'appliquait
à rendre sa vie plus sainte, plus parfaite que celle des autres religieux; de
manière qu'elle fût constamment comme un livre ouvert, où chacun pût lire la
règle de sa propre conduite. Organisateur de cette pieuse société, il lui
donnait le mouvement et la vie par l'exemple des plus austères vertus; et, pour
employer le langage figuré de nos Livres Saints, le bon saint Sour apparaissait
au sein de sa communauté, « environné de ses frères comme d'une couronne; ses
frères se tenaient autour de lui comme des cèdres sur le mont Liban, comme des
branches de palmier; sortant de
(1) Chose digne de remarque:
la chronique scandaleuse, si bien conservée et grossie ailleurs, dans les
traditions locales, n'a trouvé rien à recueillir pendant les douze siècles
d'existence de l'abbaye de Terrasson.
p. 188
la plénitude de ses vertus comme
de saints rejetons d'une tige-sainte (1). »
Quel admirable monastère que celui-là! quelle
admirable société! Que la vie s'écoule douce dans ces saintes demeures, vrai
paradis de la terre, où règne la charité, où la justice et la paix, venues du
ciel, se confondent dans un mutuel embrassement! Nous ne pouvons en parler sans
nous souvenir des heures austères mais délicieuses que nous avons passées sous
le toit hospitalier du Trappiste. La Vierge Marie nous avait inspiré d'y aller;
elle nous y recevait dans la cellule qui porte, son nom. Nous n'oublierons
jamais les douces émotions que nous y avons éprouvées. Saint Antoine, en
sortant de la grotte de saint Paul, s'écriait, plein d'enthousiasme pour les
vertus de ce solitaire: « J'ai vu Elie, j'ai vu Jean-Baptiste, j'ai vu Paul
dans son paradis! (2). » Nous n'avons ni la sainteté, ni
(1) Eccli. ch. 50, v. 15-14
(2) La Vie des Pères du
désert.
aucune des vertus de saint
Antoine, et, du fond de notre cellule, nous écrivions: « Ce n'est pas ici une
assemblée d'hommes, mais une assemblée d'anges! ― Oh! pourquoi
le monde ne vient-il pas ici? ― Le monde entier se sauverait. ― Ici
tout est mort. ― Que le monde est petit, en présence de ces âmes si
ardentes pour le ciel! »
Vous qui lisez ces lignes, allez passer quelques heures de
votre vie sous le toit du Trappiste.
XXI
Comment le bon
saint Sour se lia d'amitié avec saint Yrier,
et comment il le pria de prendre la direction
de son monastère.
Nous devons dire un mot de saint Arédius, plus connu sous
le nom de saint Yrier. Sa vie se rattache à celle de notre saint, dont il fut
le
p. 190
successeur immédiat dans le
gouvernement de l'abbaye de Terrasson (1).
Saint Yrier appartenait, par son père, à une très illustre
famille de Limoges, et, par sa mère, il était petit-fils de roi. Son père,
Jocundus, appelé Rinoscindus par saint Grégoire-de-Tours et qualifié du titre
de saint par la liturgie de Limoges, était gouverneur de cette ville, et sa
mère, sainte Pélagie, était fille de Thierry, roi de Metz, l'aîné des enfants
de Clovis (2). Il fut élevé à la cour de Théodebert, roi d'Austrasie; mais il
en fut retiré, jeune encore, par saint Nicet, évêque de Trêves, qui, l'ayant
vu, eut quelque préssentiment des desseins de Dieu, et s'appliqua à le
détourner des vanités du siècle. Yrier fut docile aux leçons du saint évêque,
et quitta la cour pour s'engager dans le clergé de Trêves. La mort de son père
et de son frère aîné l'ayant obligé de retourner à Limoges, en
(1) Voir, à la Notice
historique, le Catalogue des abbés.
(2) Le P. Bonaventure,
Annaales du Lim., page 168.
p. 191
541, pour consoler sa mère Pélagie, il abandonna à
celle-ci l'administration de tous ses biens, pour ne s'occuper que du soin de
faire bâtir des églises. Quelques années plus tard, il fonda un monastère non
loin de Limoges, dans un lieu appelé alors Athane, aujourd'hui Saint-Yrieix, où
la plupart de ses serviteurs, à qui il avait inspiré des sentiments de piété,
embrassèrent la vie religieuse. Il y établit une règle composée de celles de
Gassien, de saint Basile et des plus célêbres instituteurs de la vie
monastique; il y mourut âgé de plus de quatre-vingts ans, le 25 du mois d'août
de l'année 591.
Saint Yrier avait une dévotion particulière à saint
Martin-de-Tours, et il allait souvent la satisfaire à son tombeau. Sentant sa
fin approcher, il voulut encore faire ce pèlerinage, et on trouva, après sa
mort, un testament par lequel il instituait pour ses héritiers l'abbaye de
Saint-Martin et son monastère d'Athane.
Ce saint gouvernait, en même temps que l'abbaye d'Athane,
celle de Saint-Michel-de
p. 192
Pistorie, fondée par son père Jocundus dans la ville de
Limoges, en 516 ou 517 (1), et lorsqu'il prit la direction de cette dernière
abbaye, déjà, depuis bien des années, notre bon saint Sour était en grande
réputation de sainteté, ses miracles se racontaient au loin: ayant organisé sa
communauté et reçu, les effets de la reconnaissance du roi Gontran.
Les deux saints ne purent rester longtemps inconnus l'un à
l'autre; ils se lièrent d'une étroite amitié, basée sur une estime et une
vénération mutuelles. Saint Yrier, étant le plus jeune, avait prévenu saint
Sour et provoqué ces rap-
(1) Le P. Bonaventure,
Annales du Lim., p. 170.
La Gallia-Christiana place
la fondation de cette abbaye au milieu du sixième siècle, et lui donne pour «
auteurs Sour, Jocundus, Sébastien, précepteur d'Arédius, et Pélagie, épouse du
prince Jocundus et mère d'Arédius. » Nous ne comprenons pas comment saint Sour
se trouve au nombre des fondateurs de cette abbaye, en admettant même la date
de la Gallia-Christiana. Il était pauvre et occupé en ce moment à la fondation
de son propre monastère. Mais Jocundus, ainsi qu'on le voit dans la Vie de
saint Yrier, étant mort avant 541, on doit s'en tenir, pour la date de la
fondation de Saint-Michel-de-Pistorie, à celle du P. Bonaventure; or, à cette
époque, notre saint Sour n'avait pas encore quitté l'Auvergne.
p. 193
ports de confiance et de doux
épanchements, qui ne cessèrent que par la mort de l'un des deux. « Apprenant,
dit notre légende, que saint Sour s'était bâti un monastère et y vivait avec
ses disciples dans la plus fidèle observance des saintes règles, il lui écrivit
des lettres de consolation et d'encouragement, l'avertissant de s'attacher
beaucoup aux choses de Dieu et de se défier des pièges du démon (1). »
Saint Yrier accompagnait toujours ses lettres de quelques
présents que le bon saint Sour recevait avec reconnaissance, et dont il rendait
à Dieu de vives actions de grâces. C'était, une fois, pour son monastère, une
porte embellie de riches ornements de corne (2); c'était, une autre
(1) Le manuscrit de la Vie
de saint Sour, édité par le P. Labbe et les Bollandistes,
(2) Ostium opere cornificio
aptatum. ― Du-Cange, dans son Glossaire, cite ces mots de la Vie de saint
Sour et les traduit par opus ex cornibus confectum. Nous présumons que ce
pouvait être des incrustations ou moulures, peut-être même des placages en
corne. L'ivoire étant devenu très-rare à cette époque, on le remplaçait par la
corne, à laquelle on était parvenu à donner le poli et le brillant de l'ivoire,
dans l'ornementation des meubles et des ustensiles.
p. 194
fois, le Livre de nos Saintes-Ecritures, écrit de sa
propre main (1); une autre fois encore il lui envoyait de jeunes colombes et
autres oiseaux domestiques, pour réjouir et récréer sa vieillesse; car les
saints, pour si austères qu'ils soient, ne se refusent pas une innocente
récréation. L'arc ne peut pas être toujours bandé, disait saint Jean; et le
saint vieillard, qui recevait les mystérieuses révélations de l'Apocalypse et
allait chercher dans le sein de Dieu l'éternelle génération du Verbe, se
plaisait à tenir sur son bras une perdrix et à la flatter doucement de la main
(2). La simplicité fut toujours le caractère distinctif de la sainteté.
Saint Sour avait su apprécier saint Yrier; il lui
reconnaissait une haute sagesse et une grande intelligence, et souvent il avait
eu recours à ses conseils. Il lui avait fait part de ses préoccupations au
sujet de l'avenir de sa communauté.
(1) Le P. Bonaventure,
Histoire de saint Martial, tome 1, page 226.
(2) Histoire ecclésiastique,
par Fleury, tome 1, page 520.
p. 195
« Le saint fondateur avait, sans doute, enseigné à ses
disciples, par ses exemples autant que par ses discours, le véritable esprit
religieux, et ils étaient eux-mêmes, par leur régularité, leur zèle et leur
ferveur, l'objet de l'admiration des anges et des hommes; mais il arrivait au
terme de sa course, et, après sa mort, le loup ne s'introduirait-il pas dans la
bergerie? l'homme ennemi ne viendrait-il pas semer
l'ivraie dans le champ que le père de famille avait arrosé de ses sueurs? »
C'étaient là les dignes préoccupations du bon saint Sour, du père qui allait
être séparé de ses enfants; préoccupations de tous les saints fondateurs de
sociétés, dont ne voulut pas être exempt Jésus-Christ lui-même, et qu'il
exprimait, avant de remonter au ciel, dans la touchante prière adressée à Dieu
pour ses apôtres.
Voulant donc s'assurer que ses disciples persévéreraient
dans l'observance des saintes règles, le saint abbé de Terrasson pria le saint
abbé d'Athane et lui dit: « Vous prendrez, lorsque je
p. 196
ne serai plus, la direction de ce
monastère et vous le soumettrez à l'abbaye de Saint-Michel (1). » Quelques
auteurs ont même cru que saint Sour s'était démis, de son vivant, en faveur de
saint Yrier, pour reprendre dans sa grotte la vie solitaire. Voici comment ce
fait est raconté par le P. Bonaventure: « Saint Sor, après avoir guéri le roi
Gontran de sa lèpre, fut forcé par ce prince d'accepter la conduite de l'abbaye
de Terrasson, qu'il bâtit en actions de grâces de sa guérison; mais ce saint,
ou pour continuer plus facilement la vie solitaire qu'il avait menée, ou pour
conserver et faire croître de plus en plus la perfection monastique qu'il y
avait établie, se déchargea de toute l'autorité qu'il avait en son abbaye et de
tous les soins de la gouverner, l'ayant soumise à Saint-Michel-de-Pistorie de
Limoges, en faveur de saint Yrier, qui la gou-
(1) Chronique de Geoffroy de
Vigeois, dans le P. Labbe, tome II.
p. 197
verna quelque temps avec celle
d'Athanum et de Limoges (1). »
Nous croyons que le P. Bonaventure et les autres
chroniqueurs, tous du Limousin, se sont trop préoccupés, dans ce récit, de la
gloire de saint Yrier; les fondations et les travaux nombreux dont nous avons
parlé, ne permettent pas de supposer que notre saint ait abandonné, avant sa
mort, la direction de son abbaye. Du reste, Geoffroy de Vigeois, l'auteur le plus
ancien qui parle de la soumission de notre abbaye à celle de Saint-Michel, ne
dit rien qui fasse croire à la démission de saint Sour et à son retour dans la
grotte. Nous traduisons le texte de cet auteur, dont les autres historiens se
sont inspirés: « L'église de l'archange saint Michel est glorieuse de posséder
le corps du prince Jocundus, père du grand Arédius. Elle fut autrefois une
célèbre abbaye, dont Arédius
(1) Annales du Lim. page 222. ― Legros, Manuscrit de la bibliothèque du
séminaire de Limoges.
p. 198
lui-même confia la direction à
son neveu Astié, abbé de Vigeois, et en même temps celle de l'abbaye de
Terrasson, qu'à la prière de saint Sour, il avait soumise au même monastère de
Saint-Michel (1). »
Quoi qu'il en soit, tous les auteurs sont invariables sur
les rapports d'intimité qui existaient entre les deux saints; et cela nous
suffit.
Ces rapports ne pouvaient tendre qu'à la gloire de Dieu et
à l'avancement spirituel des deux amis. Saint Yrier avait communiqué à saint
Sour sa dévotion à saint Martin-de-Tours, et, comme saint Yrier l'avait fait à
Athane, saint Sour introduisit le culte de saint Martin à Terrasson. Saint Sour
avait communiqué à saint Yrier sa dévotion à saint Julien-de-Brioude, et, comme
saint Sour l'avait fait à Terrasson, saint Yrier bâtit près d'Athane, en un
lieu appelé Muniac, une église en l'honneur de l'illustre
(1) Chronique de Geoffroy de
Vigeois.
martyr (1). Saint Sour a dû à son
intimité avec saint Yrier d'être honoré dans la liturgie du diocèse de Limoges,
et saint Yrier a dû à son intimité avec saint Sour d'être honoré dans la
liturgie du diocèse de Périgueux (2).
Les deux antiques églises de Périgueux et de Limoges,
comme deux soeurs étroitement unies, se plaisaient à faire cet échange de
richesses spirituelles.
XXII.
Comment le bon
saint Sour mourut, et comment son tombeau fut glorieux.
Bien des années s'étaient écoulées depuis que le bon saint
Sour, d'ermite, vivant dans ce fond d'une grotte, était devenu abbé d'un
monastère
(1) Le P. Bonaventure,
Annales du Lim. page 185.
(2) L'office de saint Yrier
se trouvait dans l'ancien Bréviaire de Périgueux. Il fut supprimé dans celui de
1781. Le diocèse de Sarlat le conserva toujours; on le voit dans le Propre pour
le Bréviaire romain, et dans le Bréviaire de 1776.
p. 200
et chef d'une nombreuse société.
Il était plein de jours et, cependant, remarque le légendaire, il semblait
rajeunir, embelli par le charme de toutes les vertus et se montrant de plus en
plus zélé pour le service de Dieu. La faiblesse naturelle du corps était
rachetée en lui par les ardeurs de la charité; il en triomphait par l'abondance
des consolations spirituelles. Il méditait fréquemment ces maximes de nos
Livres-Saints: « Les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion
avec la gloire qui sera un jour découverte en nous (1)... C'est par beaucoup de
peines que nous devons entrer dans le royaume de Dieu (2)... L'oeil n'a point
vu, l'oreille n'a point entendu, et le coeur de
l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (3). »
Ces enseignements de nos divines Écritures
(1) Epître de saint Paul aux
Rom. ch. 8., v. 18.
(2) Actes des apôtres, chap.
14, v. 21.
(3) Epît. de
saint Paul aux Corinth., chap. 22, v. 20. ― Labbe et les Boll., Vie de
saint Sour.
p. 201
avaient étouffé en lui tout
sentiment des joies terrestres et passagères, et tenaient son coeur toujours
ardent et embrasé pour les biens cèlestes et durables. Il en faisait sa
méditation habituelle, et son âme y trouvait des armes puissantes pour
combattre le démon et remporter chaque jour les victoires dignes des couronnes
éternelles. Ces enseignements, le fervent abbé les proposait aussi à cette
armée de religieux, rangée sous son étendard de foi, d'abnégation et
d'obéissance, et s'appliquait ainsi à lui donner la sainte émulation des
combats du Seigneur.
Mais la fin inévitable à tout être créé commençait à se
faire sentir à son corps affaibli par les macérations, et avertissait son âme,
aimée de Dieu, qu'enfin le moment était arrivé de rompre les liens de la prison
terrestre pour aller, jouir des joies du ciel.
Dieu voulut favoriser son serviteur comme beaucoup
d'autres saints: il lui fit connaître, par une révélation particulière, le jour
et l'heure
p. 202
de sa mort (1). Une telle
révélation ne peut être qu'agréable au juste: il s'est familiarisé, dans ses
méditations fréquentes, avec la pensée de la mort, et son désir le plus ardent
fut toujours de voir la dissolution de son corps pour se réunir à Jésus-Christ.
Ainsi avait été favorisé saint Front, l'illustre Apôtre du
Périgord. « Dieu lui apparaissant au milieu d'une vive lumière, en la compagnie
des Anges, pendant qu'il célébrait les saints mystères, lui avait annoncé que
dans huit jours il l'appellerait à la récompense perpétuelle de ses travaux
(2). »
Le bon saint Sour dut faire part à ses disciples de la
révélation qu'il avait eue: il fallait les disposer à un événement qui, bien
qu'attendu, devait leur causer la plus vive douleur. Un jour, il les rassemble
et leur apprend sa fin prochaine; il leur en parle en
des termes qui ne laissent
(1) Le P. Labbe et les
Bollandistes. Vie de saint Sour.
(2) Le P. Dupuy, Estat de
l'Eglise du Périgord. ― Vie de saint Front, sans nom d'auteur, imprimée à
Bordeaux en 1612.
p. 203
aucun doute sur la joie dont son
âme est remplie. Ensuite il les exhorte à persévérer dans l'observance des
saintes règles, dans la pratique de l'humilité et de la charité; bases
essentielles de toute perfection.
Au jour et à l'heure fixés, le saint est saisi d'une
violente fièvre dont les progrès augmentent sensiblement, et sont bientôt de
nature à faire présager une fin prochaine. Mais, plus
son corps s'affaiblit sous le feu qui le dévore, plus son âme acquiert de
vigueur et s'unit intimement à Dieu, objet de son amour. Aussi le pieux agonisant ne tarde-t-il pas à demander qu'on lui
apporte le viatique du voyageur vers l'éternité, et qu'on oigne son corps de
l'huile sainte pour le grand combat que l'athlète chrétien va soutenir. Puis,
empruntant le langage des Livres-Saints, avec lesquels il était si familiarisé:
« Hélas! s'écrie-t-il, que mon exil a été long! Que vos tabernacles sont
aimables, Seigneur! Quand pourrai-je m'y reposer! »
Plus le saint athlète approche du but, plus
p. 204
son âme est ardente et son coeur
passionné pour l'atteindre. Mais sa charité pour ses frères ne se refroidit
pas; car, si le juste désire la mort, s'il la voit arriver avec bonheur,
quelque ardente que soit son âme pour le ciel, il ne reste pas insensible à la
pensée de se séparer des objets qu'il a tendrement aimés. Le bon saint Sour
porte ses regards sur ses disciples qui l'entourent, aussi édifiés d'une agonie
si calme et si résignée que consternés de la perte qu'ils vont faire. A cette
vue, son coeur de tendre père s'émeut, et il s'empresse de consoler ses
enfants.
« Ce n'est pas lui qui refuserait de porter longtemps
encore le poids du jour et de la chaleur; mais Dieu l'appelle; ses enfants ne
resteront pas orphelins; ils auront un autre père pour continuer l'oeuvre
commencée. »
Il leur fait ensuite ses derniers adieux dans une dernière
bénédiction, qui témoigne, tout à la fois, et de sa grande confiance en Dieu et
de sa tendre charité pour ses frères.
Il avait cessé de parler, et voilà qu'une écla-
p. 205
tante lumière, partie du côté de
l'Orient, vient remplir la cellule du moine moribond, voltige autour de sa
tête, et laisse dans tous les coeurs comme une exhalaison de l'odeur la plus
suave... L'âme du bon saint Sour était au ciel.
Dieu, remarque le légendaire, voulut prouver, par une fin
favorisée d'un tel prodige, combien la vie de ce fidèle serviteur lui avait été
agréable, combien sa mort était précieuse à ses yeux.
Le même prodige avait eu lieu à la mort de saint Front.
Voici comment le raconte l'auteur que nous avons déjà cité: « Comme le jour de
son décès fut arrivé, saint Front ayant, célébré la messe, se prosterna devant
l'autel de saint Estienne; une lumière esclatante l'enveloppa, et, parmy cette
lumière, une voix fut ouye, qui l'appelait à la couronne et au ciel, où son nom
estait escrit au livre de vie. Saint Front rendit, pour la seconde fois, action
de grâces à la Très-Sainte-Trinité, et rendit l'âme à Dieu
p. 206
entre les oraisons et les pleurs
de ses diocésains (1). »
Il nous a fait plaisir de constater cette uniformité de
privilèges entre saint Front et saint Sour, bienfaiteurs tous les deux de notre
Périgord: saint Front en y fondant le christianisme, saint Sour en y devenant
l'un des créateurs de la vie cénobitique; celui-là en présentant aux peuples le
flambeau de la Foi; celui-ci en les initiant à la connaissance de ce qu'il y a
de plus parfait, et les encourageant, par ses exemples, à renoncer à tout pour
suivre Jésus-Christ; saints illustres tous les deux, brillant au ciel comme les
étoiles au firmament, parce qu'ils enseignèrent à plusieurs les voies de la
justice et de la sainteté.
Nous avons retrouvé, auprès de la couche funèbre du bon
saint Sour, saint Amand et saint Cyprien (2). Il est à présumer que notre
saint,
(1) Vie de saint Front,
ouvrage déjà cité.
(2) Labbe, ― les Boll.
― Le Dictionnaire d'hagiographie, de M. Migne.
p. 207
après avoir connu, par une
révélation spéciale, le jour et l'heure de sa mort, en avait fait part à ses
deux amis, et les avait invités à venir le voir, voulant s'encourager, par leur
présence, dans un moment si solennel. Et saint Amand et saint Cyprien s'étaient
empressés d'accourir, et ils étaient là, contemplant avec admiration leur
vénérable ami; édifiés de sa patience, de sa douceur, de son humilité. La
chaîne de l'amitié si pure qui les avait unis depuis leur plus tendre enfance,
ne devait point se rompre par la mort de l'un des trois; mais le bon saint Sour
allait en attacher au ciel le premier anneau; et, tandis que les religieux,
disciples du saint abbé, pleuraient leur maître et leur père, saint Amand et
saint Cyprien, le coeur plein de foi et d'amour, enviaient son bonheur,
gémissant d'avoir à prolonger encore leur exil sur la terre.
Cependant, la nouvelle de la mort du bon saint Sour se
répandit bientôt et attira à ses funérailles un grand concours de peuple. Saint
Amand et saint Cyprien ne voulurent point lais-
p. 208
ser à d'autres le soin de rendre
à leur ami le dernier devoir. Ils ensevelirent eux-mêmes son corps, qu'ils ne
regardaient et ne touchaient qu'avec une sainte vénération, et qui fut inhumé,
comme le rapporte la légende, en présence de tous les religieux et du peuple,
dans l'église dédiée à saint Julien (1).
Dieu voulut rendre glorieux le tombeau de son serviteur.
Le légendaire, après avoir parlé du lieu où fut enterré le corps du saint dont
il a raconté la vie, termine de la sorte son récit: « Le Seigneur Jésus, pour
prouver la faveur dont le bienheureux Sour jouissait auprès de Dieu, a voulu
honorer et illustrer son tombeau par beaucoup de miracles. Le cercle restreint
que nous nous sommes prescrit ne nous permet pas de raconter combien d'aveugles
y recou-
(1) Les auteurs de la
Gallia-Christiana commettent ici une erreur; ils disent que saint Sour fut
inhumé dans l'église de Saint-Julien, qui, par la suite, prit le nom d'église
de Saint-Sour. L'église de Saint-Julien conserva toujours son nom. Terrasson
eut, jusqu'en 1825, deux églises, celle de Saint-Julien et celle de Saint-Sour.
p. 209
vrèrent la vue, combien de
malades et d'infirmes la santé, combien de possédés y obtinrent leur
délivrance, ni les autres bienfaits accordés à ceux qui sont venus y prier. Ce
sont là les oeuvres que votre toute-puissance, ô Dieu, notre Père, daigne
opérer dans vos serviteurs, pour la gloire de votre Nom et la louange de votre
Fils unique, notre Rédempteur! »
Nous pouvons fixer la date de la mort du bon saint Sour en
l'année 580, au premier du mois de février, jour auquel les diocèses de
Limoges, de Périgueux et de Sarlat ont toujours célébré sa fête. Il était âgé
de quatre-vingts-ans: étant né dans la première année de ce VIe siècle; ayant
vécu environ soixante ans depuis sa sortie de l'Auvergne et son entrée au
monastère de Genouillac, et cinquante, à peu près, depuis le commencement de sa
vie érémitique. L'histoire de notre pays aurait dû le comprendre parmi les hommes
bienfaiteurs de l'humanité et créateurs de la civilisation du commencement du
moyen-âge; elle a presque oublié son nom: sans doute
p. 210
parce qu'il est des vertus que le
monde ne saurait jamais dignement reconnaître. Il ne suffit pas, en effet, à
des hommes comme celui-ci, d'une page dans l'histoire, d'une statue sur une
place publique, vaine image de ce qui n'est plus, parlant plutôt pour la gloire
de l'artiste que pour le souvenir de celui qu'elle représente; car voilà tout
ce que le monde peut faire. Mais la religion vient alors en aide à l'humanité
et se charge de payer pour elle la dette de la reconnaissance; elle s'empare
des vertus et des noms de ces hommes extraordinaires en oeuvres et en paroles,
les inscrit dans ses diptyques sacrés, impérissables, et place leur image sur
ses autels. C'est ce qu'elle a fait pour notre bon saint Sour.
XXIII.
Comment le bon
saint Sour fut très-honoré après sa mort,
et comment il l'a été jusqu'à nos jours.
Les hommages rendus, dans tous les siècles, à la sainteté
du serviteur de Dieu, dont nous venons de raconter la vie, commencèrent à
Terrasson dès le jour même de sa mort, qu'une mystérieuse lumière déclara
précieuse aux yeux du Seigneur. Le peuple, dont la voix était la voix de Dieu
et le seul mode de canonisation à ces premiers siècles de l'Église (1), frappé
de l'éclat de ses vertus et des miracles opérés pendant sa vie et se
renouvelant sur son tombeau, le peuple commença, dès ce moment, à le vénérer
comme saint. Il lui adressa des prières, et Dieu, en les exauçant, témoigna que
les hom-
(1) Le premier exemple de
canonisation régulière prononcée par le Pape, est de la fin du XIe
siècle. (Ancien Sacramentaire, par Grand-Colas, p. 585, première partie.)
p. 212
mages rendus à la sainteté de son
serviteur lui étaient agréables.
Il est probable que, dès ce moment aussi, ou du moins peu
d'années après, le culte de saint Sour devint public et commun à toute la
contrée. Il dut y avoir tous les ans, au jour anniversaire de sa mort, un grand
concours de peuple autour de son tombeau. Nous en avons encore un témoignage
incontestable, que la critique la moins indulgente ne pourra se refuser
d'admettre: c'est l'existence de la foire, dite de Saint-Sour, si célèbre dans
tout le pays, et qui a lieu le premier jour de février. Elle porte avec elle un
caractère religieux qu'il est impossible de ne pas reconnaître, et nous
trouvons son origine dans le concours annuel des pèlerins autour du tombeau de
saint Sour.
Nous devons remarquer, pour nous faire mieux comprendre,
que, dans toute la chrétienté, les foires d'une date ancienne sont fixées au
jour où l'Église célèbre la fête des patrons ou des saints révérés dans le
pays. Elles étaient, dans le prin-
p. 213
cipe, des solennités ou des
réunions purement religieuses. Mais le commerce ne tarda pas à s'y introduire;
il y fut même appelé et encouragé parce qu'il s'y trouvait, sous l'égide de
l'Église et des immunités monastiques, à l'abri des exactions capricieuses et rapaces
d'une foule de petits tyrans séculiers, appelés plus tard seigneurs féodaux.
Mais, peu à peu, la piété se refroidit, le commerce prévalut, et aujourd'hui la
plupart de ces fêtes ne sont que des réunions purement commerciales.
Telle fut, on ne peut en avoir le moindre doute, l'origine
de la foire de Saint-Sour, à Terrasson; son existence nous prouve l'antiquité
des hommages rendus à la mémoire du saint, protecteur de la ville et de tout le
pays. Du reste, le commerce n'a pas tellement prévalu dans la solennité
religieuse, que nous n'ayons bien encore tous les ans une image pieuse de ce
qui se pratiquait autrefois. Des étrangers, voués à saint Sour, viennent en
grand nombre, ce jour-là, prier devant ses reliques; plusieurs
p. 214
même nous demandent des messes en
l'honneur du saint. Nous remarquons qu'ils sont, pour la plupart, privés de
l'ouïe, et cela nous justifie l'assertion de la légende du Propre du diocèse de
Sarlat: « Sur le tombeau de saint Sour, ils opérait des miracles éclatants en
faveur surtout des personnes affligées de la surdité (1). »
Mais nous pouvons établir, par des documents historiques
qui remontent jusqu'au IXe siècle, l'antiquité d'un culte public
rendu à saint Sour.
Au XIVe siècle, nous trouvons un testament de
Raymond du Fraysse, daté du lundi après la fête de saint Barthélémy, 1333; le
chevalier y recommande son âme à Dieu, à la sainte Vierge, à saint Sour et à
tous les saints de Dieu (2).
L'hagiologue du monastère de Solignac, du XIe
siècle, rapporté par Claudius Estiennot, fixe au premier jour de février la
fête de saint Sour, confesseur (3).
(1) Ubi inter caetera ejus
miracula, sanantur hi, praesertim, qui surditate laborant.
(2) Voir ce testament à la
fin du volume.
(3) Mss. de la Bibliothèque
impériale.
p. 215
Un bénédictionnaire du séminaire de Limoges, du XIe
siècle, cité par l'abbé Legros (1), nous donne le nom de saint Sour, avec la
qualification de confesseur.
Nous avons parlé, une fois déjà, des litanies d'un
manuscrit de la bibliothèque impériale, provenant du monastère de Saint-Martial
de Limoges, et que l'abbé Lespine croit être antérieur au XIe
siècle. On y trouve cette invocation: Sancte Sur (2), ora pro nobis! Saint
Sour, priez pour nous!
Nous citerons encore une charte, du Xe siècle
(940), de Bernard, comte de Périgord, et dont nous parlerons dans la Notice
historique. En donnant l'abbaye de Terrasson à Adasius et aux moines qui
voudront vivre sous l'autorité de cet abbé, le comte les exhorte à bien servir
Dieu et
(1) Mss. de la Bibliothèque
du séminaire de Limoges.
(2) Bibliothèque impériale,
fonds Lespine, vol. 25, fol. 45. ― Nous avons dit, au commencement de ce
livre, pourquoi l'auteur de ces litanies a écrit Sur.
p. 216
saint Sour, dont le corps, est-il
dit, repose en ce lieu (1).
Nous citerons, enfin, le martyrologe d'Usuard et celui de
saint Adon de Vienne, du IXe siècle. Nous y trouvons le nom de saint
Sour, avec l'indication de sa fête au premier jour de février.
Nous voyons aussi que, dans ces mêmes siècles, la piété
des peuples et des moines ne se contentait pas d'inscrire le nom de notre
saint: dans des légendes, des chartes, des prières, des martyrologes. Elle
voulait avoir des monuments plus sensibles: elle lui consacrait des églises,
des oratoires, des autels. Outre l'église de notre monastère primitif, qui
était des premières années du VIIe siècle, nous pouvons citer
l'église paroissiale de Saint-Avit-de-Vialard (2), une chapelle sur les bords
de la Vézère, dans la paroisse
(1) Bibliothèque impériale,
fonds Lespine, vol. 23, fol. 47.
(2) Dans le canton du Bugue,
diocèse de Périgueux.
p. 217
de Tayac (1), et un autel dans
l'église, du monastère d'Uzerche (2).
Ces divers documents nous prouvent que déjà, au IXe
siècle du moins, notre saint patron recevait les hommages d'un culte public, et
nous voyons là, une raison assez légitime de croire qu'il en avait été de même
dans les siècles antérieurs.
A ces témoignages, nous ajouterons celui des liturgies des
diocèses de Périgueux et de Limoges, qui sont des plus anciennes de France; elle sont consacré à la vénération de saint Sour une fête
(1) Dans le canton de
Saint-Cyprien, diocèse de Périgueux. Il ne reste plus rien, aujourd'hui, de
cette chapelle; mais, d'après ce qu'on nous en a dit, elle devait remonter aux
premières années du XIIIe siècle. On montre, non loin de
l'emplacement où elle était, une grotte appelée Grotte-de-Saint-Sour; un
village de la même paroisse de Tayac porte le nom de Pech-de-Saint-Sour
(Podiun-Sancti-Sori), et à quelques lieues de là, en descendant la Vézère, on
trouve, à Limeuil, le Passage-de-Saint-Sour. Il y a, évidemment, dans tout
cela, les traces d'un culte spécial rendu à saint Sour. Notre saint aurait-il
habité dans ces contrées? Rien, dans sa légende, ne nous l'indique. On peut
croire qu'un moine de l'abbaye de Terrasson, désireux de la vie solitaire, se
sera retiré dans ces lieux et y aura apporté le culte de son saint patron.
(2) Le P. Bonaventure,
Annales du Limousin, p. 572.
p. 218
particulière; et lorsque l'évêché
de Sarlat, en 1317, fut créé d'une fraction de celui de Périgueux, notre saint
fut mis au nombre des saints protecteurs du nouveau diocèse.
Après tous ces documents et tous ces témoignages, on a
lieu de s'étonner que le martyrologe de Baronius, celui que l'Église romaine
suit actuellement, ne parle point de saint Sour. Cela, ne peut être, évidemment
que le résultat d'un oubli; car, ainsi que nous venons de le dire, le nom de
saint Sour se trouve dans le martyrologe d'Usuard, et ce martyrologe seul
faisait foi auprès de l'Église romaine avant la publication de celui de
Baronius.
Mais l'oubli de Baronius affaiblirait-il la voix de treize
siècles proclamant la sainteté et le culte de saint Sour? Rendrait-il moins
imposante cette longue succession de privilèges accordés à ceux qui ont invoqué
saint Sour, privilèges que les pères ont racontés à leurs enfants, et que nous
racontons, à notre tour, à la génération qui s'élève? Nous ne le pensons pas.
Il nous semble,
p. 219
au contraire, que parmi les saints qui ont vécu avant la
fin du XIe siècle, c'est-à-dire ayant l'époque de la canonisation régulière par
un jugement de l'Église, il serait difficile d'en trouver un dont la sainteté
et le culte soient mieux établis.
Toutefois, l'oubli de Baronius a été réparé, par l'Église
romaine, elle-même, et nous ne négligerons pas de mentionner ce dernier
témoignage d'une autorité devant laquelle, toute langue doit se taire et toute
volonté se soumettre. Un nouveau Propre des saints du diocèse de Périgueux, a
été composé pour la liturgie romaine; il est revêtu de l'approbation du
Saint-Siège, et nous y avons conservé la fête de saint Sour, non sans
difficulté, nous a-t-on dit, mais enfin nous l'y ayons conservée, et il nous
est permis de nous agenouiller, comme faisaient nos pères, devant l'image de
notre saint patron, et de laisser dire à notre coeur et à nos lèvres: Bon saint
Sour, priez pour nous!
Mais si, dans tous les siècles, notre saint a été
p. 220
honoré par la piété des fidèles,
un fait traditionnel et souvent renouvelé nous démontre qu'à Terrasson et dans
toute la contrée, il a été plus spécialement regardé comme le bienfaiteur du
pays; veillant, du haut du ciel, à la fertilité de nos terres, dans le principe
défrichées par ses mains, et qu'il a été plus particulièrement invoqué dans les
temps de sécheresse. C'est alors que son culte acquiert une pompe, une
solennité qui rappelle les plus beaux jours de la piété et des démonstrations
religieuses du moyen-âge. Nous avons nommé les processions des reliques de
saint Sour et leurs stations au rocher qui porte le nom du saint, à Lavilledieu
et à Pazayac; voici comment elles ont lieu:
Lorsque les récoltes souffrent de la sécheresse, les
cultivateurs des différents villages, chez lesquels s'est perpétué le souvenir
des bienfaits de saint Sour, s'assemblent, se concertent, et, le dimanche qui
suit, quelques-uns d'entre eux vont trouver le curé de la paroisse, lui
expriment l'état de souffrance des récoltes, et lui deman-
p. 221
dent les processions du corps du
bon saint Sour. Ce jour-là même, M. le curé écrit à Mgr l'évêque
pour lui faire part du voeu des cultivateurs, et obtenir l'autorisation nécessaire
pour l'exposition et les processions traditionnelles des saintes reliques.
Le jeudi suivant, jour du marché de Terrasson, le crieur
public annonce, dans les divers quartiers de la ville, les trois processions,
et invite les habitants des paroisses voisines à venir y assister.
Le dimanche d'après, elles sont encore annoncées au prône
de la messe paroissiale, et, immédiatement après cette messe, les reliques du
saint sont exposées sur l'autel de la chapelle où elles reposent
habituellement.
Les trois processions ont lieu le lundi, le mercredi et le
vendredi, et la station se fait le premier jour au rocher de Saint-Sour, le
second à Lavilledieu, le troisième à Pazayac.
Une première messe est dite, avant le départ, dans
l'église paroissiale, et une seconde, dès
p. 222
l'arrivée, dans l'église ou
chapelle de la station.
Comme la dernière procession va un peu loin et dure au
moins cinq à six heures, il est accordé, après la messe de la station, quelques
minutes pour un déjeuner frugal que chacun fait avec les aliments qu'il a
apportés.
Les saintes reliques restent exposées dans l'intervalle
des processions et jusqu'au dimanche. Ce jour-là, après les vêpres, elles sont
replacées dans leur tombeau, et le Te Deum est chanté en action de grâces, car
rarement les voeux des cultivateurs n'ont pas été exaucés.
Nous nous sommes souvent édifié au spectacle touchant
qu'offrent ces processions; la première fois surtout que nous fûmes invité à
les faire, nous dûmes admirer la foi, simple et naïve comme celle des premiers
siècles, de nos bons cultivateurs.
C'était vers le milieu du mois de mai 1839. Déjà les deux
premières processions avaient été faites; nous étions partis pour la troisième
par un temps magnifique, un ciel des plus purs, dé-
p. 223
sespérant pour des pèlerins qui
vont demander la pluie. Au retour, la procession, composée de plus de trois
mille personnes, se développait majestueuse, sur deux files, le long de la
route qui traverse en ligne directe la plaine entre Pazayac et Terrasson. Tout
à coup un petit vent se lève, ― un nuage apparaît, ― il grossit, ―
tous les coeurs s'épanouissent à la joie. Bientôt quelques gouttes d'eau nous
arrivent, ― elles augmentent, et, en un instant, ces deux files qui
tenaient en longueur plus d'un kilomètre sont couvertes de parapluies. ― Ce
spectacle nous émut jusqu'aux larmes.
Telle est la foi de nos bons agriculteurs; aucun d'eux ne
se permettrait d'assister à ces processions, même par le plus beau temps, sans
prendre son parapluie. Il y a dans cette foi quelque chose de semblable à celle
qui doit transporter les montagnes. Elle ne peut provenir que d'une suite de
faits analogues (1), souvent
(1) Souvent, nos vieillards
nous ont raconté à nous-même,
p. 224
renouvelés, recueillis par chaque
génération et racontés à la génération suivante.
Nous étions depuis quelques mois seulement curé de
Terrasson; nous connaissions peu les usages, et seul nous avions négligé de
prendre l'instrument protecteur, accessoire jugé indispensable lorsqu'on
assiste à une procession des reliques de saint Sour.
Mais à quelle époque ces processions, qui ont eu lieu de
temps immémorial, prirent-elles, naissance? Il est à présumer que ce fut sur le
tombeau même du saint, et le jour que son corps fut exhumé de l'église de
Saint-Julien pour être placé dans l'église du monastère, bâtie en son honneur.
Car, ainsi que nous avons eu occasion de le dire, il était d'usage, dans la
translation des reliques, de les porter dans les lieux illustrés par la
présence du saint qu'on vénérait, ou
et plusieurs les larmes aux yeux, les faits dont ils
furent témoins dans leur jeunesse: la foi du peuple toujours récompensée de la
faveur d'une pluie immédiate et abondante, dans ces processions du corps du bon
saint Sour.
p. 225
quelque miracle opéré par sa
vertu. Ces pérégrinations pieuses durent être la première expression de la voix
du peuple, s'élevant de toute la contrée pour rendre témoignage à la sainteté
du serviteur de Dieu; et, perpétuées jusqu'à nos jours, elles nous racontent,
elles aussi, et dans un langage facile à comprendre, la vénération de treize
siècles.
Nous constaterons ici un autre témoignage de la piété
envers saint Sour, et ce témoignage, nous le prenons à la pure source des
vraies traditions, sur les lèvres du peuple, sur ces lèvres qui ne prononcent
point le mensonge, mais parlent d'après l'abondante simplicité du coeur. Ce
témoignage, c'est la naïve qualification de bon que le peuple joint toujours à
la qualification de saint: le bon saint Sour. Nous en avons déjà dit un mot au
commencement de cet ouvrage. Cette manière de s'exprimer ne peut provenir que
de l'habitude d'honorer et de prier le saint, et de l'habitude d'avoir été
promptement exaucé lorsqu'on l'a honoré et prié.
p. 226
On a diversement qualifié les hommes qui ont joué dans le
monde un rôle important. A plusieurs, on a donné le titre de grand,, à quelques-uns le titre de bon. Nous préférons ce dernier
à tout autre. Le titre de grand, c'est l'admiration qui l'a décerné, et il a pu
s'acquérir tout en faisant couler bien des larmes; le titre de bon, c'est la
reconnaissance et l'amour qui le décernent, et il ne peut s'acquérir qu'en
séchant les larmes ou les empêchant de se répandre.
Le bon saint Sour! Il y a là tout le panégyrique de notre
saint, mais le panégyrique le plus sublime et le plus vrai.
Le bon saint Sour! En parlant ainsi, le peuple s'honore
lui-même; il exprime son amour et sa reconnaissance. Et c'est pour cela qu'en
écrivant cette Vie nous avons toujours employé la populaire qualification; le
pasteur ne doit pas avoir moins d'amour, moins de reconnaissance que le
troupeau.
XXIV
Comment
l'église de Terrasson possède les reliques du bon saint Sour,
et comment elles sont authentiques.
L'église de Terrasson possède, dans une châsse du XVe
siècle, richement sculptée, des ossements antiques, et le nombre à peu près
qu'il faut pour composer un corps humain. On les rappelle, dans le langage du
peuple, Le corps du bon saint Sour.
Ces ossements ont toujours été, à Terrasson, l'objet d'un
culte spécial; il est de notre devoir d'établir qu'ils sont les vraies
reliques, le vrai corps du bon saint Sour. Ce devoir, la piété des fidèles et
la gloire de notre saint patron nous l'imposent; sous l'un et l'autre rapport
il nous est également doux de le remplir.
De prime abord, la question que nous allons traiter paraît
délicate, épineuse, et semble
p. 228
offrir les plus grandes
difficultés; mais les documents qu'il nous a été donné de recueillir nous
apportent une preuve certaine, évidente, de nature à laisser dans tout esprit
qui raisonne la plus intime conviction.
La question est celle-ci: Le corps du bon saint-Sour
fut-il conservé par nos moines, dans l'église de leur abbaye, jusqu'en 1789,
époque de leur suppression? ― Les ossements que nous possédons
aujourd'hui sont-ils les mêmes ossements, le même corps du bon saint Sour que
nos moines possédaient? La réponse sera la démonstration de l'authenticité.
Nous ne pouvons préciser l'époque où le corps du bon saint
Sour fut exhumé de l'église de Saint-Julien; mais ce fut, probablement, peu
d'années après sa mort, lorsque les moines, ses disciples, voulurent avoir les
restes de leur saint fondateur dans la magnifique église qu'ils lui avaient
consacrée. Des documents historiques nous permettent de constater qu'ils ne
cessèrent pas d'en être les possesseurs et les gardiens de
p. 229
puis ce moment jusqu'en 1789.
Nous voyons, en effet, dans l'abbaye de Terrasson, ces précieuses reliques, ce
corps vénéré, à quatre époques différentes: en 841, 940, 1686 et 1771.
En 841, le corps du bon saint Sour est enterré derrière
l'autel de l'église de l'abbaye pour être soustrait à la fureur des Normands
(1).
En 940, il est fait mention du corps du bon saint Sour
dans une charte que nous avons déjà citée, par laquelle Bernard, comte de
Perigord, donne à l'abbé Adasius l'abbaye de Terrasson. Nous trouvons dans
cette charte ces paroles remarquables: « Que les moines de cette abbaye
s'appliquent à bien servir Dieu et saint Sour... dont le corps repose en ce
lieu (2). »
En 1686, quelques parcelles des reliques du bon saint Sour
sont envoyées par nos moines,
(1) Mss du XIIe
siècle, conservé à la Biblioth. imp. et coté n°
10507-5. ― M. Capefigue, Essai sur les invasions maritimes des Normands
dans les Gaules, p. 400-410.
(2) Voir cette charte dans
la notice hist. et à la note D.
p. 230
nous en parlerons bientôt, à des
religieux-ermites de Cahors.
En 1771, le corps du bon saint Sour est visité et examiné
avec soin par l'abbé Leydet, et voici ce qu'il en a écrit: « J'ai vu la relique
de saint Sour que l'on conserve dans une châsse en bois peint et doré en divers
endroits; on la tient dans un tombeau de bois élevé au-dessus de terre, dans la
chapelle à gauche qui appartient à la maison de Monmège. On n'a aucun acte
ancien qui constate l'authenticité de la relique; on n'a que la tradition du
pays et la foi du peuple, qui est fort grande. Les derniers évêques ont
autorisé la dévotion qu'on a à cette relique, qui est très-bien conservée et
très-entière; on y retrouve tous les ossements, qui paraissent avoir appartenu
à un fort grand corps. La jonction des deux pariétaux de la tête est
extrêmement liée et semble ne faire qu'un seul os. La tradition du pays apprend
que cette relique s'est conservée pendant les
p. 231
guerres civiles sous l'autel où
on l'avait cachée pour la dérober aux sectaires (1). »
Nous ignorons quel acte ancien désirait Leydet pour
constater l'authenticité de cette relique. La possession de douze siècles, une
possession non interrompue depuis le jour de la mort du saint jusqu'en 1771,
n'était-ce pas un acte assez ancien, une preuve suffisante d'authenticité?
Les citations que nous venons de faire établissent que la
possession ne fut pas un instant interrompue. A ceux
qui voudraient le nier resterait la tâche un peu difficile de prouver que, dans
un temps, les vraies reliques de saint Sour furent enlevées des mains de nos
moines, et que d'autres ossements leur furent substitués.
Cette tâche serait, disons-nous, un peu difficile. On
n'ignore pas, en effet, le prix attaché, dans les premiers siècles de l'Eglise
et dans toute la période, du moyen-âge, à la possession des
(1) Biblioth. imp., mss Leydet dans le fonds Lespine, vol. XXXV, fol. 140.
p. 232
restes vénérés des martyrs et des
saints. Les reliques étaient pour les fidèles comme pour le clergé, pour les
rois comme pour les peuples, l'or épuré, la perle précieuse, le riche diamant:
on les entourait des précautions les plus minutieuses pour ne pas les perdre ou
se les voir enlever. Avec quels soins n'étaient-elles pas gardées dans les
monastères et dans les églises! Le lieu où on les renfermait s'appelait le
trésor: dénomination qui nous indique tout à la fois et l'estime qu'on en
faisait et les soins qu'on devait prendre pour les conserver.
Quant à celles du bon saint Sour, il ressort évidemment
des processions traditionnelles dont nous avons parlé, que toujours elles
furent, à Terrasson, l'objet d'un culte spécial, et que l'oeil des moines et du
peuple ne les perdait pas pour ainsi dire un seul instant de vue. Il n'eût pas
été facile, ce nous semble, ni peut-être sans quelque danger, d'entreprendre de
les leur ravir.
Mais ce n'était pas seulement à Terrasson qu'on avait foi
à ces reliques, qu'on appréciait
p. 233
leur vertu; des fragments en
avaient été donnés au monastère d'Uzerche et à quelques églises (1), et,
d'après des pièces authentiques que nous avons en main, elles recevaient à
Cahors, vers la fin du XVIIe siècle, un culte solennel et public. C'était le 17
janvier 1687; les habitants de cette catholique cité gravissaient, par petits
groupes et pieusement recueillis, la montagne qui les domine du côté de
l'Occident. Il y avait là un antique Ermitage habité par des religieux connus
sous le nom d'Ermites de Sainte-Quitterie, et ce jour-là l'hommage de la
vénération était rendu, pour la première fois dans leur église, aux reliques de
trois illustres saints. Ces fervents disciples de saint Antoine (2) avaient
sollicité comme une grande faveur et obtenu des moines
(1) Dans l'énumération des
reliques vénérées dans le monastère d'Uzerche, Cl. Estiennot cite celles de
saint Sour. (Biblioth. imp., mss. Antiquitates benedictinae Lemov., tome II,
fol. 86). ― L'église de Chavagnac possèdee un os que la tradition
attribue à saint Sour.
(2) Les ermites de
Sainte-Quitterie reconnaissaient saint Antoine pour patron et fondateur de leur
ordre.
p. 234
de Terrasson, quelques parcelles
des reliques de saint Sour, de saint Antoine et de saint Jean l'Ermite ou le
Silencieux, et l'évêque de Cahors en avait autorisé l'exposition et la
vénération. Mais ils n'avaient pas voulu jouir seuls de leur trésor; par un
imprimé, affiché et publié dans toute la ville, ils avaient « invité le peuple
à se rendre dans l'église de l'Ermitage pour y honorer saint Antoine, saint
Sour et saint Jean l'Ermite, nouveaux, protecteurs de la ville et de tout ce
pays (1). »
Ainsi étaient appréciées et honorées, à Terrasson et
ailleurs, les reliques du bon saint Sour. Elles étaient, à Terrasson, le trésor
des moines et le trésor du peuple, et la foi du peuple à leur vertu était
grande, on vient de nous le dire; les moines et le peuple n'auraient-ils pas
veillé à leur conservation ?
Il est bien arrivé, dans des temps de troubles
(1) Voir à la fin du vol., à
la note C, la copie des pièces authentiques.
p. 235
et de guerres civiles que des
reliques aient disparu des monastères et des églises où elles étaient
conservées; on à su toujours par quelle cause, par quel accident. On sait
comment Sarlat perdit le corps de saint Pardoux et le corps de saint Sacerdos;
Périgueux, celui de saint Front; Limoges, celui de saint Martial; mais rien
dans les chroniques, rien dans les traditions du pays ne nous indique un
enlèvement ou une substitution à l'égard du corps du bon saint Sour. Nous
savons bien, et nous aurons lieu de le raconter, que, pendant ses douze siècles
d'existence, notre abbaye eut à subir plusieurs désastres dans les guerres
incessantes du moyen-âge et dans les guerres dites de Religion; mais les
documents, pour l'affirmer, nous manqueraient-ils; nous devrions toujours
supposer qu'à Terrasson les moines et le peuple lui-même faisaient, pour
conserver leurs saintes reliques, ce que nous voyons avoir été fait, en
semblables circonstances, dans les autres monastères et dans les autres villes.
A l'approche de l'ennemi, à l'appréhension
p. 236
du moindre danger, les moines et
le peuple songeaient avant tout à mettre leur trésor en lieu de sûreté. Ainsi,
pour ne prendre nos exemples que dans le voisinage, voyons-nous qu'au neuvième
siècle, lors de l'irruption des Normands, les reliques de saint Martial furent
transportées de Limoges dans le château-fort de Turenne et placées sous la
sauvegarde du Vicomte (1); celles de sainte Madegolde au couvent de Vigeois;
celles des saints Innocents dans l'antique château d'Alassac; celles de saint
Sigolène à Colonges, près de Meyssac (2). Ainsi furent cachées à Périgueux
celles de saint Front et de saint Frontaise. « De toutes parts, dans le
Périgord, dit le P. Dupuy, on transportait et fuyait les saintes reliques, à
cause que les Normands sacrilèges en voulaient spécialement aux corps saints
des chrétiens (3). » Supposerait-on, par hasard, que les moines de notre abbaye
restaient alors indifférents, et ne
(1) Leymonerie; Hist. de
Brive, p. 28 et 29.
(2) Marvaud, Hist. du
Bas-Limousin, t. I, p. 200 et p. 88.
(3) Estat de l'Eglise du
Périgord, t. I, p. 200.
p. 237
prenaient aucune mesure pour
conserver le corps du bon saint Sour?
On signale dans l'histoire de notre pays deux époques
désastreuses entre toutes et funestes aux reliques des saints: le neuvième
siècle, lors de l'invasion des Normands, et le seizième siècle, lors de
l'invasion des Huguenots. Ces deux invasions également barbares apportèrent
dans notre abbaye le pillage, l'incendie, la destruction. Mais les chroniques,
en nous racontant ces malheurs, ont eu soin de nous dire comment avait été
sauvé le corps du bon saint Sour. Au neuvième siècle, il fut enterré derrière
l'autel, fu sevelis trâ louta, comme s'exprime le manuscrit que nous avons déjà
cité, et, cent ans plus tard, le comte de Périgord invitait les moines de
l'abbaye à vénérer ce corps qui reposait en ce lieu. Au seizième siècle, il fut
caché sous l'autel, comme l'atteste la tradition, écrivait Leydet, et, un
siècle plus tard, des parcelles de ce corps étaient envoyées aux ermites de
Sainte-Quitterie. Dira-t-on qu'en 841 et 940 nos moines cachaient et vénéraient
p. 238
un corps de l'authenticité duquel
ils n'étaient pas certains? Dira-t-on qu'en 1686 ils voulurent tromper leurs
confrères de Cahors, en leur envoyant des reliques de l'authenticité desquelles
ils devaient avoir quelque doute?
A moins de nier tout motif de certitude, tout moyen de
s'assurer de l'existence des faits historiques, on doit convenir que le corps
du bon saint Sour resta au pouvoir de nos moines depuis le jour de sa mort
jusqu'à l'année 841, jusqu'à l'année 940, jusqu'à l'année 1686, jusqu'à l'année
1771, jusqu'à la veille de 1793; cette autre grande époque désastreuse, plus
funeste, que toutes les autres à la religion et aux choses saintes.
Mais que devinrent alors nos saintes reliques? Que
devinrent-elles lorsque les moines furent dispersés et que leur église fut
dévastée et convertie en une salle de club? Voici ce que nous avons recueilli
de la bouche des anciens:
Lors du ravage de l'église, les saintes reliques allaient
être profanées, déjà même un premier
p. 239
coup avait été donné pour briser
la châsse qui les renfermait; mais un prompt et vigoureux châtiment infligé par
l'un des assistants à l'auteur de cette première tentative, rappela, le respect
que l'on devait avoir pour les reliques du bon saint Sour; on se contenta de
les jeter avec la châsse dans le caveau qui est sous la chapelle nommée
aujourd'hui Chapelle de Saint-Sour. C'est de là qu'elles furent retirées
lorsque, après l'orage qui avait menacé de tout renverser en France, l'église
fut rendue au culte.
Hâtons-nous de le dire, aucun doute ne s'éleva alors au
sujet des saintes reliques: chacun savait comment elles avaient été conservées;
et le peuple, en retrouvant son église, son autel, sa religion, retrouva
également sa croyance au corps du bon saint Sour, et bientôt il en réclama les
processions traditionnelles.
Mais pourquoi avons-nous rappelé le souvenir d'une époque
à jamais déplorable? Pourquoi citer le témoignage des anciens? Qu'importe ce
qu'on put faire, alors où rien n'était sacré. N'a-
p. 240
vons-nous pas une preuve certaine, évidente, palpable à la
main, visible à l'oeil, que nos saintes reliques, notre corps du bon saint Sour
que nous possédons aujourd'hui, sont les mêmes reliques, le même corps que nos
moines possédaient avant 1793?
Sachons gré à M. l'abbé Leydet de nous avoir fait, en
1771, la description, le signalement pour ainsi dire des ossements que les
moines attribuaient alors à saint Sour. Grâce à lui, nous ne pouvons avoir
aucun doute; la vérité nous apparaît dans son plus grand jour.
Prenons en main ce signalement; examinons et comparons...
C'est bien la même châsse en bois peint et doré en divers
endroits. ― Ce sont bien les mêmes ossements qui paraissent avoir
appartenu à un fort grand corps. ― C'est bien la même tête dont la
jonction des deux pariétaux est extrêmement liée et semble ne faire qu'un seul
os (1).
(1) La châsse est en bois de
noyer et faite en forme de cer-
p. 241
Il est vrai que l'examen attentif de ces ossements
découvre entre eux quelque dissemblance quant à la couleur; mais ils paraissent
tous avoir appartenu à un fort grand corps. La différence de couleur pourrait
s'attribuer à des causes purement naturelles; nous aimons mieux croire qu'il y
a là, dans la même châsse, avec les ossements de saint Sour, d'autres
précieuses reliques. Pour autoriser notre croyance, il nous suffit de savoir
que nos moines possédaient, outre le corps de saint Sour, quelques ossements de
saint Antoine et de saint Jean-l'Ermite. Ils en possédaient assez pour en faire
part aux Ermites de Cahors. Mais quels étaient ces ossements? Il nous est parlé
d'un bras de saint Antoine (1).
cueil. Les peintures et les dorures, surtout, sont
considérablement altérées. Elle devait être enrichie, aux deux bouts et le long
du couvercle, de lames de cuivre, peut-être d'argent, peut-être d'or. Nous ne
savons à quelle époque ces lames tentèrent la cupidité; mais il est
très-probable qu'elles n'y étaient déjà plus en 1771: elles n'auraient pas
échappé à l'attention de Leydet.
Nous rendrons bientôt à
cette précieuse châsse sa peinture, sa dorure et ses lames d'argent.
(1) Voir, à la fin du
volume, la note A.
p. 242
Quels étaient les autres? Quel en était le nombre? Nous
l'ignorons; mais les moines les possédaient en 1686.
Il est très-probable qu'on gardait ces ossements dans le
même trésor et dans la même châsse que les reliques de saint Sour, et qu'ils y
étaient en 1793. Ils peuvent y être encore aujourd'hui (1).
Nous mettrons fin à cette démonstration par un
raisonnement emprunté à l'abbé Fleury, l'auteur de l'Histoire de l'Eglise: «
Nous devons convenir, dit cet historien, que dans les siècles d'ignorance et de
superstition il a pu s'introduire bien des abus dans l'admission trop facile
des reliques, et pour ce motif nous ne devons les recevoir aujourd'hui qu'avec
un dis-
(1) Outre les reliques
renfermées dans la châsse, nous avons, dans un petit reliquaire en cuivre, une
parcelle d'os de saint Sour. Cet os est plié dans une étoffe de soie; on y lit:
Sancte Sore, ora pro nobis. L'écriture est ancienne et semble remonter au moins
au XVIIe siècle. On se servait de ce reliquaire, comme nous nous en
servons encore, pour recevoir à l'offrande les pèlerins qui venaient prier
saint Sour. Comment s'est-il conservé? Nous l'ignorons.
p. 243
cernement et une réserve extrêmes, celles surtout qui,
après avoir été cachées pendant plusieurs siècles, n'ont paru que dans des
temps d'ignorance, ou que l'on prétend avoir été apportées de fort loin, sans
qu'on sache ni comment elles en sont venues, ni comment elles avaient été
conservées; mais je sais qu'il y en a plusieurs de très-certaines, savoir:
celles des saints patrons de chaque ville qui y sont morts, et qui ont toujours
été honorés depuis: comme à Paris celles de saint Denys, de saint Marcel, de
sainte Geneviève (1); » comme à Terrasson, ajouterons nous, celles de saint
Sour, car ce saint a vécu à Terrasson, il y est mort, et ses reliques n'ont pas
cessé jusqu'à nos jours d'y être honorées; nous savons comment elles ont été
conservées, comment elles sont arrivées jusqu'à nous.
Résumons en deux mots tout ce que nous venons de dire:
Nous possédons les mêmes reliques que les
(1) Hist. de l'Eglise, tom.
IX, p. X et XI.
p. 244
moines possédaient; nous les
possédons comme eux par le droit que donne la tradition, mais une tradition
établie sur des documents historiques, certains, incontestables; voilà notre
titre: il porte un sceau irrécusable qui le met à l'abri du doute, le sceau que
treize siècles lui ont imprimé en payant à ces reliques leur tribut de
vénération. Nous les croyons les vrais restes de saint Sour, comme le croyaient
les moines, comme le croyaient nos pères, comme le croyaient leurs aïeux, comme
nous voyons qu'on l'a toujours cru, en remontant la chaîne des âges jusqu'à la
tombe creusée sous le pavé de l'église de Saint-Julien.
Le Seigneur soit béni de nous avoir conservé ce précieux
trésor de notre église, ce corps du bon saint Sour, ces ossements vénérés qui,
après treize siècles, conservant encore le souffle de l'Esprit de Dieu, parlent
et prophétisent; devant lesquels le peuple aime aujourd'hui, comme il aimait
autrefois, comme il aima toujours, à s'agenouiller et à prier!
CONCLUSION
Nous avions promis de faire connaître le bon saint Sour,
et nous avons rempli la tâche que nous avait imposée la piété de notre
troupeau. Daignent Jésus et Marie bénir ces pages, écrites d'une main peu sûre,
il est vrai, mais dans l'espoir d'être utile aux âmes qui nous sont confiées!
Et maintenant nous vous invoquerons, protecteur bien-aimé
de notre troupeau, non moins aimé du pasteur! nous
vous invoquerons, et vous écouterez notre prière.
Nous avons raconté votre nom, vos vertus et vos travaux à
nos frères, et ils vous béniront, le soir au foyer domestique, et dans leurs
pieuses assemblées. Saint Patron, priez toujours pour le troupeau et pour le
pasteur!
p. 246
O vous, qui avez tout quitté pour marcher, à la voix du
Seigneur, vers des régions lointaines et y mener une vie pénitente et
mortifiée, Saint Patron, priez toujours pour le troupeau et pour le pasteur!
Vous, qui vous êtes caché, comme la douce colombe, dans le
creux du rocher, pour y aimer Dieu d'un plus pur amour, Saint Patron, priez
toujours pour le troupeau et pour le pasteur!
Vous, qui avez enseigné à de nombreux disciples les voies
de la justice et de la sainteté, et qui brillez au ciel comme les étoiles au
firmament, Saint Patron, priez toujours pour le troupeau et pour le pasteur!
Vous, qui avez arrosé de vos sueurs la terre qui nous
donne le pain de chaque jour; vous, qui nous obtenez les douces pluies qui la
fécondent et la fertilisent, Saint Patron, priez toujours pour le troupeau et
pour le pasteur!
Vous, que le peuple appelle bon, qu'il aime et qu'il
invoque; vous, dont il vénère les pré-
p. 247
cieuses reliques, Saint Patron,
priez toujours pour le troupeau et pour le pasteur!
Faites que nous aimions Dieu comme vous l'avez aimé,
par-dessus tout! Et quand viendra pour chacun de nous l'heure de la délivrance,
faites que notre mort soit comme la vôtre, douce et précieuse au regard du
Seigneur! Saint Patron, priez toujours pour le troupeau et pour le pasteur!
Ainsi soit-il!!!
FIN
DE LA VIE DE SAINT SOUR.
NOTICE HISTORIQUE
SUR L'ABBAYE DE TERRASSON
Depuis sa fondation au sixième siècle, jusqu'en 1793.
« Il n'y a qu'un Dieu, qu'une Foi, qu'un Baptême (1); » il
n'y a non plus qu'un Etat Religieux: il remonte aux premiers jours du
Christianisme. Arbre mystique planté par la main de Jésus-Christ, lui-même, il
a grandi et s'est développé sous les yeux de l'Eglise. Il a pu produire des
ramifications sans nombre, mais elles n'ont cessé de recevoir toutes le suc du
principe divin posé par le Sauveur: Le renoncement au monde et à soi-même.
(1) Saint Paul, Epît. aux Eph., ch. 4, v. 5.
p. 252
Ce principe devait être fécond pour le bien de l'humanité;
aussi tous les effets qu'il a produits, n'importe à quelles époques et sous
quelles formes, ont porté avec eux un même cachet de civilisation et de
science, que tout le monde connaît, et dont il est inutile d'énumérer les
bienfaits.
Donc, écrire l'histoire de l'Abbaye de Terrasson, montrer
la part qu'elle prit, dans sa petite sphère, à la régénération de tout un pays,
à une époque où le monde se refaisait par le Christianisme, serait écrire
l'histoire de toutes les abbayes et de toutes les institutions monastiques;
telle n'est pas notre intention.
C'est, tout simplement, un aperçu, une esquisse que nous
voulons donner d'une Abbaye qui eut douze siècles d'existence. De patientes et
laborieuses recherches nous ont fait découvrir des documents ignorés; nous
allons les classer à la suite les uns des autres, suivant leur ordre
chronologique, sans trop nous préoccuper du plus ou moins de liaison, de
rapport, qu'ils peu-
p. 253
vent avoir entre eux. Peu de
personnes les connaissent; ils feront plaisir à tous.
I.
525 ― 940.
Au sixième siècle (de 525 à 530), un pieux solitaire
s'établit dans les grottes de Terrasson. Il voulait s'y dérober au monde, mais
l'éclat de ses vertus le trahit; les peuples allèrent le visiter et, ne
connaissant pas son nom, ou, peut être, l'oubliant pour ne songer qu'à son
genre de vie, ils l'appelèrent Sour, c'est-à-dire Anachorète (1). Plus tard, la
voix de ces mêmes peuples, sanctionnée par la voix de l'Eglise, lui décerna le
titre de saint.
Saint Sour, voyant venir à lui la foule, avide de lui
parler et de l'entendre, se forma quelques
(1) Voir ce que nous avons
dit de ce nom, pages 1, 2, 5 et suivantes.
p. 254
disciples, pour lesquels la
générosité de Gontran, roi de Bourgogne, guéri miraculeusement de la lèpre, lui
permit de bâtir un Xenodochium et, plus tard, un monastère.
Saint Sour avait donné à ses disciples, vers les dernières
années de sa vie, la règle de saint Benoît; il les gouverna jusqu'à sa mort,
arrivée en 580. Il mourut, au milieu de ses disciples, dans le Xenodochium, et
fut inhumé dans l'église de Saint-Julien, que lui-même avait bâtie, ou, du
moins, appropriée au culte chrétien.
Telle est, en substance, l'origine de l'Abbaye de
Terrasson; nous en avons déjà exposé les détails.
Après la mort de son fondateur, l'Abbaye fut gouvernée par
saint Yrier, abbé d'Athane, qui la soumit, suivant que saint Sour l'en avait
prié, à celle de Saint-Michel-de-Pistorie, dans la ville de Limoges. C'est ce
que nous apprend la chronique de Geoffroi-de-Vigeois; et les auteurs de la
Gallia-Christiana, en dressant le catalogue des abbés de Terrasson, citent,
d'après Claudius
p. 255
Estiennot, saint Yrier comme ayant succédé à saint Sour.
Saint Yrier dut gouverner peu de temps l'Abbaye de
Terrasson, car il mourut dans l'année 591, et nous voyons que, déjà, de son
vivant, il avait confié la direction des abbayes de Saint-Sour et de
Saint-Michel à son neveu Astidius, abbé de Vigeois, vénéré sous le nom de saint
Astié (1).
Après la mort de saint Yrier, Astidius, ayant été appelé à
lui succéder dans le gouvernement d'Athane, soumit à cette dernière abbaye
celles de Saint-Sour et de Saint-Michel (2).
Il n'était point rare, à cette époque, de voir le même
abbé gouverner plusieurs monastères. Astidius nous en offre ici un exemple: il
en avait quatre sous sa juridiction, « qui, d'après le P. Bonaventure,
composaient la circonférence de son petit monde religieux, dans le-
(1) il ne faut pas confondre
ce saint avec saint Astier, Asterius, abbé dans le Périgord.
(2) Geoffroi-de-Vigeois, ―
le P. Bonaventure, Ann. du Lin.
p. 256
quel, comme le soleil qui éclaire
et réchauffe les quatre parties du monde et leur départ ses influences pour la
production de toutes choses, il versait ses lumières bienfaisantes, faisait
fructifier les plantes et élevait de grands arbres qui devaient de leur sommet
toucher jusqu'au ciel et contenir sous leurs branches toute sorte de personnes
désireuses de la piété et vertu religieuses (1). »
Combien de temps l'Abbaye de Terrasson resta-t-elle sous
la dépendance de l'abbaye d'Athane? Nous l'ignorons; nous n'avons trouvé dans
les chroniques aucun document à ce sujet. Geoffroi-de-Vigeois, sans en indiquer
l'époque, nous apprend que l'Abbaye de Terrasson secoua le joug de l'abbaye
d'Athane et se déclara indépendante; mais ce ne fut, probablement, qu'après la
mort (620) de saint Astidius, qui est mis au nombre des abbés de Terrasson, et
classé le
(1) Annales du Lim., p. 225.
p. 257
troisième dans les catalogues de
Claudius Estiennot et de la Gallia-Christiana.
On pourrait supposer, avec quelque fondement, que l'abbaye
d'Athane ayant été elle-même, après la mort de saint Yrier, sous la dépendance
du monastère de St-Martin-de-Tours, les abbayes qui lui étaient soumises
passèrent sous la dépendance médiate de ce même monastère. Geoffroi-de-Vigeois
nous l'affirme, en propres termes, de l'abbaye de Saint-Michel; nous devons
présumer qu'il en fut de même de l'Abbaye de Terrasson, et que celle-ci, en
secouant le joug de l'abbaye Athane, secoua aussi le joug de l'abbaye de
Saint-Martin-de-Tours.
Ici nous perdons la suite des abbés de notre monastère
pour ne retrouver leurs noms qu'au Xe siècle; et jusque vers le
milieu du IXe, les chroniques se taisent sur Terrasson et son
Abbaye. Sans doute, les pieux disciples de saint Sour, remplis des vertus que
leur avait inspirées leur zélé fondateur, continuèrent à vivre selon l'esprit
de leur saint institut, poursuivant la tâ-
p. 258
che qui leur avait été imposée, défrichant les terres
incultes, et goûtant, dans leurs pénibles travaux et leurs austères pénitences,
la paix promise à l'homme qui cherche Dieu dans la solitude et le
recueillement. Ils voyaient s'élever et s'agrandir la petite bourgade née avec
eux et destinée à subir les diverses phases des prospérités et des malheurs de
leur monastère.
Mais cette paix, les moines de Terrasson ne devaient pas
la posséder toujours. Il y a des temps d'épreuves dans la vie des sociétés
comme dans la vie des individus, des temps réservés dans les décrets de la
Providence pour épurer les institutions comme pour épurer les âmes. Les
institutions comme les âmes s'épurent et se fortifient au feu de la
tribulation. D'ailleurs, les ordres monastiques faisant un même corps avec
l'Église, il devait entrer dans leurs destinées de subir comme elle la
persécution.
Les premiers malheurs de l'Abbaye de Terrasson, parvenus à
notre connaissance, eurent
p. 259
lieu dans le IXe
siècle. On vit, à cette époque, déborder de la France du nord au sein de
l'Aquitaine, les hordes des Normands, peuples idolâtres et cruels, destructeurs
d'églises et de monastères, c'est-à-dire de tout principe; et de tout foyer de
civilisation. Leur irruption fut générale dans le Périgord et le Limousin;
l'Aquitaine toute entière vit ses champs ravagés, ses villes pillées, ses
monastères brûlés. Une chronique de l'époque déplore en ces termes les malheurs
de cette province: « Que dirai-je de la grande affliction de l'Aquitaine? Elle
qui, autrefois, nourrissait des guerriers, à maintenant les mains engourdies;
elle ne peut plus manier le fer des batailles. Ses principaux habitants sont
accablés dans leur propre sol et deviennent la proie des nations étrangères.
Depuis l'Océan jusqu'aux montagnes de l'Auvergne, aucune région, ni ville, ni
village, ni cité, n'a pu se conserver libre de leurs ravages, mais a gémi sous le
glaive cruel de ces
p. 260
barbares infidèles, et a succombé
sous la fureur de leurs armes (1). »
Ce fut en l'année 848 que les Normands pillèrent et
détruisirent l'Abbaye de Saint-Sour. Les chroniques ne nous ont pas laissé les
détails de ces premiers désastres. Mais on sait que ces peuples n'eurent point
d'égaux en fait de pillages et d'incendies (2). Nous avons vu que, dès l'année
841, les moines, prévoyant ces malheurs, avaient enterré le corps de saint Sour
derrière l'autel de leur église.
Cependant, à ces ravages du Périgord et du Limousin
succédèrent quelques années de paix. Les comtes de Périgord en profitèrent pour
relever de ses ruines l'Abbaye de Terrasson; ce fut, disent les chroniques,
vers la fin du IXe siècle ou au commencement du Xe, sous
l'épiscopat de Sébalde, évêque de Périgueux, « réputé docte et éloquent, dit le
P. Dupuy, eu égard
(1) Chronique de Maillesais.
(2) Geoffroi-de-Vigeois. ―
Gallia Christiana. ― Le P. Bonaventure et toutes les chroniques du
Périgord et du Limousin.
p. 261
à son siècle, très-disetteux
d'écrivains sacrés, et qui à peine en tout son centenaire en baille trois ou
quatre qui encore rempent assez et traînent l'aile en leur style (1). »
La reconstruction de notre monastère fut un acte tout à la
fois de religion et de sage politique. Sa position presque à l'extrémité de la
province, aux frontières du Bas-Limousin et du Quercy, pouvait en faire une
place importante dans ces temps de guerres continuelles; et les comtes de
Périgord ne virent pas sans plaisir qu'ils pouvaient allier leurs propres
intérêts avec ceux de l'Église. On trouve, en effet, que la considération de ce
double intérêt eut une grande influence dans le choix de l'emplacement et dans
la construction de beaucoup de monastères, sous les règnes orageux de la
première et de la seconde race de nos rois. Il n'était point rare que, dans
l'enceinte des cloî-
(1) Le P. Dupuy, tome I,
page 205. ― L'évêque Sébalde recueillit les actes de saint Front.
p. 262
tres, le bruit des armes se mèlât aux chants religieux des
moines; on vit même quelquefois ces hommes de prière, de travail et d'austères
pénitences, porter haut le casque et manier d'une main vigoureuse la flamberge
des guerriers, lorsqu'il fallut repousser d'injustes agresseurs.
Et qu'on ne croie pas, comme semblerait l'autoriser le
premier aspect des lieux, que le choix de l'emplacement du monastère de
Terrasson ait dû exclure toute idée de stratégie: car, s'il était complètement
dominé et de très-près, à l'est et au midi, par des collines élevées, il
offrait une forte assiette du côté du nord et de l'ouest, où des déclivités
abruptes et rapides le défendaient suffisamment; et puis, le monastère eut ses
remparts, ses fossés, ses hautes tours, ses larges murs d'enceinte, qui le
protégeaient contre toute surprise du côté des montagnes. D'ailleurs, les noms
d'Abbaye, de Moustier, de Fort, qu'on, donne encore indistinctement au lieu
qu'il occupait, prouvent que, s'il était l'asile de la prière, de la pénitence,
du travail, de l'étude,
p. 263
il pouvait être aussi et il fut
plus d'une fois le refuge des guerriers (1).
La promptitude et les soins que les comtes; de Périgord
mirent à relever les murs du monastère de Terrasson nous font assez comprendre
que, déjà, bien longtemps avant sa destruction, ce monastère était tombé, comme
tant d'autres à cette époque, au pouvoir des seigneurs séculiers. Charlemagne
avait posé un funeste exemple en donnant les biens de quelques abbayes et
bénéfices ecclésiastiques aux seigneurs de notre pays, pour les récompenser des
services qu'ils lui avaient rendus. Ces premiers seigneurs purent voir, sans
doute, dans cette donation, une apparence de droit à posséder ces biens; mais
d'autres ne consultèrent, pour s'en emparer,
(1) Les bâtiments de
l'Abbaye de Terrasson présentaient deux parties bien distinctes: la partie
qu'habitait l'abbé, seigneur de Terrasson, et la partie occupée par les moines.
La première est appelée, dans nos chroniques, Château abbatial, Château de
Terrasson; la seconde, Monastère, Moûtier. Un cloître reliait entre eux les
deux bâtiments, que protégeait le même mur d'enceinte.
p. 261
que leurs intérêts et leur
ambition, et ils s'affublaient avec orgueil du titre fastueux d'Abbés
Séculiers. C'était le prélude aux abbés commandataires que nous trouverons plus
tard et qui, souvent, n'eurent de religieux que le nom. Ces abus, introduits
par Charlemagne dans l'Aquitaine, existaient encore du temps de Charles-le-Chauve.
Vainement les évêques, mécontents de cette spoliation, s'en plaignirent en
termes sévères dans une assemblée tenue à Meaux; la noblesse d'Aquitaine ne
voulut point se dessaisir de sa proie, et Charles-le-Chauve, soit impuissance
d'agir, soit défaut de bon vouloir, ne fit point exécuter les décisions des
évêques. Vainement aussi le pape Nicolas était intervenu de son autorité
apostolique, par une lettre adressée à la noblesse d'Aquitaine; ni ses
pressantes sollicitations, ni les menaces des anathèmes de l'Église n'avaient
été écoutées.
Les chroniques ne nous disent point si c'était par droit
de donation royale ou par le fait d'une spoliation que les comtes de Périgord
p. 265
possédaient l'Abbaye de
Saint-Sour; toujours est-il qu'à l'égard de celle-là du moins, ils ne firent
point leur profit de ces monitoires du pape Nicolas (1), car nous voyons qu'ils
la possédaient encore en 940.
A cette époque, Bernard, troisième comte de Périgord,
homme plein de foi, de justice et de piété, touché des maux de cette Abbaye et
voyant que la discipline monastique y était en souffrance, consentit à s'en
dessaisir et en fit don à Adasius, abbé du monastère de Tulle. (2) Claudius
Estiennot nous a conservé la charte par laquelle le comte Bernard établit sa
donation; nous l'insérerons ici. C'est une pieuse et noble page, mais peu
connue, de l'histoire du Périgord.
« Le Créateur et Ordonnateur de toutes choses est le Dieu
admirable qui abaisse l'un et exalte l'autre, ainsi qu'il est écrit. Il est
cer-
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, tome I, page 202.
(2) Baluze, Histoire de
Tulle, page 50.
p. 266
tain que plusieurs de ceux qu'il
exalte maintenant, il les humiliera dans le siècle futur, à savoir ceux qui,
s'enorgueillissant ici-bas des biens qu'il leur accorde, refusent avec dédain
de s'humilier sous sa main puissante. C'est pourquoi, il est juste que l'homme
soit soumis à Dieu et qu'il s'applique à lui être agréable par les biens qu'il
en a reçus.
Ce que voyant, moi, Bernard, par la grâce de Dieu, comte
(de Périgord), ai craint de garder en mon pouvoir le monastère de Saint-Sour,
appelé Geredia (1), dans lequel la discipline monastique est peu en vigueur.
Sachent donc tous les fidèles, présents et à venir, que moi, du consentement de
Berthe, mon épouse, encouragé par mes fils Guillaume et Gausbert, appelés aussi
Arnauld et Bernard, et cédant aux conseils et aux supplications de l'un de mes
fidèles (2), nommé Frotaire,
(1) Nous n'avons trouvé ce
nom que dans cette charte.
(2) Fidèles, on appelait
ainsi ceux qui tenaient des terres en fief par le don du roi ou du comte, avec
obligation de foi et de service.
p. 267
je transporte de mon domaine au pouvoir de Dieu et de
saint Sour, le susdit lieu avec toute l'Abbaye qui en dépend: je donne aussi le
susdit lieu au seigneur abbé Adasius et aux moines qui voudront y vivre sous
son autorité et dans l'observance des saintes règles; voulant qu'ils tiennent
et possèdent, sans aucune contradiction, aussi bien le monastère que toute
l'Abbaye, et qu'après la mort de l'abbé dom Adasius ils puissent élire
eux-mêmes un autre abbé, conformément à la règle de saint Benoît. Mais que les
moines, qui voudront y vivre ensemble ne viennent dans ce monastère que pour
aimer Dieu, afin qu'ils s'appliquent à y servir Dieu et saint Sour, et que, dans
leurs prières, ils ne cessent de recommander à Dieu mon âme et celle de mon
épouse, et les âmes de mes fils. Qu'ils soient aussi récompensés de Dieu tous
ceux qui prendront la défense du susdit lieu et de ses habitants. Que, de leur
côté, les moines soient toujours soumis au roi, afin de pouvoir conserver ce
lieu
p. 268
à l'aide de sa protection, mais
non pour lui payer quelque tribut. Du reste, je supplie et j'adjure tous mes
proches et tous ceux qui habiteront ce monastère, tant présents qu'à venir, par
le nom redoutable de la Sainte-Trinité, comme par le mérite de saint Sour, dont
le corps repose dans le susdit lieu, que nul n'ose inquiéter les moines ou ce
qui leur appartiendra, ou en faire, en quelque manière que ce soit, sa
propriété. Que si quelqu'un, allant contre la volonté de Dieu, essaie de
s'emparer de son héritage, qu'il soit maudit par tout l'univers, qu'en outre il
encoure la colère de Dieu et en soit châtié. Mon Dieu, rendez celui-là comme la
roue qui tourne sans cesse, afin qu'il soit confondu dans les siècles des
siècles. Qu'il ne participe jamais à l'héritage de Dieu, à moins qu'il ne
vienne à se repentir de sa témérité; mais qu'il soit traité comme Pharaon, qui
répondit: Je ne connais pas de seigneur et je ne laisserai point partir Israël.
p. 269
Moi, comte Bernard, pour donner plus de force et plus de
foi à cette charte, ai voulu qu'elle fût signée de ma
propre main, de la main de mes fils et de mes fidèles. Seing de Bernard et de
son épouse, qui ont demandé, d'après les conseils de Frotaire, leur fidèle, que
cette charte fût dressée et confirmée, ― seing de Remnopse (Ranould),
évêque, ― seing de Guillaume, ― seing de Gausbert, ― seing de
Frotaire, ― seing de Abbachère, ― seing d'Hélie, ― seing
d'Hélie, ― seing de Hébrard, ― seing d'Etienne, ― seing de,
etc. (1). »
Plusieurs écrivains ont rapporté cette charte. Mabillon
lui donne la date de 940 (2); Baluze en cite un extrait dans son Histoire de
Tulle; on la trouve aussi dans l'Histoire du Béarn, par
(1) Biblioth. impériale, manuscrits de Claudius Estiennot, tom. IX, p.
402. Voir le texte de cette charte à la fin du volume, note D.
(2) Annal., tom. m, p. 419.
p. 270
Marca, page 220. Lespine pense qu'elle fut octroyée en
l'année 945 (1).
Adasius prit immédiatement possession de sa nouvelle
Abbaye, et s'appliqua à ramener les moines de saint Sour aux observances
religieuses que, par suite des malheurs du temps, ils avaient un peu négligées.
II.
940 ― 1200.
Adasius ne gouverna pas longtemps l'Abbaye de Terrasson,
car, selon la remarque de Lespine, il mourut peu d'années après l'avoir reçue
des mains du comte Bernard. Nous ne connaissons pas son successeur immédiat, et
il faut arriver jusqu'à la première année du douzième siècle pour trouver
quelque événement remarquable dans l'histoire de notre Abbaye.
(1) Biblioth. imp., fonds Lespine, vol. 77, fol. 24, 23, 27.
p. 271
Mais, avant, nous devons dire un mot d'une famille qui
nous apparaît, dès le onzième siècle, dans les chroniques, sous le nom de
Terrasson.
Évidemment, cette famille tirait son nom et, probablement,
son origine du lieu de Terrasson. Nous ne voyons cependant pas qu'elle y ait
eu, à aucune époque, quelque autorité seigneuriale, Terrasson ayant toujours
été, du moins quant à la ville, un fief ecclésiastique dont l'abbé du monastère
était seigneur justicier, direct et foncier.
Dès le onzième siècle, la famille Terrasson était alliée
aux vicomtes de Turenne; Boson, vicomte depuis 1074 jusqu'à 1091, avait épousé
une Comptor de Terrasson (1), et, conjointement avec elle, il faisait donation
à l'Abbaye d'Uzerche d'un alleu, près du château de Turenne, et de plusieurs,
manses. Geraud de Mausac, abbé de Terrasson, est cité comme témoin de l'acte de
donation, qui est de l'année 1074. Nous
(1) Justel, Preuves de
l'Histoire de la maison de Turenne, p. 269, ch. 10.
p. 272
trouvons dans la même charte
trois frères Comptor de Terrasson: Geraud, Bernard et Pierre (1). Le nom de la
famille Terrasson nous apparaît encore dans une charte de l'abbaye de Vigeois:
« un Frotaire de Terrasson, conjointement avec Ode, sa femme, pour le salut de
son âme et de l'âme de son père, abandonne, par testament, à Dieu et à
Saint-Pierre-de-Vigeois, dont Astier est abbé, l'église de Bassiac, deux manses
situées dans 1e même lieu, tout ce qui appartient à la terre de Saint-Pierre
dans Haute-Faye, trois manses et une borderie dans Javerlhiac, quatre manses et
demie dans le village d'Anglars, une manse et demie dans le village de
Pedrillac, six manses dans le village de Barziac, une manse inculte dans le
village de Tellelon, une manse dans le village de Sellaur, une manse dans le
village de Colombes, situé proche de Voutezac. »
(1) Quelques auteurs ont
voulu voir dans le mot Comptor la désignation d'une dignité. C'était le nom
patronymique de la famille Terrasson.
p. 273
Lespine, qui rapporte cette charte d'après les manuscrits
de Baluze et de Gagnières, croit que « la date en est introuvable. Il faudrait,
dit-il, savoir dans quel temps vivait Asterius, abbé de Vigeois, et personne
que je sache n'a pu parvenir jusqu'à présent à le découvrir. Serait-il le même
qu'Astidius, abbé de Vigeois, neveu de saint Yrier (1)? » Dans ce cas, la
famille des Terrasson remonterait jusqu'à l'origine de notre ville.
Baluze cite encore, sans indication de date, un abbé du
monastère de Tulle, du nom de Raymond de Terrasson, « de la noble famille,
dit-il, de Terrasson, sur les confins du Limousin et du Périgord, et dont
plusieurs monuments anciens se voient dans les cartulaires de Tulle, d'Uzerche
et de Vigeois (2). »
Il n'est plus question, dans nos chroniques, de cette
famille à partir du XIIe siècle. Peut-être
(1) Biblioth. imp., manuscrits Lespine, vol. 77, fol. 17.
(2) Baluze, Hist. de Tulle. ―
Mss. Lespine, vol. 94, fol. 267.
p. 274
quitta-t-elle le pays et est-ce
la même que nous retrouvons à Lyon dans la seconde moitié du XVIIe
siècle, et qui a produit des hommes illustres dans la chaire, les sciences, et
le barreau (1). Les donations considérables que faisait la famille Terrasson et
son alliance avec la maison de Turenne, nous prouvent sa puissance aux XIe
et XIIe siècles. Nous remarquerons aussi que le monastère de Vigeois
conservait encore, au XIIe siècle, dans nos contrées, toute l'influence
qu'il y avait acquise au VIIe, dans la personne de son abbé
Astidius. Outre les biens immenses que ce monastère recevait de la famille
Terrasson, nous voyons qu'au Xe siècle, sous le régne de Lothaire,
roi de France, il recevait, par testament de Duitran-du-Terral, l'église de
Saint-Pierre-de-Grèzes, dans la viguerie de Chavagnac, à quelques lieues
seulement de Terrasson (2), et vers la fin du XIIe siècle, sous le
règne de
(1) Voir le Dictionnaire de
Feller, au mot Terrasson.
(2) Biblioth. imp., Mss. Lespine, vol. 77, fol. 30,
p. 275
Philippe-Auguste, trois manses, situées à la Garrigue,
dans la même viguerie de Chavagnac, avec toutes leurs dépendances, que Geoffroi
de Salagnac donnait pour le salut de son âme, de l'âme de son père et de l'âme
de sa mère (1).
Il est bien probable que notre Abbaye avait sa part dans
toutes ces donations que faisaient les seigneurs du voisinage au monastère de
Vigeois; mais les chroniques ne nous en ont pas conservé le souvenir. Du reste,
ces mêmes chroniques, ainsi que nous l'avons remarqué, se taisent sur notre
Abbaye pendant tout le XIe siècle; et jusqu'à la première année du
XIIe, elles ne nous donnent, après Adasius, que les noms de trois
abbés: Adémard, Geraud de Mausac et Geraud de Courtallier. A ce dernier succéda
Adémard de Saint-Rabier (à sancto Riberio), nommé en 1101.
A cette époque, la régularité de Cluny avait été
introduite dans le monastère de Saint-Mar-
(1) Biblioth. imp., Mss Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 255.
Gerald ou Geraud, abbé de Saint-Sour, est cité comme témoin dans l'acte qui
établit cette donation.
p. 276
tial de Limoges, et y florissait
sous la conduite de l'abbé Aymard ou Adémard, qui avait apporté la réforme dans
plusieurs monastères de la province.
La discipline monastique laissait encore beaucoup à
désirer dans celui de Terrasson, lorsque Adémard de Saint-Rabier en prit le
gouvernement. Mais cet abbé avait l'esprit de son état, et comprenait que la
vie du cloître ne peut être la vie du monde, même le plus religieux; il entreprit
de ranimer la ferveur des premières années parmi les disciples de saint Sour.
Pour mieux atteindre ce but, il appela à son secours l'abbé de Saint-Martial,
et lui fit soumission de sa personne et de son Abbaye, à lui et à ses
successeurs, le priant d'y corriger ce qu'il y trouverait de défectueux. L'acte
de soumission portait que les dignitaires de l'Abbaye de Terrasson, tels que le
prieur, le sacristain, le cellérier, le maître d'école, seraient pris parmi les
moines de Saint-Martial.
Il est dit que cette démarche d'Adémard de
p. 277
Saint-Rabier fut louée par Raymond, vicomte de Turenne,
favorisée par Gui de Lastour, qualifié, dans la chronique, du titre de prince
du château de Terrasson (princeps Terracinensis castri), et confirmée par
Raymond, évêque de Périgueux (1).
Nous devons dire un mot, comme éclaircissement historique
de ce fait, des personnages cités dans le texte de Geoffroi-de-Vigeois y que
nous reproduisons en note (2).
Gui de Lastour, connu aussi sous le nom de Gouffier, était
le troisième descendant direct de Gui ou Guidon de Lastour qui, en 1026, après
s'être ligué avec Hélie II, comte de Périgord, et
(1) Chronique de
Geoffroi-de-Vigeois, dans le P. Labbe.
(2) Anno 1101 Dominicae
Incarnationis, Ademarus de S. Riberio, Terrassonnensis abbas, qui duobus
Geraldis de Mausaco et de Courtallie, abbatibus, successerat, sponte se
ordinationemque sui monasterii Ademaro, abbatti s. Martialis ejusque
successoribus tradidit, ut errata corrigeret, priorem, sacristam, cellerarium,
magistrum scholae ex monachis s. Martialis semper haberent. Acta sunt haec,
Raymundo de Turenna vicecomite laudante, et Guidone de Turribus,
Terrassonnensis castri principe, favente, Raymundo quoque praesule Petracorensi
confirmante.
p. 278
Ebles I, vicomte de Turenne, ravagea les terres d'Adémard
I, comte de Ségur, dépouilla ce comte du fief de Pompadour, et, pour se
défendre de ses attaques, y fonda un château fort qui fut appelé castrum de
Turribus, camp retranché des Lastour.
Nous apprenons, par le même chroniqueur de Vigeois, que,
dès l'année 1000, la principauté (principatum) des Lastour s'étendait sur
Terrasson, Hautefort et tout le pays, circonvoisin, excepté les églises et les
municipes de ces pays; mais nous ne savons comment ces seigneuries étaient
passées en leur pouvoir. Quoi qu'il en soit, cette remarque nous explique
l'intervention de Lastour dans l'acte qui nous occupe. La suzeraineté des
vicomtes de Turenne s'étendait jusque sur le territoire de Terrasson, qui ne
fut réellement distrait de la vicomté qu'en 1251, par jugement de la reine
Blanche de Castille. Mais cette suzeraineté avait dû faiblir, beaucoup devant
la puissance des Lastour; aussi
p. 279
Raymond de Turenne semble-t-il n'être nommé dans cet acte,
que comme un honorable voisin dont on veut ménager la susceptibilité, mais dont
on se contente de mériter là louange (laudante).
Quant à Raymond, évêque de Périgueux, qui vient confirmer
la soumission d'Adémard de Saint-Rabier, il est cité, dans la
Gallia-Christiana, comme ayant succédé, en 1101, à l'évêque Raymond de
Thiviers. Il pouvait être de la famille des comtes de Périgord.
Le monastère de Terrasson n'avait pas été le seul à se
soumettre au monastère de Saint-Martial; Uzerche et Vigeois avaient reçu dans
leur sein des abbés choisis par le réformateur Adémard.
Mais nous voyons que les abbés de Saint-Martial exerçaient
leur suprématie sur les abbés qui étaient dans leur dépendance, avec une
autorité quelquefois peu tolérable. Geoffroi-de-Vigeois nous a conservé les
détails d'une humiliation qu'eut à subir un abbé de Terrasson, en
p. 280
l'année 1144. Bernard, surnommé
Vicaire, avait succédé à Adémard de Saint-Rabier. Il eut l'air de méconnaître
l'autorité d'Albert, abbé de Saint-Martial, il ne tarda pas à s'en repentir.
Albert l'appela à Limoges. Là, en présence du Chapitre assemblé, il ordonna à
l'abbé insoumis de déposer la crosse abbatiale, et, le remettant au rang des
simples moines, il l'envoya s'asseoir avec eux du côté du midi. De plus, il lui
défendit de dépasser la porte du cloître sans son expresse permission. Bernard
s'humilia et fit des excuses, et Albert, ayant reçu la satisfaction qu'il
désirait, et cédant aux conseils de Pierre, abbé de Saint-Augustin, aussi de
Limoges, consentit à réintégrer Bernard dans sa première dignité. Il lui
permit, après quelque temps de pénitence, de retourner à son monastère, lui
rendant le prieur et le cellérier, pris, selon l'usage, parmi les moines de
Saint-Martial (1).
(1) Chronique de
Geoffroi-de-Vigeois, dans le P. Labbe. Le P. Bonaventure, Hist. de Saint-Martial,
t. II, p. 585. ― Claudius Estiennot. ― Gallia-Christiana.
p. 281
L'abbé Bernard avait supporté son humiliation sans se
plaindre et avec toutes les marques d'un sincère repentir; mais il n'en fut pas
ainsi des moines de Terrasson: ils se trouvèrent offensés dans la personne de
leur supérieur, et le même Geoffroi nous apprend qu'après la mort de ce Bernard
Vicaire, qui vivait encore en 1154, ils secouèrent le joug de l'abbaye de
Saint-Martial et se déclarèrent indépendants. Le même écrivain ajoute que
l'indépendance ne leur fut pas avantageuse, « car, dit-il, dès ce moment, ils
manquèrent de tout, tandis que, auparavant, ils étaient dans l'abondance de
toutes choses. »
En effet, un grand prestige s'attachait à la dignité
d'abbé de Saint-Martial, et les seigneurs féodaux, soit par respect, soit par
crainte, n'osaient trop se risquer à entreprendre quelque acte de déprédation
contre cet abbé ou ceux qui lui étaient soumis. Le chroniqueur de Vigeois a
voulu dire, sans doute, que ces mêmes seigneurs, voyant les moines de Terrasson
privés de cet ap-
p. 282
pui, en furent plus hardis à les
persécuter, à leur faire subir toutes sortes de vexations.
Quoique nos moines se fussent déclarés indépendants, ils
ne cessèrent pas tout rapport avec le monastère de Saint-Martial; il est même permis
de croire que des tentatives furent faites par Gérald, successeur médiat de
Bernard, pour ramener les disciples de saint Sour sous l'obéissance des
disciples de saint Martial. Cet abbé entretenait des relations d'intime
confraternité avec Isembert, abbé de Limoges, et se considérait comme faisant
partie des moines de Saint-Martial. En reconnaissance, Isembert voulut que
Gérald pût participer au trentenaire de messes qu'Albert, le même dont nous
venons de parler, avait institué pour tout religieux de Saint-Martial, en
quelque lieu qu'il mourût (1). Voici, en effet, ce que nous lisons dans le
nécrologe et le martyrologe de Saint-Martial: « Sachent tous présents et à
venir que Dom Isembert a, du
(1) Le P. Bonaventure, Hist.
de Saint-Martial, t. II, p. 395,
p. 283
consentement et de l'expresse
volonté de tout le Chapitre, accordé à Dom Gérald, abbé de
Saint-Sour-de-Terrasson, la faveur du trentenaire, et veut que, dès la première
nouvelle qu'on aura de la mort de cet abbé, on inscrive son nom dans le martyrologe,
parce qu'il fait partie des moines de Saint-Martial et a toujours été un fils
dévoué de notre Institut (1). »
Nous n'avons point la date de cet arrêté d'Isembert, mais
nous savons que cet abbé gouverna Saint-Martial depuis l'année 1177 jusqu'à l'année
1198.
Avant de quitter ce douzième siècle, nous devons constater
un fait qui résulte de l'aspect archéologique de notre église.
Nous avons dit que les comtes de Périgord
reconstruisirent, vers la fin du neuvième siècle, le monastère de Terrasson. Il
est probable qu'une église, partie essentielle de tout monastère, fut
(1) Martyrologe et nécrologe
de Saint-Martial à la Bibliothèque imp.
p. 284
construite à la même époque. Elle
devait avoir le caractère des basiliques latines, et le bois pouvait dominer
dans sa construction. Mais cette église, dont il n'existe aucun vestige,
fut-elle détruite par un incendie ou par le fait de la propre volonté des
moines, dans le but d'avoir un édifice plus en rapport avec l'importance du
monastère? Nous l'ignorons. Toujours est-il que les moines de Saint-Sour
construisirent une église, pour les besoins de leur monastère, vers le milieu
du douzième siècle. Cette église, romane de transition, fut détruite dans le
quatorzième; siècle, ainsi que nous aurons lieu de le constater; mais il en
existe quelques fragments dans le pignon du transept sud de l'église actuelle.
Ce qui en reste indique un large plan avec des matériaux de mauvaise qualité on
y voit les traces d'une parcimonie peu commune aux constructions de cette époque.
Elle s'explique: ce n'étaient plus le roi Gontran ou les comtes de Périgord,
mais les moines seuls, qui faisaient les frais du nouvel édifice, et encore ne
p. 285
purent-ils parachever leur oeuvre sans se grever de dettes
considérables, et nous voyons que pour les payer ils furent obligés de vendre,
en 1178, à l'abbaye de Dalon (1), trois manses et deux borderies (2), Les
cartulaires de Dalon nous apprennent, en effet, que cette abbaye, ayant Jean Ier
pour abbé, fit l'acquisition de manses et de borderies importantes, entre
autres des borderies de Lasvignas, aujourd'hui Loubignac, qu'on doit supposer
être celles que vendit l'Abbaye de Terrasson (3).
III
1201 ― 1300.
En ouvrant cette période, nous assistons à la lutte
engagée par le Périgord et le Bas-Limousin
(1) Dalon, Dalonium, du nom
d'un petit ruisseau qui coule auprès, autrefois dans le diocèse de Limoges,
mais aujourd'hui dans celui de Périgueux. Cette abbaye fut fondée, en 1114, par
Geraud de Salles, gentilhomme du Périgord. Ce qui reste des bâtiments prouve
son importance.
(2) Tres mansos et duas
bordarias. Gallia-Christiana.
(3) Gallia-Christiana.
p. 286
contre les Albigeois; sainte
croisade publiée par le pape Innocent III, et dont Simon, comte de Montfort,
fut général. Si ces hérétiques, qui pillèrent, et détruisirent dans notre pays
tant d'églises et de monastères, portèrent leurs mains rapaces sur l'Abbaye de
Terrasson, les chroniqueurs de l'époque n'ont pas cru devoir nous en parler.
Nous voulons croire qu'elle se reposait dans les douceurs de la paix, et nous
la voyons s'élever et grandir, aux yeux de L'Eglise, dans la personne de ses
abbés, dont plusieurs reçurent des commissions spéciales et de haute confiance
de la part du Saint-Siège. Les faits que nous allons raconter ne sont donc que
des faits, pour ainsi dire d'intérieur, et auxquels les agitations du monde ne
prirent aucune part.
Nous ne trouvons plus dans ce treizième siècle la
puissance des Lastour, s'étendant jusque sur le territoire de Terrasson; mais,
dès l'année 1224, nous voyons reparaître l'autorité des vicomtes de Turenne, et
encore n'avait-elle pas des limites bien certaines, car quelques discussions
s'élevè-
p. 287
rent pour droits de suzeraineté
entre Ramond, abbé de Saint-Sour, et Raymond, vicomte de Turenne. Un accord fut
fait et signé au lieu de Larche, et « le vicomte jura que par la suite il
n'empêcherait l'abbé en aucune chose que ce fût, et que les moines, les
bourgeois et les autres habitants de Terrasson seraient assurés en toute la
terre de la vicomté (1). »
C'est à cette même époque, 1223, que Lespine (2) fixe la
date, mais, elle peut être contestée, d'une charte mémorable pour l'histoire de
notre pays, et que l'on voit encore aux archives de l'Empire, revêtue des
sceaux des grands dignitaires ecclésiastiques du Périgord. Nous vou-
(1) Biblioth. imp., Mss Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol.
257-254. ― En 1771, Leydet, qui travaillait à une histoire du Périgord. visita les archives de notre Abbaye et dressa un catalogue
analytique de tous les papiers qui s'y trouvaient. Ce catalogue et d'autres
notes du même Leydet sur Terrasson forment le 12e volume de la
collection des manuscrits de Leydet, Prunis et Lespine. Lespine a transcrit
littéralement les notes de Leydet; sa copie forme le 35e volume de
la collection. C'est sur cette copie que nous prenons nos documents. Ils auront
ainsi auprès de notre lecteur la double autorité de Leydet et de Lespine.
(2) Fonds Lespine, vol. 27,
fol. 196 et 200.
p. 288
lons parler d'une supplique
adressée par l'évêque et les abbés de la province au roi de France pour lui
demander l'envoi d'un sénéchal. L'abbé de Terrasson figure le cinquième parmi,
les signataires. On y voit le sceau et le contre-scel de cet abbé, qui devait
être alors Ramond. Nous en donnons le dessin et la description à la fin du
volume.
Nous arrivons à l'année 1236 et, pour la première fois,
nous trouvons une autorité civile, un consulat municipal à Terrasson. Une
discussion s'élève entre les religieux de l'Abbaye et les Consuls et bourgeois,
de la ville, et nous voyons intervenir par trois
sentences, en faveur, de ces derniers, l'évêque de Périgueux et l'archevêque de
Bordeaux. Malheureusement, l'abbé Leydet, en dressant le catalogue des archives
de l'Abbaye, ne nous a laissé que l'indication des pièces qui devaient nous
donner sur cette importante discussion des éclaircissements certains. Mais
cette indication nous dit que les trois sentences de l'évêque de Périgueux et
de l'archevêque de
p. 289
Bordeaux furent pour le regard et
la conservation des consuls et autres officiers (1). Ces quelques mots nous
font présumer assez le sujet de la discussion, l'histoire et les coutumes
féodales peuvent nous aider à l'expliquer. Terrasson ne fut, primitivement et
jusqu'au neuvième siècle, qu'une propriété ecclésiastique, formée par les
travaux agricoles de saint Sour et de ses disciples. De grandes parts de ces
terres défrichées et assainies par les moines, avaient été sans doute
délaissées au peuple, mais à charge de rentes et de redevances au profit de
l'Abbaye. Terrasson devint donc un fief, lorsque, vers le neuvième siècle,
toutes les terres, les villes et les bourgs furent régis par le droit féodal,
et l'abbé et les religieux du monastère acquirent ainsi les droits et le rang
de seigneurs féodaux de leurs domaines. Trois siècles après, arrivaient, sous
l'impulsion de la monarchie, les affranchis-
(1) Biblioth. imp., Mss Leydet, fonds Lespine, vol. 35, fol. 257 et suiv.
p. 290
sements des communes et les
institutions des consulats municipaux. Mais il est bien avéré que tous les
seigneurs des grands et des petits fiefs ne suivirent pas, au commencement du
douzième siècle, l'exemple du pouvoir royal, ou ne subirent pas sa pression;
quelques-uns n'affranchirent point leurs communes, ou ils ne leur octroyèrent
leurs chartes de manumission que beaucoup plus tard, et souvent avec certaines
restrictions et réserves, comme le remarquent les Bénédictins de Saint-Maur
(1).
Mais au treizième siècle l'impulsion était générale,
irrésistible; excitée, tantôt ouvertement, tantôt secrètement, par la reine
Blanche de Castille, dont la politique tendait à la centralisation du pouvoir
dans les mains royales, à l'anéantissement de la féodalité. Dès-lors, bien des
villes et des bourgs, profitant de quelques déclarations ambiguës, souvent extorquées,
de leurs seigneurs, s'érigèrent d'eux-mêmes en commune et
(1) Art de. vérifier les dates, tome V, p. 518.
p. 291
organisèrent leur consulat
municipal. De là, entre les seigneurs et les tenanciers, de fréquentes
discussions dont on trouve de nombreuses traces dans nos anciens chroniqueurs;
et presque toujours l'autorité royale était là pour, faire pencher la balance
en faveur des communes. Bien des causes de ce genre furent même décidées ainsi
sur des titres qui étaient l'oeuvre d'habiles faussaires.
Dans la question qui nous occupe, nous voyons que le
consulat municipal était déjà établi à Terrasson en 1236; mais il est probable
qu'il avait été fondé à l'aide d'un des moyens que nous venons de signaler, et
contrairement à la volonté ou sans l'initiative du seigneur féodal, abbé du
monastère. Celui-ci dut maintenir ses droits, son autorité, ses privilèges, et
demander à la commune en vertu de quelle charte d'affranchissement elle s'était
constituée. Cette charte, si elle existait, dut être chaudement discutée; et
les deux parties apportèrent une grande opiniâtreté à maintenir leurs droits
respectifs, puisque trois
p. 292
sentences des juges
ecclésiastiques furent nécessaires pour terminer les débats. Mais, enfin, les
religieux se virent déboutés de leurs prétentions, et la ville conserva son
rang de commune, son consulat municipal et les autres officiers.
On ne doit pas s'étonner de voir pour juges de ce
différend l'évêque du diocèse et le métropolitain. Il s'agissait, en effet,
d'un fief ecclésiastique qui n'était pas de la mouvance directe de la Couronne.
Ces sortes de contestations, qui intéressaient le domaine de l'Eglise, se
décidaient toujours devant les évêques et plus souvent dans les conciles
provinciaux, alors que les parlements n'étaient pas encore organisés. « Il
était même assez ordinaire à la piété de ce siècle, remarque le P. Dupuy, de
déférer la décision des affaires temporelles aux ecclésiastiques; » et il cite
l'exemple d'Archambaud, comte de Périgord, qui ayant différent avec les magistrats
de la nouvelle ville de Périgueux sur leurs jurisdictions nomment avec plein
pouvoir décisif le Père Prieur des Jacobins et
p. 293
Estienne de Juvenals, » sans doute un autre religieux (1).
Quelques années après cet accord entre les religieux et les
habitants de Terrasson, l'Abbaye voyait s'accroître son domaine; « l'abbé
Hugues de Laroche acquérait, en 1241, du sieur de Saint-Geniès, nommé Aymar
Doulfy, frère de feue dame Grèze, une salle appelée Del-Fraysse, cour, jardin,
puits et ses appartenances, situées aux appartenances de Lavernha, près
Terrasson (2). »
Nous sommes en l'année 1251, et nous assistons au partage
de la Vicomte de Turenne, fait par jugement de la reine Blanche de Castille.
Raymond IV, vicomte de Turenne, n'avait laissé en mourant
qu'une fille, mariée à Hélie Rudel, seigneur de Bergerac. Aussi son frère,
Raymond V, seigneur de Servières, s'était-il empressé de se mettre en
possession de la Vicomté.
(1) Estat de l'Eglise du
Périgord, tome II, p. 97.
(2) Biblioth. imp., Mss Leydet, fonds Lespine, vol. 35 fol. 257.
p. 294
Mais Hélie Rudel fît valoir les droits de sa femme. La
contestation, fut terminée par Blanche de Castille, qui divisa la Vicomté et
adjugea à Hélie Rudel les seigneuries de Ribeyrac, d'Espéluchat, de Montfort,
d'Alhiac, de Carlux, de Creisse, de Larche, de Terrasson, de Jayac, de
Lacassagne, et les hommages que l'abbé de Sarlat rendait au vicomte de Turenne
(1). On voit dans ce partage la politique, toujours la même, de la reine
Blanche, tendant à l'extinction de la féodalité. Ne pouvant anéantir la
puissance des Turenne, cette princesse fut heureuse de l'affaiblir en divisant
la Vicomté.
Quoique la seigneurie de Terrasson fut adjugée au seigneur
de Bergerac, l'Abbaye n'en resta pas moins sous la suzeraineté des vicomtes de
Turenne quant au droit d'hommage, et nous verrons que cent ans encore plus
(1) Biblioth. imp., Mss Leydet, fonds Lespine, Vol. 35, fol. 257.
p. 295
tard cet hommage leur était rendu
par nos abbés (1).
Nous devons rapporter ici deux commissions données à
l'abbé de Terrasson par le Saint-Siège, et qui nous prouvent bien de quelle
considération cet abbé jouissait.
Hélie, abbé du monastère de Saint-Martin de
(1) Nos documents nous
fournissent, à la suite de ce partage et sous la date de 1232, un testament
assez remarquable d'un chapelain d'Auberoche. L'Abbaye de Terrasson y figure
pour un legs de II sols de la monnaie de cette époque. Comme ce testament
intéresse plusieurs localités du Périgord, nous en citerons ici un extrait, tel
que nous le trouvons dans les papiers de Leydet et Lespine:
« Testament d'un chapelain
d'Auberoche, de l'an 1232, qui donne X sols au pape subsidio Terrae Sanctae, à
l'archev. de Bourges X sols, à l'archev. de Bordx V sols, V sols à l'évêque de Périgueux, XX sols au
bienn. St-Etienne de Périgx, etc. Dono et lego ad opus ecclesiae Fratrum
Praedicatorum Petragorarum centum solidos, ad refectionem eorumdem XX solidos,
et ad opus ecclesiae sancti Antonii XX solidos, ac ad opus ecclesiae de Born XX
solidos, et ad opus cujusdam calicis in ecclesia de Blis XX solidos Abbatiis
Tusturiacensi, Sarlatensi, de Boschau, Brantolomensi, Terracinensi,
Sancti-Amandi, Liguriensi, Albugensi, Fontisgolferii, Sancti-Asterii,
Albaterrae, Petrozae, Cadunii, Dalonii, unicuique harum II solidos. Prioratibus
de Peirat, St-Cyprien, Larochebeaucourt, St-Jean-de-Côle, de Guandalmai, ad
oleum lampadarum Beatae Catharinae de Cancellata IV solidos. (Acte passé ante
januam monasterii, sancti Stephani, intus clocharium, à Périgueux. Cartul.
Cancellat., fol. XV, verso). » ― Mss Leydet, fonds Lespine, vol. 94, fol.
141.
p. 296
Tulle, « s'était plaint auprès du Saint-Siège que son
monastère se trouvant au milieu d'un peuple turbulent et indomptable, il ne
pouvait jamais y être en paix, ni se livrer aux paisibles études de son état,
et avait témoigné le désir de se démettre de sa charge. » Le pape Innocent IV,
par une bulle du mois d'août 1253, chargea l'abbé de Terrasson, alors Hugues
Laroche, « de recevoir, au nom du Saint-Siège, la démission d'Hélie, lorsque
cet abbé, désireux de jouir d'une vie paisible, voudrait, pour de justes
raisons, abandonner le gouvernement de son monastère. » La bulle prescrivait
aussi à l'abbé de Terrasson « de faire donner à Hélie, sur les revenus de
Saint-Martin, une provision convenable, et d'enjoindre aux moines de procéder,
selon les règles canoniques, à l'élection d'un autre abbé (1). » La seconde
commission était en faveur de Hugues Lassale, recteur de l'église de
Saint-Hilaire,
(1) Archives du Vatican, regre
coté Innocent IV, Bullar., an. XI, XII tom. III, fol. 2,
p. 297
dans le diocèse de Limoges. Cet «
honorable prêtre, par ses vertus personnelles, son dévouement, sa fidélité, sa
soumission au Siège Apostolique, son affection pour la personne du Souverain
Pontife, » avait mérité les faveurs de la cour de Rome; Innocent IV voulut le
récompenser. Une huile, donnée à Assise et portant la date du deuxième jour des
kalendes d'octobre 1253, fut adressée à l'abbé de Terrasson; elle lui ordonnait
« de pourvoir Hugues Lassale d'une provision, dans toute église du diocèse de
Périgueux ou du diocèse de Limoges, que ce prêtre voudrait accepter; de l'y
faire recevoir, en vertu de l'autorité du Saint-Siège, comme chanoine, et
traiter comme frère, et de lui assigner ou faire assigner une prébende, dès qu'une
vacance le permettrait (1). »
C'est ainsi que les souverains pontifes distinguaient et
honoraient de leur confiance les abbés de Saint-Sour.
(1) Archives du Vatican, regre
coté Innocent IV, Bullar., an. XI, XII, tome III, fol. 114.
p. 298
Cet Hugues Laroche dont il est question dans ces deux
bulles gouverna longtemps l'Abbaye de Terrasson; nous le trouvons depuis 1241
jusqu'en 1279. A cette dernière date, il figure dans une charte émanée de
Guillaume, abbé de Dalon, et conservée aux archives de l'Empire. On voit sur
cette charte le sceau et le contre-scel de l'abbé de Terrasson. Nous en donnons
le dessin et la description à la fin du volume (1).
Ce même Hugues Laroche eut à soutenir, en 1276, les droits
attaqués de son Abbaye. Raymond IV de Turenne, dont nous avons déjà parlé,
avait constitué, en faveur de l'Abbaye de Terrasson, une rente annuelle de six
livres. Cette rente devait, sans doute, affecter les héritiers directs de
Raymond, car le droit en fut contesté par Marguerite de Turenne, petite-fille
de Raymond, femme d'Alexandre de La Pébrée, seigneur de Bergerac. Les parties
choisirent pour juge ou arbitre du différend Hélie
Gauthier, cha-
(1) Archives de l'Empire (J.
397, n° 8).
p. 299
noine de l'église cathédrale de
Périgueux, qui prononça en faveur de Marguerite de Turenne. L'abbé et les
religieux de Terrasson durent renoncer, à perpétuité, à cette rente. L'accord
fut fait à Terrasson, le 11 des kalendes de février 1276, et, pour en garantir
l'exécution, les parties se donnèrent mutuellement des lettres scellées de
leurs sceaux, des sceaux de l'évêque de Périgueux, de l'évêque de Limoges, et
des nobles hommes le vicomte de Turenne et le chevalier Hélie Rudel, celui-ci
fils de Marguerite (1).
Mais, quelques années plus tard, l'Abbaye se trouvait dédommagée
de la perte de cette rente: Archambaud III, comte de Périgord, lui léguait une
rente annuelle de dix sols, par son testament daté du dimanche avant la fête de
la Nativité de la Sainte-Vierge, 1295 (2).
Nous avons parlé de Terrasson passé à l'état
(1) Justel, Preuves du 1er
livre de l'Histoire de la maison de Turenne.
(2) Archives de Pau, ch. XI,
coté Testament, n° 3, Invent. de Montignac, fol. 205.
p. 300
de commune; nous devons dire un mot des établissements de
bienfaisance que la ville possédait au treizième siècle; nous les trouvons
rappelés dans un testament, de 1260, d'Hélène, veuve du chevalier Viguier,
testament recueilli par Leydet dans la cassette des archives du château du
Fraysse (1),
Nous y voyons, en premier lieu, cet antique hôpital, ou
Xenodochium, fondé par le roi Gontran en reconnaissance de sa guérison
miraculeuse. Hélène Viguier veut que le jour de sa mort il soit distribué à
chaque pauvre de cet hôpital une ration de pain et de vin.
La lèpre, maladie assez commune en France dans les sixième
et septième siècles, y reparut au douzième par suite du contact des Croisés
avec les populations de l'Orient. A ce douzième siècle, comme le remarque un
auteur que nous aimons à citer (2), « remonte la fondation de la plupart
(1) Voir ce testament à la
fin du volume, note E.
(2) M. Phil. de Bosredon. Note sur les biens des anciennes Maladreries.
p. 301
de ces établissements de
bienfaisance, connus sous le nom de Léproseries ou Maladreries, créées par les
rois, les seigneurs ou les communautés d'habitants, et que la piété des fidèles
avait enrichies de dotations considérables. »
La ville de Terrasson ne fut pas exempte de la maladie
commune; mais aussi elle eut son hôpital ou sa Maladrerie pour les lépreux.
Hélène Viguier veut que le jour de sa mort il soit distribué à chaque lépreux
une ration de pain et de vin.
Nous n'avons aucun indice qui nous fasse soupçonner le
lieu où fut cette Maladrerie; mais il est probable qu'elle était un peu
éloignée de la ville et près de la Vézère. Le chemin qu'on appelle encore
aujourd'hui Chemin de l'Hospitalière pouvait peut-être y conduire.
Hélène Viguier ne bornait pas ses pieux dons à ces deux
établissements: l'évêque de Périgueux, les églises de Saint-Front et de
Saint-Etienne, les Frères-Mineurs de Montignac, les
p. 302
Frères-Prêcheurs de Périgueux, les Frères de Bonnefont, avaient part à ses libéralités. Elle nommait pour exécuteurs
testamentaires l'abbé de Terrasson et Pierre Lacomba, chapelain du même lieu,
et leur donnait pour conseillers le prieur des Frères-Prêcheurs de Périgueux et
le gardien des Frères-Mineurs de Montignac. Nous trouvons au nombre des témoins
le prieur des Frères-Prêcheurs de Terrasson. Le mot Terrasson doit être là sans
doute par une erreur du copiste, car nous n'avons pas d'autre indice, à aucune
époque, d'un établissement de Freres-Prêcheurs à Terrasson.
Tels étaient, outre l'Abbaye, asile naturel de tous les
malheureux, les établissements de bienfaisance que possédait notre ville dans
le treizième siècle. On le voit, la pratique des oeuvres de charité est
ancienne chez nous.
Telles étaient aussi, à cette époque, les dispositions
testamentaires de tout chrétien; jamais la part de l'indigent n'y était
oubliée. L'héritage du père porte bonheur à l'enfant lorsqu'il lui
p. 303
arrive béni par la prière et la
reconnaissance du pauvre.
IV.
1301 ― 1401.
Nous ouvrons cette période par une visite pastorale que
fit à l'Abbaye de Terrasson l'archevêque de Bordeaux, Bertrand de Gouth, qui
fut pape sous le nom de Clément V, et qui, un an avant sa promotion au
Souverain Pontificat, entreprit la visite générale de tous les diocèses de sa
province ecclésiastique. Nous nous dispenserons d'apprécier les motifs de cette
visite: ils ont été diversement interprétés. Quelques-uns n'ont vu dans la conduite
du prélat que l'impulsion du zèle; d'autres y ont trouvé des motifs de
cupidité.
Bertrand de Gouth arriva à Terrasson le 8 octobre 1304,
venant de visiter le monastère de Saint-Amand-de-Coly. Il fut reçu par les
moines de l'Abbaye avec les honneurs dus à son carac-
p. 304
tère et à sa dignité. De
Terrasson, il envoya des visiteurs au prieuré de Saint-Léonard et à la
commanderie de Ladornac; mais ils n'y furent pas reçus. Il en fut ainsi dans
beaucoup d'églises et de monastères, qui ne reconnaissaient point à
l'archevêque ce droit de visite, et ne voulaient point s'assujétir aux charges
qu'il imposait. Dans quelques lieux même, on alla jusqu'à maltraiter les
délégués du métropolitain. Celui-ci s'en vengeait en lançant contre les
réfractaires les censures de l'Eglise. Ainsi fut excommunié, avec ses
complices, le prieur de Cénac « à cause de la violence qu'il avait usé avec
armes et violent injure faits avec effusion de sang » à l'égard de Me
Hélie de Bosco, chapelain de l'archevêque (1).
Après cette visite, qui fut un événement aussi inattendu
qu'inusité, non-seulement pour l'Abbaye de Terrasson et le diocèse de
Périgueux,
(1) Archives de l'Archevêché
de Bordeaux. ― Livre-journal de Bertrand de Gouth.
p. 305
mais pour tous les diocèses qui
formaient la province ecclésiastique de Bordeaux, les chroniques ne nous ont
rien conservé de remarquable au sujet de notre Abbaye dans les premières années
du quatorzième siècle; et les documents que nous avons recueillis n'ont trait
qu'à la succession des abbés et à des événements de peu d'importance.
Toutefois, ces documents sont précieux à conserver, parce qu'ils composaient
les archives de notre Abbaye; nous les rappellerons ici sommairement dans leur
ordre chronologique. Du 17 juillet 1318, bulle du pape Jean XXII, datée
d'Avignon, portant lettres de provision pour Pierre I de Ferrières, moine de la
Grande-Sauve, dans le diocèse de Bordeaux, et nommé à l'Abbaye de Terrasson, vacante
par la mort d'Hélie, de bonne mémoire. La bulle était accompagnée de lettres de
recommandation pour les moines de Saint-Sour et les vassaux du monastère (1).
(1) Archives du Vatican, A.
B., registre n° 8 du pape Jean XXII, an 2, fol. 512.
p. 306
Du 11 août 1318, reconnaissance de Dom Pierre, abbé de
Terrasson, qui s'engage à payer au Saint-Siège, moitié à la fête de la Nativité
et moitié à la fête de la Résurrection de N.-S., 300 florins d'or pour le
service commun (la taxe ordinaire) de l'Abbaye (1).
Du 10 des kalendes de février 1319, bulle du pape Jean
XXII, datée d'Avignon, portant collation de la prévôté de Saint-Julien de
Terrasson, d'un revenu annuel de 35 livres tournois, en faveur de Guillaume
Adémard, moine du monastère de Souillac, au diocèse de Cahors, et transféré
pour cela au monastère de Terrasson. La bulle porte que la prévôté de
Saint-Julien était gouvernée d'habitude et de droit par les moines de l'Abbaye
de Saint-Sour, et se trouvait alors vacante, par suite de la promotion d'Adémard
à l'abbaye de Mauriac, au diocèse de Saint-Flour (2).
(1) Archives du Vatican,
vol. cot. Obligat., 1316-1344, m. b. (135), n° d'ordre 2189, fol. 15.
(2) Arch. du Vatican, table
des registres du pape Jean XXII, tome X, fol. 124.
p. 307
Du 7 des ides d'octobre 1334, bulle du pape Jean XXII,
datée d'Avignon, prescrivant l'admission comme moine de Saint-Sour, de Bertrand
Belhomme, clerc du diocèse de Sarlat, fils de Guillaume Belhomme de Souillac,
damoiseau de Monmège, et d'Aloys de Saint-Exupéry, damoiselle (1).
Du 7 des kalendes de septembre 1340, bulle du pape Benoît
XII, datée d'Avignon et adressée aux abbés de Terrasson et de Saint-Amand, pour
la collation, en faveur de Raymond de Lacoste, de l'église paroissiale de
Chavagmac, d'un revenu annuel n'excédant pas 35 livres tournois, et vacante par
la mort de Geraud Mascalle, abréviateur de la cour romaine (2).
Du 2 des kalendes de février 1344, bulle du pape Clément
VI, datée d'Avignon, prescrivant d'admettre comme moine et frère dans le mo-
(1) Arch. du Vat., table des
registres du pape Jean XXII, tome XLV, fol. 120.
(2) Ibidem, table des
registres du pape Benoît XII, an 6.
p. 308
nastère de Terrasson, Belhomme,
fils de Jacques de Souillac (1).
Du... des kalendes de mars 1345, bulle du pape Clément VI,
datée d'Avignon, portant promotion de Bertrand, prêtre et prieur du monastère
de Tulle, à l'Abbaye de Saint-Sour, vacante par la mort de Pierre de Ferrières
(2).
Du 5 des kalendes de novembre 1345, bulle du pape Clément
VI, portant promotion de Pierre II de Ferrières à l'Abbaye de Terrasson (3).
Du 5 des kalendes de novembre 1345, bulle du même pape,
datée d'Avignon, permettant à Pierre, promu par le Souverain Pontife à l'Abbaye
de Terrasson, de se faire bénir par tout évêque catholique de son choix (4).
Du 11 des kalendes d'octobre 1348, bulle du même pape,
datée d'Avignon, pour la collation, en faveur de Hugues de Vieuxfour, de
l'office de
(1) Archives du Vat., table
des registres du pape Clément VI, tome XVIII, fol. 194.
(2) Ibidem, ibidem, tome XVIII, fol. 548.
(5) Ibidem, ibidem, tome XXVI, fol. 510.
(4) Ibidem, ibidem, tome XXII, fol. 194.
p. 309
camérier du monastère, de
Terrasson, cet office vacant par la mort de Raymond de Lascoutz (1).
Du 10 des kalendes de mars 1351, bulle du même pape,
portant concession, en faveur de Hugues Laroche, aumônier (distributeur des
aumônes) du monastère de Terrasson, afin qu'il puisse conserver toute sa vie,
sans pouvoir en être révoqué, cet office d'aumônier, qui lui avait été conféré
par ses supérieurs, quoique, au temps de sa promotion, la provision à cet
office appartînt, par une réserve expresse, au Siège Apostolique (2).
Du... 1351, bulle du même pape, portant autorisation pour
Pierre, abbé de Saint-Sour, de pouvoir, nonobstant la réserve faite par le
Saint-Siège, unir et incorporer l'office de cellérier à la mense du monastère
(3).
Du 5 des nones de mars 1351, bulle du même
(1) Archives du Vatican,
table des registres du pape Clément VI, tome XXXVIII, fol. 341.
(2) Ibidem, ibidem, tome LVIII, fol. 318.
(3) Ibid., tome LVIII, fol. 903.
p. 310
pape, portant collation, en
faveur d'Aymeric Chati ou Caty, moine du monastère de Terrasson, du prieuré de
la Chapelle-de-Saint-Marie-de-Morès (1), gouverné d'habitude par les moines de
Terrasson, et précédemment uni et incorporé à la mense du monastère par Pierre,
abbé, mais vacant par sa résignation (2).
Du 6 des kalendes de juillet 1352, bulle du pape Innocent
VI, portant collation du prieuré de Saint-Julien de Terrasson, vacant par
cession de Bernard Vassignac, nommé au prieuré de Vault, dans le diocèse de
Tulle. La collation est en faveur de Gui de Bruzac, qui sera tenu de se
transférer du monastère de Tourtoirac à celui de Terrasson (3).
Du 11 des kalendes d'août l352, bulle du
(1) Chapelle-Mouret, dans la
paroisse de Terrasson; c'est la première fois qu'il est fait mention de ce
prieuré. L'église, qui existe encore, remonte aux premières années du XIIIe
siècle. Il est probable qu'elle fut, à la même époque, érigée en prieuré,
dépendant du monastère.
(2) Archives du Vatican,
table des registres du pape Clément VI, tome LIX, fol. 255.
(3) Ibid., table des
registres du pape Innocent VI, tome VIII, fol. 549.
p. 311
même pape, portant collation de l'office de sacristain de
l'Abbaye de Terrasson, vacant par la mort de Grimoard Laroche, en faveur de
Bernard Lafordie, qui sera tenu de se transférer du monastère de Saint-Martial
à celui de Terrasson (1).
Du 6 des ides de mars 1362, bulle du pape Urbain V,
ordonnant la translation de Geraud Lastricias, sous-prieur de l'Abbaye de Terrasson,
à l'église de Sarlat. Cette faveur est accordée à la demande du cardinal Pierre
Itier, originaire du Périgord (2).
Du 12 des kalendes de juin 1362, bulle du même pape,
permettant à Hugues, nommé à l'Abbaye de Terrasson, de se faire bénir par tout
évêque catholique de son choix (3).
Du 6 des kalendes de novembre 1370, bulle du pape Grégoire
XI pour la collation de l'Ab-
(1) Archives du Vatican,
table des registres du pape Innocent VI, tome I, fol. 525.
(2) Ibid., table des
registres du pape Urbain V, t. V, fol. 498.
(3) Ibid.
p. 312
baye de Saint-Sour, vacante par
la mort de Hugues, en faveur d'Hélie, prieur de Saint-Privat, de l'ordre de
Saint-Benoît, dans le diocèse de Périgueux (1).
Du 10 des kalendes de janvier 1371, bulle du même pape,
portant permission, accordée à Hélie, abbé de Terrasson, de se faire bénir par
tout évêque catholique de son choix (2).
Du 7 des kalendes de février 1371, bulle du même pape,
faisant commandement à l'abbé de Terrasson de réserver pour Hélie de
Rougefosse, clerc du diocèse de Sarlat, un bénéfice ecclésiastique ayant un
revenu de 60 livres tournois avec charge d'âmes, ou de 40 livres sans charge
d'âmes, de la collation de l'évêque de Sarlat (3).
Ces diverses bulles et d'autres que nous omettons pour ne
pas fatiguer le lecteur, nous prouvent que la nomination à tous les offices et
char-
(1) Archives du Vatican,
table des registres du pape Grégoire. XI, tome I, fol.
180.
(2) Ibid., tome I, fol. 524.
(3) Ibid., tome IX, fol. 560.
p. 313
ges de l'Abbaye de Terrasson appartenait
au Saint-Siège, qui en disposait lui seul et pas toujours, comme nous l'avons
vu, en faveur des moines de la même Abbaye. Les mêmes bulles nous disent
également que deux prieurés, celui de Saint-Julien-de-Terrasson et celui de la
Chapelle-Mouret, dépendaient de l'Abbaye, en ce sens que le titulaire devait
être un moine résidant à Terrasson. Il est probable que le droit de
présentation à ces deux prieurés et aux divers offices du monastère appartenait
à l'abbé, mais nos documents ne nous en parlent pas. La dernière bulle que nous
venons de citer, semble dire que l'abbé avait ce droit pour des bénéfices de la
collation de l'évêque de Sarlat, et nous voyons ailleurs qu'il présentait aussi
à des bénéfices de la collation de l'évêque de Périgueux, notamment à l'église
de Sarliac. Leydet nous cite une lettre pour la collation et provision de cette
église, « lettre par laquelle, dit-il, appert que la présentation appartient à
l'abbé de Terrasson et la collation à l'évêque de Périgueux. »
p. 314
Nous devons maintenant reprendre quelques faits que nous
avons laissés pour ne pas interrompre, l'ordre chronologique: de ces bulles.
En remontant à l'année 1333, nous trouvons, sous la date
du lundi après la fête de saint Barthélémy, Apôtre, un testament de Raymond du
Fraysse; nous devons en rappeler les principales clauses (1)
Après avoir recommandé son âme à Dieu, à la Sainte-Vierge,
à saint Sour et à tous les saints de Dieu, et fait quelques legs aux moines de
Terrasson, qui devront assister à son enterrement, Raymond donne à l'église de
Saint-Julien cinq sols de la monnaie courante, une fois payés, et cinq sols au
pont de Terrasson, également une fois payés.
Le texte du testament porte: Aedificio ecclesiae,
aedificio pontis. Par ces paroles, l'abbé Leydet a compris que ce legs était
fait pour aider à construire le pont de Terrasson, et il donne à
(l) Voir le texte de ce
testament à la fin du volume, note F.
p. 315
cet édifice la date de ce
testament, 1333. Mais, outre que dans ces mots rien n'indique une construction
qu'il faudrait aussi entendre de l'église, le pont dont il est parlé remonte,
en partie du moins, à une époque antérieure. Deux arches nous présentent le
plein-cintre de l'architecture romane, et quatre sont de l'époque, ogivale du
XIIIe au XIVe siècle. Quant à l'église de Saint-Julien,
elle existait déjà au VIe siècle. Il faut donc croire que le double
legs de Raymond du Fraysse n'avait pour but que des réparations importantes
qu'il s'agissait de faire à l'église et au pont, ou tout au plus la construction
partielle de ces deux édifices, qui pouvaient avoir été détruits ou
considérablement endommagés durant les guerres des siècles précédents. D'après
les détails qui nous ont été donnés sur l'église de Saint-Julien, une partie,
le sanctuaire, appartenait à l'architecture ogivale. C'était probablement la
partie qu'on voulait reconstruire en 1333.
Après ce legs, Raymond constitue à sa fille Marie une dot
de soixante livres tournois, une
p. 316
fois payées, et une rente de
vingt sols tournois, dont quinze, après la mort de Marie, devront revenir à
l'héritier universel de Raymond; à Aymarde, sa seconde fille, une dot de
cinquante livres tournois et une rente de vingt sols tournois, dont quinze
devront, après sa mort, revenir aussi à l'héritier universel. Raymond veut et
ordonne que ses deux filles entrent en religion. Il donne à Aymard, son fils
cadet, une rente de cent sols tournois, la nourriture et le vêtement dans le
château, sa vie durant; et s'il arrive qu'Aymard entre en religion, la rente,
après sa mort, devra revenir à l'héritier universel, le fils aîné de Raymond.
Raymond n'oublie pas le legs, assez commun alors, en
faveur de la Terre-Sainte; il donne pour le passage transmarin cinq sols de la
monnaie courante, une fois payés.
Nous voyons par ce même testament qu'il existait à
Terrasson une Confrérie dite de Saint-Sour; Raymond lui lègue un sétier de
froment.
Nous n'avons trouvé aucune trace des statuts
p. 317
de cette Confrérie, rien qui nous
indiquât sur quelles bases elle était assise; mais il est facile d'en présumer
le but par la nature du legs de Raymond: elle était fondée en faveur des
pauvres ou de ce qu'on appelle aujourd'hui la classe ouvrière.
Nous avons déjà émis la pensée de rétablir cette
Confrérie: ne voulant rien négliger, sans faire d'innovation, de ce qui peut
être avantageux à cette partie si intéressante de notre troupeau, la plus chère
à notre coeur. Toutes les fois que nous trouverons dans le passé une leçon
utile, nous serons heureux de la recueillir et de la communiquer à notre
peuple; nous serons heureux de pouvoir lui dire, en rétablissant la Confrérie
de Saint-Sour sur ses bases primitives: « Nous avons interrogé vos anciens, et
il nous ont appris. » En effet, les anciens s'entendaient mieux que nous à
soulager les pauvres; leurs associations de bienfaisance s'inspiraient aux
sources toujours pures de la foi et de la charité. Les anciens étaient
charitables, nous ne sommes que
p. 318
philanthropes. En les consultant,
nous apprendrons à aimer l'homme sans le détacher de Dieu, son principe et sa
fin. C'est l'athéisme qui a introduit dans notre langue le mot philanthropie;
gardons de mot charité, venu du ciel: il sera toujours plus fécond en
inspirations heureuses pour le bien de nos semblables. Nous rentrons dans notre
sujet. Une bulle du Pape Innocent VI, du mois de janvier 1352 (1), portant
dispense d'une irrégularité pour la réception des saints ordres, nous révèle un
fait qui nous donne un aperçu des vexations auxquelles étaient en butte les
moines de notre Abbaye de la part des petits seigneurs. La maison de Souillac,
que nous voyons plus tard se confondre dans la maison de Monmège, avait pour
rivale la maison du Luc (2). Les deux
(1) Archives du Vatican,
table des registres du pape Innocent VI, t. I, fol. 391. ― Mss Leydet,
fonds Lespine, vol. 56, fol. 146.
(2) Les du Luc avaient leur
château au Luc, près d'Issandon; ils étaient seigneurs du Luc et de Transalva,
et co-seigneurs de Mausac. Cette famille tomba en quenouille et passa
p. 319
maisons ne cessaient de se vexer
mutuellement par de fréquentes excursions sur les terres l'une de l'autre, et
souvent elles en venaient aux mains.
Dans une de ces rencontres, le chevalier Bertrand du Luc
avait pris et emmené prisonnier le fils de Raymond de Souillac, damoiseau
Pierre de Souillac, frère du prisonnier, et âgé seulement de dix-sept ans, mais
animé de toute la fougue naturelle à cet âge, voulut user de représailles et
venger l'honneur de sa famille. Un frère de Bertrand du Luc, nommé Jaubert,
était moine de l'Abbaye de Terrasson. Pierre, aidé de quelques complices,
pénétra de force dans le cloitre, se saisit de Jaubert du Luc, l'arracha de sa
cellule et l'entraîna avec lui, au grand scandale des moines, trop faibles ou
trop timides pour essayer de défendre leur frère.
avec son nom, le 15 février 1510, dans la famille des du
Saillant, par le mariage de Catherine du Luc avec Jeaniquot du Saillant,
seigneur de Flaumont. C'est aujourd'hui la famille du Saillant-du-Luc, qui
habite les Farges, près de Lougnac, diocèse de Tulle.
p. 320
Il est dit que le moine Jaubert fut gardé quelque temps
prisonnier; sans doute jusqu'à ce que Bertrand eut donné la liberté au frère de
Pierre de Souillac.
Quelques années plus tard, le même Pierre de Souillac,
probablement pour expier le crime qu'il avait commis en forçant l'entrée du
cloître et en portant une main sacrilège sur un oint du Seigneur, prit lui-même
l'habit monastique, dans l'abbaye de Saint-Amand. Ignorait-il l'irrégularité
dont il était frappé, ou ne voulut-il pas l'avouer? Nous ne le savons pas.
Toujours est-il que, sans en être relevé, Pierre de Souillac fut pourvu du
titre monacal d'une chapelle, dépendante du monastère, et, plus tard, du titre
de l'église paroissiale de Saint-Geniès, laquelle, d'habitude, était
administrée par les moines de Saint-Amand; reçut, sous ce titre, les ordres
sacrés de sous-diaconat et de diaconat, et perçut les revenus de cette église.
Il n'osa, quoiqu'il en eût l'âge, recevoir l'ordre de prêtrise; soit que, plus
instruit du droit ecclésiastique, il eût ac-
p. 321
quis la connaissance de son
irrégularité, soit pour tout autre motif. Mais, enfin, revenu à de meilleurs
sentiments, il fit la restitution des fruits injustement perçus de la
chapellenie du monastère et de l'église de Saint-Geniès, se démit de son bénéfice,
fit réparation à l'abbé et aux moines de Terrasson de l'injure qu'il leur avait
faite, demanda humblement pardon au moine Jaubert du Luc, et adressa une
supplique au Pape, aux fins d'obtenir l'absolution de son péché et de
l'excommunication qu'il avait encourue. Le cardinal de Taleyrand, qui jouissait
à bon droit des faveurs d'Innocent VI, présenta lui-même et appuya la requête
de Pierre de Souillac, et le Pape, par la bulle dont nous avons parlé, donna
commission à l'Official du diocèse de Sarlat d'absoudre le moine repentant de
toute irrégularité et inhabileté, et de le pourvoir de nouveau du bénéfice de
l'église de Saint-Geniès; le déclarant habile à être promu au sacerdoce, à
recevoir et à garder, soit comme administrateur, soit comme simple dignitaire,
p. 322
tout bénéfice qui lui serait
canoniquement conféré.
A la suite de ce fait, il se présente naturellement une
réflexion qui ressort aussi du testament de Raymond du Fraysse, dont nous avons
parlé. Le moyen-âge nous offre sans doute de grands et beaux exemples de piété,
de zèle pour la prospérité de l'Eglise, et ce n'est pas nous qui jetterons le
blâme sur les sociétés monastiques de cette époque. Mais, nous devons le dire,
la porte des cloîtres fut trop facilement ouverte aux cadets des grandes
familles; l'histoire religieuse doit flétrir ce droit d'aînesse, aussi injuste
que ridicule, qui faisait qu'un père, s'arrogeant une autorité que la nature et
Dieu lui refusent, imposait en souverain, à ses fils plus jeunes le choix entre
la robe et l'épée, à ses filles l'obligation de se renfermer dans un cloître.
Presque tous les abus dont la religion eut à gémir dans les monastères, prirent
leur source dans ce prétendu droit. Ce n'était point l'Esprit de Dieu qui
conduisait ces hommes dans la solitude, il était dif-
p. 323
ficile qu'ils s'y montrassent
toujours les fidèles observateurs des saintes règles.
C'est, sans nul doute, à cette cause que nous devons
attribuer l'esprit d'insubordination qui s'était introduit, en 1395, dans le
monastère de Saint-Sour, et dont l'abbé Gui des Motes se plaignait au
vicaire-général de Sarlat. Il lui exposait, dans une lettre, qu'il avait des
moines vicieux, incorrigibles qui, plusieurs fois, lui avaient résisté
ouvertement, avaient même attenté à sa vie, et il priait le vicaire-général d'y
apporter un prompt remède (1). Saint Bernard, lui-même, se plaignait de quelque
chose qui ressemble beaucoup aux faits allégués par l'abbé des Motes.
Nous avons parlé de la suzeraineté des vicomtes de Turenne
sur l'Abbaye de Terrasson; nos lecteurs nous sauront gré de trouver ici
l'hommage que l'abbé faisait au vicomte en 1363.
(1) Biblioth. imp., Mss. Prunis, dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 251.
p. 324
« Le mercredi, veille de la Chaire de Saint-Pierre, de
l'an du Seigneur 1363, dans le château abbatial de Terrasson, en présence du
chevalier Raymond de Souillac et de noble Adémard du Fraysse, témoins; révérend
père en Jésus-Christ, Dom Hugues de Laroche, par la permission divine abbé du
monastère de Terrasson, de l'ordre de Saint-Benoît, dans le diocèse de Sarlat,
a fait hommage, tant pour lui que pour son monastère, à illustre et puissant
homme Renauld, sire de Pons, vicomte de Carlats et de Turenne, et a reconnu
tenir du dit vicomte le domaine, la juridiction et toute justice, haute et
basse, et l'exercice de cette justice sur les hommes ou habitants des manses et
borderies du dit seigneur abbé, éz paroisses de Pazayac, Lafeuillade, Grèzes,
Chartrier, Ferrières, Nadaillac, Chavagnac, Ladornac, Chapelle-Morés, Condat et
ailleurs, et devoir, par le fait de son élection, au dit vicomte, une paire
d'éperons, dorés en-dessus.
p. 325
Acte retenu par Duchesne, notaire de la vicomté (1). »
Nos lecteurs remarqueront comme nous ce tribut d'une paire
d'éperons, dorés en-dessus, que tout abbé du monastère de Terrasson,
nouvellement élu, devait payer au vicomte de Turenne. D'après les coutumes
féodales, le signe de l'hommage se rapportait, non à la qualité du vassal, mais
à la qualité du suzerain. L'abbé de Terrasson donnait à son suzerain une partie
de l'équipement qu'il fallait à un homme de guerre.
Un an plus tard, ainsi que nous l'apprenons par un Bref
d'Urbain V, daté d'Avignon le 7 décembre 1364, ce même Hugues de Laroche reçut,
conjointement avec l'abbé de Saint-Amand et le doyen du monastère de Souillac,
en Quercy, une mission toute de confiance, de la part du Saint-Siège. Il est
dit dans le Bref pontifical, qu'il « est arrivé à la connaissance du Saint-Père
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. IX. fol. 18.
p. 326
que les revenus du prieuré de Montignac, de l'ordre de
Saint-Benoît et dépendant de l'église de Sarlat, ont été considérablement
diminués par la peste qui a causé une grande mortalité sur les bestiaux, et par
les guerres dont ce pays a été le théâtre; que, néanmoins, le Prieur, qui n'est
que pour un temps, doit payer à l'évêque de Sarlat le subside convenu pour ses
visites pastorales, fournir à chacun des membres du chapitre et à ses confrères
les moines, deux fois par an, le pain et le vin nécessaires, et supporter les
autres charges inséparables de sa dignité. Ce qui fait que ce même Prieur,
quoiqu'il reçoive, comme, les autres moines, sa portion entière des revenus de
l'église de Sarlat, où il ne réside cependant que deux jours de la semaine, ne
peut, avec cette portion et les revenus de son prieuré, vivre convenablement.
C'est pourquoi, le Souverain Pontife, n'ayant pas de cet état de choses une
connaissance suffisante, a recours à des hommes en qui il a une confiance
absolue, et, par le Bref apostolique, sa Sainteté
p. 327
enjoint à l'abbé de Terrasson, à
celui de Saint-Amand et au doyen de Souillac, ou à l'un des trois, à défaut des
deux autres, de prendre des informations certaines sur toutes ces choses, sans
bruit ni sans aucune forme de jugement, et d'en instruire le Saint-Siège par
lettres-patentes scellées de leurs sceaux, ou bien par un acte public dans
lequel sera rapporté le Bref apostolique (1). »
Les documents nous manquent pour dire quel fut le résultat
de l'enquête des trois commissaires, et quelles mesures furent prises par le
Saint-Siège pour améliorer la position du Prieur de Montignac.
Les guerres dont il est question dans le Bref pontifical
désolèrent non-seulement le pays de Montignac, mais le Périgord tout entier. Il
s'agit de la longue lutte engagée, dans l'Aquitaine et au sujet de cette
province, entre les Anglais et les Français, et qui occupa une
(1) Arch. du Vatican, reg. coté Urbain V, tom. X, fol. 280.
p. 328
grande partie du XIVe
siècle. Elle se fit rudement sentir à Terrasson et dans toute la partie du
Bas-Limousin qui nous avoisine. Notre Abbaye fut de nouveau pillée et détruite;
il ne resta plus rien de ses remparts, de ses tours, de son mur d'enceinte, et
la magnifique église, bâtie au XIIe siècle, disparut sous la main
des démolisseurs. Les chroniques ne nous ont pas laissé la date précise de ces
derniers désastres; mais ils n'eurent lieu probablement que vers la fin du XIVe
siècle. Enfin, l'orage s'étant un peu apaisé, les moines revinrent se loger
comme ils purent sous les débris de leur monastère, qui ne fut rebâti, nous le
constaterons bientôt, que dans la deuxième moitié du siècle suivant. On le
comprend, tant de malheurs n'arrivaient point à l'Abbaye de Terrasson, qui
était le fort, la citadelle de la ville, sans que les habitants de celle-ci
n'en ressentissent fortement les contre-coups. Ils voyaient alors leurs maisons
pillées et détruites, leurs campagnes ravagées; ils subissaient tous les maux
que la guerre traîne ordi-
p. 329
nairement après elle. Il fallait
ensuite qu'ils se dépouillassent du peu qui leur restait pour payer les frais
de ces guerres incessantes. C'est ainsi qu'en 1348, plusieurs communes du
Périgord et du Bas-Limousin furent taxées à de fortes sommes par le duc de
Normandie pour payer les frais de la guerre de Gascogne. La ville de Terrasson
fut imposée pour sa part à trente-quatre livres; somme considérable à cette
époque (1). D'ailleurs, la ville était loin d'avoir l'importance qu'elle a
aujourd'hui. D'après l'Etat des châtellenies et paroisses du Périgord (2),
dressé en 1365, la paroisse de Terrasson n'avait que 150 feux, et la paroisse
de Lavilledieu, qui lui était annexée, n'en avait que 15. Ce qui donnait, en
comptant huit personnes par feu, 1200 âmes pour la paroisse de Terrasson, et
120 pour celle de Lavilledieu. Aujourd'hui, d'après le dernier recensement, le
chiffre total des habitants des
(1) Compte des domaines du
Périgord et du Quercy, année 1348.
(2) Conservé dans les
papiers Lespine, vol. 88, fol. 92.
p. 330
deux paroisses réunies, est 4061.
On peut juger par là des progrès qu'a faits notre population dans l'espace de
500 ans.
V.
1401 ― 1580.
Nous n'avons pas, au commencement de cette période, le nom
de l'abbé qui gouvernait l'Abbaye, à moins que ce ne fût ce même Gui des Motes
dont nous avons précédemment rapporté les plaintes au grand-vicaire de Sarlat.
Sans doute qu'à l'aide de l'intervention épiscopale, et aussi par sa patience,
sa douceur, son zèle, sa piété, il parvint à faire rentrer dans le devoir ces
moines vicieux et incorrigibles, qui durent cesser d'attenter à sa vie; car,
s'il n'y a point de lacune dans notre catalogue, le gouvernement de cet abbé
fut de plus d'un demi-siècle, de 1385 à 1437, où nous trouvons Hugues de
Brosse, de la noble famille des seigneurs de
p. 331
Sainte-Sévère, descendants des vicomtes de Limoges (1).
Sous ce dernier abbé, il s'éleva une contestation entre
lui, d'une part, et Jean de Bretagne, comte de Périgord, noble Gui de
Roffignac, seigneur de Chavagnac, Joubert de Condat, seigneur de Peyraux,
Bertrand de Souillac, sieur de Monmège, Marie de Boisseuil, veuve de Philippe
de Verneuil, d'autre part, « au sujet de la justice et juridiction du village
de Nursas (2), assis ez paroisses de Terrasson et Condat, avec ses
appartenances et dépendances ». Par sentence arbitrale que nous voyons signée
de Brolio, notaire d'Alassac, « le comte fut maintenu, ensemble lesdits nobles,
en la possession et jouissance desdites justice et juridiction, cens et rentes,
respectivement (3). »
A la suite de cet Hugues de Brosse, le catalo-
(1) Gallia-Christiana.
(2) Probablement le village
appelé aujourd'hui Bouillac.
(5) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 53, fol. 252.
p. 332
gue de nos abbés nous présente
les noms des plus illustres familles du Périgord et du Limousin, les Pompadour,
les Roffignac, les Lafaye, les Lespinay-de-Saint-Luc, les Monmège.
S'il fallait en croire Claudius Estiennot et les auteurs
de la Gallia-Christiana, ce serait sous le gouvernement de Bertrand de
Roffignac que le château abbatial, le monastère et l'église, détruits dans le
temps des guerres des Anglais en Aquitaine, auraient été reconstruits. Cet
abbé, issu d'une illustre famille du Limousin (1), aurait usé de l'influence
que lui donnait son nom, et de sa fortune personnelle, qui était considérable,
pour relever encore une fois notre Abbaye de ses ruines et lui rendre quelque
chose de son ancienne splendeur. Il est vrai que les auteurs de la
Gallia-Christiana et Claudius Estiennot, en
(1) Roffignac, noble famille
gallo-romaine, la première que saint Martial convertit à la foi, lors de son
apostolat dans le Limousin. Aussi les seigneurs de Roffignac prenaient-ils le
titre de Premiers Chrétiens du Limousin. Leur château était situé dans la ville
même d'Alassac. (Le P. Bonav., Hist. de Saint-Martial).
p. 333
faisant cet honneur à Bertrand de
Roffignac, ne disent point à quelle époque cet abbé gouvernait l'Abbaye de
Terrasson. Mais, par les Extraits que Leydet a faits de nos archives, nous ne
voyons apparaître Bertrand de Roffignac sur le siège abbatial que vers la fin
du XVe siècle et au commencement du XVIe. Nous le
trouvons pour la première fois avec le titre d'abbé, dans le testament, daté du
23 juillet 1491, de noble et puissant homme Jean de Roffignac, seigneur de
Chavagnac; il y est désigné comme exécuteur testamentaire avec noble homme Jean
de Souillac, seigneur de Monmège. Le 23 mars 1494, il présidait à Terrasson une
assemblée conventuelle dans l'église abbatiale, et nous le voyons encore dans
des actes de 1500 et 1504 (1). Or, il n'est pas probable que les moines de
Terrasson et le peuple lui-même, si intéressé à la prospérité du monastère,
aient attendu à le reconstruire jusqu'au temps de l'abbé de Roffignac.
(1) Mss. Leydet, dans le
fonds Lespine, vol. 35, fol. 255.
p. 334
Malheureusement (car les ravages de la guerre contre les
Anglais ne furent pas le dernier de nos maux), il ne nous reste que très-peu de
chose du monastère construit à cette époque. La science ne peut donc que
très-vaguement appliquer ici ses inductions pour en fixer la date précise. Une
porte à ogive dans les caves, et un portail extérieur que nous avons récemment
découvert sous une maçonnerie moderne, accusent les
constructions de la première moitié du XVe siècle.
Mais nous avons, en partie du moins, l'église qui remplaça
alors le monument du XIIe siècle, et encore le caractère
architectonique de cette église est-il vague, indécis, et serait-il difficile
de désigner par le seul aspect l'époque positive de sa construction. Le plan
est pris sur la forme d'une croix latine, et l'architecture du XVe
siècle s'y confond avec l'architecture du XIVe et du XIIIe.
Les voûtes en arête, à nervure diagonale, à grande dimension, sont d'une
hardiesse extrême, mais plates et lourdes comme toutes
cel-
p. 335
les du XVe siècle. La
partie de ce monument la plus remarquable par son ornementation, est le portail
de la façade, caché aujourd'hui par le presbytère. On y voit les guirlandes à
jour, les feuilles, les fleurs, les fruits, les choux frisés que prodiguaient partout
les architectes du XVe siècle.
Toutefois, si Bertrand de Roffignac ne commença point la
restauration du monastère et de l'église, il en trouva les constructions,
celles de l'église du moins, inachevées, lorsqu'il fut élevé sur le siège
abbatial, et il les continua activement. Ses armes, qui étaient d'or, au lion
de gueules, se voient sur chaque pilier du chevet et tout autour et dans le
couronnement; ce qui nous explique pourquoi Claudius Estiennot et les auteurs
de la Gallia-Christiana lui ont attribué la construction ou du moins la
restauration de cet édifice. Il ne put cependant terminer cette oeuvre; la
gloire en était réservée à son successeur médiat, Bertrand de Lafaye, qui
gouvernait l'Abbaye en 1513. Les armes de ce dernier
p. 336
abbé (d'azur à la bande d'or,
accompagnée de deux fleurs de lis de même) se voient sur la clef des voûtes de
l'église.
Quant à la partie qui formait le chateau abbatial et
seigneurial, on avait négligé de la réparer; Leydet cite un Mémoire des
premières années du XVIe siècle, contre Odet d'Aydie, seigneur de
Larche, dans lequel on lit que « le château de Terrasson est ruiné depuis cent
ans, sans fossés, portes ni fenêtres (1), » et dans un Mémoire sur l'état, la
population et l'étendue des terres de la maison dAlbret en Périgord, vers l'an
1502, nous lisons: « Dans la châtellenie de Larche et Terrasson, primo y est le
château de Terrasson détruit et tombé et n'y a nulle habitation. Ledit châtel
de grande renommée, mais de peu de valeur, assis en la paroisse de Terrasson,
où est l'Abbaye belle et notable, mille à douze cents li-
(1) Biblioth. imp., Mss Leydet dans le fonds Lespine, vol. 9. fol. 101.
p. 337
vres de revenus et les justices
par tous les fiefs, lieux et villages en toute la paroisse de Terrasson et en
toute la justice de Larche (1). ».
Ces derniers documents nous prouvent que les abbés
seigneuriaux, qui s'étaient succédés depuis les désastres du XIVe
siècle, s'oubliant eux-mêmes , avaient négligé leur
propre habitation pour ne s'occuper que du bien-être de leurs religieux et de
la beauté de la maison du Seigneur. L'Abbaye était belle et notable, et le
château abbatial ne présentait qu'un amas de ruines. Ce qui nous prouve encore que les moines de Terrasson n'étaient pas
restés oisifs, jusqu'au temps de l'abbé de Roffignac, devant les ruines de leur
monastère et de leur église. Cependant, des réparations se firent plus tard au
château abbatial; nous aurons lieu de les constater.
Le seizième siècle dans lequel nous sommes entrés, nous présente de graves événements;
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 55, fol. 588.
p. 338
notre Abbaye eut sa part des maux
que semèrent dans la France les guerres civiles dites de religion, mais
auxquelles la politique ne fut pas étrangère. Avant de raconter ces derniers
malheurs, nous devons donner place à quelques faits, de peu d'importance, il
est vrai, mais qui nous disent mieux la marche de notre Abbaye dans le repos
que Dieu lui avait fait, et dans lequel elle devait se retremper et acquérir de
nouvelles forces, pour soutenir de nouveaux combats, passer par de nouvelles
épreuves, essuyer de nouveaux malheurs.
A Bertrand de Roffignac avait succédé Antoine Brigon. Ce
dernier abbé appartenait au diocèse de Carcassonne, et ne vint jamais
probablement s'asseoir sur le siège abbatial. Il avait envoyé comme
procurateur, honorable homme François Avril, prêtre et recteur de l'église de
Castaneys, au diocèse aussi de Carcassonne (1).
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 242.
p. 339
Antoine Brigon dut mourir ou se démettre vers la fin de
l'année 1512, car, dès le 2 mai 1513, nous lui trouvons pour successeur et sous
le titre d'abbé commandataire, Bertrand de Lafaye dont nous avons déjà parlé.
Celui-ci, de la noble famille des Lafaye, seigneurs d'Auriac (1), assistait, le
5 juin de la même année, avec les évêques de Tulle, de Sarlat, d'Aix, l'abbé de
Châtres et autres dignitaires ecclésiastiques, à la première entrée à Périgueux
de Gui de Castelnau, évêque de cette ville (2).
Bertrand de Lafaye posséda peu de temps l'Abbaye. Il eut
pour successeur, dès les premiers jours de l'année 1514, Hugues de Roffignac,
de la même famille que Bertrand de Roffignac dont il vient d'être parlé,
peut-être même était-il son frère. Voici comment il est qualifié dans un acte
retenu par Malcione, notaire public, et trouvé par Leydet dans les archives de
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol, 242.
(2) Biblioth. imp., Mss. Lespine, vol. 32, fol. 69.
p. 340
Belvès: « Révérend Père en Jésus-Christ, seigneur Hugues
de Roffignac, licencié, recteur de l'église paroissiale de Saint-Pantaléon de
Chavagnac, dans le diocèse de Sarlat, abbé commandataire du monastère et de
l'Abbaye de Saint-Sour-de-Terrasson, et protonotaire apostolique (1). »
Hugues fut, comme Bertrand, le bienfaiteur du monastère,
et notre ville lui doit, sinon la création, du moins le développement de son
commerce, qui fait aujourd'hui sa richesse. Terrasson n'avait eu jusqu'alors,
comme but de réunion offert aux peuplades voisines, que trois solennités
annuelles, moitié religieuses, moitié commerciales: la Saint-Sour, la
Saint-Julien, la Saint-Martin. Hugues de Roffignac sollicita et obtint de
François Ier la création d'un marché par semaine et de quatre foires
dans l'année. Il avait exposé dans sa requête que l'Abbaye était
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet, fonds Lespine, vol. 35, fol. 256.
p. 341
ancienne, de fondation royale et
assise en un lieu très-fertile. Le décret de création est du mois de mars 1514
(1).
C'est de Bertrand ou de Hugues de Roffignac que doit être
la statue sépulcrale que des fouilles nous ont fait découvrir dans les
décombres de la nef de l'église. L'abbé y était représenté en habits
sacerdotaux, tenant d'une main la crosse abbatiale et de l'autre un livre; on
voit encore aux pieds le lion des Roffignac. Cette statue, qui devait reposer
sur un tombeau élevé au-dessus du sol de l'église, fut-elle l'oeuvre de la
ville reconnaissante? Nous aimons à le penser.
Du reste, le tombeau des Roffignac n'était pas le seul
qu'on voyait dans l'église du monastère de Terrasson; il y en avait plusieurs
autres, et notamment ceux des seigneurs de Monmège, de Souillac, de
Saint-Chamant-du-Pesché. Mais
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 240.
p. 342
tous ces monuments furent
renversés et brisés par les Novateurs (1).
Hugues de Roffignac posséda l'Abbaye jusqu'en 1517. Il eut
pour successeur Antoine de Mosnar. Trois ans plus tard, en 1520, celui-ci était
remplacé par Bertrand de Lafaye, de la même famille (peut-être le même, dit
Lespine) que celui dont il a été déjà parlé.
Ce Bertrand de Lafaye nous apparaît, dès les premières
années, honoré du titre de protonotaire du Saint-Siège, et possédant la
confiance du roi de Navarre, Henri, comte de Périgord. Par une commission,
donnée à Pau le 13 décembre 1522, « ce prince le charge, conjointement avec Me
Puylard, licentié ez droits, seigneur de Chambon et juge d'Appaulx en la
vicomté de Limoges, Hélie André aussi licentié ez droits, juge général en
ladite vicomté et aussi juge d'Appaulx en la comté de Périgord, et Pierre
(1) Bibliothèque imp., Mss.
de Claudius-Estiennot. Gallia-Christiana.
p. 343
Mosnier, seigneur de Plancauls, ex-auditeur des comtes, de
recevoir les hommages des acquéreurs des fiefs, places, seigneuries, rentes et
autres pièces nobles en quelque qualité qu'elles soient tenues de lui (du roy),
et investir tous et recevoir à reconnaissance en son nom tous acquéreurs de
pièces et possessions non nobles et roturières aux droits, devoirs et charges
qui pour ce sont et peuvent être deus... Appelé et assistant avec lesdits
procureurs et commissaires, ou ceux d'entre eux qui y vaqueront, l'un des
secrétaires ou commis, pour retenir les instruments desdits hommages et
investitures, avec commission de lever les lots et rentes et acaptes qui lui
sont dus dans les châtellenies de Montignac-le-Comte, Montpaon, le Pariage
Saint-Front, Saint-Astier, Larche, Terrasson, Ségur, Payzac, Nontron,
Auberoche, Excideuil, Génitz, Meruscles et Masseré (1). »
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 9, fol. 22.
p. 344
Nous avons une autre preuve de la confiance dont jouissait
Bertrand de Lafaye; nous devons la rapporter ici. Un différend s'était élevé,
au sujet du droit de visite, entre Jean de Plas, évêque de Périgueux, et
François de Chaumont, abbé de l'église collégiale et séculière de Saint-Astier,
et ses chanoines. Les parties choisirent pour juges l'abbé de Terrasson et
André Macé, théologal de la cathédrale de Périgueux. Une transaction eut lieu
dans le château de Montancé le 9 du mois d'août 1529. Il fut réglé « que
l'évêque de Périgueux n'aurait sur le chapitre de Saint-Astier de juridiction
que comme il en avait sur celui de la cathédrale, avec cette modification que
cette exemption ne pourrait avoir lieu que pour le nombre de trente-six
personnes, abbé, chanoines et habitués du choeur de l'église de Saint-Astier;
que l'évêque pourrait faire la visite de l'église de Saint-Astier et de celles
qui lui étaient unies (1). »
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 32, fol 89
p. 345
Bertrand de Lafaye était encore abbé de Terrasson en
l'année 1541, et faisait hommage au comte de Périgord (1). Il se démit, en
cette même année, en faveur de Pierre de Lafaye, son neveu, en se réservant une
pension, comme on le voit par son testament du 20 juin 1547. Il y déclare «
avoir fait étudier Pierre de Lafaye, son neveu, en l'université de Paris, et
lui avoir donné son Abbaye de Terrasson (2). » L'investiture de celui-ci est datée
de la première année du pape Paul III, 23 mai 1541 (3). Il fit procuration le 1er
août suivant, pour prendre les fruits de l'Abbaye, à Jean de Lafaye, peut-être
son frère, à Pierre et Raymond Lambert (4).
Tous les abbés que nous venons de nommer et les autres qui
possédèrent l'Abbaye, depuis le milieu du siècle précédent, furent com-
(1) Archives de Pau.
(2) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 258.
(3) Archives du Vatican,
bulletins du cardinal Garampi.
(4) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 257.
p. 346
mandataires, recevant leur
nomination et leur investiture directement du Saint-Siège. Mais, en 1559, par
une concession qui ne fut pas sans produire de graves abus, le Saint-Siège se
démit de son droit et plaça notre Abbaye, comme tant d'autres monastères de
France, en commande, à la nomination du roi (1). Quatre ans plus tard, le 8
janvier 1564, cédant à la prière du roi Charles IX, Eustache ou Charles de
Lespinay, abbé commandataire, aliéna le temporel de l'Abbaye pour la somme de
1335 livres (2). Ce fut à cette époque ou un peu plus tard, disent les auteurs
de la Gallia-Christiana, que l'Abbaye, ayant été détruite par les protestants,
tomba au pouvoir des laïques, qui s'en attribuèrent les revenus et y mirent des
gardiens connus sous le nom d'abbés confidentiaires. Nous voyons, en effet, que
Charles IX voulant récompenser les
(1) Archives du Vatican,
Acta Consistorialia, ab ann. 1550 ad 15S9, vol. 3, fol 237.
(2) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 257.
p. 347
services que Jean de Losse,
capitaine de ses gardes lui avait rendus dans le temps des guerres de religion,
lui fit donation de notre Abbaye. Nous reproduisons la lettre, que ce monarque
écrivait à cette occasion à son favori: « M. de Losses, afin que vous voyez
comme nous avons bonne souvenance de vous, je vous veulx bien advertir comme je
vous ay accordé la capitaynerie du Louvre qu'avoit Genlys, et semblablement
vous ay donné une Abbaye de la valeur de cinq mil livres de rente, comme vous
sçaurez ci-après plus amplement. M'assurant que tout cela ne vous sçauroit
augmenter l'affection que vous avez toujours eue de me faire service, mais bien
vous faira connoistre que je n'oublie point mes bons serviteurs, tels comme je
vous estime et vous répute. Priant sur ce le Créateur vous avoir, M. de Losses,
en sa sainte et digne garde. D'Orléans, ce XVe jour de novembre
1568. Charles. » Plus bas, « Noblet. » Au dos: « A M. de Losses, chevalier de
mon ordre et capitayne de mes gardes. » Le brevet
p. 348
de donation de l'Abbaye de
Saint-Sour en Périgord, accompagnait cette lettre (1).
Nous ne pouvons donner la date précise de la destruction
de notre monastère par les protestants; mais on sait les ravages que ces
prétendus réformés exercèrent dans le Périgord, aux environs de Sarlat, et dans
le Limousin, aux environs de Brives. S'étant rendus maîtres de Terrasson, ils
s'occupèrent immédiatement à détruire les murs du monastère et les voûtes de la
nef de l'église. Ils en étaient à ce dernier point de leur vandalisme, lorsque
les catholiques reprirent vigoureusement l'offensive, chassèrent
(1) Jean de Losse était
seigneur de Losse, de Thonac, Saint-Léon, Thenon, Peyrignac, Gaubert,
Saint-Rabier, Bannes. L'Abbaye de Terrasson n'était point la seule qu'il eût
reçue de Charles IX. Nous voyons dans une lettre du 5 mars 1575 que ce monarque
lui dit « qu'ayant entendu que l'abbé de Saint-Maurin, dans le diocèse d'Agen,
est malade à l'extrémité et qu'il n'y a aucun doute que cette maladie ne
l'emporte, il lui accorde cette Abbaye. » Nous avons sous les yeux d'autres
lettres adressées à Jean de Losse par Charles IX, Catherine de Médicis, Henri
de Navarre et la reine Marguerite de Navarre. Elles nous prouvent combien ce
Jean de Losse était un personnage important, et nous fournissent des
particularités curieuses sur une des époques les plus dramatiques de notre
histoire.
p. 349
l'ennemi de sa position, et
sauvèrent ainsi l'autre partie de l'église. Ces derniers malheurs causèrent à
notre Abbaye des pertes immenses qui ne furent jamais bien réparées. Les abbés
qui se succédèrent jusqu'en 1789, trop pauvres, peut-être aussi trop peu zélés
(ils furent presque tous commandataires du confidentiaires), pour rendre au
monument son ancienne splendeur, se bornèrent à relever quelques pans de mur
tombés sous la main des démolisseurs du seizième siècle. Quant à l'église, on
n'entreprit point d'en reconstruire la nef. Les protestants n'avaient pu
démolir le sanctuaire, l'abside et le transept; On se contenta d'élever un mur
de séparation entre la partie conservée et la nef, et d'établir, sur le mur de
façade, pour remplacer le clocher, un mur arcade qui existe encore et soutient
quatre cloches.
Notre Abbaye en était réduite à cet état, lorsqu'arriva en
France la réforme ordonnée dans les monastères par le Concile de Trente. Le
saint
p. 350
Concile avait prescrit que « tous les monastères qui
n'étaient point soumis à des Chapitres-généraux et qui n'avaient point leurs
visiteurs réguliers ordinaires, mais qui avaient accoutumé d'être sous la
conduite et sous la protection immédiate du Siège-Apostolique, seraient tenus
de se réduire en congrégation (1). » En exécution de ce décret et par suite de
l'ordonnance de Blois, sous Henri III, il se forma en France, en 1580, des
diverses branches de l'Ordre de Saint-Benoît, la congrégation des
Bénédictins-Exempts, c'est-à-dire exempts de la juridiction de l'évêque
diocésain et relevant immédiatement du Saint-Siège. L'Abbaye de Terrasson en
fit partie et fut comprise, par l'Ordre, dans la province de Guienne. Elle y
occupa un rang distingué et offrit, à diverses époques, des sujets que surent
apprécier les différentes communautés de la Congrégation. Ainsi, en 1686, un
moine de notre Abbaye, du nom de Dom Jean
(1) Concile de Trente, ss.
25, ch. 8.
p. 351
Valronne, avait le titre de Définiteur de la province de
Guienne, venant immédiatement après le provincial et l'aidant dans
l'administration des affaires spirituelles et temporelles de la province; un
autre, en 1731, appelé Dom Louis de Carbonnière-de-Jayac, fut élevé à la
dignité de Provincial, un troisième, enfin, en 1769, Dom d'Archignac, fut élu
Général de l'Ordre.
VI.
1581 ― 1657.
Les premières années de cette période nous présentent un
étrange spectacle. Notre Abbaye, tombée au pouvoir des seigneurs laïques, est
devenue l'objet des convoitises de plusieurs abbés confidentiaires, qui se la
disputent assez longtemps, chacun faisant valoir ses droits devant le
Grand-Conseil, qui devra intervenir par plusieurs arrêts.
Nous avons vu que l'abbé Eustache de Lespi-
p. 352
nay possédait l'Abbaye et qu'il
en aliénait le temporel en 1564. Conserva-t-il encore longtemps le titre d'abbé?
nous l'ignorons; mais il ne mourut qu'en 1591, étant
évêque de Dol, et, dès l'année 1576, nous lui trouvons pour successeur, avec le
titre d'abbé commandataire, Jean de Villepreux. La bulle de provision de
celui-ci, donnée à Rome le 7 novembre 1576, ne fut fulminée par l'Official de
Sarlat que le 1er janvier 1579, et le titulaire prit possession le 8
du même mois (1).
Deux ans s'étaient à peine écoulés
que ce même Jean de Villepreux résignait en faveur de Pierre de Froidefond, qui
recevait ses bulles le 7 des kalendes de février 1581, et prenait possession le
4 juin de la même année (2). Mais il paraît que la démission de Jean de
Villepreux ne fut pas entièrement volontaire, car, le 30 mai 1582, il
présentait à la cour du Parlement de Bordeaux
(1) Archives de Bordeaux,
arrêt du Parlement du 4 avril
(2) Ibid. ― Voir cet
arrêt à la fin du volume, note C.
p. 353
une requête dans le but de
recouvrer l'Abbaye. La requête disait que Pierre de Froidefond appuyait ses
droits sur une prétendue résignation qu'il avait fait extorquer dudit
Villepreux par force et violence (1).
Les poursuites commencées à cette époque se continuaient
encore en l'année 1591. Mais, Pierre de Froidefond étant mort dans les premiers
jours de cette année, Jean de Villepreux présenta, dès le 16 de février, une
nouvelle réquête au Parlement, dans laquelle il demandait « qu'il lui fût
octroyé main-levée de ladite Abbaye (elle avait été mise en séquestre), avec
restitutions des fruits et tous autres dépens, dommages et intérêts, et autres
frais, et partant qu'il fût maintenu définitivement en la possession et
jouissance de ladite Abbaye (2). »
Le 4 avril 1591, le Parlement rendit, en faveur de Jean de
Villepreux, un arrêt par lequel
(1) Archives de Bordeaux,
arrêt du Parlement du 4 avril 1591. Voir la note G.
(2) Dans le même arrêt.
p. 354
« main-levée fut octroyée avec
inhibitions et défenses à tous qu'il appartiendrait de troubler et empêcher
icelui Villepreux en la possession et jouissance de ladite Abbaye et fruits
d'icelle sur peine de dix mille écus et autre plus grande peine que de droit et
raison (1). »
Mais cet arrêt ne mit point fin aux dissensions et aux
scandales dans notre Abbaye; la guerre se déclara
entre des personnages autres que de simples abbés, et qui n'eurent pas recours
à des arrêts du Grand-Conseil ou des Parlements pour maintenir leurs droits. En
la même année 1591, avant ou après la mort de Pierre de Froidefond, Henri IV
donna l'Abbaye à Jean de Souillac, sieur de Monmège, pour en
faire jouir personne capable. Celui-ci présenta à la nomination du roi Antoine
Le-Sage, mais qui ne put entrer immédiatement en possession, Jean de Villepreux
soutenant toujours ses droits, appuyé par le capi-
(1) Archives de Bordeaux,
arrêt du Parlement du 4 avril 1591.
p. 355
taine Jean de Losse, à qui déjà,
comme nous l'avons vu, l'Abbaye avait été donnée par Charles IX.
La guerre se trouvait donc entre la maison de Monmège et
la maison de Losse; il pouvait en résulter de graves malheurs. Des amis communs
des deux seigneurs intervinrent, et, par accord du mois d'août 1591, Jean de
Souillac consentit à ce que Jean de Losse levât les fruits de l'Abbaye pour les
conserver, à la charge de les rendre à celui auquel l'Abbaye serait adjugée
(1).
Cet accord pacifia pour quelque temps les deux seigneurs,
mais ne rendit pas Jean de Villepreux paisible possesseur de l'Abbaye. La
veille des kalendes de février 1593, la cour de Rome, qui regardait l'Abbaye
comme vacante depuis la mort de Pierre de Froidefond, délivrait à Pierre de
Maux des lettres de provisionne cette Abbaye. Le nouvel abbé prit possession le
3 avril
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet, fonds Lespine, vol. 35, p. 257 et suiv.
p. 356
de l'année suivante et, Jean de
Villepreux ne voulant pas se désister, il lui intenta à ce sujet une action devant
le Grand-Conseil, le 4 avril 1595 (1). Mais si Jean de Villepreux ne voulut pas
céder à son compétiteur, il craignit toutefois d'encourir les censures du
Saint-Siège en méconnaissant les bulles délivrées à Pierre de Maux. C'est
pourquoi il fit procuration, le 1er mai suivant, pour résigner en
cour de Rome l'Abbaye de Saint-Sour en faveur de Bernard Gueyraud.
Cependant Antoine Le-Sage, qui avait été présenté à la
nomination royale, en 1591, par Jean de Souillac, mais qui s'était tenu à
l'écart par suite de l'accord fait entre ce seigneur et Jean de Losse, crut le
moment favorable pour aller s'asseoir sur le siège abbatial. Il obtint, le 4
mai 1595, c'est-à-dire quatre jours après la procuration de Jean de Villepreux,
un brevet de no-
(1) Archives de l'Empire,
minutes du Grand-Conseil, V. 2556, arrêt du 4 avril 1595.
p. 357
mination royale; et voyant que le roi Henri IV, encore
protestant, avait défendu de recourir, à Rome pour la collation des bénéfices,
il présenta une requête au Grand-Conseil dans le but d'être autorisé à prendre
possession de l'Abbaye. Le Grand-Conseil fit droit à sa demande par un arrêt du
9 mai, il déclara « que la dicte prise de possession serait de pareille force
et vertu à la conservation des droictz du dict Le Sage en la dicte Abbaye que
si elle avait été faicte en vertu de bulles expédiées en cour de Rome, à la
charge d'icelles obtenir quand il lui serait permis parle roy (l). »
Qu'arriva-t-il aprés cet arrêt du Grand-Conseil? Nous l'ignorons; mais, sept
jours seulement plus tard, un nouveau compétiteur, du nom de Barthélémy
Montagne, recevait aussi, peut-être sur la présentation de Jean de Losse, une
nomination royale, par brevet du 16 mai 1595, et, le
(1) Archives de l'Empire,
minutes du Grand-Conseil, V. 2546, arrêt du 9 mai 1575 (F.B. devrait être 1595)
p. 358
6 juin suivant, le Grand-Conseil, « attendu les défenses
faictes par le roy d'aller en court de Rome, permettait au dict Montagne,
prestre, de prendre possession de la dicte Abbaye de Saint-Sour en Terrasson,
diocèse de Sarlat, en l'une des chapelles de l'église de Notre-Dame de Paris;
ordonnant que la dicte prinse de possession serait de pareille force et valleur
comme si elle avait été faicte en vertu de bulles expédiées en court de Rome,
pour la conservation des droictz du dict Montagne, à la charge d'obtenir
icelles en la dicte court de Rome quand il lui serait permis; par le roy, et de
prendre possession sur les lieux quand commodément faire ce pourrait (1). »
Nous avons parlé de Bernard Gueyraud, en faveur duquel Jean
de Villepreux avait résigné. Il dut, sans doute, se fatiguer d'attendre de la
cour de Rome ses bulles de provision, et s'adres-
(1) Archives de l'Empire,
minutes du Grand-Conseil, V. 2556, arrêt du 6 juin 1595.
p. 359
ser à l'autorité royale, car nous voyons qu'un brevet du
roi, en date du 10 mai 1596, le nommait à l'Abbaye, vacante, était-il dit, par
la démission de Jean de Villepreux (1).
Le scandale de cette guerre entre ces divers compétiteurs
dura encore une année; le Grand-Conseil y mit fin par un arrêt du 1er
avril 1597, en faveur d'Antoine Le-Sage le déclarant unique possesseur de
l'Abbaye de Terrasson, et faisant « défense à Pierre de Maux, à Bernard
Gueyraud et à tous autres de l'empêcher en la jouissance d'icelle Abbaye, à la
charge d'obtenir par le dict Le-Sage bulles de provision de la dicte Abbaye en
cour de Rome dans six mois (2). »
Le triomphe d'Antoine Le-Sage était le triomphe de Jean de
Souillac, sieur de Monmège, et l'humiliation de Jean de Losse. Celui-ci ne se
crut pas vaincu par un arrêt du Grand-Conseil,
(1) Archives de l'Empire,
minutes du Grand-Conseil, V. 5093, arrêt du 1er avril 1597.
(2) Ibid., dans le même
arrêt. ― Voir cet arrêt à la fin du volume, note II
p. 360
et encore moins lié par l'accord
qu'il avait consenti en 1591 il voulut avoir de force l'Abbaye. « Il vint
l'attaquer, dit Leydet, avec du canon qu'il fit conduire par la Vézère, et avec
lequel il ruina les bâtiments et y mit le feu (1). » Il n'éprouva qu'une faible
résistance de la part de Jean de Souillac; aussi lui fut-il facile d'entrer
dans l'Abbaye et d'y établir ses soldats (2). Le Grand-Conseil eut à se mêler
encore de cet incident d'un nouveau genre, et à soutenir Antoine Le-Sage qu'il
avait mis en possession de l'Abbaye par arrêt du 1er avril 1597. Sur
la requête, qui lui fut présentée par Antoine Le-Sage, et « après charges et
informations faites pour raison de forces et violences commises en la dicte
Abbaye, il ordonna par un autre arrêt du
(l) Biblioth. imp., Mss. Leydet, fonds Lespine, vol. 35, fol. 257 et suiv.
(2) Nous devons dire ici,
pour la gloire d'un nom qui, aujourd'hui encore, est honorablement porté, que
Jean de Losse ne se montra pas toujours tel. Il combattit vaillamment pour la
cause catholique et fut généreux envers les monastères, qu'il préserva plus
d'une fois du pillage des huguenots. Voir à la fin du volume la note I.
p. 361
27 septembre 1597 que le dict Sage serait mis en possession
des maisons de la dicte Abbaye, et enjoignit aux gouverneurs, baillifs,
sénéchaulx, lieutenants du roy en la province de Périgord de tenir et prêter la
main-forte pour la dicte exécution, mesmement mener le canon si besoin était et
faire en sorte que la force restât au roy et la justice fût obéye (1). »
Par le même arrêt, le Grand-Conseil ordonnait « que le
sieur de Bannes, les nommez de Tayac et Belcayre de Puymartin, et le capitaine
La Golse (les complices de Jean de Losse), seraient adjournés à comparoir en
personne au dict Conseil pour répondre à telles fins et conclusions que le
procureur-général du roy au dict Conseil voudrait contre eux prendre et eslire.
»
Nous voyons ici intervenir le maréchal de Biron et les
sieurs de Thémines et Biron, « qui
(1) Archives de l'Emp.,
minutes du Grand-Conseil, V. 2346, arrêt du 27 septembre 1597. Voir cet arrêt à
la note J.
p. 362
pensant mettre les partis hors de tous différents,
auraient, le 20 octobre 1597, donné certain advis par lequel il est dit, entre
autres choses, que Jean de Losse et le sieur de Bannes (son fils), rendraient
au dict Le-Sage tous les papiers, titres et enseignements concernant la dicte
Abbaye, et qu'ils bailleraient dans huitaine un état des fruicts par eux
perçus, pour par le dict Le-Sage poursuivre le recouvrement de ce qui restait
encore; et quant à ceux qui lors avaient été actuellement reçus par les dicts
sieurs de Losse père et fils, qu'ils n'en pourraient être recherchez; que
l'adjournement personnel donné par le Grand-Conseil contre le dict sieur de
Bannes et ses complices cesseraient ensemble les procédures criminelles contre
lui faictes (1). »
Jean de Losse ne voulut point accepter ce moyen
d'arrangement. Le-Sage demanda alors
(1) Dans un arrêt de Henri
IV, Mss. Leydet et Lespine, vol. 35.
p. 363
l'exécution de l'arrêt du
Grand-Conseil, et le Sénéchal de Périgord ne tarda pas à remplir la mission que
cet arrêt lui confiait. Il réunit quelques troupes, se pourvut de canons et
d'autres munitions de guerre, bien résolu de n'user d'aucun ménagement. Mais
Jean de Losse jugea prudent de ne pas l'attendre; il se hâta de retirer ses
soldats et d'abandonner l'Abbaye (1).
Dès ce moment, Antoine Le-Sage fut paisible possesseur de
son bénéfice. Mais Jean de Losse, en se retirant, avait emporté tous les
papiers, titres et enseignements concernant l'Abbaye; Antoine Le-Sage plaida
pour se les faire remettre, de même que les fruits perçus par les de Losse
depuis l'advis du 20 octobre 1597, demanda l'exécution de la dernière clause de
l'arrêt du 27 septembre, et, Jean de Losse étant mort, il poursuivit contre
Jean de Losse, fils, et ses complices l'action criminelle; à cause des excès et
violences par eux commis.
(1) Dans le même arrêt de
Henri IV. Voir la note K.
p. 364
L'héritier du capitaine de Losse n'osa point se risquer à
courir les chances de cette action; nous voyons par un acte du 11 novembre
1602, que « je trouve, dit Leydet, entre les mains de M. Bouquier, avocat à
Terrasson, qu'il offrit au sieur Le-Sage, sous valable acquit et décharge, tous
les titres et documents concernant l'Abbaye, qu'il avait pu recouvrer de divers
endroits et non des papiers, de feu son père où il proteste qu'il n'en a point
trouvé. C'est ce qu'il déclara avec serment et par procureur, devant Me
Dumas, lieutenant-général en la sénéchaussée et siège présidial du
Bas-Limousin, établis en la ville de Brive (1). »
Le-Sage ne dut pas se contenter de cette offre; il dut
persister dans sa demande de restitution des fruits, car, le 31 juillet 1609,
sur une requête de Jean de Souillac, sieur de Monmège, Henri IV, par un arrêt
longuement motivé, or-
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet, fonds Lespine, vol. 35, fol. 257.
p. 365
donna au Grand-Conseil de mettre
fin à ces débats et « faire droits aux parties ainsi qu'ils verraient être à
faire (1). »
Cette discussion dura encore quelques années et finit à
l'avantage de Jean de Souillac et d'Antoine Le-Sage; le 15 juillet 1614,
celui-ci donnait récépissé au sieur de Losse des papiers de l'Abbaye, à
l'exception de trois actes qui manquaient (2).
Nous n'avons pu interrompre le récit des événements que
nous venons de raconter, pour mentionner en son lieu et en l'année 1598, un
fait mémorable dont il a été parlé ailleurs; le solennel pèlerinage à
Notre-Dame-de-Roc-Amadour, touchant spectacle, édifiant tableau qu'offrirent
alors nos moines et le peuple avec eux! Ils allaient, pieux et reconnaissants,
remercier Marie de les avoir délivrés de deux fléaux également cruels: la peste
qui avait causé une
(1) Voir cet arrêt à la fin
du volume, note K.
(2) Mss. Leydet, fonds
Lespine, vol. 35, fol. 257 et suiv.
p. 366
grande mortalité sur les
bestiaux, la sécheresse qui avait fait pressentir à toute la contrée les
horreurs de la famine. Qu'ils étaient beaux les pieds de ces pèlerins! qu'elles étaient gracieuses les ondulations de la pieuse
caravane, gravissant les montagnes, descendant les collines, se développant
dans la profondeur des vallées pour se rendre au sanctuaire miraculeux de
Marie! Oh! sans doute, prosternés aux pieds de la Mère
des miséricordes, après avoir épanché les sentiments de leur reconnaissance,
les pieux disciples de Saint-Sour se souvinrent des malheurs qui avaient
affligé l'enceinte de leur cloître! Ils en gémirent et conjurèrent Marie de ne
pas en permettre le retour.
Après la lecture de ces scènes de désolation, on est
heureux de reposer son regard sur le gracieux contraste que présentent nos
moines prosternés devant la madone de Roc-Amadour. Nous rentrons dans notre
sujet. Paisible possesseur de l'Abbaye de Terrasson, Antoine Le-Sage dut
s'appliquer à y faire refleu-
p. 367
rir la discipline monastique
considérablement affaiblie, sans doute, par suite de toutes ces querelles
d'abbés. Il avait fait, en 1610, un arrangement avec les religieux pour leurs
pensions respectives. « Dans l'énoncé, dit Leydet, paraît d'abord Jean de
Souillac, sieur de Monmège, possesseur de l'Abbaye, puis Antoine Le-Sage, abbé
commandataire. L'abbé y dit que les bâtiments et l'église ont été ruinés dans
les derniers troubles, qu'il a refait la voûte de l'église, etc. (1). » Nous
regrettons que Leydet ne nous ait pas transcrit cette pièce en son entier. Mais
nous présumons qu'il ne s'agissait que d'une réparation à la voûte de l'église
et dans la partie qui existe encore, la voûte de la nef n'ayant pas été
refaite, comme d'autres documents nous l'indiquent.
Quant aux pensions des religieux, le règlement adopté
alors dut être le même qu'un règle
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 257.
p. 368
ment en vigueur en 1770 et qui
fixe pour chaque religieux 19 charges de blé, seigle ou froment, 19 charges de
vin, 12 quartons de graine de lin et de chanvre, 20 livres de chanvre en rame.
Ce qui pouvait représenter, année ordinaire, en valeur de notre monnaie, 550
francs.
Chaque religieux fournissait pour la manse commune 4
charges de froment, 3 charges de seigle, 7 charges de vin, le huitième de 6 quartons de graine de lin, autant de graine de chanvre, 7
livres 12 de chanvre en rame et 25 livres d'argent (1).
L'abbé, commandataire ou titulaire, n'était pas le moins
bien partagé; l'Abbaye lui valait, pour nous servir de l'expression consacrée:
en 1502, 1200 livres; en 1728, 3500 livres; en 1765, 7400 livres; en 1783 et
1789, 8000 livres (2). C'étaient les deux tiers des revenus
(1) Archives de l'église de
Terrasson.
(2) Voir l'Almanach royal,
correspondant à ces années.
p. 369
de l'Abbaye; l'autre tiers
formait la pension des religieux.
La taxe pour la cour de Rome (de 300 florins) et les
réparations des bâtiments étaient à la charge de l'abbé.
Après ce règlement, nous ne connaissons plus aucun acte de
l'abbé Le-Sage, nous n'avons même pas la date de sa mort. « On dit, a écrit
Leydet sans indiquer d'époque, on dit que Antoine Le-Sage ayant été à Paris
pour se démettre entre les mains du roi et se faire nommer de nouveau à
l'Abbaye et en conserver tous les revenus, il disparut et on n'en entendit plus
parler (1). » Cette note nous fait présumer que Le-Sage eût été bien aise de se
débarrasser de Jean de Souillac, comme il s'était débarrassé de Jean de Losse.
C'eût été, du reste, un grand service rendu à l'Abbaye, car Jean de Souillac
s'appliqua moins à y favoriser la dis-
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 257.
p. 370
cipline monastique qu'à s'enrichir
des revenus qu'elle lui apportait. Nous en jugeons par son testament « dans
lequel il est dit, a écrit encore Leydet, que, ayant joui de l'Abbaye de
Terrasson pendant plusieurs années et pour réparer le tort qu'il fit, il a été
engagé par un P. Jésuite qu'il nomme à faire un don à... » etc.
(1). »
Cette note, rapprochée de la précédente dans le manuscrit
de Leydet, ferait croire que cet écrivain soupçonnait Jean de Souillac de
n'avoir pas été étranger au mystère qui couvrit les derniers jours et la mort
de l'abbé Antoine Le-Sage.
Jean de Souillac conserva ses droits sur l'Abbaye de
Terrasson et fit donner pour successeur à Antoine Le-Sage, Jean de Lacroix,
dont nous ne connaissons d'autre acte que celui de sa résignation, mentionnée
dans le brevet de nomination de son successeur, Jean Grangier. Ainsi,
(1) Biblioth. imp. Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 237.
p. 371
Jean de Lacroix ne fut, comme ses prédécesseurs depuis
1591, que confidentiaire. Il se démit purement et simplement, nous ne savons
pour quel motif. Jean de Souillac profita de cette démission, que peut être il
avait provoquée, pour se dessaisir de ses droits sur l'Abbaye, en faveur de son
fils, Jean de Souillac, plus connu sous le nom de Jean de Reillac de Monmège,
qui était alors simple clerc, attaché à l'église de Sarlat. En effet, le brevet
de Louis XIV, du 15 janvier 1649, pour la nomination de Jean Grangier, porte
réserve de 2000 livres de rente, en faveur du clerc Jean de Souillac (1).
Jean Grangier fut intronisé par Bulle d'Innocent X, donnée
le 5 des kalendes de juin 1649. Il ne posséda l'Abbaye que cinq ans, s'étant
démis en février 1654, sous le bon plaisir du roi, est-il dit, avec réserve
d'une pension de 600 livres. Jean de Reillac fut nommé alors abbé
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 237.
p. 372
commandataire par brevet du même
jour, et intronisé par Bulle d'Alexandre VII, donnée à Rome la veille des nones
de juin 1655. Toutefois, il ne prit possession que deux ans plus tard, le 1er
juin 1657, par procuration faite à François de Vins, prêtre et prévôt de la
cathédrale de Sarlat (1). Mais Jean Grangier ne tarda pas à se repentir de sa
complaisance; il voulut rentrer en possession de l'Abbaye et réclama contre sa
résignation. Il y eut procès devant le Grand-Conseil, qui prononça, le 20
octobre 1657. en faveur de Jean Reillac de Monmège.
Nous devons terminer ici cette période, mais auparavant
nous noterons, sans entrer dans aucun détail, quelques événements dont
Terrasson fut le théâtre et auxquels l'Abbaye ne dut pas rester étrangère.
C'est d'abord, en 1589, 1a désolation apportée dans nos
campagnes par l'armée des Ligueurs.
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 257
et suiv.
p. 373
Le Périgord appartenait au roi de Navarre, il n'eut pas de
peine à le reconnaître pour roi de France. Mais quelques détachements de
Ligueurs qui obéissaient au duc de Mayenne, conduits par un chef nommé de Loin,
par Rastignac et par plusieurs gentilshommes du Périgord, formèrent le projet
d'aller s'emparer de la ville de Brive, qui s'était déclarée pour Henri IV,
presqu'aussitôt après la mort de Henri III. Ce projet nous fut funeste. Les
troupes des Ligueurs ravagèrent toutes les campagnes et pillèrent toutes les
maisons dans les environs de notre ville, surtout les maisons et les propriétés
des bourgeois, car alors la noblesse commençait à comprendre que la bourgeoisie
se tournait contre elle pour la dominer un jour (1).
Les autres événements eurent lieu du temps des troubles de
la Fronde, dont le Périgord et le Bas-Limousin furent les principaux théâtres.
(1) Marvaud, hist. du
Bas-Limousin, tom. 2, p. 566. Leymonerie, hist. de Brive-la-Gaillarde, page
122.
p. 374
Après l'arrestation du prince de Condé (18 janvier 1650),
le château de Turenne, où s'était retirée la princesse Marie-Clémence de
Mailhé, qui fut l'héroïne de cette guerre ridicule, était devenu le rendez-vous
général des Frondeurs. Les vues de la princesse étaient de se porter de là sur
Bordeaux en passant par la maison de Coutras. Terrasson devenait pour cela une
place importante par son pont sur la Vezère; aussi trouvons-nous dans les
Mémoires de Lénet, qui accompagnait la princesse, que cette ville fut
successivement, occupée par les armées royales et par les révoltés, que l'une
et l'autre armée s'y retrancha plusieurs fois et y laissa des troupes
considérables. Il y eut même sous les murs de cette ville un combat sanglant
qui nous est ainsi raconté par Gaspard, comte de Chavagnac, l'un des chefs de
l'armée royale « j'établis mon quartier d'hiver tranquillement dans le
Périgord. J'eus avis que les troupes de M. le Prince, qui étaient sous le
commandement de mon frère, s'assemblaient du
p. 375
côté de Terrasson. A l'instant je
mandai à Folleville, maréchal de camp, de me venir joindre. Nous apprîmes que
d'Aubeterre aurait assiégé le château de Déborie, dont la perte nous aurait
fait un préjudice considérable pour nos quartiers, ce qui me fit faire onze
lieues de traite jusqu'à Issandon. Comme les ennemis ne s'attendaient pas que
j'arriverais du côté de Terrasson, ils en prirent l'alarme et montèrent à
cheval. Je leur détachai quelques escarmoucheurs, tandis que je me mettais en
bataille... Je ne fus pas plus tôt à la tête de ma ligue que j'attaquai les
ennemis et les rompis. Ils perdirent 2000 hommes et quantité d'honnêtes gens
dont Feuquières et Vauldy étaient du nombre. Nous leur prîmes 300 chevaux, les
poussant jusqu'à Périgueux. Aubeterre en fut quitte pour sa perruque qu'il
laissa entre les mains de Cantonnet qui croyait l'arrêter par les cheveux.
J'envoyai Pammereux à la poursuite de l'infanterie dont il en tua 150 et en
prit deux cents, et le reste s'é-
p. 376
tant noyé dans la rivière. Je ne
perdis que 200 hommes en tout dans cette action dont j'envoyai porter la
nouvelle en cour par Lasserre-Chabot (1). »
Il peut y avoir de l'exagération dans ce récit de Gaspard
de Chavagnac. Ce fait d'armes est appelé dans ses mémoires Combat de Terrasson.
VII
1657 ― 1793.
Nous avons laissé l'abbé Jean de Reillac de Monmège
prenant possession de l'Abbaye. « Lorsqu'il y entra, a écrit Leydet,
l'abbatiale était ruinée de fond en comble et réduite en mazure, et l'église
dans un misérable état, la nef sans voûte et presque sans charpente et sans
couverture (2). »
(1) Mémoires de Gaspard
comte de Chavagnac. ― Amsterdam, 1711. ― 3e édition.
(2) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 255
et suiv.
p. 377
Nous devons des éloges à cet abbé. Il s'appliqua à faire
oublier les torts que son père, Jean de Souillac, avait eus envers l'Abbaye. Il
reconstruisit les cellules des moines et le château abbatial, tels qu'ils sont
aujourd'hui. On voit sur la porte principale de l'Abbaye la date 1657, preuve
évidente que l'abbé de Monmège ne tarda pas longtemps, après sa prise de
possession, à mettre la main à l'oeuvre (1). Mais il n'entreprit point la
reconstruction de la nef de l'église; nous la voyons aujourd'hui telle qu'elle
devait être alors, moins, toutefois, ce reste de charpente et de couverture
dont parle Leydet, moins aussi la hauteur des murs latéraux, dont plusieurs
mètres furent démolis, il n'y a qu'une trentaine d'années, par les caprices
d'une bizarre et trop libre excentricité.
(1) Les armes de cet abbé,
trois épées, les pointes en bas, posées en pal, se voient au-dessus d'une
fenêtre du corps de bâtiment qu'on appelait Infirmerie.
L'exemple de l'abbé de Monmège
eut une heureuse influence sur les habitants de Terrasson. Tous mirent la main
à l'oeuvre pour réparer leurs habitations ou en construire de nouvelles.
Beaucoup de maisons de la ville datent de cette époque.
p. 378
L'abbé de Monmège favorisa aussi la réforme des moines et
contribua à les faire revenir aux observances religieuses.
Bien des abus, conséquence presque inévitable des
événements que nous venons de raconter, s'étaient introduits dans le monastère.
L'office canonial ne s'y faisait plus ou ne s'y faisait que bien négligemment;
privés de leurs cellules ou logés comme ils avaient pu sous leurs débris, les
religieux ne suivaient plus les règles de la vie commune et monastique, mais
chacun restait et vivait en son particulier. Par un acte capitulaire du 5
décembre 1657, il fut arrêté qu'on mettrait fin à ces abus. De sages
prescriptions furent adoptées alors, et, quelques mois plus tard, une
circonstance heureuse, la visite du Général de l'Ordre, vint en favoriser
l'exécution. Nous allons transcrire un acte capitulaire du 6 avril 1658:
« Aujourd'hui sixiesme du mois d'avril mil six cent
cinquante et huict dans le chapitre du monastère de Terrasson ordre de Saint
p. 379
Benoist les religieux capitulans, ayant este appelés par
le son de la grand cloche capitulayre et estant assembles et faict horaysons et
prieres acoustumees leur auroit este represante par frère Anthoine Bouquier
prieur de ladicte Abbaye qu'il auroit rescu une lettre en dacte du premier
avril de monsieur leur general et signée de Bomard prieur de Guistres (1), par
laquelle lettre il leur mande de se tenir prests a le rescevoir dans leur
monastère pour y faire sa visite comme ses prédécesseurs avoint acoustume de faire
et préparer toutes choses a ces fins requises, laquelle lettre leur auroit este
lue dun bout a lautre laquelle finie tous dune commune voix auroint respondu
quil y a long temps quils attendoint avoir ce bon heur et quils feroint leur
possible a luy rendre leurs debvoirs et soubsmissions religieuses et le
rescevoir pour leur supérieur et general de lordre,
(1) Guistres ou Guîtres,
dans le diocèse de Bordeaux. Il y avait une Abbaye de Bénédictins, d'un revenu
de 3500 livres.
p. 380
De plus et a linstant leur auroit este represante que des
le cinquiesme decembre mil six cent cinquante et sept il auroit este arreste
par acte capitulayre signe des susdicts capitulans que les offices se feroint
regulierement ou tous les religieux assisteroint sauf excuse legitime en
observant comme est dict par ledict acte les points et flexions, quon
observeroit le voeu dobediance quon porterait la couronne rase et a la
coustumee, lesquelles en partie ayant este negligees il (le prieur) les exorte
de tout son pouvoir de les vouloir observer sur paine dinobediance, et pour le
regard de loffice divin a este arreste que matines et laudes se diroint a
lheure de cinq heures du matin et le reste des heures a la coustumee vespres a
trois heures et complies a cinq ou tous les religieux assisteront sauf excuse
legitime et pour ce qui regarde les grand messes convantuelles et celles ou lon
faict diacre et soubsdiacre lon se rengera par la table que lon faict
regulierement toutes les seupmaines que lon lira dans
p. 381
la sacristie, lesquelles choses
nous prions les freres religieux de vouloir faire a la plus grand gloyre de
Dieu et esdification du prochain. »
Cet acte capitulaire porte les signatures de « Bouquier
prieur, Vidal sacristain, Bouquier prevost de Saint-Julien, Jaylle chantre,
Laroque clerc (1). »
Dès ce moment, la réforme fut introduite dans le
monastère, et le Général, lorsqu'il arriva pour faire sa visite, n'eut besoin
que d'exhorter les moines à persévérer dans l'observance des saintes règles.
L'abbé de Monmège, qui avait, ainsi que nous l'avons dit,
favorisé cette réforme, possédait encore l'Abbaye en 1719. Il se démit alors
purement et simplement sans aucune réserve de pension. La mort de ses deux
frères l'avait rendu propriétaire et seigneur de la terre de Monmège; une soeur
devint son héritière et porta cette terre à Dubernard, capitaine de dragons,
(1) Archives de l'église de
Terrasson.
p. 382
chevalier de Saint-Louis et
seigneur de Pelvezy (1).
L'abbé de Monmège eut pour successeur Jean Jacques
Dussault, nommé par brevet du roi le 17 juillet 1719 et intronisé par Bulle
donnée à Rome le 9 des kalendes de septembre de la même année. Mais cette Bulle
n'ayant été fulminée par l'Official de Sarlat que le 22 avril de l'année
suivante, Dussault ne prit possession que le 30 de ce même mois (2). Il n'était
alors que simple clerc tonsuré; plus tard il fut prêtre, prieur de Nailhac et
vicaire-général de l'évêque de Sarlat. Par procuration du 9 juin 1720,
procuration pleine et entière, non sujette à surrannation mais valable pour
toujours, il avait chargé son prédécesseur, Jean de Reillac, de percevoir les
fruits de l'Abbaye (3).
L'almanach royal nous donne le nom de cet
(1) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 255
et suiv.
(2) Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol. 35, fol. 257
et suiv.
(3) Archives de l'église de
Terrasson.
p. 383
abbé jusqu'en 1780. Dussault fut
donc abbé commandataire pendant soixante ans. Il habita peu Terrasson. On lui
doit la construction de la partie de l'Abbaye qui sert aujourd'hui de
presbytère.
Après l'abbé Dussault, l'almanach royal porte pour abbé
commandataire, jusqu'en 1789, Joseph-Anne-Luc-de-Ponte-d'Albaret, évêque de
Sarlat.
Ce fut sous l'abbé Dussault que la Congrégation des
Bénédictins-Exempts se trouva dissoute par le fait des réformes que le roi
Louis XV voulut apporter dans les monastères. Par son édit du mois de mars 1768
(1), ce monarque avait prescrit, entre autres choses, « que tous les monastères
d'hommes, non réunis en congrégation, seraient composés du nombre de quinze
religieux au moins, non compris le supérieur, et les monastères réunis en
congrégation, du
(1) Recueil général des
anciennes lois françaises, par MM. Isambert, de Cruzy et Taillandier, tom. 22,
page 476.
p. 384
nombre de huit religieux au
moins, sans compter le supérieur. »
La disposition de cet article frappait au coeur la
congrégation des Bénédictins-Exempts. Un Chapitre général de l'ordre fut tenu
au Maz-d'Azil, le 6 mars 1769; on y reconnut l'impossibilité d'observer les prescriptions
du roi, attendu qu'il n'y avait pas dans toute la congrégation plus de soixante
religieux, et il fut arrêté qu'on en demanderait la dispense. En effet, par
lettres-patentes du 25 mars 1770, le roi voulut bien dispenser la congrégation
des Bénédictins-Exempts des prescriptions dont nous venons de parler, et qui
étaient comprises dans les articles 5, 7 et 10 de l'édit de 1768.
Mais ces mêmes lettres-patentes, en accordant la dispense
demandée, défendaient de recevoir, à l'avenir, dans les monastères de la
congrégation, aucun nouveau sujet au noviciat ou à la profession religieuse, et
ordonnaient qu'en exécution de l'édit de 1768, et conformément au désir exprimé
par le Chapitre général, « tous et
p. 385
un chacun des monastères de ladite congrégation
demeureraient soumis immédiatement à la juridiction des archevêques et évêques
diocésains; autorisaient les archevêques et évêques dans les diocèses desquels
étaient situés les monastères de ladite congrégation, à procéder immédiatement,
suivant les formes prescrites par les saints canons et les ordonnances du
royaume, à l'extinction, suppression et union des menses conventuelles desdits
monastères et offices claustraux en dépendant, pour en être les revenus
appliqués à tels établissements ecclésiastiques qu'ils jugeraient convenables
(1). »
En vertu de ces lettres-patentes, l'Abbaye de Terrasson
releva immédiatement de l'évêque de Sarlat, qui la réunit au collège de sa
ville épiscopale. D'autres lettres-patentes du roi vinrent confirmer
l'ordonnance de l'évêque; elles portaient que les religieux seraient libres de
vivre
(1) Biblioth. du Louvre, Recueil des ordonnances, B. 585.
p. 386
en communauté ou d'aller vivre
ailleurs, mais que, dans l'un et l'autre cas, ils jouiraient jusqu'à leur mort
des revenus attachés à l'office claustral dont ils étaient titulaires; ces
revenus ne devant faire retour au collège de Sarlat que par le décès de chaque
religieux. A l'époque où s'opéra cette réunion, les moines de notre Abbaye
étaient au nombre de sept. L'un d'entre eux, Dom Pierre Poncelet, ne résidait
pas depuis quelques années. Ses frères lui avaient retenu les fruits de sa
prébende pour l'obliger à la résidence; un procès s'en était suivi et était
pendant encore devant le lieutenant du Sénéchal du Périgord, au siège de
Sarlat, Dom Poncelet opposa à ses confrères la liberté que lui donnaient les
lettres-patentes du roi, et la sentence du juge fut en sa faveur.
Ce Dom Poncelet avait été précédemment Récollet à Sarlat.
Ayant usé sa santé dans les travaux de la prédication, il avait obtenu du
Saint-Siège l'autorisation d'entrer dans un ordre moins austère. On a de lui
les ouvrages suivants: La
p. 387
chimie du goût, 1 vol. in-8°. ―
Traité sur l'éducation de la Noblesse française, 1 vol. in-8°. ― Traité
sur l'électricité du tonnerre, 1 vol. in-8°.
Par suite du jugement en faveur de Pierre Poncelet, il ne
resta plus dans notre Abbaye que six religieux, qui continuèrent à y vivre en
communauté jusqu'en 1789, époque de la suppression générale des Ordres
religieux par la Constituante. Nous conserverons ici les noms de ces nobles
débris d'un monastère qui eut douze siècles d'existence: Dom François Mayaudon,
prieur claustral et prévôt de Saint-Julien; Dom Valen, sous-prieur; Dom
Nicolas, chantre; Dom Lapeyre, infirmier et syndic (il mourut en 1781); Dom
Valen, clerc; Dom Delbos. L'orage révolutionnaire les dispersa, mais aucun
d'eux ne prêta le serment à la Constitution civile du clergé. Ils conservèrent
intacts, jusqu'à leur dernier soupir, et leur foi de chrétien et l'honneur de
leur saint Institut.
A cette époque, le château abbatial et la de-
p. 388
meure des moines avec les biens
qui en dépendaient furent confisqués au profit de la Nation et vendus à vil
prix. L'église abbatiale elle-même devait être démolie, et, déjà, les ouvriers
étaient gagés pour cette dernière oeuvre de vandalisme; mais il fallait une
salle pour les assemblées du club et le culte ridicule du décadi, et le
monument fut conservé. C'est aujourd'hui l'église paroissiale de Terrasson,
attendant qu'une main heureuse vienne rétablir les voûtes de sa nef et lui
rendre sa riche façade qui dominait la ville et montrait au loin, au voyageur,
l'entrée de la maison de Dieu.
Le château abbatial et les cellules des moines, après
avoir été, pendant soixante ans, la demeure de plusieurs petits ménages,
viennent, tout récemment, par une inspiration heureuse, d'être rachetés en
partie et rendus, en quelque sorte, à leur première destination. Notre antique
Abbaye n'est plus occupée par les doctes enfants de Saint-Benoît, mais par les
humbles disciples de l'abbé Champagnat, les Petits
p. 389
Frères-de-Marie, modestes religieux dont les fonctions,
pour être plus simples, n'en sont pas moins utiles, et qui vont renouer parmi
nous la chaîne des traditions religieuses, interrompues pendant soixante-ans.
Dans ces vastes cours où l'on voyait autrefois les moines aux têtes chauves ou
blanchies par les veilles plus que par les années, folâtre aujourd'hui une
troupe bruyante de petits enfants, heureux, sous l'oeil de leurs Chers-Freres,
de se livrer aux jeux et aux courses de leur âge; génération insouciante qui
foule d'un pied léger une terre arrosée autrefois par les larmes de la
pénitence et les sueurs du travail.
Si maintenant nous jetons un regard rétrospectif et
d'ensemble sur ces douze siècles que nous venons de parcourir avec toute la
rapidité d'un simple chroniqueur, si nous embrassons d'un coup-d'oeil tous les
malheurs de cette Abbaye de Saint-Sour, nous aurons lieu de nous étonner
qu'elle ait pu avoir douze siècles d'existence. La vie religieuse devait être
profondé-
ment enracinée dans notre sol; il
ne fallait pas moins que l'orage de la fin du dernier siècle pour l'en
arracher.
VIII.
CATALOGUE DES
ABBES QUI ONT GOUVERNÉ L'ABBAYE
DE TERRASSON
(l).
I. ― Saint Sour, fondateur de l'Abbaye, né en
Auvergne en 501 et mort en 580, le 1er février, jour auquel l'Eglise
a toujours célébré sa fête.
II. ― Saint Aredius ou Yrier. Il fut l'ami de saint
Sour et son successeur dans le gouvernement de l'Abbaye de Terrasson
, qu'il soumit
(1) Dom Claudius Estiennot
et les auteurs de la Gallia Christiana nous ont laissé un catalogue des abbés
de Terrasson, mais incomplet. Il ne contient que quinze noms. Leydet et Lespine
en ont laisse un plus complet; nos recherches nous ont permis d'y ajouter
quelques noms et de le continuer jusqu'en 1789.
p. 391
à celle de
Saint-Michel-de-Pistorie. Il mourut à Athane en l'année 595.
III. ― Saint Astidius, ou Astié. Il était neveu de
saint Yrier, il lui succéda dans le gouvernement des Abbayes d'Athane et de
Terrasson. Il mourut à Vigeois, vers l'année 616.
Nous perdons ici la suite des abbés jusqu'à l'année 940.
IV. ― Adazius, ou Adacius. Il était abbé du
monastère de Saint-Martin de Tulle, lorsque, en 940 ou 945, il reçut de
Bernard, comte de Périgord, l'Abbaye de Terrasson, pour la gouverner selon la
règle de Saint-Benoît. Il mourut peu d'années après. Nous ne connaissons pas
son successeur immédiat.
V. ― Adémard. La Gallia-Christiana, qui nous donne
le nom de cet abbé, ne cite aucun de ses actes, mais le
place immédiatement après saint Astié et en l'année 1001. Peut-être, dit
Lespine, est-ce le même qu'Adémard de Saint-Rabier; mais Lespine ne parle point
des deux abbés intermédiaires.
p. 392
VI. ― Geraud de Mausac. Il est cité dans la
chronique de Geoffroi-de-Vigeois en l'année 1068, et en l'année 1074 dans
Justel (preuves de l'histoire de la maison de Turenne).
VII. ― Geraud de Courtallié. Il est cite dans la
chronique de Geoffroi-de-Vigeois comme ayant été le prédécesseur immédiat du
suivant. Nous ne connaissons aucun de ses actes.
VIII. ― Adémard de Saint-Rabier (à Sancto-Riberio).
Il fut élu en 1101, et soumit l'Abbaye au monastère de Saint-Martial de
Limoges. Nous le trouvons, en 1114, à l'élection de Bernard, abbé de
Saint-Martial; il y assiste avec Raymond, abbé de Vigeois, Etienne, abbé de
Saint-Augustin de Limoges, Eldebert, doyen de Limoges, sous l'épiscopat
d'Eustorge.
IX. ― Bernard, surnommé Vicaire ou Viguer, sans
doute parce qu'il gouvernait sous l'autorité de l'abbé de Saint-Martial. Il fut
humilié devant le chapitre de Saint-Martial par Albert, abbé de ce monastère.
Nous le trouvons, sous la date de 1145, dans la chronique de Geoffroi-de
p. 393
Vigeois, et, en l'année 1154, dans un manuscrit de
l'église de Cadouin; il assista à la consécration de cette église avec les
abbés de Moissac, de Condom, de Sept-Fons, de Ferrières, de Fond-Guilhem, de la
Celle, d'Orléans, de la Sauve et de Faize, et les évéques de Périgueux, d'Agen
et d'Angoulême.
X. ― Raymond. Nous trouvons le nom de cet abbé dans
la Gallia-Christiana et dans une charte de l'abbaye de Dalon, de l'année 1178.
Nous avons parlé de la vente qu'il fit à cette abbaye de trois manses et de
deux borderies.
XI. ― Gerald ou Geraud. La Gallia-Christiana nous
donne le nom de cet abbé, d'après le cartulaire de l'abbaye de Dalon et sous
les dates de 1186 et 1188. Nous avons rapporté plusieurs de ses actes.
XII. ― Hélie de Ceyrac. On ignore entièrement à
quelle époque vivait cet abbé. Nous lui conservons dans ce catalogue le rang
qui lui est donné par Claudius Estiennot et les auteurs de la
Gallia-Christiana. Il était moine du monastère
p. 394
de Solignac (1) lorsqu'il fut
nommé à l'Abbaye de Terrasson.
XIII. ― Raymond. Nous avons parlé des actes de cet
abbé sous les dates de 1220, 1223, 1224. Nous ignorons l'époque de sa mort,
mais, probablement, il vivait encore en 1236 et soutint les droits de l'Abbaye
contre les consuls et les bourgeois de Terrasson. Nous reproduisons à la
troisième lithographie le sceau et le contrescel de cet abbé.
XIV. ― Guillaume. Leydet et Lespine nous donnent le
nom de cet abbé, d'après les archives de l'évêché de Périgueux, et le placent
aux nones de septembre 1239. Sous cette date, on le voit comme témoin avec
Jean, abbé de Châtre.
(1) Solignac, Solemniacum, à
trois lieues de Limoges. Cette abbaye fut fondée en 651 par saint Eloi. ―
« Un jour Eloi, abordant le roi Dagobert, lui dit: Mon Prince, je viens vous
demander une grâce. Donnez-moi la terre de Solignac, afin que j'en fasse une
échelle, par laquelle vous et moi nous méritions de monter au ciel. Et le roi
ne résista pas à un motif si pressant, et lui donna volontiers cette terre,
située près de Limoges. Eloi y fit aussitôt bâtir un monastère, où il établit
la règle de Saint-Colomban et celle de Saint-Benoit. » (Hist. de l'Eglise
Gallicane, tome 5, p. 451),
p. 395
dans un traité fait dans la
commanderie de Condat (in hospitali de Condato), entre Pierre, évêque de
Périgueux, et Guillaume de Salanhiac, archidiacre du diocèse. On n'a point la
date de sa mort.
XV. ― Hugues Laroche. Nous avons rapporté divers
actes de cet abbé sous les dates de 1241, 1253, 1279. Nous reproduisons à la
troisième lithographie son sceau et son contre-seel, pris sur une charte de
l'abbaye de Dalon.
XVI. ― Gerald. La Gallia-Christiana ne nous donne
que la première lettre du nom de cet abbé. Elle le trouve, sous la date de
1306, dans le cartulaire des évêques de Paris. Nous ne connaissons aucun de ses
actes.
XVII. ― Helie. C'est par les archives du Vatican que
nous connaissons le nom de cet abbé; il mourut avant le 17 juillet 1318, date
de la nomination de son successeur.
XVIII. ― Pierre Ier de Ferrières. Sa
provision à l'Abbaye de Saint-Sour, vacante par la mort d'Hélie, fut donnée à
Avignon le 17 juillet 1318.
p. 396
Il fut témoin, en 1320, d'un acte passé à Terrasson le
lundi après la fête de Saint-Julien, « par lequel acte Belhomme de Souillac,
damoiseau de Monmège, promit de payer à Raymond du Fraysse (de Fraxinu),
damoiseau de Terrasson, la somme de 4000 sols, monnaie de Périgord, qui
restaient à payer de la dot de Raymonde de Souillac, sa fille, femme dudit
Raymond du Fraysse. » (Mss. Leydet). On trouve le même abbé, dans des actes de
1321 et 1322. Lorsqu'il fut nommé à l'Abbaye de Terrasson, il était moine de
l'abbaye de la Grande-Sauve, de l'ordre de Saint-Benoît, fondée en 1077, dans
le diocèse de Bordeaux.
XIX. ― Bertrand. Il fut pourvu le 1er
mars 1344 et béni le 31 mai suivant. Il était, lors de sa nomination, prieur du
monastère de Saint-Martin de Tulle. Il mourut avant le 3 septembre de la même
année, date de la nomination de son successeur (Mss. Leydet).
XX. ― Pierre II fut promu le 3 septembre 1344,
l'Abbaye étant vacante par la mort
p. 397
de Bertrand, et béni le 8 octobre
suivant. Il était déjà moine de Terrasson avec le titre de prieur de Lachapelle-Mouret.
Il était encore abbé en 1354 (Gall.-Christ., Mss. Leydet).
XXI. ― Hugues de Laroche (de Ruppe). Il était prieur
de Saint-Privat, de l'ordre de Saint-Benoît, dans le diocèse de Périgueux,
lorsqu'il fut nommé à l'Abbaye de Terrasson le 17 septembre 1362; il mourut en
1370. Nous avons rapporté ses actes.
XXII. ― Helie. Il fut nommé par bulle du 6 des
kalendes de novembre 1370; il était, comme son prédécesseur, prieur de
Saint-Privat. Il est fait mention de cet abbé, sous la date du 15 décembre
1372, dans le registre coté obligationes servitiorum, fol. 345, des archives du
Vatican (Mss. Leydet).
XXIII. ― Guillaume. Nous n'avons pas la date de son élection,
mais nous voyons qu'il se démit en 1382, entre les mains de Thomas, archevêque
de Naples, nonce du Saint-Siège, délégué
p. 398
à cette fin par Bref daté
d'Avignon le 6 des ides d'octobre 1382 (Mss. Leydet).
XXIV. ― Helie. Il succéda à Guillaume en 1382. Le
Bref adressé à Thomas, archevêque de Naples, nonce du Saint-Siège, porte que
l'abbé Hélie, avant de prendre possession de l'administration des biens de son
Abbaye, prêtera le serment accoutumé, qui sera reçu par le nonce au nom de la
sainte Eglise Romaine et selon la formule envoyée. Nous ne connaissons, du
reste, aucun des actes de cet abbé. Il était, précédemment, abbé du monastère
des SS. Serge-et-Bache, près d'Angers (Mss. Leydet).
XXV. ― Guy des Motes. Nous avons rapporté les actes
de cet abbé sous ces dates: 26 novembre 1385, 9 août 1393, 18 juillet 1395, 3
octobre 1396, 25 décembre 1397. Nous n'avons point la date de sa mort (Mss.
Leydet).
XXVI. ― Hugues de Brosse. Il était de la famille des
seigneurs de Sainte-Sévère, descendants des vicomtes de Limoges
(Gall.-Christ.). il fut
p. 399
abbé de Terrasson de 1439 à 1461
(Mss. Leydet). Nous avons rapporté ses actes.
XXVII. ― Robert de Pompadour, licencié ès lois,
archidiacre et chanoine de Briançay, doyen d'Angoulême, abbé commandataire ou
administrateur perpétuel des abbayes de Terrasson et d'Aubeterre
(Gall.-Christ., Mss. Leydet). On le trouve abbé de Terrasson depuis le 13 mars
1479 jusqu'au 2 août 1487. Nous ne connaissons point ses actes.
XXVIII. ― Bertrand de Labrousse. Leydet nous donne
le nom de cet abbé d'après une charte de l'Abbaye, sous la date du 31 juillet
1489. Mais Leydet ne rapporte aucun de ses actes.
XXIX. ― Bertrand de Roffignac, abbé commandataire.
Il dut succéder au précédent. Il était encore abbé en 1505 et peut-être
plusieurs années après (Gall.-Christ., Mss. Leydet). Nous avons raconté ses
actes.
XXX. ― Robert de Pompadour. Les catalogues de
Claudius Estiennot, de la Gallia-Chris-
p. 400
tiana, de Leydet, ne donnent
qu'un abbé de ce nom, celui que nous avons déjà classé. Nous en trouvons deux
dans le P. Bonaventure (Annales du Lim., p. 464), et dans Marvaud (Hist. du
Bas-Lim., t. 2, p. 255). Ces auteurs placent celui-ci sous le règne de Louis
XII. Il était en même temps doyen de Limoges et archidiacre de Poitiers;
Marvaud dit même qu'il fut évêque de Poitiers. Nous ne connaissons, du reste,
aucun de ses actes.
XXXI. ― Antoine Brigon. Leydet et Lespine nous
donnent le nom de cet abbé sous les dates des 13 janvier, 29 janvier et 4
février 1512. Nous avons eu lieu d'en parler.
XXXII. ― Bertrand de Lafaye, abbé commandataire.
Nous trouvons le nom de cet abbé dans un acte du 2 mai 1513 (Mss. Leydet). Nous
avons rapporté ses actes.
XXXIII. ― Hugues de Roffignac, de la même famille
que Bertrand de Roffignac. Nous le trouvons sous la date de mars 1514; il était
licencié, protonotaire apostolique et recteur de l'é-
p. 401
glise paroissiale de Saint
Pantaléon de Chavagnac. Nous avons raconté ses actes.
XXXIV. ― Antoine de Mosuar, peut-être de Mosnar. Son
investiture porté la date du 18 mars 1517. Il fut en
possession de l'Abbaye pendant trois ans (Mss. Leydet).
XXXV. ― Bertrand de Lafaye. Il fut abbé
commandataire depuis le 14 mars 1520 jusqu'à l'année 1541, avec le titre de
protonotaire du Saint-Siège. Il se démit en faveur de son neveu, sous réserve
d'une pension (Mss. Leydet). Nous avons rapporté ses actes.
XXXVI. ― Pierre de Lafaye, neveu du précédent. Son
investiture est datée de la 7e année du Pape Paul III, 23 mai 1541
(Mss, Leydet). Nous n'avons pas la date de sa mort.
XXXVII. ― Adrien. Le nom de cet abbé nous est fourni
par les archives du Vatican. Dans l'acte consistorial du 15 mars 1559, qui met
notre Abbaye en commande, à la nomination du roi, il est dit qu'elle était
vacante par la mort d'Adrien. Lespine pense que cet abbé était, lors
p. 402
de sa nomination, recteur de
Glanvilla, dans le diocèse de Lisieux. M. de Courcelles le fait prieur de
Beaulieu (1). Il était de la famille des Lespinay-Saiut-Luc et frère du
suivant.
XXXVIII. ― Eustache ou Charles de Lespinay, dit de
Saint-Luc, appelé Eustache des Haies par Claudius Estiennot et la
Gallia-Christiana, frère du précédent. Nous n'avons pas la date de sa
nomination, mais nous le trouvons en 1564. Il mourut en 1591, évêque de Dol. Nous
avons rapporté ses actes (2).
XXXIX. ― Jean de Villepreux. Sa Bulle de provision,
donnée à Rome le 7 novembre 1576, ne fut fulminée par l'official de Sarlat que
le 1er janvier 1579. Cet abbé ne fut point paisible possesseur de
son Abbaye. Nous avons rapporté ses actes.
XL. ― Pierre de Froidefond. Nommé, par
(1) Histoire généalogique et
héraldique des pairs de France, t. XI, art. d'Espinay-Saint-Luc.
(2) Les armes des Lespinay
étaient: d'argent, au chevron d'azur chargé de onze besants d'or.
p. 403
Bulle du 7 des kalendes de février 1581, il prit
possession le 4 juin de la même année. En 1583, il fit hommage, pour la
temporalité de l'Abbaye, au roi de Navarre, comte de Périgord. Il mourut dans
les premiers jours de l'année 1591. Nous avons rapporté ses actes.
XLI. ― Pierre de Maux. Nommé par le Saint-Siège la
veille des kalendes de février 1593, il prit possession le 3 avril 1594.
XLII. ― Antoine Le-Sage. Il fut nommé par brevet du
roi Henri IV, le 4 mai 1595, et autorisé par le Grand-Conseil à prendre
possession.
XLIII. ― Barthélémy Montagne. Il fut nommé par
brevet du roi Henri IV, le 16 mai 1595, et autorisé le 6 juin suivant, par le
Grand-Conseil, à prendre possession en l'une des chapelles de l'église de
Notre-Dame de Paris.
XLIV. ― Bernard Gueyraud. Il fut nommé par brevet du
roi, le 10 mai 1596.
Ces quatre derniers abbés se disputèrent longtemps
l'Abbaye. Elle fut adjugée, par arrêt du
p. 404
Grand-Conseil (1er avril 1597), à Antoine
Le-Sage, qui la possédait encore en 1614.
XLV. ― Jean de Lacroix, et peut-être de Lanoix. Nous
n'avons point la date de la nomination de cet abbé. Il se démit le 15 janvier
1649.
XLVI. ― Jean Grangier. Il fut nommé par brevet de
Louis XIV, le 15 janvier 1649, et intronisé par Bulle du Souverain Pontife, le
5 des kalendes de juin de la même année. Il se démit, sous le bon plaisir du
roi, dans le mois de février 1654, avec réserve d'une pension de 600 livres.
Nous avons rapporté ses actes.
XLVII. ― Jean Reillac-de-Monmège. Il fut nommé par
brevet du roi, dans le mois de février 1654, et intronisé par Bulle du
Souverain Pontife, la veille des nones de juin 1655. Il ne prit possession que
le 1er juin 1657, et se démit le 17 juillet 1719. Nous avons
rapporté ses actes. Sous cet abbé le prieur claustral était, de 1686 à 1701,
Jean de Calvimond. Nous avons aussi les noms de quelques religieux de la même
époque: F. J. Bouquier, prévôt de Saint-Julien;
Dom Bouquier; Dom C. de Vomelle; Dom Jean de Valronne,
infirmier et définiteur de la province de Guienne.
XLVIII. ― Jean-Jacques Dussault. Il fut nommé par
brevet du roi, le 17 juillet 1719, et intronisé par Bulle donnée à Rome le 9
des kalendes de septembre de la même année et fulminée par l'Official de Sarlat
le 22 avril 1720. Il posséda l'Abbaye jusqu'en 1780. Nous avons rapporté, ses
actes.
XLIX. ― Joseph-Anne-Luc de Ponte-d'Albaret, évêque
de Sarlat; abbé commandataire de Terrasson de 1780 à 1789, d'après l'almanach
royal. Le prieur claustral, avec le titre de prévôt de Saint-Julien, était, de
1770 à 1789, François Mayaudon-Prayssac, originaire de Terrasson.
IX.
SIGILLOGRAPHIE.
Nous terminerons cette Notice par la reproduction des
sceaux de quelques abbés et du sceau
p. 406
de l'Abbaye en 1686. La
sigillographie n'est pas la partie la moins intéressante de l'histoire des
Ordres religieux:
N° 1. ― Sceau de Ramond, abbé de 1220 à 1236. Ce
sceau a été fait d'après l'empreinte apposée sur la charte que l'évêque de
Périgueux et les abbés du Périgord adressèrent en 1223 au roi Louis VIII, pour
lui demander un sénéchal (1).
L'empreinte du sceau de l'abbé de Terrasson est en cire
jaune, pendante et attachée à la charte par une bande de parchemin. L'abbé y
est représenté tenant de la main droite une crosse; la main gauche, tenant sans
doute un livre, semble reposer sur la poitrine. Malheureusement, l'empreinte
est brisée à la hauteur de la tête et sur les bords; il n'y reste qu'un
fragment illisible de légende. Mais l'attribution de ce sceau à l'abbé de
Terrasson n'en est pas moins certaine, tous les sceaux de la charte étant
(1) Archives de l'Empire, J.
292, n° 1.
p. 407
rangés suivant l'ordre où sont
énumérées les autorités en tête du texte.
Le n° 1 bis est le contre-scel du même abbé, apposé sur la
même charte. Il représente le buste d'un abbé tenant une crosse; on y lit: †
Secretum, sceau secret, particulier.
N° 2. ― Sceau de Hugues Laroche, abbé de 1241 à
1279. Ce sceau a été dessiné d'après l'empreinte apposée sur une charte de
Guillaume, abbé de Dalon, et dans laquelle l'abbé Hugues figure comme témoin.
L'empreinte est en cire verte, pendante et attachée à la charte par un lacs de
soie. On y voit un abbé tenant de la main droite une crosse, et de la main
gauche un livre reposant sur la poitrine. On y lit: Hugodis Abbatis
Terracinencis.
Le N° 2 bis est le contre-scel du même abbé, apposé sur la
même charte. On y lit pour légende: † Secretum. Lespine pense que la figure du
milieu est une mitre abbatiale. Peut-être est-ce tout simplement le signe
héraldique appelé Roc d'échiquier. Il était, d'ailleurs, assez d'usage
p. 408
de mettre sur les contre-scels
des figures arbitraires qui ne rappelaient ni le nom de l'abbé, ni le nom de
l'Abbaye, rien, en un mot, de la dignité ou de la qualité du personnage.
N° 3. ― Sceau de l'Abbaye en 1686. Il a été dessiné
d'après une empreinte apposée sur la lettre des religieux de Terrasson,
envoyant aux Ermites de Sainte-Quitterie de Cahors, les reliques de saint Sour,
de saint Antoine et de saint Jean-le-Silencieux. L'empreinte est en cire rouge,
parfaitement conservée. On y voit un abbé coiffé d'une mitre, tenant une crosse
de la main droite, et de la main gauche deux clefs en sautoir. Il y a pour
toute légende S. B., que nous traduisons par sanctus. Benedictus, saint Benoît,
patron et fondateur des Bénédictins. Nous ne saurions point que c'est le sceau
de l'Abbaye de Terrasson, si le prieur, Jean de Calvimond, et les religieux,
signataires de la lettre où se trouve l'empreinte, n'avaient dit: « En foi de
quoi nous avons signé le présent certificat et mis le sceau de ladite Abbaye. »
p. 409
N° 4. ― Sceau trouvé dans des fouilles sous le rocher
de Saint-Sour, et qui nous paraît avoir appartenu à un personnage de l'Abbaye
de Terrasson.
Le sceau est en argent massif, se terminant par un manche
conique et hexagone, au sommet duquel se trouvait un anneau qui a été cassé.
L'écusson est suspendu par une courroie entre les deux rameaux d'un arbre posé
en cimier et qui nous paraît être un chêne; on voit sur l'écusson deux clefs en
sautoir; la légende porté: Sigillum Johis Uet ou Vet.
La date de ce sceau ne peut être portée au delà du milieu
du XIVe siècle. En, effet, tous les mots de la légende sont gravés
en lettres molles, liées et arrondies: caractère de l'écriture gothique déjà
avancée dans ses progrès de perfectionnements artistiques. Ce ne sont plus les
lettres raides, anguleuses et confuses du gothique primitif, et que l'on
retrouve parfois dans l'écriture du XVe siècle. De plus, le trait du
dessin des emblèmes et du chêne en cimier est correct, moel
p. 410
leux et même élégant; pas une
ligne, de l'exergue ou du dessin, qui indique l'enfance de l'art; tout, au
contraire, y est très-net et bien prononcé. Enfin, on voit après chaque mot
deux points, c'est-à-dire un indice incontestable de ponctuation; or, la
ponctuation est absolument étrangère aux inscriptions
du gothique primitif; une telle amélioration dans la calligraphie ne se trouve
que dans la seconde moitié du XIVe siècle.
La forme circulaire du sceau ne peut, non plus, lui faire
assigner une date antérieure ou postérieure au règne ogival; cette forme se
voyait encore, rarement il est vrai, dans le XIIIe et dans le XIVe
siècle; elle fut même généralement la forme unique des contre-scels.
Ce sceau nous paraît, disons-nous, avoir appartenu à un
personnage de l'Abbaye de Terrasson. Nous en jugeons par les deux clefs en
sautoir qui sont absolument les mêmes que celles que tient l'abbé dans le sceau
de l'Abbaye. Il est évident que cette identité d'emblèmes accuse ici la même
origine.
p. 411
L'oeil un peu exercé sera surpris de la forme de ces
clefs. Elle présente, en effet, un caractère particulier qu'on ne trouve pas
ailleurs et qui peut nous servir à expliquer le mutisme du sceau de l'Abbaye,
ou plutôt l'absence de la légende obligée: Sigillum Abbatiae Terracinensis.
Observons d'abord que la forme de ces clefs était la même
au XVIIe siècle (date du sceau de l'Abbaye) qu'elle avait été au XIVe
(date du sceau n° 4). Nous pouvons en conclure qu'elle était au XIVe
siècle ce qu'elle avait été dans les siècles antérieurs, dans le temps même où,
pour la première fois, deux clefs vinrent orner l'écusson de l'Abbaye.
On sait que l'emblème des clefs est très-répandu dans le
blason des communautés, soit ecclésiastiques, soit municipales, et que, dans
l'une et l'autre juridiction, il a le même sens l'autorité. Les monastères
appartenant à l'ordre de saint Benoît l'avaient plus particulièrement adopté.
Mais l'histoire héraldique nous présente de nombreuses modifications dans la
forme de
p. 412
ces clefs. Leur nombre ne fut pas
non plus toujours le même. Les armes de l'abbaye de Cluny, par exemple, furent
d'abord à une seule clef, puis à deux et, enfin, à trois, et dans une forme et
une disposition différentes. Les clefs papales subirent aussi les mêmes
modifications. Nous avons sous nos yeux les dessins des clefs avant Boniface
VIII, des clefs de Sixte IV, d'Eugène IV, de Jean XXIII, de Clément VIII; elles
ont toutes une forme différente. Rien de semblable ne se voit dans les clefs de
l'Abbaye de Terrasson; leur forme si simple, trois pointes ou plutôt trois
crochets partant directement du canon, reste toujours la même, ne subit jamais
la moindre modification. C'est là un fait unique, peut-être. Aussi
n'hésitons-nous pas à dire que la forme de ces clefs doit être considérée comme
le type primitivement mis en usage, lorsque cet instrument entra dans le blason
comme symbole de l'autorité.
Ce type, étant toujours le même dans les armes de notre
Abbaye, alors qu'il subissait par-
p. 413
tout de nombreux changements,
apportait avec lui un caractère particulier, distinctif. Dès lors, il n'était
point nécessaire d'entourer le sceau de cette légende: Sigillum Abbatiae
Terracinencis, sceau de l'Abbaye de Terrasson. La simple vue du sceau faisait
que personne ne pouvait s'y méprendre, et la légende n'eût été qu'une
répétition, qu'un pléonasme inutile.
Mais à quel personnage appartenait le sceau n° 4, que la
forme des clefs rattache à l'Abbaye de Terrasson? A un dignitaire peut-être,
peut-être aussi à un simple moine; car, comme le remarque de Wailly (1), on
voit, dès le commencement du XIVe siècle, les simples moines avoir
leur sceau particulier. Toute la difficulté se trouve dans les derniers mots de
la légende, Johis Uet.
On doit voir dans ces deux mots l'abréviation du nom
commun et du nom propre. C'était, du reste, la coutume générale dans le XIVe
siècle,
(1) Éléments de
paléographie, tom. 2, p, 251 et suiv.
p. 414
encore plus que dans les siècles
précédents, d'élider une partie des lettres qui composaient un mot. Johis est
donc là pour Johannis, Jean. Les trois dernières lettres sont celles-ci: Uet ou
Vet qui, peut-être, complètent le nom propre, peut-être aussi n'en sont qu'une
abréviation. Dans ce dernier cas, il faut convenir qu'il serait difficile de le
compléter.
Nous devons donc nous borner à traduire ainsi cette
légende: Sceau de Jean Uet ou Vet, ne voyant pas la possibilité d'y trouver
autre chose que le sceau d'un particulier, dignitaire ou simple moine.
Mais pourquoi le chêne en cimier soutenant l'écusson? On
peut supposer que cet emblème se trouvait déjà dans les armes de la famille du
moine Jean Vet, qui fut bien aise, connue cela se pratiquait, de les unir sur
un même sceau aux armes du monastère dans lequel il s'était consacré à Dieu.
FIN DE LA
NOTICE HISTORIQUE.
NOTES
ET
PIECES JUSTIFICATIVES.
Note A, pages
128 et 241.
Copie d'une attestation d'authenticité de reliques,
trouvée dans l'église d'Estivals, diocèse de Tulle.
« Je frère Joseph Blanc, hermite de Terrasson, en
Périgord, déclare à tous ceux qu'il appartiendra avoir donné une petite partie
d'ossement du bras droit du vénérable père et patriarche saint Anthoine, à M.
E. Gabriel de Montmeau, à présent curé de Saint-Barthélémy d'Estivalz, vicomté
de Turenne; déclare de plus avoir tiré les susdites reliques du trésor de
l'Abbaye Saint-Sour de Terrasson et m'avoir été données par Dom Jean de
Calvimont, prieur de ladite Abbaye, protestant moi susdit frère le tout
ci-dessus contenir vérité. En foi de quoi me suis signé, dans mon hermitage
Saint-Sour de Terrasson, ce troisième janvier mil six cent huitante neuf.
Frère JOSEPH BLANC, hermite attestant. »
Note B, page
157.
Légende de saint Julien.
« Saint Julien souffrit le martyre vers la fin du IIIe
siècle, sous les empereurs Dioctétien et Maximinien. Il était officier
p. 416
de l'armée romaine et l'ami
intime de saint Ferréol, tribun militaire. La même profession, la même foi et
surtout la même piété avaient formé entre eux une étroite amitié. Ils étaient
tous les deux à Vienne dont saint Julien était originaire, lorsque le
proconsulaire Crispin, voulant plaire à Maximinien, récemment arrivé à
Marseille, déclara une rude guerre aux Chrétiens. Ferréol voyant l'orage prêt à
éclater, ne craignit que pour son ami, et il le pressa de se soustraire à la
persécution. Julien se retira en Auvergne, où le proconsulaire Crispin le fit
suivre par ses émissaires. Julien l'ayant su se cacha d'abord dans la maison
d'une veuve, proche de Brioude; mais son courage et le désir du martyre ne lui
permirent pas de demeurer longtemps dans cette retraite. Il alla se découvrir
aux persécuteurs en leur disant: Je ne veux plus rester sur la terre, parce que
je désire de m'unir à Jésus-Christ. On lui coupa la tête sur-le-champ et on
l'apporta à Vienne, à Crispin, qui l'envoya à Ferréol pour l'intimider. Deux
vieillards enterrèrent son corps à Brioude, proche du lieu où il avait souffert
le martyre, et son tombeau fut renommé dans toute la Gaule par un prodigieux
nombre de miracles. Sa tête fut enterrée à Vienne dans le même cercueil que le
corps de saint Ferréol, qui avait aussi souffert le martyre, » (Hist de
l'Eglise Gallic., t. 1, p. 125).
Note C, page
234.
Copie de pièces authentiques trouvées dans l'église de
Salignac, diocèse de Périgueux.
1° Lettre des religieux de Sainte-Quitterie de Cahors aux
religieux de l'Abbaye de Terrasson :
« A vous messieurs les prieur et religieux de l'Abbaye de
Saint-Sour de Terrasson.
p. 417
Supplient très-humblement les pauvres Religieux-Ermites de
sainte Quiterie ez la ville de Caors; qu'estant informéz de certaine science
que vous, messieurs, pocédiez un trésor dans vos archives de trèz saintes et
précieuses reliques, tant de saint Sour qu'une partie du bras de saint Anthoine
abbé, et plusieurs autres. A cette cause les suppliants prient trèz instament
vos dignitéz qu'il plaise à vos grâces leur accorder charitablement quelque petite
parcelle des dites reliques et notament de saint Anthoine comme estant leur
patron et autres telles qu'il vous plaira, qu'on tiendra avec toute la décence
et vénération possibles. Vous supplient de mesme nous donner une attestation
des dites reliques signée d'un notaire et quelques uns de vos messieurs ainsi
que vous jugerez à propos, afin que nous les puissions faire approuver à
Monseigneur nostre évesque. Ce faisant les suppliants prieront incessement pour
vos prosperitéz comme estant vos trez redebvables et serviteurs en
Jésus-Christ.
Frère JOSEPH, supérieur, suppliant; F. PAUL VILHARD,
prêtre suppliant; frère PACÔME, suppliant; frère A. THÉODORE, Erm. ind. suppliant; frère ANTHOINE, suppliant; frère ALEXIS,
suppliant. »
2° Au verso de la même feuille: Attestation des religieux
de Saint-Sour.
« Nous Dom Jean Calvimond, prêtre et prieur de Terrasson
en Périgord et autres religieux de ladite Abbaye, certifions à quy appartiendra
avoir donné à la supplication et requeste de frère Joseph Blanc, hermite de
l'hermitage dudit Terrasson, des ossements et reliques de saint Anthoine, saint
Sour, saint Jean l'hermite, les reliques desquels susdits saints sont dans le
trésor de ladite Abbaye. En foi de quoi nous avons signé le
p. 418
présent certificat et mis le
sceau de ladite Abbaye, ce dix-septième octobre mil six cent quatre-vingt six.
L. S.
Dom F. J. BOUQUIER, prévost de Saint-Julien; BOUQUIER,
attestant; Dom C. DE VOMELLE, religieux attestant; Dom JEAN VALRONE, infirmier
et définiteur de la province de Guienne; CALVIMOND, prieur, pour avoir délivré
les susdites reliques; frère JOSEPH BLANC, h. ind. suppliant et attestant. »
3° Sur le recto du second feuillet on lit:
« Ayant égard à la présente, veu le verbal y attaché, nous
avons permis et permettons aux frères hermites suppliants, d'exposer les
reliques énoncées dans ledit verbal à la vénération du peuple. Donné à Caors,
le 22e novembre 1686.
HENRY G., év. de Caors.
Par mandement de Monseigneur,
TOURON, secrétaire. »
4° Vient ensuite une affiche imprimée, collée au verso du
second feuillet et ainsi conçue:
« Messieurs, vous serez avertis que vendredy prochain dix
septième janvier on fera l'exposition des reliques des saints Antoine, Sour et
Jean l'hermite, dans la chapelle Nôtre Dame des Affligez à l'hermitage sainte
Quiterie et ce pour la première fois, vous êtes invitez à honorer ces nouveaux
protecteurs de vôtre ville et de tout ce pays. »
5° Les mêmes Religieux-Ermites demandèrent à l'évêché
p. 419
de Sarlat l'office de saint Sour,
afin de le chanter dans leur église. Nous transcrivons la réponse qui leur fut
adressée par le chanoine Gérard, et qui se trouve attachée à la même feuille:
« A Sarlat, le 29 janvier 1687.
Mon Révérend Père,
L'honneur que vous voulez rendre à notre saint Sour et à
ses reliques m'oblige à vous en témoigner ma reconnaissance et à vous envoyer
notre Propre où vous trouverez son office, afin d'y contribuer de mon côté.
Vous remarquerez dans sa légende que saint Sour, saint Amand et saint Cyprien,
trois saints solitaires sortant du monastère de Genouillac, en Qucrcy, se
retirèrent en Périgord pour y mener une vie solitaire. Saint Sour fut le
fondateur de l'Abbaye de Terrasson, de l'ordre de saint Benoît; saint Amand, de
celle de Saint-Amand, de l'ordre des chanoines réguliers de saint Augustin, et
saint Cyprien, de l'abbaye de Saint-Cyprien, qui a été ensuite un prieuré
conventuel des susdits chanoines réguliers, dépendant maintenant de Chancelade,
et ce sont les trois abbayes du diocèse de Sarlat. Pour l'office de saint Antoine,
je ne sache pas d'autres que celui qui est dans le romain le 17 janvier. Mais
pour saint Jean le Silentier, je n'ai pas encore vu son office, mais seulement
sa vie dans l'ouvrage du P. Simon-Martin Minime, intitulé: Les Vies des saints
qui ont aimé la solitude, en 2 vol. in-folio. Cet auteur a fait encore les Vies
des Saints en autres deux volumes in-folio. Je me recommande à vos prières et
vous prie de me croire très-sincèrement,
Mon Révérend Père,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur.
GÉRARD, chanoine. »
p. 420
Note D, page
269.
Texte latin de la charte de Bernard, comte de Périgord.
« Conditor atque dispositor cunctarum rerum mirificus
Deus, qui, ut scriptum est, hunc humiliat et hunc exaltat. Certum est quia
multos quos modo exaltat, in futuro saeculo humiliabit, illos, scilicet, qui
nunc de donis ejus superbientes, sub potenti manu ejus humiliari dedignantur.
Quapropter, justum est ut homo subditus sit Deo, ut de bonis quae ab ipso
percipit et Deo placere studeat. Quod ego Bernardus, gratia Dei comes,
attendens, monasterium sancti Suris, vocabulo Geredia, quod modo minime sub
regulari disciplina manet, sub potestate mea retinere pertimui. Unde notum sit
omnibus fidelibus, tam praesentibus quam futuris, quod ego, consentiente uxore
mea Berta, et filiis meis, Guillelmo, videlicet, atque Gausberto, seu Arnaldo
et Bernardo, pariter faventibus, hortante etiam atque supplicante quodam fideli
meo, nomine Frotario, praedictum locum, cum omni Abbatia ipsi adhaerente, in
potestate Dei et sancti Suris de mea dominatione transfero; trado etiam in
praesenti hunc dictum locum domino Adasio Abbati et monachis, quibus
regulariter vivere inibi sub ejus potestate placuerit, ut tam coenobium quam
omnem Abbatiam teneant, et possideant sine ulla contradictione; et post obitum
Domini Adasii, Abbatis, qualem voluerint secundum regulam sancti Benedicti
Abbatem sibi eligant. In tali autem conventu praedictum locum pro amore Dei
teneant, ut ibi servire Deo et sancto Soro studeant, et suis orationibus animam
meam pariter et uxoris meae, seu animas filiorum meorum Deo commendare
satagant. Habeant etiam et remuneratorem Deum omnes qui praedictum locum aut
habitatores ejus defenderint. Sint
igitur monachi in subjectione Regis ad locum salvum faciendum non autem ad
aliquid per-
p. 421
solvendum.
Caeterum contestor et adjuro omnes propinquos atque successores nostros,
cunctosque istius Coenobii tam praesentes quam futuros per tremendum Sanctae
Trinitatis Nomen ut meritum Beati Suris cujus corpus in praefato loco
requiescit, ut nullus monachos vel quaslibet res eorum inquietare aut in
potestate regulari ullomodo redigere praesumat. Quod si aliquis contra
voluntatem Dei haereditatem ejus invadere tentaverit, maledicatur per orbem
universum; insuper et iram Dei incurrat et caedat. Deus
meus, pone illos ut rotam, ut confundantur in saeculum saeculi; nec sit
cohaeres Dei, nisi resipuerit ab hac praesumptione, sed sit similis Pharaoni
qui ait Dominum nescio et Israel non dimittam. Ego comes Bernardus hanc cartam,
ut firmiorque sit veriorque credatur, manu propria, manibus filiorum et
fidelium meorum roborari decrevi. Signum Bernardi comitis et uxoris suae qui
hanc cartam, hortante Frotario, Fideli suo, fieri et affirmari rogarunt; Signum
Remnopsi episcopi; Signum Guillermi; Signum Gausberti; Signum Frotarii; Signum
Abbacherii; Signum Heliae; Signum Ibid.; Signum Heliae; Signum Haebraldi;
Signum Stephani; Signum etc.
(Biblioth. imp., Mss. de Cl. Estiennot, tom. 2, page 420).
Note E, page
300.
Testament d'Hélène, veuve du chevalier Viguier.
« In nomine, etc. Anno Dni 1260, mense septembris, ego
Helena quondam Uxor R. Vigerii militis bonae memoriae, existens in mea sana
memoria, de rebus meis ordino in hunc modum et meam ultimam voluntatem condo. In primis eligo sepulturam meam cum
viro meo in Claustro monast. Terracin., si
contingat me mori infra unam leucam dictae villae; et lego monasterio praedicto
duo sextar. frum. et X
solidos lem. mo-
p. 422
netae,
quas habeo in mea... Et volo quod in die obitus mei
faciant mihi anniversarium pro me et parentibus meis annuatim... Item volo quod per annum fiat oblatio pro anima mea quotidie in
monast. Terracin., si sepeliar ibidem. Item lego omnibus monachis
Terracin. unicuique XII den. Item omnibus capellanis
qui interfuerint sepulturae meae, unicuique XII den.,
diaconibus VI den, subdiaconibus IIII den., aliis clericis I den.; Item omnibus
pauperibus hospitali Terracin. panem et vinum in die
obitus mei; Item leprosis ejusdem villae (1) panem et vinum in die obitus mei;
templo et hospitali ultramarinis unicuique V solidos (2). Duo Episcopo
Petragor. V sol., operibus sancti Frontonis et sancti
Stephani unicuique XII denar., Fratribus Minor. de
Montignaco.... (?) Solid., fratribus Praedicatoribus Petragor. X sol., Fratribus de Bonafonte XII denar. Item lego nepti meae, filiae Willelmi Faidit, X
libras ad maritandam eam.... Item lego.... Executores vero hujus meae ultimae
voluntatis constituo dnum Abbatem Terracinensem et dnum Capellanum ejusdem
villae, et volo quod omnia compleant cum consilio et consensu Prioris Fratrum
Praedicatorum Petragor, et guardiani Fratrum Minorum de Montiniaco, et habeant
plenariam potestatem omnium rerum mearum mobilium et immobilium.... Et volo ut haec ultima mea voluntas valeat eo modo quod
valere potest vel jure testamenti perfecti vel imperfecti, in scriptis vel sine
scriptis, vel jure codicillorum vel saltem jure cujuslibet alterius voluntatis.
Huic meae voluntati testes vocavi Bertrandum Vigerii, priorem
Fratrum Praedicatorum Terracin., Hel. Defas et
B. Delluc, monachos ejusdem Villae.... Et rogavi frem G. de Nozareda
priorem Fratrum Praedicatorum Figiacen et Bertrandum Vigerii, priorem
supradictum et Petrum Lacomba,
(1) Léproserie de Terrasson.
(Note de Leydet.)
(2) Don aux Templiers. (Note
de Leydet.)
p. 423
Capellan.
Terracin., ut istam meam ultimam disposit. Sigillis
suis Sigillarent quod et fecerunt. »
(Trouvé dans les archives du château du Fraysse et copié
par Leydet le 23 février 1771).
Note F, page
314.
Testament de Raymond de Fraysse.
Nous n'avons pas le texte complet de ce testament; nous ne
pouvons rapporter ici que la note de Leydet, qui s'est contenté d'en écrire les
principales dispositions.
« Testament de Raymond de Fraysse, 1333. Die lunae post
festum sancti Bartholomei apostoli. Il recommande son âme à Dieu, à la
Sainte-Vierge, à sancto Soro et omnibus sanctis Dei.... Lego.... 2 sols à tous
les moines de Terrasson qui assist. à son
enterrement.... aedificio ecclesiae sancti Juliani (paroisse de Terrasson) V
solid. semel; aedificio Pontis de Terrassonio (1)
quinque solidos monetae currentis, semel solvendos; Epo Sarlatensi unum
Turonensem album semel; Passagio ultramarino quinque solidos monetae currentis
semel solvendos.... Confratribus confratriae Beati Sori unum sextar. frumenti, etc.... Item lego Mariae filiae quam volo ingredi
in ordine, sexaginta libr. turon. semel
solvend., lectum et raubam competentes et amplius vigenti solidos turonenses
renduales in vitam suam duntaxat, itaque de quinqne solidis rendualibus pro
salute animae suae valeat ordinare, et residui quindecim solidi post mortem
ejusdem ad haeredem meum infra scriptum libere revertantur. Item lego Aimardae
filiae meae quam etiam volo intrare Religionem quinquaginta libras turon.
(1) Pont de Terrasson bâti
en 1335. (Note de Leydet.)
p. 424
semel solvendas, lectum, raubas
et vigenti solidos turon. renduales ad vitam suam
duntaxat, ita quod de quinque solidis rendual. ipsa
possit ordinare pro salute et remedio animae suae, et quod residui quindecim
solidi renduales ad haeredem meum.... libere revertantur. Item lego Ademaro,
filio meo centum solidos monetae currentis renduales, et in hospitio meo victum
pariter et vestitum, et volo et jubeo et ordino quod si contingat ipsum intrare
Religionem, quod illo casu legata hujusmodi ad haeredem meum libere
revertantur, salvis decem solidis rendualibus de quibus possit ordinare pro
salute et remedio animae suae, etc., etc. » L'héritier universel devait être le
fils aîné de Raymond.
Noté G, pages
352 et suiv.
Arrêt du parlement de Bordeaux, du 4 avril 4 1591.
« Vu par la cour la requête à elle, présentée le seizième
février dernier passé, par Me Johan de Villepreux, abbé
commandataire de l'Abbaye, de Terrasson, en Périgord, contenant que icelui, il
soit le vrai titulaire de ladite Abbaye, néanmoins, Me Froidefont
s'efforçait de la lui rendre contentieuse, sous prétexte d'une prétendue
résignation qu'il avait fait extorquer dudit Villepreux par force et violence,
et pour raison de ce y avait procès pendant en la cour, lequel Froidefont était
décédé puis quelques jours, au moyen, de quoi ledit Villepreux, requiert par sa
dite requête lui être octroyé main levée de ladite Abbaye, avec restitution des
fruits, et tous autres dépens, dommages et intérêts et autres frais, permettre
à icelui Villepreux, faire attestation du décès dudit Froidefont par devant le
premier juge royal, provision sur ce expédiée de l'ordonnance de ladite cour,
en date du dit jour seizième
p. 425
février dernier, procès-verbal de Me Jean de
Chenaille, lieutenant-général en la sénéchaussée du Bas-Limousin, au siège du
Duché, contenant l'attestation du décès dudit Froidefont, datée en première
date du seizième mars an présent, autre requête présentée en la cour par ledit
Villepreux le vingt-sixième du mois de mars dernier, aux fins, attendu la
vérification dudit décès et vu ses titres et rapportés, entériner la susdite
requête, et ce faisant, lui octroyer ladite main levée et partant que besoin
voir le maintenir définitivement en la possession et jouissance de ladite
Abbaye de Terrasson, avec restitution de fruits, réponse faite par le procureur
général du roi à la signification de ladite requête, par laquelle il déclare
que la susdite vérification du décès dudit Froidefont, ensemble les Bulles de
provision de ladite Abbaye et autres titres et rapportés dudit Villepreux, il
ne veut empêcher main levée être faite à icelui Villepreux des fruits et
revenus temporels d'icelle Abbaye par faulte de partie. Vu aussi la Bulle
contenant la provision dudit Villepreux de ladite Abbaye de Terrasson, datum
Romae apud sanctum Petrum anno Incarnationis Domini millesimo quinquagesimo
septuagesimo sexto, septimo novembris, insinuée au greffe des insinuations au
diocèse de Sarlat le dernier d'avril mil cinq cent septante neuf, forme de
jurement avec la pièce fulminée sur ce par l'évêque de Sarlat ou son official
et vicaire-général du premier de janvier audit an mil cinq cent septante neuf,
aussi insinué audit Sarlat ledit jour dernier d'avril an suivant, acte de prise
de possession du huitième janvier au dit an, lettres d'investition dudit sieur
de Villepreux, datée du vingtième octobre mil cinq cent septente huit, insinuée
audit greffe des insinuations à Sarlat ledit jour dernier d'avril mil cinq cent
septante neuf et autres titres et rapportés dudit Villepreux, requête par
icelui Villepreux, présentée à la cour contre ledit Froidefont datée, du
trentième de mars mil cinq cent quatre vingt deux, provision et exploit dudit
jour seizième mars et dix huitième dudit mois
p. 426
mil cinq cent quatre vingt trois,
lettres royaux et exploit du roy du vingtième d'avril mil cinq cent quatre
vingt six, Instructions sommaires du second d'août audit an et trois de
décembre mil cinq cent quatre vingt neuf, second de février mil cinq cent
quatre vingt, dix et huitième janvier mil cinq cent quatre-vingt onze, et autre
procédure faite entre lesdits Villepreux et Froidefont, le tout mis devant la
cour par icelui Villepreux,
Il sera dit, entérinant ladite requête quant à ce, que la
cour a fait et octroyé main levée audit Villepreux des fruits, profits et
émoluments de ladite abbaye de Terrasson, avec inhibitions et défenses à tous
qu'il appartiendra, de troubler et empêcher icelui Villepreux en la possession
et jouissance de ladite Abbaye et fruits d'icelle sur peine de dix mille écus
et autre plus grande peine que de droit et raison. »
Note H, pages
358 et suiv.
Arrêt du Grand-Conseil, du 1er avril 4597.
« Entre Me Anthoine Le Saige opposant à la
complainte pour raison du possessoire de l'Abbaye de Terrasson en Périgord
d'une part, et Me Bernard Gueyraud aussy opposant à la dicte
complainte d'autre, et lesdits Le Saige et Gueyraud réservant le proffit de
ladicte complainte, allencontre de Me Pierre de Meaux, demandeur et
complaignant pour réception du possessoire de ladicte Abbaye et deffaillant. Vu
par le Conseil les escriptures desdicts Le Saige et Gueyraud, demandeurs, sur
ladicte complainte, du 21 juillet 1596; lettres de nomination faite par le roy
de la personne dudict Le Saige en ladicte Abbaye, vacante par le décès de feu Me
Pierre de Froidefont du 4 mai 1595; arrest du Conseil du 9 mai audit an par
lequel pour les deffenses de se pourvoir en Cour de
p. 427
Rome, aurait esté permis audict Le Saige prendre
possession de la dicte Abbaye; procuration de Me Johan de Villepreux
pour résigner la dicte Abbaye en Cour de Rome en faveur dudict Gueyraud, du
premier de mai 1595, lettres de nomination faicte par le roy dudict Gueyraud à
la dicte Abbaye par la résignation dudict de Villepreux du dixième may 1596;
Bulle de provision de ladicte Abbaye audict de Froidefont par la résignation
dudict de Villepreux en datte anno millesimo quingentesimo octuagesimo primo,
septimo Kalendas februarii, anno nono; prise de possession de ladicte Abbaye
par ledict Froidefont du quatre juin audict an; autres Bulles de provision de
ladicte Abbaye pour ledict de Meaux par le décès dudict Froidefont en datte
anno millesimo nonagesimo tertio, pridie Kalendas februarii anno secundo, prise
de possession par ledict de Meaux du 3e avril 1594; arrest de la cour
de parlement de Bordeaux du 4e avril 1591 par lequel malverse aurait
été faicte audict de Villepreux des fruictz de ladicte Abbaye; arrest de
rétention de ladicte cause du 4e avril 1595; autres arrests du
Conseil des 4e, 10e et 12e juillet 1593,
requeste dudict Le Saige du 12 juillet audit an, contenant déclaration que pour
tous contredicts, il emploie le contenu en ladicte requeste. Autre requeste
dudict Gueyraud desdicts jours et an contenant sa déclaration que pour tous
contredicts il employe ce qu'il a escript et produit audict procès; exploits,
prise de possession dudict Le Saige; veu titres et rapports desdicts Saige,
Gueyraud et tout ce que par iceuls autres mis et produit par devant ledict
Conseil, dict a esté que la dicte complainte a été bien et duement obtenue pour
la grosse duquel et pour faire droict sur ladicte complainte, ledict Conseil a
ordonné et ordonne que ledict Le Saige jouyra de ladicte Abbaye de Terrasson,
fruitz, proffitz, revenus et émolumentz d'icelle, veu et esté veu et estre au
profit dudit Le Saige la main du roy et tous empeschements mis et apportez sur,
et fait deffenses ausdicts de Meaux,
p. 428
Gueyraud et tous austres de l'empescher en la jouissance
d'icelle Abbaye, à la charge d'obtenir par ledict Le Saige Bulles de provision
de ladicte Abbaye en Cour de Rome dans six mois, et a condamné et condamne
lesdicts de Meaux, Gueyraud es despens, dommages et interrests, et taxation
desdicts despens adjugez audict Conseil réservée. Lequel arrest est mis au
Greffe du Conseil et prononcé aux provisions desdictes parties. A Paris, le
premier jour d'avril mil cinq cent quatre vingt sept.
(Archives de l'Empire, Registres du Grand-Conseil, V.
3093)
Note I, page
360.
Fondation d'un obit fait par Jean de Losse aux Cordeliers
de Montignac.
« Fait au couvent des Cordeliers de la ville de Montignac,
le treizième jour d'aoust 1568.... personnellement
constitué haut et puissant Sgr messire Jean de Losse, Sgr
dud. lieu, Peyrignac, St-Rabier, Laroche St-Sour (c'est-à-dire Gaubert),
chevalier de l'ordre du roi, 1er capitaine de ses gardes et
lieutenant pour S. M. à Verdun, pour luy et les siens d'une part, et Frères
Bernard Costes, Vincent Verlhiac, gardien et 4 autres Cordeliers, d'autre.
Comme soit ainsi, que les siens prédécesseurs dud. Sgr de Losse
heussent baillé trois quartons de cègle de rente... et davantage parce que aux
troubles qui sont advenus au présent royaume de France en l'an 1564 par ceux de
la religion appelée réformée aultrement. Huguenots qui avoyent ruyné, saccagé
et pillé les églises, prins les cloches, entr'autres avoyent prins la cloche
qui estoit dans led. couvent; et voyant led. Sgr
qu'aud. couvent il n'y avoit aucune cloche et qu'il y
en avoit heu une belle qui
p. 429
avoit été donnée par le feu Sgr
d'Albret; et voulant iceluy Sgr imiter et ensuivre les pieuses et
bonnes coutumes des grands Sgrs et que le divin service ne cesse
ains soit fait; ne voulant laisser led. couvent sans y
avoir une cloche, il y en avait fait faire une autre en 1566, si belle que
celle qui y estoit ou du poids de sept quintaux, à laquelle sont ses
armoiries... Et voyant qu'ils estaient dénués de chasubles... ny aussi de
pulpitre parce qu'il avoit été rompu par lesd. Huguenots, auroit iceluy fait
apporter du pays de Champaigne une belle aigle de léton blanc, assize sur une
colonne aussi d'airain blanc ayant le pied en fasson de lions ou griffes, le
tout d'airain blanc du poids de six quintaux où sont aussi les armoiries dud. Sgr.
Aussi on auroit fait apporter une chapelle garnie de trippes de velours, garnie
de deux chappes, deux courtibaults et chappe pour dire la messe etc. a charge
que lesd. Cordeliers... seront tenus à perpétuité... dire une messe en notte
toutes les semaines et au jour du jeudi du corps de Dieu, et ensemble tous les
ans le jour de St Barnabé, une messe en notte dud. jour,
parce que tel jour led. sieur estant lieutenant pour
le roy à Thérouanne feust prins d'assaut: et oultre seront tenus lesd.
Cordeliers, le jour de la Feste-Dieu à la grand'messe de le mettre en leur
mémento, et dire etc. »
Cette note a été prise, le 16 février 1771, par M. Leydet,
aux archives du château de Losse.
(Biblioth. imp., Mss. Leydet dans le fonds Lespine, vol.
42, fol. 422.)
Note J, page
361.
Arrêt du Grand-Conseil du 27 septembre 1597.
« Sur la requeste présentée au conseil par Me
Anthoine Sage, abbé de l'abbaye de Saint-Sour de Terrasson en Péri-
p. 430
gord, tendant affin que commission lui soit délivrée,
adressante aux baillifs et séneschaulx de ladicte province de Périgord, pour
mettre ledict Sage en la possession réelle et actuelle de ladicte abbaye
suivant l'arrest du 1er avril 1597 et contraindre les soldats estant
en icelle d'en sortir, mesme enjoindre au gouverneur du pays de tenir la main à
l'exécution du dit arrest et si besoing est mener le canon pour en jeter hors
les soldatz qui occupent ladicte Abbaye et faire en sorte que la force en
demeure au roy et à la justice.
Veu par le conseil ladicte requeste, ledict arrest par
lequel aurait esté ordonné que ledict Sage jouyrait de ladicte Abbaye de
Terrasson, fruictz, prosfitz, revenuz et émoluments d'icelle, procès verbal du
commissaire depputé par le conseil pour l'exécution dudict arrest du dix
septième, des dicts mois et an, charges et informations faites pour raison des
forces et viollences commises en ladicte Abbaye allencontre des sieurs Bannes
et aultres du 25 juing et 16 juillet 1597, conclusions du procureur général du
roy.
Le conseil a ordonné et ordonne que ledict arrest sera
exécuté et ce faisant ledict Sage mis en possession des maisons de ladicte
Abbaye et enjoint aux gouverneur, baillifs, séneschaulx, lieutenans du roy en
la province de Périgord de tenir et prester la main forte pour ladicte
exécution mesmement mener le canon si besoing est et faire en sorte que la
force reste au roy et la justice soit obéye, et a ordonné que le sieur de
Bannes et les nommez de Tayac et Belcayre de Puymartin et le cappitaine La
Golse seront adjournéz à comparoir en personne audict conseil pour répondre à
telles fins et conclusions que le procureur général du roy audict conseil
vouldra contre eulx prendre et eslire et audit Sage affin civile seulement.
A. LE CAMUS et DESPRICHES. »
(Archives de l'Empire, minutés du
Grand-Conseil, v. 2346.)
p. 431
Note K, page
365.
Arrêt de Henri IV du 31 juillet 1609,
« Henry par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre,
à nos amés et féaux les gens tenant notre grand-conseil, salut. La partie de
notre amé et féal chevalier de notre ordre, Mre Jehan de Souillac, sieur de
Monmège, nous a exposé que l'an 1594, il nous aurait pleu lui faire don de
l'Abbaye de Terrasson en Périgord pour en faire pourvoir personne capable;
cependant aurions nommé un économe pour la conservation des fruits, lequel
aurait été troublé et empesché en la perception d'iceux par le défunt sieur de
Losse et par le sieur de Bannes son fils, ce qui aurait été cause que ledit
exposant par l'advis des amis communs des parties pour éviter aux inconvénients
qui autrement heussent peu subvenir, aurait par accord du mois d'août au dit an
mil cinq cent nonante unq, consenti que ledit feu de Losse levast les fruitz
pour les conserver et à la charge de les rendre à celui auquel ladite Abbaye
serait adjugée. Depuis lequel temps, messire Antoine Le Sage, nommé par ledit
exposant, pour être pourvu de ladite Abbaye, ayant été maintenu par arrêt de
notre grand conseil avec restitution de fruits, dépends, dommages et intérêts,
et voulant avec l'assistance du dit exposant faire mettre à exécution ledit
arrêt, le deffunt sieur mareschal de Biron et les sieurs de Thémines et Biron
pensant mettre les parties hors de tous différents, auraient, le 20 octobre
1597, donné certain advis par lequel il est dit, entre autres choses, que ledit
feu sieur de Losse et ledit sieur de Bannes rendraient audit exposant tous les papiers
titres et enseignements concernant ladite Abbaye, et qu'ils bailleraient dans
huictaine un état des fruits par eux perçus, pour par ledit Saige poursuivre le
recouvrement de ce qui restait encore dû; et quant
p. 432
à ceux qui lors avaient été actuellement reçus par lesdits
sieurs de Losse père et fils, qu'ils n'en pourraient être recherchez; que
l'adjournement personnel donné par notre dit grand conseil contre ledit sieur
de Bannes et ses complices à cause de plusieurs excès et violences par eux commis
cesseraient, ensemble les procédures criminelles, contre lui faites; auquel
advis les sieurs de Losse, père et fils, n'auraient en façon quelconque obéi,
ni rendu les titres et papiers, et moins baillé par déclaration les fruits par
eux reçus, ce qui aurait été cause que ledit Le Sage, qui d'ailleurs n'était
point tenu de suivre ledit advis en ce qu'il n'avait point assisté, aurait
voulu mettre ledit arrêt à exécution, et mesme attendu les forces et violences
des sieurs de Losse, aurait obtenu commission à Nre séneschal de
Périgord, pour y mener le canon, avec telle force d'hommes de guerre qu'il
serait requis et nécessaire, lesquelles troupes étant amassées, lesdits sieurs
de Losse craignant d'être forcés, auraient quitté l'Abbaye, et à présent ledit
sieur de Losse fils étant poursuivi tant criminellement que civilement par
ledit Le Saige, abbé, pour la restitution des fruits et par quelques autres
pour raison d'excès par lui commis, il aurait fait assigner à Nre
dit conseil icelui exposant, aux fins de faire cesser les poursuites tant
civiles que criminelles, et soubs prétexte dudit advis, lequel combien qu'il ne
soit point obligatoire, comme étant fait pour chose que ledit exposant ne
pouvait promettre et qui n'était pas en sa puissance, joint que lesdits sieurs
de Losse, père et fils, n'y ont point satisfait de leur part, toutefois il
craindrait qu'en procédant au jugement audit nom, vous voulussiez vous arrêter
audit advis, soubs couleur qu'il aurait été par lui accepté, s'il ne lui était
par nous subvenu, par nos lettres à ce nécessaires Pour ce.... vous mandons et
commettons par ces présentes que les parties comparantes par devers vous.... et
lesquelles si besoing est nous voulons y être assignées à certain jour par le 1er
Nre huissier ou sergent sur ce requis,
p. 433
s'il vous appert ce que dessus, mesmement du don par nous
fait audit exposant de ladite Abbaye de Terrasson pour faire pourvoir personne
capable, de votre arrêt par lequel le titre de ladite Abbaye aurait été adjugé
audit Mre Anthoine Le Sage, nommé par ledit exposant avec
restitution des fruits, despends, dommages et intérests, dudit advis du 20
octobre 1597, portant, entre autres choses, que lesdits sieurs de Losse, père
et fils, rendraient tous les titres de ladite Abbaye, et bailleraient dans
huictaine, par déclaration, tous et chacun des effruits par eux prins, pour par
ledit le Sage recouvrer ce qui leur était à payer, et moyennant ce que dessus,
ledit de Losse demeurerait déchargé des fruits par eux levés.... et des décrets
donnés et autres procédures criminelles contre eux faites, que ledit advis soit
demeuré nul et sans nul effet, d'autant que lesdits de Losse n'auraient de leur
part satisfait à iceluy, baillé la déclaration des fruits par eux perçus et
rendu les papiers de ladite Abbaye; que, au contraire, ils ayent en ladite
année et les autres subséquentes pris et levé et fait prendre et lever les
arreyrages des fruits, lesquels ledit de Losse voudrait à présent faire croire
être par luy reçus et paravant ledit accord, et rendrait par ce moyen illusoire
la réservation que par ledit advis aurait été faicte audit Saige des arreyrages
non encore perçus; que ledit sieur de Losse veuille, sous prétexte dudit advis,
contraindre l'exposant de faire cesser les poursuites criminelles contre luy
faites, tant par ledit Sage que par les économes et autres y ayant droit, et
cause d'eux, combien que ledit advis n'aye peu obliger à une chose qui n'était
pas en sa puissance, veu que la vindicte publique nous appartient, et à nos
procureurs généraux et autres choses, etc. Vous en ce cas, sans avoir, égard
audit advis du 20 octobre 1597, ni à l'acceptation faite par ledit exposant, ce
que ne voulons luy nuire ni préjudicier, ains en avons relevé et relevons par
ces présentes de notre grâce spéciale, recevons icelluy exposant à proposer en
p. 434
justice exceptions et deffauts
contre la demande dudit sieur de Losse, et faites droit aux parties ainsi que
vous verrez être à faire, car tel est notre plaisir. Donné à Paris le dernier
jour du mois de juillet 1609, et de notre règne le vingtième. » Par le roy en
son conseil,
TARDY . »
(Biblioth. imp., Mss Leydet.)
FIN
DES NOTES ET
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
TABLE DES
MATIERES.
A Monseigneur J.-B.-A. George, évêque
de Périgueux et de Sarlat 1
I. ― Comment nous devons dire
saint Sour et non pas saint Sore 5
II. ― Pourquoi nous avons
écrit la vie du bon saint Sour, et à quelles sources nous
III. ― Sous le rocher de
Saint-Sour 27
IV. ― Comment le bon saint
Sour naquit en Auvergne, et comment, s'étant lié d'amitié
avec saint Amand et saint Cyprien, il voulut, dès son enfance,
se vouer à Dieu 31
V. ― Comment le père et la
mère du bon saint Sour s'opposèrent à son départ, et comment
ils finirent par y consentir 41
VI. ― Comment le bon saint
Sour, accompagné de saint Amand et de saint Cyprien, quitta
l'Auvergne, et comment il se retira dans le monastère de
Genouillac 48
VII. ― Comment le bon saint
Sour quitta le monastère de Genouillac, et de son séjour, avec
saint Amand et saint Cyprien, à Peyre Levade 57
VIII. ― Comment les trois amis
quittèrent Peyre-Levade, et comment le bon saint Sour,
pendant le sommeil de saint Amand, et de saint Cyprien s'en
fut à la découverte de sa retraite 66
IX. ― Comment les trois amis
prirent l'Eulogie sacrée et se séparèrent ensuite, et comment
le bon saint Sour opéra un miracle 73
X. ― D'une vigie romaine au
rocher de Saint-Sour; comment notre saint se fixa dans
une grotte et se condamna ensuite à la vie de reclus 82
XI. ―
Comment le bon saint Sour avait fait un voeu, et comment il
punit une femme de
XII. ―
Comment le bon saint Sour, ayant deux serviteurs, opéra un
miracle pour les nourrir 98
XIII.
― Comment le bon saint Sour reçut la visite de sa mère,
et comment la foi triompha
XIV. ―
Comment le bon saint Sour éprouva une nouvelle vocation, et
comment il renonça
XV. ―
Comment le bon saint Sour, ayant renoncé à la vie de reclus,
se forma quelques
disciples, et quelle règle il leur donna 122
XVI. ―
Comment le roi Gontran, étant lépreux, vint visiter le bon
saint Sour, et comment
le bon saint Sour le guérit et opéra en sa présence d'autres
miracles 129
XVII.
― Comment le Xenodochium fut bâti avant le monastère,
et donna naissance à une
petite ville.
― Pourquoi cette ville fut appelée Terrasson, et comment le bon saint
Sour bâtit
une église en
l'honneur de saint Julien et jeta les fondements d'un vaste monastère 148
XVIII.
― Comment le bon saint Sour érigea un Oratoire à
Notre-Dame-de-Consolation 162
XIX. ―
Comment le bon saint Sour et ses moines exécutèrent de grands
travaux 172
XX. ―
Comment les disciples du bon saint-Sour étaient très-fervents 183
XXI. ―
Comment le bon saint Sour se lia d'amitié avec saint Yrier,
et comment il le pria
de prendre la
direction de son monastère 189
XXII.
― Comment le bon saint Sour mourut, et comment son tombeau
fut glorieux 199
XXIII.
― Comment le bon saint Sour fut très-honoré après sa
mort, et comment il l'a été
XXIV.
― Comment l'église de Terrasson possède les reliques du
bon saint Sour, et
comment elles
sont authentiques 227
Conclusion 245
Notice historique sur l'Abbaye de Terrasson 251
Catalogue des Abbés qui ont gouverné l'Abbaye de Terrasson 390
Sigillographie 405
Notes et pièces justificatives 415
ERRATA.
Page 37, ligne 12, eut, lisez: eût.
Page 74, ligne 14, et page 274, ligne 1, mais avant,
lisez: mais auparavant.
Page 94, ligne 1, incompréhensible, lisez:
incompréhensibles.
Page 130 derniere ligne de la note, allait, lisez:
fallait.
Page 201, ligne 8, renseignements, lisez: enseignements.
Page 397, ligne 15 côté, lisez coté.