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Source : Bulletin SHAP, tome XXV (1898), pp. 251-255.

ALIÉNATION DE RENTES ECCLÉSIASTIQUES EN PÉRIGORD EN 1584.

 

Un résumé succinct du procès-verbal de cette aliénation fut produit par nous au cours de la séance tenue le 7 avril 1898 par la Société historique et archéologique du Périgord. Celle-ci voulut bien prendre un certain intérêt à notre communication et demanda en conséquence une analyse plus étendue de la pièce sus-mentionnée. Nous lui donnons aujourd'hui satisfaction.

Pierre de Marquessac, écuyer, sieur dudit lieu, conseiller du Roy, juge mage nay et lieutenant général en la sénéchaussée de Périgord et commissaire dépputé par le Roy pour procéder à la vente et alliénation du domaine et biens ecclésiastiques du diocèse de Périgueux jusques à la concurrence de leur quotte de la somme de trois centz soixante six escutz à raison de soixante cinq sols l'escu, suivant ses lettres patentes données à Paris le vingtième de décembre mil cinq centz quatre vingtz un, mémoires, instructions de nozseigneurs les cardinaulx de Bourbon, Deest et autres délégués par nostre St Père le Pape (1) ayant consenti à lad. alliénation et département faict de lad. somme par Révérend Père en Dieu messire François de Bourdeilhe, evesque de Périgueux, à ce subdélégué par lesd. sieurs cardinaulx par leur commission du cinquiesme jour d'avril mil cinq centz quatre vingt deux, à nous présentée par Me Marcial Martin, secrétaire dud. sieur evesque, du second juillet mil cinq centz quatre vingtz trois. A tous ceux qui ces présentes verront, scavoir faisons que procédant en présence dud. sieur evesque à l'exécution d'icelle commission en la ville de Périgueux appelle Me Dominique de Bordes, procureur du Roy en la présent sénéchaussée, avoir dès le quatriesme jour desd. moys et an faict entendre particulièrement par nos lettres-et mandementz à tous les bénéfficiers nommés aud. département la taxe qui leur escheoit, afin que dans le temps de trois sepmaines a eulx prefix par lesd. instructions et mémoires heussent à payer ou mettre en vente, à raison du denier vingt-quatre, telle part ou portion du temporel de leurs bénéfices qu'ils verroyent le moins doumageable ou au default du temporel et qu'il nen y eut du revenu deximal le moins commode et moins doumageable led. dixme rachaptable touteffois attestation préalablement faicte par nous, en présence dud. Sieur evesque et procureur du Roy, avec personnes d'intégrité experts et cognoissantz la valeur, poids, proffict, revenu et moindre commodité de l'aliénation de la chose qu'il avait mis en vante, et à ces fins fairoyent assigner par devant nous lesd. personnaiges A quoy obéissant, messire Arnauld de Solmignhac (2) abbé de Chansellade, assisté de Me Charles du Rieu.son procureur, le premier jour de may mil cinq centz quatre vingtz quatre, nous a dict en présence dud. sieur evesque et dud. Bordes, procureur du Roy, que pour le payement de quatre escutz de rente que luy estoyt escheue de lad. aliénation, il estoit dehu sud. sieur abbé sur le moulin de Cros Vieil de rente annuelle foncière et directe la quantité de quatre boyceaulx bled froment quinze solz d'argent et la tierce partie du poisson qui se prend à l'eaugail du moulin lorsqu'on tire le tramail, sciz led. moulin en la parroisse St-Martin les Périgueux sur la rivière de l'Isle, qui se confronte aux pretz de Cafaret et de Chapoulete par le devant, et au fleuve de Lisle par un cousté et aux tenences du sieur de Sallegourde, et leaugail dud. moulin comprend depuis l'abeuradour (3) de Beaupuy jusques à la font du Sauze, qui est joignant le grand chemin par lequel on va du pont de la Cité à Razac et se confronte aux terres de (    …..) et d'aultre part à la terre de Thony Marty et d'aultre aux terres et pretz de Monsieur de Périgueux à cause de sa mestairie de Charniers (4) le tout par un cousté dud. fleuve sur main senestre, et par l'aultre cousté tenant au grand chemin par lequel on va de Périgueux au pont de la Beauronne sur main dextre et de toutes aultres partz aux tenences du sieur de Sallegourde, plus quatre boyceaulx froment, quatre boyceaulx avoyne, deux solz six deniers tournoiz, et un journal d'home de rente foncière et directe deuhe sur le maynement appelle de Las Bernardieyras, sciz en la parroisse de Marsac, confrontant au chemin par lequel on va de Périgueux vers Lagulhac d'une part, et à la borie de la Bailhargie d'autre et à la borie de noble Arnault de Bourdeilhe, gendarme, comme héritier de ceux de Périgueux, devers le bas, et à un terme et foussé que tend au dessoubs les murailles dud. maynement et tend au chemin de Lagulhac d'aultre, revenu moins doumageable, et lequel luy semble debvoir estre vendu pour le proffict de lad. abbeye pour led. payment de tant que lesd. rentes et eaugail rapportent que bien peu de proffict à lad. abbeye pour n'eatre payée annuellement que a grandz fraiz et par procès.

Au sujet de ce revenu moins dommageable, Pierre de Marquessac fit une enquête dans laquelle il recueillit, le 1er mai 1584, les dépositions de différents témoins, savoir :

Me François Dubrouilh, sergent royal, habitant du village des Grèzes, parroisse de Chancellade, âgé de trente cinq ans ou environ, Me Helies de Labrousse, notaire, habitant de Chancellade, âgé de trente-six ans ou environ, Me Estiene de Jehan, notaire royal, habitant de Chancellade, âgé de vingt huit ans ou environ, Jehan de Lagarde dict petit Jehan, habitant du village des Grèzes, parroisse de Chansellade, âgé de trente deux ans ou environ, Jehan Gadaud, habitant de Chancellade, âgé de trente ans ou environ, Jehan Marque), laboureur, habitant du village de Charcuzac, paroisse de Marsac, juridiction de Chansellade, âgé de quarante ans ou environ, Jehan Seguy dict Trelissou, laboureur, habitant de Chancellade, âgé de cinquante ans ou environ, Peyrichou de la Garde, laboureur, habitant du village des Grèzes, parroisse de Chancellade, âgé de quarante huit ans ou environ, Jehan de la Garde dit le Mousnier, habitant de las Grezas, parroisse de Chancellade âgé de quarante ans ou environ, Laurens de la Villatte dict Bardon, laboureur, habitant de Chancellade, âgé de quarante cinq ans ou environ.

Toutes ces dépositions confirmèrent le dire de l'abbé de Chancellade.

Dès lors Pierre de Marquessac, ouï le procureur du roi, ordonna que les dites rentes et droit « d'eaugail » seraient vendus et délivrés au plus offrant et dernier enchérisseur, et qu'à ces fins des affiches seraient apposées sur les portes des églises de Saint-Front de Périgueux, de Marsac et de Saint-Martin les Périgueux et y resteraient trois semaines. Elles furent donc levées le 28 mai suivant, et sur leur vu il fut ordonné que le 12 juin les dites rentes et droit « d'eaugail » seraient adjugés au lieu du consulat, parquet et auditoire royal ledit jour.

Lors se seroyt présenté Me François Lortige procureur de Marguerite de la Rebuterie (5) demoiselle de Sallegourde, pour laquelle et comme son procureur a enchéri sur lesd. rentes et droict deaugail dud. moulin dessus spécifiés la somme de soixante dix sept escutz deux tiers d'escu dix solz tournoiz, et outre a offert payer deux solz six deniers pour livre, rembourser led. sieur abbé des fraiz qu'jil lui a convenu fere à la poursuite de lad. aliénation liquidés qu'ils soient, etc.

Personne n'ayant surenchéri, les dites rentes et droit d'eaugail furent définitivement adjugés à la demoiselle de Sallegourde.

Ma Etienne de Jehan, substitut du procureur d'office de la juridiction de Chancelade intervint comme substitut du procureur du roi et en vertu du pouvoir à lui donné par révérend frère Arnauld de Solmignhac, abbé de Chancelade pour faire insérer au procès-verbal un dire par lequel il déclarait :

N'empêcher que lad. de la Rebuterie, damoyselle de Sallegourde ne soit mise en la possession realle et actuelle desd. rentes et droict d'eaugail, ains partant que besoing seroint y a consenti et cousent, ô les charges toutesfois et qualités portées par le procès-verbal de lad. aliénation qu'est que icelle damoyselle et les siens successeurs à l'advenir tiendront lesd. rentes et droict deaugail à foy et homaige dud sieur abbé et de ses successeurs abbés de Chanselade et que à muance d'abbé et home icelled. de la Rebuterie, les siens et autres posseseurs desd. rentes et droict d'eaugail bailheront et payeront pour le droict d'homaige un sol, lequel homaige n'emportera aucune seigneurie.

La demoiselle de Sallegourde fut mise en possession des dits objets au mois d'octobre 1587 et le 7 novembre suivant en faisait l'hommage ainsi qu'il suit :

Nous Arnauld de Solmignhac, abbé de Chansellade, à tous qu'il appartiendra scavoir faisons, Que ce jourd'hui Marguerite de la Rebuterie, damoyselle de Sallegourde, a faict l'homaige plein a nous dehu, à cause de rente et droicts par elle acquis de nous suyvant la permission de nostre Sainct père le pape et du Roy, sur le moulin communément appelle de Crosvieil, parroisse St Martin les Périgueux, sciz sur la rivière de l'Isle, ensemble sur la tenance appelée des Bernerdières, parroisse de Marssac, ainsi que le tout est à plein désigné et confronté par le procès verbal de Mrs les commissaires depputés à l'aliénation du temporel ecclésiastique, contenant l'adjudication et délivrance faicte à lad. damoyselle des rentes et droicts dès le douziesme du moys de juing mil cinq cent quatre vingtz quatre, et pour icellui droict d'homaige avoir heu et reçu un sol tournoiz qui sera aussi paye à muance d'abbé en lad. abbeye de Chansellade et de possesseur desd. rentes et droicts ô les qualités portées par led. procès verbal d'adjudication. Et moyenant ce, avons advouhé lesd. rentes et droicts appartenir à lad. damoyselle et à ses successeurs ; en tesmoing de quoy avons consenti en estre délivré présentement acte à lad. damoyselle par le notaire royal soubz signé, ce qu'elle requérant lui a esté octroyé pour luy servir que de raison. A Périgueux en notre logis le septiesme jour du moys de novembre an mil cinq centz quatre vingtz sept après midy. Présents, Mrs Eymeric Puyenché et Geofrois Glane, praticiens, habitants de lad. présent ville de Périgueux. Ainsin signé A. de Solmignhac, abbé de Chansellade, M. de la Rebuterie, Puyenché, tesmoing, de Glane, tesmoing présent.

Grange, notaire royal.

F. de Bellussière

 

(1)          C'était alors Grégoire XIII.

(2)          Fils de Jean de Solminihac, seigneur de Belet et de Jeanne Desprée du Poitou. Il reçut la bénédiction abbatiale le 5 juin 1582 (Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, t. IX, 223 texte et notes) et résigna en 1614 (Id. I, 268) en faveur de son neveu Alain, devenu plus lard évêque de Cahors.

(3)          Abreuvoir.

(4)          Dans une confidence du 15 novembre 1599 passée entre François de Bourdeille, évêque de Périgueux, et Me Jean Martin, official, chantre et chanoine des deux églises de Saint-Front et Saint-Etienne de Périgueux — son futur successeur — il est dit que ce dernier prendra de pension annuelle la somme de 400 livres revenant à 1200 écus en la jouissance de cette métairie. (Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, XV, 398).

(5)           Alors veuve du sieur de Sallegourde, ancien conseiller au parlement de Bordeaux, elle obtint d'Henri, roi de Navarre, le 4 novembre 15S0, une ordonnance en réponse à une supplique où elle expose qu'en raison du dévouement de sa famille à la cause protestante, ses biens du Périgord et du Bordelais ont été pillés et où elle demande que sa maison de Périgueux, occupée par la garnison lui soit restituée. Il fut fait droit à sa réclamation. (Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, XVII, 444).

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