Source: Bulletin SHAP, tome X
(1883), pp. 80-106.
LES CHARTES ROYALES DE LA LINDE.
§1. -Des chartes en général.
I. - Ce que l'on entend par
chartes, personne ne l'ignore. Les chartes sont des lettres patentes écrites
sur parchemin (de là leur nom charta) et données par les princes, rois ou
seigneurs, qui accordaient des privilèges, des libertés ou franchises à leurs
sujets ou vassaux, à des villes, à des communes et même à de simples bourgs et
villages.
Les chartes prononçaient ou
consacraient l'affranchissement. Une fois affranchis et presque toujours au
moment de leur affranchissement, les peuples réclamaient une existence
politique qui leur donnât droit aux affaires politiques, civiles et communales.
Ce privilège obtenu, toute cité, tout bourg ou village affranchis pouvaient
avoir leurs magistrats, leurs consuls ou échevins directement et librement élus
par le peuple, choisir leurs syndics, jouir des biens communaux ordinairement
très étendus et désigner les agents chargés de la garde de leurs propriétés
publiques ou privées, des forêts et des moissons. Dans ce cas, les chartes
étaient comme une constitution politique. Telles étaient presque toutes les
chartes données par les rois.
Quelquefois les chartes étaient une
simple constitution qui réglementait la tenue des foires et des marchés, qui
garantissait la sûreté des routes et la sécurité des trafiquants, etc., etc.,
ou bien encore elles réglementaient la justice judiciaire ou administrative;
elles définissaient avec soin les faits sujets à répression, posaient les
règles de procédure et déterminaient les peines à appliquer.
Souvent enfin les chartes n'étaient
qu'un tarif d'amendes et de redevances qui, trop longtemps indéterminées,
avaient été laissées à la merci des seigneurs. Courbés sous le poids d'amendes
arbitraires et justement impatients de s'y soustraire, les peuples demandaient,
exigeaient parfois ou accueillaient avec empressement les chartes qui fixaient
scrupuleusement le tarif des amendes et des redevances trop abandonnées
jusque-là au caprice de leurs maîtres.
II. - On le comprend déjà, de tels
documents doivent avoir une grande importance historique. Nécessairement, en
effet, ils nous font connaître une époque dans sa vie intime; ils nous en
révèlent les mœurs dans leurs détails. Un mot, un nom propre que l'on y
rencontre, parfois celui d'un simple témoin, devient un trait de lumière pour
dissiper une erreur, pour déterminer un point controversé. Les chartes sont
donc de vraies sources historiques d'un suprême intérêt. Aussi, aujourd'hui plus
que jamais, sont-elles recherchées et déchiffrées avec ardeur par les savants,
qui ont soif de vérité et qui peuvent ainsi refaire l'histoire souvent
outrageusement travestie.
Mais pour
comprendre toute la valeur et apprécier toute l'importance des chartes et aussi
pour saisir tout ce qui s'y rattache de libertés populaires, il serait
nécessaire de remonter à leur origine, de chercher quelles idées les ont
inspirées, quelles circonstances les ont provoquées. Cette recherche exigerait
quelques développements dont la nature de notre Bulletin ne comporte pas la longueur; je
demande néanmoins à les résumer en quelques pages rapides.
6
III. — Charlemagne avait conçu et
inauguré une monarchie grande et forte, mais chrétienne et paternelle ; aussi
son règne fut-il fécond en progrès et en améliorations de tout genre. Mais
après lui la royauté devint infidèle ou inférieure à sa mission, l'autorité
s'affaiblit et la puissance royale échappa des mains débiles qui la portaient;
elle tomba bientôt entièrement et se divisa en des milliers de parcelles;
chaque gouverneur de province, duc ou comte, s'empressa de ramasser la sienne.
Chacun parvint à retenir la possession de son gouvernement, et les fiefs ou
bénéfices, de temporaires qu'ils étaient, devinrent héréditaires. Il se forma
dés lors une foule de souverainetés indépendantes et rivales, bien que reliées
entre elles par un lien d'hommage et de services réciproques. Par cette
transformation se trouva constituée régulièrement une hiérarchie de propriétés
et de personnes qui, du reste, existait depuis longtemps déjà. Cet état social
nouveau fut nommé régime féodal ou féodalité.
La féodalité, remarquons-le en
passant, ne fut pas dans l'origine ce que l'ont présentée de sots et méchants
préjugés. Entre tous les membres du corps féodal régnait un échange continuel
de services. Si le seigneur avait des droits, il avait aussi des devoirs. Si le
tenancier, si le serf et le vassal devaient fidélité, service, hommage et
redevance à son maître, celui-ci, de son côté, était tenu de défendre, de
protéger son vassal, sa personne, ses biens et sa famille. Et quant au servage,
on se tromperait en le jetant sur le compte de la féodalité, qui, loin de
l'avoir inventé et introduit, l’a trouvé établi et pratiqué comme un reste et
une dérivation du colonat romain. Aussi tel qu'il était à son début, « le
régime féodal avait laissé dans le peuple des souvenirs favorables ». C'est la
remarque du savant Littré.
Mais si bénin qu'il fût à son
origine, ce système social ne tarda pas à dégénérer. Investis d'une puissance
sans frein et sans contrôle, les seigneurs s'arrogèrent et exercèrent une
domination tyrannique qui annula l'autorité du roi et supprima les libertés du
peuple. Un vaste réseau d'oppression et de servitude enveloppa nos contrées. L'humanité
recula de plusieurs siècles et retomba dans une barbarie inouïe. Ce fut le siècle de fer.
IV. - Dans ce naufrage social tout
ne périt pas cependant. Au sein de cette anarchie organisée resta, à l'état
latent, un principe de liberté locale ou privée, susceptible tôt ou tard de
s'enflammer et d'être fécondé sous l'action d'une main ferme et paternelle,
habile et chrétienne. Cette main réparatrice, la Providence la suscita dans
cette royauté même qui avait sombré, avec l'Eglise pour auxiliatrice. Signalons
du moins, puisque nous ne pouvons en suivre le détail, cette double action
tutélaire et libératrice.
L'Église, qui a toujours précédé
l'humanité dans les progrès et les libertés véritables ; mère compatissante
pour les petits, les humbles et les souffrants, par ses lois, par ses pratiques
et ses exemples, travailla pendant des siècles à faire disparaître l'esclavage
païen, à affranchir l'humanité et à la rétablir dans sa dignité. Après des
siècles d'efforts, nécessairement lents, mais heureux et couronnés de succès,
la voici en face du système féodal devenu oppressif; obligée par la force des
choses de le laisser s'établir, loin de le prendre pour un idéal, elle regarda
ce nouvel état social comme un point d'arrêt dans son œuvre de liberté.
Toujours vigilante, elle saisit, elle provoqua même les occasions favorables
pour sortir de ce régime de transition.
Souvent les papes élèvent la voix
en faveur des opprimés. Grégoire VII parle hautement et lutte avec force pour
préparer l'union et l'affranchissement de la société chrétienne ; à son appel,
on sent naître le besoin d'une expiation proportionnée à la grandeur de
l'iniquité. Comme moyen d'expiation, on entreprend de grands pèlerinages aux
saints lieux. Les coupables bientôt partent par milliers, et enfin Urbain II
communique une entière impulsion à ce mouvement ; il soulève, au cri de : Dieu le veut ! tout le personnel féodal pour ces expéditions héroïques
appelées croisades, que ne comprendront jamais les époques égoïstes et
indifférentes. L'Occident se jette sur l'Orient, où il va attaquer chez lui
l'éternel ennemi du nom chrétien et délivrer le tombeau du Christ. De « soldats
de l'enfer, » devenus « soldats de Dieu, » ces fiers barons, fameux par leurs
violences et leurs brigandages, entraînent avec eux les populations. Le
seigneur et le serf, rangés sous la même bannière, campant sous la même tente,
partageant les mêmes dangers et les mêmes fatigues, fraternisent avec une
sainte émulation ; dans ce serf qu'il traitait la veille comme une « chose
vile, » le seigneur voit un frère ; il l'aime, il l'affranchit au départ,
ou du moins au retour de la guerre sainte ; il lui rend la liberté et lui
confie ou aliène ses terres. Les croisades furent donc une délivrance sociale.
De plus, sous cette action, on vit se fonder et se constituer, pour résister au
pouvoir oppresseur, des ligues municipales qui, nées en Italie, se propagèrent
bientôt en France, où un grand mouvement de réaction ne tarda pas à faire
éclore les communes.
V. - Et c'est ici qu'apparaît le
rôle admirable de la royauté. Relevant son autorité et son prestige, elle sait,
par une habile politique, favoriser merveilleusement ce travail de réaction en
s'affranchissant elle-même de la tutelle féodale, en protégeant partout les
faibles et réprimant les injustices des grands. A. la tête, et comme donnant le
signal de ce relèvement, paraît Louis le Gros. Ce monarque, comprenant la
position de la royauté et de son siècle, a résolu, secondé par le génie de son
ministre, l'abbé Suger, de devenir tout à la fois le restaurateur du trône et
des libertés individuelles et nationales. Pour cela, il inaugure la politique
de s'attacher les masses en leur montrant le trône comme une sauvegarde contre
l'oppression tyrannique des grands; dans ce but, il approuve de sa main royale
les petits États naissants qui se forment sous le nom de « communes »,
en s'émancipant du joug féodal; il les soutient dans leurs luttes, il les
favorise dans leurs entreprises de délivrance ; il reconnaît la fondation d'une
foule dé « communes » par des chartes, qui mentionnent, assurent et
garantissent leurs privilèges anciens ou nouveaux, et y confirment ou
établissent les droits municipaux, toujours par la même politique, dit M. de Gourgues,
ce prince et ses successeurs se mirent à acheter ou à se faire donner des
terrains où ils construisaient des « villes neuves des « villes franches », des
« villes réales (royales) », dites « bastides » ; ils y attiraient des
habitants, en leur faisant de grands avantages : droits civils, personnels,
politiques, qui étaient consignés dans les chartes. Chartes et libertés
devinrent alors synonymes.
La concession des chartes se
généralisa, et bientôt ce ne fut pas seulement les rois qui accordèrent ces
titres ou lettres de libertés; les seigneurs eux-mêmes durent s'associer à ce
mouvement libéral ; de gré ou de force, spontanément ou sur demande, ils se
mirent à octroyer à leurs vassaux des chartes de franchises et de privilèges.
Mais la grande initiative de ce
mouvement partit de la royauté, qui, retrempée et relevée, reprit, au xi»
siècle, Sa mission de paternité vis-à-vis des
peuples ; à cette mission elle n'a jamais failli. Paternité pour le peuple,
liberté du peuple, défense des droits du peuple, tel a été, depuis lors, le caractère distinctif de la monarchie
française. C'est une vérité que, l'histoire à la main, Userait facile, mais
trop long ici, de montrer dans tout son jour.
VI. - Admirables furent les
conséquences de cette politique libérale et paternelle. En affranchissant ainsi
les peuples, un lien étroit et puissant, paternel du côté du roi, filial du
côté du peuple, les rattacha l'un à l'autre. Par ces grands actes, par les
chartes se fonda l'alliance entre le peuple et le roi, alliance populaire et
toute de confiance, tellement que le roi put dire : « Mes peuples, mes enfants
», en parlant de ses sujets, et que, de son côté, le peuple appela le roi : «
Son père ». En lui, le peuple était assuré de trouver un protecteur, « un
justicier ». « Si le roi le savait ! » disait-il quand il était sous le poids
de quelque vexation. Le roi aimait son peuple, le peuple aimait son roi. « Vive
le roi ! » Ce cri général n'était pas un cri de commande et de mercenaire, mais
un cri du cœur et de dévouement absolu. « La tristesse remplissait le cœur du
peuple quand les jours du roi étaient mis en danger par la maladie. Et comme il
pleurait quand la mort venait à le lui ravir. Les larmes et les gémissements de
la France étaient, à la mort des rois, leur oraison funèbre. »
Fut-il rien de plus naturel et de
moins étonnant que ce lien d'amour et de dévouement réciproques entre le peuple
et le roi? Eh quoi! si telle fut la rédemption sociale, entre les libérateurs
et les libérés, aucun lien d'amour, de reconnaissance et de fidélité ne se
serait formé ? Et ils auraient vécu comme étrangers l'un à l'autre ! Non, non;
l'histoire, qu'on ne peut pas détruire, est là debout qui nous révèle ce fait
solidement établi : l'alliance intime du roi et du peuple. Oui, « l'âme de la
France était dans l'âme du roi et l'âme du roi était fondue dans le cœur du
peuple», selon le noble langage de M. Oscar de Poli.
VII. - Maintenant donc que nous
connaissons la valeur des chartes et toute l'importance de ces monuments
historiques, peut-on seulement les toucher sans se sentir saisi d'un intérêt
respectueux, justement dû à ces titres, à ces témoins de nos libertés ? Qu'on
les lise ; avec le respect croîtra l'intérêt, et, ce aidant, avec d'autres et
après d'autres, on pourra faire cette expérience : que l'on peut lire non
seulement sans fatigue, sans ennui du moins et même avec goût, plusieurs
chartes dont les formules cependant se ressemblent à peu près. Et certes,
néanmoins, ce n'est pas le style du texte latin qui en fait le plus grand
attrait ; il n'y règne pas ordinairement la plus pure latinité. Des altérations
de langage émaillent curieusement certaines chartes du moyen-âge, avec des
barbarismes et des solécismes comme ceux-ci, par exemple, que je relève dans la
charte de La Linde : tallia, la taille (impôt); saisiemus, nous saisirons; ad regardum, au regard ; mesura, la mesure; bladum, le blé ; payrolum, le chaudron; en patois : le peyrol, et d'autres de ce genre.
Mais ce qui en fait le charme,
c'est le parfum d'antiquité réelle qui s'échappe de ces parchemins écrits par
nos ancêtres. Ce qui en fait le charme, c'est cet autre parfum de liberté
sociale et individuelle qui s'en exhale et soulage doucement nos répugnances
pour la servitude ; car, "les chartes, après les considérations générales
qui précèdent, mettent dans un plein jour l'origine ou la recomposition de nos
libertés modernes et du droit civil qui nous régit.
Il est temps d'aborder nos chartes
de La Linde, dont les pages qui précèdent étaient comme le vestibule obligé.
Nous avons la clef du temple, déjà entr'ouvert ; nous saurons nous y reconnaître.
Entrons-y avec respect, comme dans une arche sacrée, portant le germe d'une
régénération sociale et d'un progrès vers une civilisation inconnue ou tout au
moins évanouie. Saluons avec émotion ces vieux manuscrits de nos aïeux, ces
titres de vraie noblesse populaire, ces codes de nos droits modernes, ces actes
de notre naissance à la vie politique et sociale. Parcourons ces vieux
monuments où nous avons reçu le baptême, pour ainsi dire, de notre liberté, et
voyons-en les détails, du moins les plus essentiels.
§ II. - Les chartes de La Linde.
La ville de La Linde a eu l'insigne
honneur d'obtenir plusieurs chartes, lui octroyant des libertés et privilèges
ou les confirmant à nouveau. Quelques-unes ont disparu ; trois subsistent
encore, assez bien conservées, sauf quelques rares et tout petits lambeaux
enlevés par le temps ou dérobés par les rongeurs impitoyables. Ces originaux en
parchemin sont d'une dimension bien inférieure à celle d'autres pièces du même
genre qui ont jusqu'à plusieurs mètres de longueur, tandis que les chartes de
La Linde ne mesurent : la première, que 0 m65 de hauteur sur 0m40
de largeur; la deuxième, 0 m 55 de largeur sur 0 m 50 de
hauteur.
La plus ancienne et aussi la
principale des chartes de notre ville remonte à l'an 1267. Les Anglais alors
dominaient dans nos provinces de Guyenne et de Périgord. L'Anglais, c'était
l'étranger; mais sa domination ne fut pas toujours un joug de fer, à part les
calamités et les ruines qui sont la suite inévitable, le cortège inséparable du
fléau de la guerre. Les princes d'Angleterre, pour s'attacher les populations
de nos provinces conquises, s'empressèrent de les combler de privilèges et de
franchises, consignées dans des chartes dont ils importèrent le système de
Londres même, où la première charte avait vu le jour et était devenue la base
de la constitution communale. Nous verrons plus loin que ce fut là l'origine de
plusieurs petites villes de notre voisinage. L'histoire ne nous a pas conservé,
ou du moins ne nous a pas révélé jusqu'ici les circonstances dans lesquelles la
ville de La Linde obtint à son tour une charte de libertés. Elle nous apprend
cependant le nom du négociateur de ce grand acte, qui fut accordé à la
considération de Jean de La Linde, seigneur de la ville, lequel joua à cette
époque un rôle important dans nos provinces de l'ouest. Ce que nous savons de
plus, c'est que cette charte solennelle fut délivrée par le roi Henri III d'Angleterre et dressée à Londres par les soins du prince
Edouard, fils aîné de Henri. Elle porte la date du 26 juin, 51' année du règne
du roi Henri, ce qui correspond à l'année 1267, ce prince étant monté sur le
trône en l'an 1216.
A cette pièce est attaché, comme
marque d'authenticité, le sceau du prince Edouard ; il est en cire et bien
conservé. Ce sceau, qui est de petite dimension, représente, d'un côté, un
guerrier à cheval, l'épée haute ; de l'autre côté, deux léopards passants. Les
léopards sont les armes d'Angleterre.
Voici maintenant cette première charte dans son entier,
1-SCEAU DU PRINCE EDOUARD D'ANGLETERRE,(1267.) 2-SCEAU D'EDOUARD
III,DANGLETERRE,(1286.)
avec le texte original d'un côté
et, de l'autre, la traduction française :
PREMIÈRE
CHARTE.
Eduardus, illustris
regis Angliae primogenitus, universis presentes litteras inspecturis salutem
in Domino. Novimus quod
habitatoribus castri de La Lynde diœcesis Petragoricensis, concedimus
libertates et consuetudines infra scriptes : Videlicet quod per nos vel
successores nostros non fiat in dicto castro tallia vel albergata, nec
recipiemus ibi mutuum focagium vel commune nisi gratis nobis mutuare
voluerint habitantes. Item quod habitantes
dicti castri et in posterum habitaturi possent vendere, dare, alienare omnia
bona sua mobilia et immobilia cui voluerint, excepto quod immobilia non
possunt alienare ecclesiasticis, religiosis personis, militaribus, nisi salvo
jure dominorum quorum res in feodum tenebuntur. Item quod habitantes
dicti castri possint filias suas libere et ubi voluerint maritare et filios
suos ad clericalos ordines promoveri. Item quod nos vel
baillivus noster non capiemus aliquem habitantem dicti castri vel vim
inferemus vel saysiemus bona sua dura tamen
velit et fidejubeat stare juri, nisi privilegio vel morte hominis vel
alio crimine quo corpus suum vel bona sua nobis debeant esse. Item quod ad
quaestionem seu clamorem alterius non mandabit vel citabit senescallus noster
aut baillivi sui, nisi pro facto proprio vel querela, aliquem habitantem in
dicto castro extra honorem dicti castri super hiis quae facta fuerint in
dicto castro et in partem dicti castri et honore vel sub possessionibus dicti
castri et honore ejusdem. Item si quis in eodem
castro moriatur sine testamento, nec habeat liberos, nec appareant alii
heredes qui sibi debeant succedere, baillivus noster et consules dicti castri
bona defuncti descripta commendabunt duobus probis hominibus dicti castri ad
custodiendum, fideliter per unum annum et diem ; et si infra eumdem terminum,
appareat haeres qui debeat succedere, omnia bona praedicta debent
integraliter sibi reddi ; alioquin bona sua sibi tradentur et etiam immobilia
quae a nobis in feodum tenebuntur ad faciendam nostram omnimodam voluntatem ;
et alia immobilia quae ab aliis dominis in feodum tenebuntur ipsis dominis
tradentur ad faciendam volunlatem suam, solutis tamen debitis dicti defuncti,
si clara sint debita, non expectato fine anni. Item testamenta facta
ab habitatoribus dicti castri in praesentia testium fide dignorum valeant
licet non sint facta secundum solemnitates legum, sui tamen liberi sua
legitima portione non fraudentur, convocato ad hoc capellano loci vel alia
ecclesiastica persona si commode possint vocari. Item quod nullus
habitans in eodem castro de quocumque crimine apellatus vel accusatus sit,
nisi velit, teneatur expugnare vel defendere duello nec cogatur ad duellum
faciendum, et si refutaverit non habeatur propter hoc pro convicto ; sit
appellans, si velit, probet tamen quod objicit per testes vel per alias
probationes juxta formam juris. Item quod habitantes
in dicto castro possint emere et recipere ad censum vel in dono a quacumque
persona volente vendere vel infeodare aut res suas immobiles dare, excepto
feudo francali militari quod emere vel recipere non possunt nisi de nostra
vel successorum nostrorum processerit voluntate. Item quod de quolibet
solo de quatuor cannis vel ulnatis lato in amplitudine et decem in
longitudine habebimus quatuor decem denariorum obliarum tantum et secundum in
majus et minus in festo sanctae Luciae et totidem de acaptatione in mutatione
domini et si vendetur, habebimus ab emptore vendas secundum duodecimam partem
pretii quo vendet, et nisi obliae solutae nobis fuerint praedicto termino,
quinque solidi nobis solventur pro
gagio et obliis supradictis. Item si arsurae vel
alia maleficia occulta facta fuerint in dicto castro aut honore vel in partem
dicti castri, fiet per nos aut locum
nostrura tenentem emenda super hiis prout consulibus dicti castri videbitur expedire. Et dicta
emenda levabitur et extorquetur ab habitatoribus dicti castri, honoris et
pertinentiis ejusdem ad arbitrium et regardum bonum consulum praedictorum. Item seneschallus et
baillivus noster dicti castri tenentur
jurare in principio senescalliae et baillivae coram probis hominibus dicti
castri quod in officio suo fideliter se habebunt et jus cuilibet reddent pro
possibilitate sua et approbatas
consuetudines dicti castri et statuta rationabilia observabunt. Item consules dicti castri
mutentur quolibet anno in festo Purificationis Beatae Mariae. Et nos vel baillivus noster cum consulibus praedictis debemus ponere et eligere ipsi die consules
catholicos sex de habitatoribus in dicto castro quos magis bona fide et
profectu dicti castri viderimus et cognoverimus expedire. Qui consules
jurabunt coram baillivo nostro et populo dicti castri nos et jura nostra bene
et fideliter servare et quod populum dicti castri fideliter gubernent et
tenebunt pro posse suo fideliter consolatum et quod non recipient ab aliqua
persona aliquod servitium propter officiam consulatus. Quibus consulibus
communitas dicti castri jurabit sibi dare consilium et adjutorium et obedire
salvo tamen in omnibus jure nostro, dominio et honore, et dicti consules
habeant potestatem reparandi carrerias, vias publicas, fontes et pontes et
faciendi statuta rationabilia et potestatem faciendi et constituendi
procuratorem syndicum seu actorem pro tota universitate dicti castri et omnia
generaliter et singula specialiter faciendi quae tota universitas seu
communitas dicti castri facere potest et debet et etiam colligendi a populo
rnissiones et expensas et ab habitatoribus dicti castri, honoris, districtus
quae propter praedicta fient vel quae fiunt alia communia tota negotia
necessaria et redudantia in totam utilitatem dicti castri. Et qui sordities
in quarreriis injecerint à baillivo nostro et a consulibus puniantur, sed in
quod eis visum fuerit expedire. Et quique in dicto castro vel in pertinentes
ejusdem habuerit possessiones vel reddiderit rationem illarum rerum ipse et
sui successores in expensis et missionibus et collectis quae fient a
consulibus propter utilitatem dicti castri, ut dictum est, faciet et donet
prout habitatores dicti castri, et nisi hoc facere velit, baillivus noster
impignoret eum ad instantiam consulum praedictorum. Item quilibet de
habitantibus dicti castri debet nos vel senechallum nostrum sequi in exercitu
quolibet anno contra inimicos nostros et facere et dare nobis auxilium et
adjutorium per quadraginta dies tantum ad suas proprias expensas quas commode
potest habere. Res comestibilis de foris apportata ad vendendum vel quae sunt
apportata de infra dimidiam leucam ad vendendum non vendatur nisi prius ad
plateam dicti castri fuerit apportata ; et si quis contra fecerit, emptor vel
venditor quilibet in duobus solidis et dimidio pro justitia puniatur, nisi
esset extraneus qui dictam consuetudinem probabiliter ignoraret. Item quicumque alium
perçussent vel traxerit cum pugno, palma vel pede, irato animo, sanguine non
inde veniente, si clamor factus sit, in quinque solidis pro justitia puniatur
et faciat emendam injuriam passo secundum rationem ; si tamen sanguinis
effusio inde venerit, in viginti solidos pro justitia puniatur percutiens et
emendam faciet injuriam passo. Et si cum gladio vel fusta, petra vel tegula,
sanguine non inde veniente, si clamor factus fuerit, percutiens in viginti
solidis pro justitia puniatur ; et si sanguis inde veniat, et fiat clamor,
percutiens in sexaginta solidis pro justitia puniatur et emendam faciet
injuriam passo. Item si quis alium
interfecerit et culpabilis de morte reperiatur ita quod homicida reputelur,
per judicium curiae nostrae puniatur et bona ipsius nobis sint incursa
solutis tamen primo debitis suis. Item si quis alicui
convicia vel opprobria vel verba contumeliosa irato animo alte dixit et inde
fiat clamor, a baillivo nostro in duos solidos et dimidium pro justitia
puniatur et faciat emendam passo. Item quicumque bannum
nostrum vel baillivi nostri fregerit vel pignus ab eo factum ob rem indicatam
sibi abstulerit, in triginta solidis pro justitia puniatur. Item adulter vel adultera,
si deprehensi fuerint in adulterio et inde f'actus fuerit clamor, vel per
homines fide dignos super hoc convicti fuerint vel jure confessi, quilibet in
centum solidos pro justitia puniatur, vel midi currant villam et sit adoptio
eorumdem. Item qui gladium emolutum contra alium irato animo traxerit, in decem
solidos pro justitia puniatur et emendet injuriam passo. Item quicumque aliquid valens duos
solidos vel infra de die vel nocte furatus fuit, currat villam cum furto ad
collum suspenso et in quinque solidos pro justitia puniatur et restituat
furtum cui furatum fuit excepto furto fructuum de quo fiet ut inferius
continetur. Et qui rem valentem ultra quinque solidos furatus fuerit prima
vice signetur et in sexaginta solidos pro justitia puniatur ; et si signatus
sit, per judicium curiae nostrae modo debito puniatur ; et si pro furto quis
suspendatur, decem librae, si bona sua valeant, solutis debitis suis, primo
nobis pro justitia persolventur et residuum sit haeredum suspensi. Item si quis intraverit
de die hortos, vineas vel prata alicujus et inde capiat fructus, fœnum,
paleam vel lignum valens duodecim denarios vel infra sine voluntate illius
cui fuerit, postquam quolibet anno defensum fuerit et pronuntiatum, in duobus
solidis persolvendis et dimidio consulibus ad opem dicti castri pro justitia
puniatur, et quidquid consules ex hoc habuerint debent illud ponere in totum
profituum dicti castri ut pote in reparatione carrierarum, fontium, pontium
et consimilium. Et si ultra duodecim denarios valeat res qui inde cepitur, in
decem solidos nobis pro justitia puniatur. Et si de nocte quis intraverit, et
fructum, faenum, paleam vel lignum ceperit, in triginta solidos nobis pro
justitia puniatur et emendet damnum injuriam passo. Et si bos vel vacca vel bestia
grossa hortos vel vineas vel prata alicujus intraverit, solvet dominus
bestiae tres denarios consulibus dicti castri et pro porco et sue, si
intraverit, tres denarios, et pro ovibus vel capris vel ircis, si intrent,
solvet dominus cui erunt unum denarium consulibus dicti castri qui ex hoc
facient ut praedictum est, damno cui est hortus, vinea vel pratum nihilominus
resarcito. Item quicumque falsum pondus vel falsam mesuram vel falsam
ulnam tenuit, dum tamen sub hoc legitime convictus fuerit, in sexaginta
solidos nobis pro justitia puniatur. Item pro clamore
debiti vel pacti vel cujuslibet alterius contractas, si statim id in
praesentia baillivi nostri prima die confiteatur a debitore sine lue, mora et
sine induciis, nihil nobis pro justitia persolvetur, sed infra novem dies
baillivus debet facere solvi et reddi et compleri creditores quod confessum
fuit coram eo ; alioquin debitores ex tunc in duobus solidis et dimidio nobis
pro justitia puniantur. Item pro simplici
clamore de quo lis movetur et induciae petentur post perlationem sententiae
nobis quinque solidi pro justitia persolventur. Item deficiens ad
diem assignatum sibi per baillivum, in duobus solidis et dimidio nobis pro
justitia puniatur et parti adversae in expensis legitimis nihilominus condemnetur.
Item baillivus noster
non debet recipere justitiam seu gagium usquequo solvi fecerit rem judicatam
parti quae obtinuit. Item de questione
rerum immobilium post perlationem sententiae nobis quinque solidi pro
justitia persolvantur. Item de quolibet
clamore facto de quo lis movetur, si actor defecit in probando, in quinque
solidis actor pro justitia puniatur, parti adversae in expensis legitimis
condemnandus. Item mercatum dicti
castri debet in die Martis fieri, et si bos vel vacca, porcus vel sus unius
anni et supra vendatur ab extraneo in die fori dabit venditor unum denarium
nobis pro leuda, et de asino et de asina, equo vel equa, mulo vel mula unius
anni et supra dabit venditor extraneus duos denarios nobis pro leuda; si
infra, nihil ; de ove, ariete, capra vel hirco unum obolum ; de summata
bladi, unum denarium ; de sextario, unum denarium ; de eymina, unum obolum
pro leuda et meusuragio ; de quartario, nihil dabit ; de onere bovis, unum
denarium aut unum valens unum denarium ; de summata coriorum grossorum, duos
denarios; de onere bovis aut de uno corio grosso, unum denarium ; de summata
ferri, pannorum, laneorum, duos denarios ; de socularibus, de calderiis,
anderiis, patellis assatis, peyroliis, cultellis, falxibus, sarpis, piscibus,
piscibus salsatis et rebus consimilibus dabit extraneus in die fori pro leuda
et pro integro duos denarios ; de summata et de onere bovis rerum
praedictarum et consimilium, unum denarium ; de summata urnarum vel canarum,
unum denarium ; de onere bovis, unum obolum. Item nundinae sint in
dicto castro terminis assignatis et quilibet mercator extraneus habens
crossellum vel plures crossos in dictis nundinis dabit nobis pro introitu et
exitu et caulagio et pro leuda quatuor denarios et pro onere bovis quidquid
portet unum denarium ; et de rebus emptis ad usum domus alicujus nihil
dabitur ab emptore pro leuda. Item quicumque
voluerit petrinum habere et facere furnum in dicto castro et in barris
ejusdem castri, et de quolibet furno in quo quis panem decoquet ad vendendum
vel panem sui vicini, nobis quolibet anno in festo sanctae Luciae solventur
quinque solidi obliarum et totidem de acaptamento domino mutante. Item instrumenta per
notarios dicti castri confecta illam vim obtineant quam publica obtinent
instrumenta. Item volumus et
concedimus quod castrum de Clarens cum pertinentiis suis et castrum de Longar
cum pertinentiis suis et castrum Sti Aviti Senioris cum
pertinentiis suis et castrum de Clamont cum pertinentiis suis et castrum de
Badefol cum pertinentiis suis et omnia jura et juridictiones et dominium quae
habemus et habere debemus in praedictis locis et infra duas leucas in
rotunditate dicti castri de la Lynde sint de honore et districtu et foro et
pertinentiis dicti castri de la Lynde, salva reverentia nobis addendi,
diminuendi nostra omnimoda voluntate. Item si quis habens
familiam de habitatoribus dicti castri et pertinentiis suis vel pater
familias possit transire et redire in nostro portu dicti castri de la Lynde
super Dordoniam libere et quiete ita tamen quod quolibet anno in nativitate
Domini solvat et reddat nobis sex denarios, tam de pontonagio pro se et
familia sua et necessaria sua. Has autem libertates
et haec omnia praedicta et singula quantum de jure possumus approbantes in
perpetuum et in eorum testimonium sigillum nostrum praesentibus duximus
apponendum. Datum Londinis
vicesimo sexto die junii anno regni domini regis Henrici patris mei
quinquagesimo primo. |
Edouard, fils aîné du
très illustre roi d'Angleterre, à tous ceux qui ces présentes verront, salut
en Notre-Seigneur. Nous reconnaissons que
nous avons accordé aux habitants de la châtellenie de La Lynde, diocèse de
Périgueux, les libertés et coutumes ci-dessous écrites : A savoir que nous ni
nos successeurs n'imposerons dans la dite châtellenie ni taille ni droit
d'hébergement et que nous ne recevrons ni droit de feu, ni droit de commune,
à moins que les habitants ne veuillent le payer de bon gré. Item que les habitants de la dite châtellenie puissent
dorénavant vendre, donner, aliéner tous leurs biens, meubles et immeubles, à
qui ils voudront, sauf qu'ils ne pourront vendre leurs immeubles aux
ecclésiastiques, aux religieux, aux militaires, si ce n'est du consentement
des seigneurs dont la chose relève. Item les habitants pourront marier leurs filles librement
et où ils voudront[i], et ils pourront aussi faire élever leurs enfants
aux ordres sacrés[ii]. Item nous ni notre bailli ne prendrons aucun habitant, ne
lui ferons violence ni saisirons ses biens, pourvu cependant qu'il veuille et
promette se conformer au droit, à moins qu'il n'y ait privilège, mort ou
plaie mortelle ou autre crime pour lequel sa personne ou ses biens doivent
être à nous. Item notre sénéchal ne fera contre aucun habitant de la
dite châtellenie, à la requête ou à la clameur d'une personne ou de son
baillif, sauf le cas de fait personnel ou de querelle, aucun mandement ou
citation hors du fief de la dite châtellenie, à l'occasion de ce qui se
serait passé dans la châtellenie de La Linde et son territoire, et concernant
son honneur et ses possessions. Item si quelqu'un de la dite châtellenie meurt sans
testament et sans enfants, et qu'il n'y ait point d'héritier qui lui doive
succéder, notre bailli et les consuls de la ville, après avoir enregistré ou
fait enregistrer les biens du défunt, les confieront à deux prud'hommes pour
les garder fidèlement un an et un jour ; si après ce terme vient à paraître
l'héritier qui doit succéder, tous les dits biens lui seront remis et rendus
en entier ; autrement (c'est-à-dire s'il ne parait aucun héritier), les biens
du défunt, ainsi que les immeubles qui relèvent de nous seront livrés aux
consuls pour en disposer selon notre volonté ; et les autres immeubles qui
relèvent d'autres seigneurs seront livrés à ces mêmes seigneurs, qui en
disposeront à leur volonté, mais après avoir payé les dettes du défunt, s'il
y a lieu et cela sans attendre la fin de l'année[iii]. Item que les testaments faits par les habitants en
présence de témoins dignes de foi soient valides, quoiqu'ils ne soient pas
faits selon les solennités de la loi, pourvu cependant que leurs enfants ne
soient pas privés de leur légitime, ayant soin d'appeler pour cela le
chapelain du lieu ou un autre ecclésiastique, si cela est possible[iv]. Item qu'aucun habitant, quel que soit le crime dont il
est accusé, ne soit tenu, malgré lui, de se justifier ou de se défendre par
le duel ; s'il refuse, qu'il ne soit pas réputé pour cela convaincu ; mais
qu'il appelle, s'il veut, et qu'il prouve ce qu'il oppose par témoins ou
autres preuves de droit[v]. Item que les habitants puissent acheter et recevoir à
cens ou en don de qui que ce soit, vendre ou inféoder, ou donner leurs
immeubles, sauf le fief militaire de francalleu, qu'ils ne pourront acheter
ou recevoir à moins qu'ils n'y soient autorisés par nous ou nos successeurs. Item pour chaque fonds de quatre aunes en largeur et de
dix en longueur, nous aurons quatorze deniers obliarum, suivant le
plus ou le moins, à la fête de sainte Lucie et autant d'acapte à chaque
changement de seigneur ; si l'on vend le bien, l'acquéreur en paiera les ventes sous la
douzième partie du prix, et si ces sommes ne nous ont pas été payées à
l'échéance susdite, on nous donnera cinq sols pour les gages et pour les
deniers obliae susdits. Item si dans ladite châtellenie ou ses appartenances il
se fait des tentatives d'incendie ou quelqu'autre crime secret, une amende sur ces faits sera établie par
nous ou notre lieutenant, selon ce qui
paraîtra convenable aux consuls
de la dite châtellenie. Et cette amende sera levée et perçue sur les
habitants de ladite châtellenie et ses
dépendances au gré et à la
juste appréciation des dits consuls. Item notre sénéchal et notre bailli dans la dite
châtellenie seront tenus à leur entrée en charge de jurer devant des
prud'hommes du lieu qu'ils exerceront fidèlement leur emploi, qu'ils rendront
la justice à chacun selon leur pouvoir et observeront les coutumes approuvées
et les statuts équitables. Item les consuls
seront changés tous les ans, à la fête de la Purification de la sainte Vierge. Et nous ou notre
bailli, avec les précédents consuls, devrons placer et élire ce jour-là des
consuls catholiques, six des habitants que nous jugerons et estimerons comme
les plus fidèles et les plus utiles à la communauté. Ces consuls jureront
devant notre bailli et le peuple de conserver nos droits, de gouverner
fidèlement les habitants, de faire tout leur pouvoir pour alléger et soulager
le peuple et de ne recevoir aucun service pour l'exercice du consulat. A ces consuls la communauté jurera de leur prêter
conseil, aide et assistance et de leur
obéir en tout ce qui ne sera pas contraire
à nos droits et possessions, et lesdits consuls auront le pouvoir de
réparer les carrières, les voies publiques, fontaines et ponts, de faire de bons règlements, de
choisir et de constituer un procureur-syndic ou agent pour toute la
communauté et de faire généralement et spécialement ce que la communauté peut
et doit faire, et même de lever sur le peuple les frais de voyage et autres
dépenses, et sur les habitants de ladite châtellenie et de ses appartenances,
tout ce qui se fera pour l'utilité de ladite communauté. Si quelqu'un jette des ordures dans les
carrières (rues), qu'il soit puni par notre bailli et les consuls, selon ce
qui leur paraîtra juste. Quiconque aura dans ladite châtellenie et ses
dépendances des possessions ou des revenus, devra lui et ses successeurs
contribuer à toutes les dépenses,
frais et collectes qui seront réglées par les consuls pour l'utilité de la
communauté, comme les autres habitants, et s'il s'y refuse, notre bailli doit
le condamner à la requête des consuls. Item chaque habitant de la dite châtellenie doit suivre à
l'armée nous ou notre sénéchal contre nos ennemis et doit nous servir et nous
prêter secours[vi] pendant quarante jours à ses propres frais et selon
ses moyens. Que les comestibles apportés du dehors ou d'une demi-lieue pour
être vendus ne le soient pas avant d'avoir été conduits sur la place
publique, et si un vendeur ou un acheteur y a contrevenu, qu'il soit condamné
à payer deux sols et demi, à moins que ce ne fût un étranger qui fût présumé
ignorer cette coutume. Item celui qui en a frappé un autre et lui a donné avec
colère un coup de poing ou de pied sans qu'il y ait eu de sang versé, s'il y
a clameur, qu'il soit condamné à cinq sols et qu'il fasse réparation
convenable à celui qu'il a frappé ; s'il y a eu du sang répandu, que le
prévenu soit condamné à vingt sols et fasse réparation à celui qui a reçu
l'injure. Si quelqu'un est frappé avec une épée, un bâton, une pierre ou une
tuile, et qu'il n'y ait pas de sang versé, s'il y a clameur, que
l'assaillant soit condamné à vingt sols ; s'il y a du sang versé et
qu'il y ait clameur, que l'assaillant soit condamné à soixante sols et qu'il
paie l'amende. Item si quelqu'un a commis un meurtre et qu'il soit
trouvé coupable de mort, tellement qu'on le répute homicide, qu'il soit puni
par le jugement de notre cour et que ses biens nous soient dévolus après le payement de ses dettes. Item si quelqu'un a hautement et avec colère dit des
injures à un autre et qu'il y ait clameur, qu'il soit condamné par notre
bailli à deux sols et demi et à la réparation. Item si quelqu'un a enfreint notre ban ou celui de notre bailli ou qu'il ait
emporté le gage qu'il a fourni, qu'il soit condamné à payer trente sols. Item si des adultères ont été surpris en flagrant délit
et qu'il y ait eu clameur, qu'ils aient été convaincus par des hommes dignes
de foi ou qu'ils aient avoué, que chacun soit condamné à payer cent sols ou à
courir tout nu la ville à leur choix. Item celui qui aura tiré contre un autre un glaive
émoulu, lui payera dix sols et lui fera réparation. Item celui qui a volé de jour ou de nuit une chose valant
deux sols ou au-dessous, courra la ville avec l'objet volé attaché au cou,
paiera cinq sols et restituera l'objet volé à son maître, sauf le vol des
fruits dont il sera parlé plus bas.
Celui qui a volé une chose d’une valeur au-dessus de cinq sols, sera pour la
première fois marqué et condamné à payer soixante sols ; et s'il est marqué,
qu'il soit puni selon la loi par le jugement de notre cour; et si quelqu'un
est pendu pour vol, après avoir acquitté ses dettes, qu'il nous soit payé dix
livres, si ses biens ont cette valeur, et que le reste aille aux héritiers. Item si quelqu'un est entré de jour dans le jardin, la
vigne ou le pré d'un autre et qu'il y ait pris des fruits, du foin, de la
paille ou du bois de la valeur de douze deniers ou au-dessous, sans le
consentement du maître, après la défense publiée tous les ans, qu'il paie
deux sols et demi aux consuls pour les besoins de la ville, et tout ce que
les consuls recevront en ce genre, ils doivent l'employer pour ladite ville,
a savoir pour la réparation des carrières (rues), des fontaines, des ponts et
autres choses semblables. Et si la chose vaut plus de douze deniers, le
voleur nous paiera dix sols. Et si quelqu'un est entré de nuit et qu'il ait
emporté du foin, de la paille ou du bois, il nous sera payé trente sols avec
réparation des dommages au propriétaire. Et si un bœuf, une vache ou une
grosse bête est entrée dans les jardins, la vigne ou le pré de quelqu'un, le
maître de l'animal paiera trois deniers aux consuls, autant pour un porc ou
une truie ; un seul denier pour des brebis, des chèvres ou des boucs ; et les
consuls en feront l'usage qui est dessus indiqué, sans préjudice des
dommages-intérêts au maître du jardin, de la vigne ou du pré. Item celui qui s'est servi d'un poids, d'une mesure ou
d'une aune qui seraient faux, s'il en est convaincu, nous paiera soixante
sols. Item quand il y a clameur pour une dette ou un pacte, ou tout autre contrat, si le
débiteur avoue sans détour et sans délai devant notre bailli, il ne nous sera
rien payé ; mais après neuf jours, notre bailli fera rembourser complètement
aux créanciers toutes les sommes qui auront été avouées devant lui ;
autrement, les débiteurs nous paieront deux sols et demi. Item pour une simple clameur qui donne lieu à un procès,
après la sentence portée, il nous sera payé cinq sols. Item celui qui est condamné par défaut au jour assigné
par le bailli, nous payera deux sols et demi et sera condamné de plus aux
frais et dommages envers la partie adverse. Item notre bailli ne doit recevoir ni gages ni frais de
justice avant le remboursement de la partie qui a gagné. Item quand il y aura procès pour des immeubles, après le
jugement, il nous sera payé cinq sols. Item dans tout procès, si le demandeur ne peut pas
prouver, il nous paiera cinq sols, sans préjudice de la condamnation aux
frais et dommages envers la partie adverse. Item le marché doit se tenir le mardi, et si un étranger
vend un jour de foire un bœuf ou une vache, un porc ou une truie d'un an et
au-dessus, il nous paiera un denier pour droit de leude[vii], et pour un âne ou une ânesse, un cheval ou une
jument, un mulet ou une mule d'un an et au-dessus, deux deniers pour droit de
leude, et s'il est au-dessous il ne nous paiera rien ; pour une brebis, un
bouc, une chèvre ou un bélier, une obole ; pour une charge de blé, un denier
; pour un sextier, un denier ; pour une émine de blé, une obole pour droit de
leude et de mesurage ; il ne sera rien payé pour un quarton ; pour la charge
d'un veau, un denier ou un (objet) valant un denier ; pour une charge de gros
cuirs, deux deniers ; pour la charge d'un bœuf ou d'un gros cuir, un denier ;
pour une charge de fer, de draps, de laines, deux deniers ; pour des
chaudières, des chenets, des plats de terre cuite, des chaudrons, des
couteaux, des faulx, des serpes, des poissons, des poissons salés et autres choses
semblables, l'étranger qui vendra un jour de foire donnera en tout et pour
leude deux deniers ; pour l'ensemble et la charge d'un veau des choses
susdites et autres semblables, un denier ; pour une charge de vases et
d'urnes, un denier ; pour la charge d'un bœuf, une obole. Item, les foires se tiendront dans la dite châtellenie aux
jours assignés, et tout marchand étranger ayant une petite boutique ou
plusieurs boutiques nous donnera, pour droit d'entrée et de sortie, pour
droit de placage et pour leude, quatre deniers, et un denier pour un veau
portant quoi que ce soit ; et pour les choses achetées pour l'usage de la
maison, il ne nous sera payé aucun droit de leude par l'acheteur. Item quiconque pourra avoir un pétrin et faire un four[viii] dans la ville et sa banlieue et pour chaque four où
chacun fera son pain pour le vendre ou celui de son voisin, il nous paiera
chaque année, à la fête de sainte Lucie, cinq sols et autant d'acapte à
chaque changement de seigneur. Item que les actes faits par les notaires de ladite
châtellenie aient la même force que tous les actes publics[ix]. Item voulons et accordons que le château de Clarens, avec
ses appartenances, et le château de Longar, avec ses appartenances, et le
château de Saint-Avit-Sénieur, avec ses appartenances, et le château de
Clamont, avec ses appartenances, et le château de Badefol, avec ses
appartenances, ainsi que tous les droits et juridiction que nous avons et
devons avoir dans les susdits lieux et deux lieues autour de la Lynde, soient
du fief, district et appartenances dudit château ou châtellenie de La Lynde,
sauf le droit à nous réservé d'ajouter ou de diminuer à notre volonté. Item que chaque père de famille de la dite châtellenie ou
ses appartenances puisse passer et revenir dans notre port de notre
châtellenie de la Lynde sur la Dordogne en toute liberté et sécurité, à
charge cependant de nous payer à Noël, tous les ans, six deniers de pontonage
pour lui, sa famille, sa parenté ou ses serviteurs[x]. Approuvant à
perpétuité et autant qu'il nous appartient
ces libertés et toutes les choses précédemment dites, nous avons fait apposer
notre sceau à ces présentes en foi de tout ce que dessus. Donné à Londres le
vingt-six juin et la cinquante et unième année du règne de notre seigneur le
roi Henri, mon père. |
DEUXIEME CHARTE.
Telle est la première charte de La
Linde, tel est l'acte qui consacre les droits et les devoirs de notre bastide
royale. Fiers de ces titres glorieux, qu'ils ne-manquaient pas d'invoquer dans
l'occasion, les bourgeois de notre cité mirent un soin tout religieux à les
conserver, à les maintenir. Ils tenaient à ces monuments de leur délivrance
comme à leur vie, qu'ils auraient sacrifiée pour les défendre contre toute
entreprise et plutôt que de se les voir arracher. Pour s'en assurer la
jouissance, ils s'empressaient de les faire renouveler ou confirmer à chaque
changement de règne ou après quelque événement qui aurait pu en menacer
l'existence ou en compromettre le fonctionnement. Par ces démarches, les peuples
obtenaient de nouvelles chartes confirmant les premières ou en étendant les
droits et les privilèges. Les patriotes bourgeois de La Linde ne faillirent pas
à ce devoir, et leur première charte fut en effet, sur leur demande,
renouvelée, confirmée et approuvée à plusieurs reprises et par plusieurs
monarques.
Henri III, l'auteur de la grande
charte de 1267, avait eu pour successeur son fils Edouard. Ce prince, roi
d'Angleterre, seigneur d'Irlande, duc d'Aquitaine, étant venu visiter ses
possessions françaises, se trouvait à Agen. Les habitants de La Linde
profitèrent de sa présence dans la province pour solliciter la confirmation de
leur charte. Ils députèrent plusieurs de leurs concitoyens qui vinrent à Agen,
où ils obtinrent audience du prince Edouard, auquel ils exhibèrent leur
précieux document. Edouard le reconnut à son sceau et comme l'ayant fait
dresser lui-même du vivant de son père. A la prière des députés de La Linde, ce
roi fit dresser une nouvelle charte qui reproduit la première en l'approuvant
et la confirmant de son autorité royale. Elle est datée d'Agen, du 27 novembre,
la 15e année du règne d'Edouard, 1286. Cette charte, comme la
première, porte le cachet de son authenticité, le sceau royal d'Edouard. Les
sceaux des deux chartes sont bien conservés, attachés au parchemin par des fils
de soie de diverses couleurs, mais ils diffèrent de dimension et d'attributs.
J'ai décrit plus haut celui de la première. Celui de la deuxième, qui est plus
grand, représente un prince en habits royaux, assis sur un trône ; ses pieds reposent
sur deux léopards. De l'autre côté on voit un guerrier à cheval, dont la croupe
est couverte d'un manteau tombant à terre et orné de léopards.
Ces doux pièces ne différent dans leur texte que par le
commencement et la fia, ainsi qu'il suit. Le commencement d'abord :
Eduardus, Dei gratia rex Ang1iae, dominus Hiberniae et
dux Aquitaniae, omnibus ad quos presentes litterae pervenerint, salutem:
Cartam quam olim antequam regni suscepissemus gubernacula sub sigillo quo
utebamur habitatoribus castri de La Lynde Petragoricensis diœcesis, fecimus,
inspeximus in haec verba : |
Edouard,
par la grace de Dieu, roi d'Angleterre, seigneur d'Irlande et duc d'Aquitaine,
à tous ceux qui ces présentes verront, salut : Nous avons examiné une charte
que nous avions fait dresser jadis, avant de prendre le gouvernement du
royaume et sous le sceau dont nous nous servions alors en faveur des
habitants de la châtellenie de La Lynde, diocèse de Périgueux, et conçue en
ces termes : |
Suit ici
la teneur de la première charte.
Puis à la fin :
Omnia praedicta et singula rata habemus et grata ; ea
ad instantiam iiihabitantium praedictorum innovamus, concedimus et confirmamus.
In cujus rei testimonium bas litteras nostras fieri fecimus patentes.
Datum
apud Aginnum, vicesimo septimo die novembris per manum CD[xi] anno regni
nostri quinto decimo.
Ayant pour agréables toutes les choses susdites, nous
les approuvons ; et à la requête desdits habitants, nous les renouvelons,
octroyons et confirmons. En foi de quoi nous avons fait faire ces lettres
patentes.
Donné à Agen, le vingt-sept novembre, par la main de
..… la quinzième année de notre règne.
autres chartes ou confirmations de
chartes.
Les deux chartes données par les
rois d'Angleterre, Henri et Edouard, furent confirmées par plusieurs rois de
France, par Charles VIII, par François Ier, à Amboise, en 1517, par Henri II et
par Louis XIII. Les lettres patentes de Charles VIII, de François Ier et de Henri II ne se trouvent plus dans les archives de La
Linde, mais on y conserve et on y voit encore celles de Louis XIII, qui furent
données sous la régence de sa mère, Marie de Médicis, à Paris, juillet 1611. Le
sceau, en cire verte, porte d'un côté l'écusson de France à trois fleurs de
lis. Voici le texte de cette pièce :
Confirmation de, privilèges.
Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de
Navarre, à tous présents et à venir, salut. Savoir faisons que vue avons
l'humble supplication de nos chers et bien aimés les consuls, manants et
habitants de la ville de La Linde, en notre pais de Périgord, contenant que de
longtemps nos prédécesseurs rois leur auraient, en considération de leur
fidélité, accordé et octroyé plusieurs beaux privilèges et franchises qui
auraient esté confirmés tant par les rois Charles VIII et François I" que
Henri II, et dont ils ont toujours bien et paisiblement jouy jusques à présent,
qu'à l'occasion du décedz advenu au feu roi Henry le Grand, notre très honoré
seigneur et père, que Dieu absolve, ils doutent que l'on fasse difficulté de
les en laisser jouir s'ils n'ont sur ce nos
Lettres de confirmation pour ce
nécessaires. Ils nous ont fait très humblement supplier leur octroyer à ces causes, désirant
pour les mêmes considérations qu'ont eu nos prédécesseurs bien et favorablement
traiter iceux exposants, et voullant leur donner toute occasion de continuer
envers Nous leur même fidélité et affection à nos services qu'ils ont fait à
nos prédécesseurs, Avons, de l'advis de la royne régente, notre très honorée
dame et mère, de notre grâce spécialle, plaine puissance et autorité royal,
continué et confirmé, et par ces présentes signées de noire main, continuons et
confirmons auxdits consuls, manants et habitants de La Linde, tous et chacun,
leurs dits privilèges et franchises pour en jouir et user par eux et leurs successeurs
comme ils en ont cy-devant bien et deument jouy et usé, jouissent et usent
encore à présent. Et donnons en mandement au sénéchal de Périgord ou son
lieutenant et à tous nos autres justiciers et officiers qu'il appartiendra que
de notre présente continuation et confirmation ils fassent, souffrent et
laissent iceux exposants et leurs successeurs jouir et user à toujours
plainement et paisiblement sans souffrir leur estre fait, mis ou donné aucun
trouble et empêchement, au contraire. Car tel est notre plaisir. Et afin que ce
soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces
présentes, sauf en autres choses notre droit et d'autruy en toutes. Donné à
Paris au moys de juillet l'an de grâce mil six cent onze, et de notre règne le deuxième.
Par le
roy, la royne régente sa mère présente
Philipeaux.
Le lecteur, s'il a eu la patience
de lire en entier la première des chartes que nous venons de donner, aura pu se
convaincre de la juste et pleine application qu'elles renferment des considérations
générales qui les précèdent. Outre le détail clair et précis de certaines
amendes et de redevances diverses, trois choses principales y appellent
l'attention : libertés bourgeoises, privilèges de la magistrature consulaire et
certains règlements concernant la justice. Notre charte peut se résumer en ces
trois chefs de principaux privilèges dont la concession est faite à la ville de
La Linde, reconnue comme bastide ou ville royale. De là, tout naturellement, le
sujet des chapitres qui suivent : Ville de La
Linde en général; Bourgeoisie; Consulat et municipalité nouvelle de 17S9 ;
Juridiction ou justice ; Paroisses relevant de la juridiction de La Linde.
L'abbé Goustat.
(A suivre.)
[i] D'après le droit féodal, les vassaux ne pouvaient marier leurs filles
sans le consentement de leur seigneur. De cette mesure féodale, on peut donner
plusieurs raisons. En premier lieu, si les filles des vassaux eussent eu la
liberté indéfinie de se marier, il eût pu arriver qu'elles eussent choisi un
époux ou ennemi de leur seigneur suzerain ou trop puissant pour être contenu
dans le devoir du vasselage. Une autre raison d'intérêt particulier: c'est que
le maître eût perdu un serf, si la fille du serf eût pu passer par mariage dans
un domaine étranger. De là la nécessité du consentement du seigneur ou du
maître pour le mariage de ses serfs ou de ses hommes. On peut encore donner
pour raison de cette disposition le besoin d'assurer la culture du fonds ou de
favoriser l'accroissement de la population dans le domaine du seigneur. De
plus, enfin, pour se marier dans une autre seigneurie, il fallait le
consentement de son seigneur, et ce consentement devenait l'occasion d'une
rétribution acquittée sons diverses formes. Le prix du consentement fut appelé
« rachapt » et aussi « marquette ». Cette rançon, qui était payée par l'époux
de la fille, longtemps laissée à la merci du seigneur, fut plus tard réglée par
les chartes. Ce droit du seigneur dérivait évidemment du droit de propriété du
maître sur ses serfs ; la rançon était la compensation des services que perdait
le seigneur qui autorisait une fille à sortir de sa seigneurie. Ces
explications nous font comprendre comment il a pu y avoir des temps où la liberté de se marier ait dû être achetée. Ce
droit a donné lieu à beaucoup d'interprétations burlesques ou puériles. Mais le
droit qu'on appelait le « droit du seigneur » n'a jamais existé dans aucune
coutume de France ou d'Europe. Il en est de même de beaucoup d'autres droits
que la légende attribua aux temps féodaux. Les reconnaissances très détaillées
des obligations féodales, consignées dans des titres contemporains, peuvent
seules nous renseigner exactement sur leur véritable nature, et tout ce qui ne
s'y rencontre pas doit être regardé comme erroné par une critique judicieuse. -
J'ajoute : l'ignorance a souvent confondu le droit d'indemnité pour
l'aliénation d'une fille-serf avec le droit appelé primae noctis ; ce dernier droit, de la manière que l'ignorance ou le préjugé l'a
entendu, n'a jamais existé ; faussement on l'a attribué à la féodalité, il est
d'origine ecclésiastique et purement spirituel. C'était un devoir d'abstinence
plutôt qu'un plaisir de jouissance, introduit par l'Église qui, d'un conseil
évangélique, avait fait un précepte de sanctifier, à l'exemple de Tobie, primam noctem seulement, en certains pays, ou tres primas noctes, en
certains autres. Mais les Tobies devenant très rares, l'Église, au XIIe siècle,
adoucit ce précepte en y substituant une redevance pour rachat de cette abstinence,
de même qu'elle avait permis de racheter les pénitences canoniques des temps
apostoliques.
[ii] Pour entrer dans la cléricature, il fallait, d'après le droit féodal, obtenir ou acheter le consentement du seigneur, et cela par la raison que celui-ci perdait un membre de sa famille féodale et avec lui le fruit de ses travaux. La disposition qui exigeait le consentement du seigneur pour l'entrée dans la cléricature semble en avoir rendu l'accès difficile aux personnes de condition inférieure. Mais la même exigence s'appliquait aux personnes affranchies, car, dit la loi, nous avons su que plusieurs prennent ce parti, moins par motif de religion que dans le but d'éviter le service militaire et les autres charges publiques. Il était néanmoins fréquent de voir des personnes des classes populaires prendre place dans la hiérarchie ecclésiastique, qui n'excluait aucune condition. Par cette voie, le fils de l'humble cultivateur se trouvait annexé au premier ordre de l'État ; il pouvait parvenir aux plus hautes dignités et marchait de niveau avec les plus puissants. Que d'exemples de ce genre pourrait-on citer ! Est-ce donc seulement 89 qui nous a donné ce progrès social ? Et comment pouvoir s'obstiner encore à soutenir que, avant 89, la carrière sacerdotale était fermée au fils de l'humble prolétaire ?
[iii] Sous le régime féodal, le tenancier avait, avec son seigneur, la copossession du sol qu'il fertilisait par son labeur, et le droit de le transmettre intégralement à sa famille. Cette copossession lui assurait un domicile fixe et des moyens permanents d'existence. Il est vrai, le tenancier ne pouvait disposer de son bail, ni modifier les conditions de la « tenure », ni l'aliéner, ni l'hypothéquer, mais il n'en avait pas moins tous les bénéfices de la propriété, et sa terre ne faisait retour au seigneur qu'à défaut d'héritier mile dans sa famille. - Que les prôneurs de la civilisation moderne aillent porter leurs déclamations banales contre le régime féodal aux tenanciers irlandais du XIXe siècle, qui, à chaque instant, peuvent être expulsés légalement de leur « tenure», suivant le caprice du maître
[iv] Au moyen-âge, le curé, le prêtre, avait le droit de recevoir les testaments ; néanmoins la présence de témoins était nécessaire pour que ces actes fussent valides sans être revêtus des solennités de la loi. Ces actes étalent rédigés d'ordinaire en termes empreints de sentiments religieux. Les notaires conservèrent une partie de ces formules jusque vers la fin du siècle dernier. Les testaments contenaient presque toujours des dispositions relatives à des obits ou fondations de messes ou des legs pour des bonnes œuvres et pour la fabrique. Ces usages, on peut le croire, contribuèrent immensément à remplir les églises de ces richesses pillées plus tard par le calvinisme et plus récemment par 1793.
[v] Cet article est la réforme d'une loi barbare d'origine germanique. D'après cette loi, quand un débiteur ou un accusé avait, sur serment judiciaire, affirmé ou nié sa dette ou son délit et fourni les preuves demandées, s'il restait encore quelque incertitude, on recourait an combat judiciaire. Les deux parties, l'accusateur et l'accusé, entraient en champ clos et la victoire donnait gain de cause. Ce Jugement s'appelait « jugement de Dieu » parce que les peuples germains qui le pratiquaient, se liant à l'intervention de la Divinité dans tontes les affaires humaines, ne croyaient pas à l'impunité du parjure. Voici comment on procédait pour un pareil combat : l'accusateur et l'accusé jetaient un gage que le juge relevait; c'était d'ordinaire un gant. Aussitôt on s'emparait des deux combattants afin qu'il ne leur fût lias possible d'échapper à ce jugement. Le seigneur, haut justicier, fixait le jour du combat, donnait le champ et fournissait les armes, qu'on portait au son des fifres et des trompettes, et qu'un prêtre bénissait. On récitait quelques prières, on faisait sa profession de foi, et l'on en venait ensuite aux mains. Le vainqueur était déclaré innocent, elle vaincu traîné ignominieusement hors du champ, subissait une peine infamante. Cette coutume de sauvages assurait les avantages et l'honneur de l'innocence au scélérat robuste et adroit. Née dans les temps de la plus grossière barbarie, elle se soutint pendant plusieurs siècles en Europe, malgré les défenses de la religion et les efforts du simple bon sens. Dans le texte de notre charte, le roi dispense l'accusé de l'obligation de se défendre ou de se justifier par le duel ; c'était travailler ainsi à l'abolition de cette coutume barbare, qui n'a disparu entièrement, ainsi que d'autres pratiques superstitieuses, comme l'épreuve du « fer chaud », de « l'eau froide, » de « l'eau chaude » et de « la croix », qu'au quatorzième siècle, malgré les anathèmes de l'Église et les révoltes de la raison qui les condamnaient. Mais la pratique du combat judiciaire a survécu dans cette autre coutume, non moins cruelle que déraisonnable, qui force, sous peine de déshonneur, un homme offensé à laver son injure dans le sang ; c'est un reste de férocité germanique.
[vi] Au moyen-age, le service militaire fut une redevance obligatoire ; à l'époque de la Renaissance, il devint un métier ; à partir de Louis XIV, sans cesser d'être un métier pour beaucoup, il devint pour quelques-uns un impôt. Sous le système féodal, « l'ost et la chevauchée » étaient demandés aux paysans ; mais la durée du service qu'ils devaient aux suzerains était souvent limitée à peu de jours. Le paysan remplissait d'ordinaire auprès du seigneur les fonctions de serviteur ou de sergent. Le possesseur d'un fief, d'une seigneurie devait au souverain le service militaire pendant un temps déterminé, qui était ordinairement de quarante jours. A son tour, il pouvait exiger du vassal vivant sur sa terre un service analogue. Le colon devait aussi, en cas d'agression, défendre le château de son seigneur, et avait le droit et même le devoir de s'y réfugier avec sa famille, son bétail et ses meubles. Le service militaire auquel il était soumis l'obligeait à être toujours pourvu des armes dont il pouvait avoir besoin et à en faire « montre » à des époques déterminées. Dans un assez grand nombre de seigneuries, le colon devait, de son travail, contribuer aux menues réparations de la forteresse où il trouvait asile en cas de péril. Ces obligations étaient dans les temps ordinaires peu onéreuses, et il arrivait que le service militaire ainsi limité restait inconnu à des générations entières. Les vassaux de tonte condition, nobles ou non nobles, devaient venir en aide à leur seigneur qui en avait besoin. Cette aide se traduisait par un secours pécuniaire, auquel étaient assujettis les vassaux de toute condition. De là le subside reçu sous le nom de taille, » qui semble à peu près inconnu avant le XIIe siècle. La taille, après s'être levée dans certaines occasions déterminées, devint permanente dans le XVe siècle, en même temps que les armées le devinrent elles-mêmes
[vii] Le droit de « leude » dont il est question dans cet article était un droit, un impôt qui se prélevait, en quelques endroits, sur les denrées et marchandises apportées et vendues au marché par les étrangers.
[viii] Au Moyen-âge, les banalités des fours, des pressoirs, des moulins étaient
générales; cet usage se comprenait ou s'expliquait à cette époque, où le
seigneur seul, à peu près, disposait des ressources nécessaires pour
construire, réparer, entretenir ces établissements qui profitaient à tous, rien de plus naturel qu'il fit
payer une redevance à ceux qui en faisaient usage. Plus lard, lorsque la
liberté el le droit de propriété se furent étendus, on trouva onéreux de ne pouvoir
faire moudre le blé, fouler la vendange, cuire le pain comme on l'entendait.
Des réclamations s'élevèrent contre les prélèvements en nature auxquels était
soumis l'exercice de ces droits. Ces droits étaient une source de procès et de
récriminations. Notre charte royale restreint ici cette charge féodale en
accordant à chacun le droit d'avoir un four, etc., moyennant une modique
redevance annuelle.
[ix] Il est à présumer que sous le régime féodal, la fonction de constater et de rédiger les conventions intervenant entre les particuliers appartenait aux seigneurs, comme celle de rendre la justice, et était remplie par leurs baillis. Cet article de notre charte affranchit de la tutelle seigneuriale, en ce point ; il étend la liberté des contrats et des transactions.
[x] Les droits de péage qui existaient dans bien des localités avaient eu pour origine et pour but la construction et l’entretien des ponts et des chemins par les seigneurs, et aussi l'entretien du matériel du pontonage. Notre charte royale reconnaît la liberté de passer et de repasser la rivière et en même temps réglemente les droits de péage, un peu arbitraires jusque-là.