Source : Bulletin SHAP, tome XXX (1903) pp. 415-429.
MUSSIDAN ET LES GUERRES DE RELIGION
(1562-1569).
Mussidan,
ancienne possession de la maison de Gramont et de celle de Caumont La Force, était
le siège de la seconde châtellenie du Périgord. Il n'est donc point surprenant
que, dès leur première levée de boucliers, les protestants aient cherché à s'assurer de cette place importante.
Le
premier qui, dans notre province, leva des troupes « pour la religion prétendue
fut un jeune gentilhomme des environs de Bergerac, Armand de Caumont, seigneur
de Piles. Avec l'aide de l'avocat La Rivière, qui avait abandonné la barre du
présidial pour des luttes moins pacifiques, il se mit à courir le pays.
Encouragé
par d'heureux débuts à Bergerac, où, à
la
tête d'une trentaine de cavaliers, il avait délivré des prisonniers
calvinistes, et à Sainte-Foy, dont son lieutenant s'était emparé par surprise,
« poursuivant ces commencements, il entreprit sur Mussidan, escalada de nuict la
ville et chasteau et s'en rendit maistre »[1]. Les registres
mémoriaux de Périgueux nous apprennent qu'il n'était accompagné que « de petit
nombre de gens » de sa faction. Quoi qu'il en soit, cette petite ville de la
vallée de l'Isle devint dès lors un des rendez-vous des protestants de toute la
province.
Blaise
de Montluc, lieutenant général de Guyenne, informé de cet événement qui eut
lieu dans le mois de février 1562, se préoccupa de remettre la ville et le
château de Mussidan en l'obéissance du roi.
A
cet effet, il signa une commission, datée d'Agen le 6 mars suivant, de
laquelle M. de Roumejoux a publié le texte[2], relative aux
moyens d'« oster les seditieulx rebelles désobéissants (au roy) de la ville et
chasteau de Mussidan en Perigort, de laquelle ils se seraient emparés. » Il y
prescrivait notamment de cotiser les villes et paroisses des sénéchaussées de
Périgueux et de Bergerac, en vue de fournir et d'apporter des vivres « au
devant led. Mussidan pour l'entretènement des gens d'armes qui seront mis
devant icelle ville et conduyte de l'artiliarie. »
Quelques
jours plus tard, il envoyait, de Bordeaux, à Jacques André, seigneur du
Repaire-Martel, sénéchal du Périgord, l'ordre de lever cavaliers et fantassins,
qui seraient placés sous le commandement de son fils le capitaine de Montluc,
et, pour leur subsistance jusqu'à l'expulsion des « perturbateurs du repos
public », d'imposer tous les habitants de la sénéchaussée de Périgord de 350
sacs de blé ou d'une somme équivalente, le tout portable à Bergerac chez le
capitaine de Peyrarède (31 mars 1562)[3].
La
victoire des catholiques à Vergt arrêta pour un moment les prétentions
calvinistes (9 octobre), « en laquelle défaite de ceux de la religion nouvelle
étant en nombre de dix à douze mille soubs la conduite du seigneur de Duras,
chef, moururent environ de quatre à cinq mille, deffaits par le seigneur de
Montluc, lieutenant pour le roy en Guyenne en absence du prince de Navarre avec
un petit nombre de gens à cheval »[4]. Il sembla
même, comme le fait remarquer Verneilh-Puyraseau[5] que les
affaires des protestants fussent entièrement désespérées dans la Guyenne,
lorsque Clermont de Piles entreprit de les rétablir par des exploits qui,
suivant l'expression de Mézeray, surpassent la croyance et presque la vertu
humaines.
Après
la bataille de Vergt, Montluc et Burie[6], lieutenant du
roi, se dirigèrent tout droit vers Mussidan, tandis que l'armée établissait son
camp à Grignols, quatrième châtellenie du Périgord qui formait l'apanage d'une
branche de la maison de Talleyrand et dans deux ou trois grands villages situés
entre Mauriac et Mussidan, où s'était arrêté le duc de Montpensier[7].
L'année
suivante, profitant de l'éloignement de Montluc, de Piles et La Rivière « se
saisirent de rechef de la ville et chasteau de Mussidan ». Leur intention était
d'avoir là une place forte dont ils pussent faire le centre de leurs
opérations. Ils s'en emparèrent le 15 janvier 1563. A la faveur de la nuit, de
Piles s'était présenté sous les murs de la ville, dont les habitants l'avaient
appelé. Il escalada, avec des échelles, les remparts du château dont il surprit
la garnison endormie ; il la massacra et, devenu maître du château, il le fut
bientôt de la ville. Dès lors, les protestants vinrent en foule le rejoindre[8]. Cette conquête
redoubla la terreur qu'inspirait le hardi capitaine huguenot.
Sa présence
seule mettait les milices catholiques en déroute, comme cela arriva à Sourzac
où, à la tête de quarante chevaux, il défit sans combat le sénéchal du
Perigord, que Montluc avait chargé de reprendre Mussidan.
«
Comme l'appétit vient en mangeant », selon l'expression du P. Dupuy, et que
l'audace de Piles croissait avec ses succès, celui ci tenta une seconde
entreprise contre Bergerac. Un bourgeois de son intelligence ayant pratiqué
quelque ouverture aux murailles, il s'empressa d'y faire passer une petite
troupe « baillant grand terreur avec plusieurs trompettes et tambours ». La
garnison passée au fil de l'épée, les protestants demeurèrent maîtres de la
seconde ville du Périgord (12 mars).
Après
ces terribles représailles, Piles retourna à Mussidan, pour y presser
l'achèvement de nouvelles fortifications et réunit des vivres et des munitions
pour mettre la place en état d'opposer une résistance sérieuse au gouverneur de
la Guyenne.
Mussidan
n'étant qu'à six lieues au sud-ouest de Périgueux, un pareil voisinage n'était
pas de nature à rassurer les habitants de cette dernière ville, qui avaient
quelque raison de s'attendre aussi à une surprise. « Ils furent, lit-on dans un
extrait du Gros
livre noir de
leurs archives municipales, dans une crainte perpétuelle, faisant garde nuit et
jour, tenant la nuit corps de garde, sentinelle, et faisant rondes comme en
ville de frontière, sans que personne fût excepté. En quoy faisant, lesdits
habitans auroient enduré et souffert beaucoup de maux et pauvretés ».
Les maire et
consuls de Périgueux écrivirent à Montluc, « qui témoignoit beaucoup de bonne
volonté pour la ville », afin de le supplier de les délivrer du danger qui les
menaçait.
Le
maréchal écouta la requête des Périgourdins. Déjà il leur avait envoyé quatre
pièces d'artillerie « pour aller assiéger la ville de Mussidan, de laquelle
aucuns rebelles et seditieulx cestoient emparés ». « Mais, dit Chevalier de
Cablanc, le traité de paix fait à Amboise le 29° mars de ceste année 1563
arresta son projet et non ceux des huguenots, qui les années suivantes
continuèrent leurs conspirations ».
Dès
la promulgation de cet édit de pacification (17 mai), Pierre de Montluc
abandonna son entreprise contre Mussidan, et le chef des calvinistes se retira
à son château de Piles, après avoir remis la place entre les mains des
catholiques.
Charles
de Montferrand, seigneur de Langoiran, qui servait dans l'armée de Montluc, fut
chargé d'aller quérir à Périgueux les canons destinés au siège. M. de Roumejoux
a également publié la décharge qui en fut donnée par Montluc au sénéchal de
Périgord et aux maire et consuls de Périgueux ; elle est datée de Bordeaux le
28 du même mois[9].
C'est pendant
cette suspension des hostilités, le vendredi 10 août 1505, que Charles IX,
venant de Bergerac, après avoir diné et couché la veille à Longa, « qui
est un petit château dans un bois, alla en passant faire son entrée à Mussidan
qui est une belle petite ville. Au sortir d'icelle, passa la rivière de l'Isle
et alla diner et coucher à Ribérac, qui est un beau et grand village et
chasteau sur montaigne »[10].
La
paix se trouvait à chaque instant partiellement rompue. Mussidan devint peu à
peu un des principaux boulevards du protestantisme. Le clergé, ne pouvant plus
y exercer le culte, de même qu'à Bergerac, Sainte-Foy et Montauban, transmit à
Montluc les plaintes des catholiques qui, expulsés de ces places, en
sollicitaient à grands cris le démantellement.
Le
maréchal, qui résidait à Bordeaux, dut se concerter avec des membres du
Parlement « pour ensemblement délibérer de ce qui semblerait rester à faire
pour la seureté et police du pays ».
Voici
en quels termes les conseillers de Roffîgnac, d'Alesmes, de La Guyonnie,
Vergoing, d'Escars, Malvyn, les sieurs Laperrière et de Lahot, avocat et
procureur du roi, le jurat Louis Roux et lui en référèrent à Charles IX :
Les villes de Bragerac,
Sainte-Foy, Mussidan et Montauban, ont servy de retrette et clapier aux
rebelles, où ilz se sont assemblez, ont faict toutes leurs délibérations et
conjurations contre vostre service et estat, et que si, la première foys, on
les eust démantelées et mis les murailles ratz terre, ils n'eussent maintenant
eu moyen si facile de s'assembler, ayant toujours lesdictes villes à leur
dévotion et commandement, qui est la cause qu'il nous a semblé à tous debvoir
donner advis à Vostre Majesté qu'il est très nécessaire, pour oster tous les
moyens aus dicts rebelles de plus s'assembler à l'advenir, et pour la seureté et
soulagement de vos bons subjects, démanteler les dictes villes de Bragerac,
Ste-Foy, Mussidan et Montauban, quand il sera prins, y renvoyer le siège
présidial à Périgueux[11].
Ce ne fut
qu'après la défaite des calvinistes à Chantegeline, que Montluc put commencer à
faire des préparatifs pour chasser de Mussidan les protestants qui étaient
définitivement les maîtres absolus de la ville et du château.
Ce
fut encore la ville de Périgueux qui, par l'organe de son maire Antoine de
Chilhaud, seigneur de Promptsault, pressa le maréchal « de vouloir dénicher les
huguenots de Mussidan ». Chevalier de Cablanc donne les raisons de cette
insistance. « Le voysinage d'une garnison ennemie si proche de nous ne pouvoit
estre que fort incommode à Périgueux. C'est pourquoi il (Chilhaud) ne laissa
point ce général desjà bien intentionné en patience qu'il ne luy en eut faict
entreprendre la conqueste. »
Vers
le milieu de décembre 1568, le sénéchal prit « par composition le château de
Montastruc, poste important peu éloigné de Mussidan, qui estoit d'une grosse
conséquence pour faciliter la réduction de cette dernière place qu'on avoit
résolu ».
Nous
laisserons maintenant plus souvent la parole à notre maire-historien, qui va
nous faire connaître, dans tous leurs détails, les événements se rattachant aux
opérations de ce siège fameux.
La garnison de Mussidan ne s'endormoit pas, écrit Chevalier de Cablanc ;
elle faisoit des courses d'un costé et d'autre, et s'en venoit quelquefois
jusqu'à nos portes pour faire quelques prises sur nous. Un jour entr'autres, le
capitaine Cheylard, qui la commandoit pour la royne de Navarre, s'estant avancé
jusques à une lieue d'icy, avec le curé de Marsaneix, fameux renégat, qui
s'estoit rendu particulièrement remarquable dans son party par les cruautés
qu'il avoit exercée contre les catoliques de Bragerac, son frère Bertrand et
les nommés Mouraux du pays d'Angoulmois, nos gens en furent avertis et ne
manquèrent pas de sortir sur eux suivant leur bonne et louable coustume.
Le sr
de Causé et le capitaine Puyferrat estoient à la teste de nos habitans, quand
ils rencontrèrent le party ennemi. Ils ne balancèrent point à les charger, quoiqu'ils fussent en plus petit nombre que
l'ennemy et l'inégalité n'empescha pas que la victoire ne se déclara tout
entière pour nos gens. Leurs adversaires furent battus et taillés en pièces, et
on fit quantité de prisonniers, qui furent conduits à Périgueux, et entre autres un Bisouard et un nommé Leynie, de
Mussidan, homme de mauvaise vie. Ceste exécution fut faitte le 9me
de mars 1569.
L'avis
suivant, donné le même jour par-Saint-Mesme à l'amiral de Coligny, prouve que
la garnison de Mussidan avait plus de succès auprès qu'au loin :
Je viens de savoir par deux
gentilshommes qui viennent de Mussidan que la garnison dudit lieu deffict
d'avant hier tous les soldats qui estoient dans le chastel de Montréal.
Monsieur de Piles a pris La Sauvetat et Aimet, qui sont deux petites villes à trois lieues de Sainte-Foy[12].
Le
chanoine de Sireuilh relate que sur la fin de ce même mois[13], Montluc se
porta sous les murs de Mussidan avec deux ou trois canons, fit bresche à la
murailhe de la ville et sans autre exploit leva ledict siège dans peu de jours
avec la perte de cent hommes ou environ, qui furent tués ou prins »[14]. Il s'en
retourna à Sainte Foy, sur l'ordre du duc d'Anjou, frère du roi, généralissime
de toutes les forces catholiques, pour empêcher les Provençaux de passer la
Dordogne et s'aller joindre à l'amiral de Coligny.
Après
la bataille de Jarnac, Pierre Arnaud, sieur de La Borie, fut député par la
ville de Périgueux pour aller au camp du duc d'Anjou : il avait surtout pour
mission de « demander avec instance qu'on fit le siège de Mussidan, qui nous
incommodoit toujours beaucoup. »
Monsieur, frère du roy, en ayant approuvé le dessein, Monluc, toujours
affectionné pour notre communauté, se détermina à luy donner satisfaction et
marcha pour aller attaquer Mussidan dans les formes que le comte Des Cars[15] avoit desjà investi par ses
ordres.
Dès
que Monluc fut arrivé à Longa, proche de ladite ville, il manda à Périgueux qu'on
luy envoya les deux pièces de campagne, avec un canonier, de la poudre, des
boulets de pionniers et des vivres. En conséquence de quoy, le sieur Marsaguet,
consul, se mit en campagne avec le canon et tout le reste, mais estant sur les
chemins, il fut contremandé et s'en retourna sur ce que Mr de Monluc
ne jugea pas à propos de s'opiniastrer au siège pour ceste fois là.
Le
comte des Cars escrivit le 2me d'apvril à Périgueux qu'on se tint sur ses gardes parce que l'ennemy
marchoit de ce costé. On receut en mesme temps le mesme avis de la part de M. de
La Borie, toujours affectionné pour sa patrie, et qui estoit encore au camp de
Monsieur pour poursuivre la résolution du siège, au sujet duquel il obtint de
nouveaux ordres pour M. de Monluc, ou quoy qu'il en soit pour M. le comte des
Cars en son absence.
Celui-ci
ayant leu et veu les dernières intentions de Monsieur, les communiqua à M. le
comte de La Vauguyon[16], à qui ils s'adressèrent aussi et tous deux ensemble se
préparèrent pour y obéir et se mirent en campagne pour le siège tant désiré.
Le
19me d'apvril, en chemin faisant, M. le comte des Cars assiégea et
print Aubeterre par composition.
Le
20me, le sieur de Biron passa à Périgueux et assura les habitants que M. le duc d'Anjou
estoit fort satisfait d'eux et de leur conduitte.
Le
23, Mussidan fut assiégé par le M. comte des Cars, notre lieutenant de roy. Le
duc de Guise, le comte de Brissac, et plusieurs autres seigneurs de la Cour y
vinrent aussy.
Le
24, MM. de La Vauguyon et Timoléon de Cossé, colonel général de l'infanterie
franchise, y arrivèrent pour servir dans ce siège soubs les ordres de M. de
Monluc.
Et
le mesme jour y vindrent aussy MM. de Pompadour, de Biron et de Lude, avec Mr
de Montpensier et Mr de Bourdeille, qui ne restèrent pas de nous
estre d'un tres
grand
secours, bien qu'ils n'y fussent qu'en qualité de volontaires.
Toutes
les troupes de la ville, le canon, les munitions et les pionniers y arrivèrent
en même temps.
Le
27, le sieur de Pompadour fut tué d'un coup de mousquet dans la tranchée ; ce
qui fut une grande perte pour Périgueux qu'il affectionnoit beaucoup.
Cossé, comte de Brissac, fut tué
tout de mesme le lendemain en voulant recognoistre la brèche. C'estoit le 28me.
Le
vicomte de Pompadour était couché à plat ventre sur les tranchées qu'on avait
dressées pour couvrir et loger l'artillerie : à peine eut-il le temps de se
retourner pour regarder du côté du château, qu'une arquebusade, lui perçant la
tête à côté de l'oreille, retendit roide mort.
Ainsi pour le comte de Brissac : « Voulant aller recognoistre ledit chasteau »,
« encor qu'il eut son casque, très bas et fust fort couvert », il fut, d'après
de Thou, « tué d'un coup d'arquebuse qu'il receut dans la teste, s'étant
descouvert le visage sans y penser. Les siens le regrettèrent beaucoup ; car,
outre qu'il estoit fils d'un père illustre, il s'estoit déjà fait par sa vertu
un chemin aux plus grands honneurs et aux plus hautes dignités, bien qu'il
n'eust qu'à peine 26 ans »[17].
Brantôme
nous apprend le nom du soldat calviniste qui donna au comte de Brissac le coup
mortel :
Un bon soldat perigordin le tua,
qui estoit dedans, qu'on appeloit Charbonnière, lequel avoit esté à moy et de
ma compagnie et estoit un des meilleurs et plus justes harquebuziers qu'on eust
sceu voir, et ne faisoit autre chose léans, sinon qu'estant assis sur un petit
tabouret (et la plus part du temps y disnoit et souppoit), regardant par une
canonnière[18] que tirer incessamment, et avoit
deux harquebuz à rouet et une à mesche, et sa femme et un vallet près de luy, qui ne luy
servoient que de charger ses harquebuz et luy de tirer, si bien qu'il en
perdoit le boire et le manger. Il fut pris ; Monsieur, frère du roy, le voulut
voir, et, pour avoir tué un si grand personnage, commanda qu'il fust pendu.
J'avois grand'envie de le sauver, (mais je ne peux, encor que je l'eusse faict
esvader une fois par une fenestre, mais il fut repris), bien que j'eusse un
très grand regret dudit comte, car je l'aymois bien, aussi m'aymoit-il[19].
Brantôme
ajoute :
On disoit aussi que ce soldat
avoit tué l'aisné Pompadour auparavant, lequel estoit très brave et vaillant
gentilhomme, et que le comte de Brissac aymoit bien fort ; et ledict Pompadour
avoit commandé audict soldat et l'aymoit et l'avoit mené à Madère[20]. Voilà comment nous sommes bien
souvent traictés de ceux qus nous aymons.
Ainsi
périrent, à la fleur de l'âge, ces deux jeunes officiers, qui avaient déjà
donné des marques de leur valeur en plusieurs rencontres. Brissac fut enterré
dans la chapelle du château de Longa, où son tombeau se trouve encore[21].
Ayant
appris la mort de son frère aîné, Louis de Pompadour, gouverneur du Limousin,
prit congé du duc d'Anjou, et emmena de nouvelles forces au siège de Mussidan.
Le 29me d'apvril, — continue Chevalier de
Cablanc, — la ville fut prise d'assault et la garnison se retira dans le
chasteau.
Le
mesme jour, les nommés Mouraud, autrement Michel Bourgoing, Bertrand dit le
prestre de Marsaneys, furent roués à la place de la Claustre, et le frère dudit
curé renégat avec Le Bisouard pendus et bruslés.
Le
dernier du moys, ceux qui s'estoient retirés dans le chasteau de Mussidan
voulurent capituler avec un commissaire de l'artillerie à l'inseu de M.
le
comte des Cars.
Le
lendemain, premier de may, le chasteau de Mussidan fut pris d'assault, et ceux
qui estoient dedans passés au fil de l'épée. Le sieur de La Borie assista
toujours au siège comme député, et par les soins et la vigilance de M.
le
maire, le camp fut pourveu abondamment de toutes choses durant le siège.
Sireuil dit
qu'une brèche avait été faite tout d'abord aux murailles de la ville :
Voyant ceulx de dedans qu'ils ne
pouvoient plus tenir, se retirèrent tous au chasteau et firent brusler toute la
ville ; et après avoir faict bresche audict chasteau et y avoir plusieurs foys
combattu à l'assault, fust prins le deulxiesme jour de mai et tout ce qu'estoit
dedant mys en pièces, homes et femmes, mais ce fust avec grand perte des
nostres et de grands, entre attitrés : Monsieur de Brissac, voulant aller
recognoistre ledict chasteau y fust tué, dont ce fust ung merveilleusement
grand dommage, pour la grand vertu et vaillance qu'estoit en luy ; Monsieur de
Pompadour, Rambouillet et aultres capitaines y furent tués. La ville et
chasteau dudict Moyssidant ont esté rasés jusques aux fondements.
De
Thou cite parmi les officiers tués pendant le siège Baptiste Carnesecchi et
Louis Alamani, florentins.
Après
la capitulation du château, il se passa un fait bien regrettable. La garnison
s'était rendue à la condition d'avoir la vie sauve ; mais, malgré la foi du
traité, les soldats catholiques, irrités de la mort du fils du maréchal de
Brissac, le vainqueur de Chantegeline, dont quelques mois après, à la bataille
de La Roche-l'Abeille, dans un moment de détresse, ils invoquaient encore
douloureusement le nom et de la mort du jeune Pompadour, se jetèrent sur les
assiégés et les massacrèrent. La mort soudaine de ce dernier, avec «celle de
Timoléon de Cossé, comte de Brissac, jeunes seigneurs, amis et compagnons en
toutes choses, fut si fâcheuse à supporter à toute l'armée catholique,
spécialement aux bandes de deux tant braves colonels, qu'ils taillèrent en
pièces tous les assiégés à la sortie du château »[22].
La
chanoine Tarde rappelle aussi la fin malheureuse de ce siège célèbre, où :
Les sieurs de Brissac et
Pompadour furent tués, qui fut cause que les assiégeans s'opiniastrèrent davantage
et si avant qu'ilz contraignirent les assiégés de se rendre vie
et bagues sauves. Mais ils n'eurent pas
si tôt perdu de voir les murailles que (contre le droit des gens) furent
presque tous taillés en pièces par les soldats assiégeans, à cause du despic et
colère qu'ils avoient de la mort de leurs colonels[23].
Les
éditeurs des Chroniques
de
Tarde rapportent en note (page 248) le texte d'une lettre du duc de Montpensier
au roi, qui confirme sur presque tous les points les récits de Le Frère, Tarde
et Verneilh-Puiraseau, conformes d'ailleurs à celui de Thou. Ce dernier
historien avait été l'un des premiers à écrire que « la douleur toute récente
de la mort de Brissac qui venoit d'estre tué, fut cause qu'on ne garda point la
foy à ceux de la garnison : car à peine eurent-ils perdu la ville de veuë
qu'ils furent tous taillés en pièces par le soldat furieux ».
Ainsi que nos
collègues le font remarquer, il est intéressant de voir comment ce funeste
événement est apprécié par un membre de la famille royale sur le moment même,
alors que l'émotion causée par la perte du comte de Brissac et l'exécution de
la garnison de Mussidan n'était point encore calmée.
Sire, je ne puys que avecques ung extrême regret et desplaisir vous dire
la perte de M. le comte de Brissac et combien elle est plaincte par tous les
gens de bien de deçà et principalement de Monseigneur vostre frère, mays ce
n'est sans grande occasion ; car il estoyt des plus affectionnez au service de
vostre couronne et personne dont l’on avoyt beaucoup de bonne espérance et se
qui en faict plus de mal est que ce malheur soyt advenu en lieu de si peu de
respect et où il nestoyt besoing qu'il se présentast à tyeul hazart, si esse
que à la fin il a esté cause de la ruyne de ceux de dedans Mussidan, car les
cappitaines et gens de guerre de devant, touchez d'un extrême regret, se sont
jettez à coup perdu de fason qu'ils ont pris ville et chasteau dassaut et ont
taillé en pièces tout ce qu'ils y ont trouvé sans quil sen soyt réchappé ung
tout seul, ce qui servira d'exemple à ceulx des autres places quy tiennent
contre vous et de la voye que l'on tiendra par cy-après contre eulx, au moyns
si j'en suys creu, ne sachant autre moyen
pour en avoyr la raison, ce quil me semble vous debvez commander...
Du camp de Villeboys, ce premier
jour de may (1569).
Vostre très humble et très obéissant subject et serviteur,
Loys
de Bourbon[24] .
On
remarquera qu'il n'est pas question dans cette lettre de la capitulation de la
garnison. Quant au massacre, il n'aurait pas été aussi général que le duc de
Montpensier l'écrivait à Charles IX. L'abbé Nadaud prétend que le baron de
Laurière (Louis de Pompadour) s'y était opposé formellement parce qu'ils (les
assiégés) s'étoient rendus sur sa foi et qu'il avoit le bruit de tenir ce qu'il
promettoit entre tous ceux de ce temps qui suivoient les guerres »[25].
Quoi qu'il en
soit, Michel Montaigne, qui, peu éloigné du théâtre de ces déplorables
événements, employait alors les loisirs de sa retraite à écrire ses immortels Essais, fait de ce manque de foi le sujet
philosophique d'un des chapitres de son livre[26], et n'a pas
laissé d'y exprimer de sages réflexions.
Je veis dernièrement en mon
voisinage de Mussidan, écrit-il, que ceulx qui en feurent deslogez à force par
nostre armée, et aultres de leur party, crioyent, comme de trahison, de ce que
pendant les entremises d'accord, et le traicté se continuant encores, on les
avoit surprins et mis en pièces ; chose qui eust eu à l'adventure apparence en
aultre siècle. Mais, comme je viens de dire, nos façons sont entièrement
esloingnées de ces règles ; et ne se doibt attendre fiance des uns aux aultres,
que le dernier sceau d'obligation n'y soit passé ; encores y a il lors assez à
faire: et a tousjours esté conseil hazardeux, de fier à la licence d'une armée
victorieuse l'observation de la foy qu'on a donnée a une ville, qui vient de se
rendre par doulce et favorable composition, et d'en laisser sur la chaulde,
l'entrée libre aux soldats.
Chevalier
de Cablanc achève ainsi son récit du dernier siège de Mussidan :
Le quatrième de may, Mrs les maire et consuls furent jusques à Marsac au devant de Mr
le comte des Cars et de La Vauguion, qui firent chanter le Te Deum à Périgueux et furent conduits l'après dinée jusques à
Chasteau-L'Evesque par Mrs les maire et consuls qui s'en
retournèrent ensuite. Mais le sieur de La Borie suivit le comte des Cars
jusques au camp de Monsieur, près duquel il restoit toujours député jusques à
ce qu'il eut obtenu la démolition de Mussidan, qui luy fut accordée bientôt
après.
Ainsi
se trouve confirmé le fait du rasement dont François de Sireuil nous a parlé
plus haut.
A.
DUJARRIC-DESCOMBES.
PIÈCE
JUSTIFICATIVE.
Lettre de Montluc pour imposer trois
cens cinquante sacts de bled froument.
Blaize
de Montluc, seigneur dudict lieu, chr de l'ordre du roy, cappne de
cinqte hommes darmes de ses ordonnances et lieutenent general de Sa
Maiesté au gouvernement de Guyene en absence de Monsieur le prince de Navarre,
au senal de Perigort, salut. Comme pour remettre en l'obeyssance du
roy la ville et chasteau de Mussidan et fre vivre les habitans
dicelles et du pays de Perigort en paix et transquillité, lesquels sont
troublés, fâchés et opressés par les rebelles et seditieulx qui, par surprinse,
se sont emparés de lad. ville et chasteau de Mussidan, icelluy occuppent contre
l'authorité et maiesté du roy, de jour a aultre augmentent leurs forces et font
plusieurs coursses sur le plact pais et lieulx circonvoisins, tenant en crainte
à leur subjection le comung populaire, le voulant contraindre par force venir
contre leur naturel en leur réprouvée religion, faisant plusieurs sacagemens,
pilleries, voulleries et meurtres tant en personnes qu'ils trouvent en chemins
publicqs que aux maisons, et emprisonnent et arrestent par force et viollance
plusieurs personnages noutables qui vouyagent et sont contraincts pour le
debvoir de leurs estats, charges et affaires, vouyager et passer ès envyrons de
lad. ville de Mussidan, et quelques semonces qui leur ayent esté faictes,
aulcunement ne se sont vouleus retirer, ains de pis en pis journellement
continuent exécuter leurs folles entreprises ayant faict brusler plusieurs
maisons mesmes ès environs dud. Mussidan, qu'est la toutelle ruyne des pouvres
gens et se jactent pis faire. Pour à quoi obvier et pour extirper et rompre
l'entreprinse de telz séditieux et rendre la paix paisible et en l'obeyssance
du roy, ayt esté requis assembler plusieurs forces tant de gens de pied que a
cheval et ayons bailhé pour cest effect la charge et conduite au capitaine
Montluc de douze enseignes, aux gens de laquelle compaignie est besoingt et
nécessaire faire fournir de vivres jusques à ce que lesd. séditieux et
perturbateurs du repos public se soient retirés et laissés les armes ou
autrement y soit pourveu. Pource est-il que nous vous mandons et très
expressément enjoignons que incontinant les présentes receus vous ayez
esgaller, cothizer et départir le plus justement que faire se poura, le fort
portant le foyble, sur tous et chascuns les manans et habitans de notre séneschaucée
de Perigort, exempts et non exempts, privilégiés et non privillégiés, attendu
la faire qui soufre et nécessité des afaires, la quantité de trois cens
cinquante sactz de bled froment ou la somme de deniers équipoulants a la valeur
dudict bled a pris raisonnable et appressiation que en sera faicte par vous
appelle deux bourgeoys de lad. ville ou veu le rapport des merchants faict du
prix de la vente dudict bled au marché et icelluy bled ou deniers faire mener
et conduire et rendre en la ville, de Bragerac entre les mains de Jehan
Peyrarède, cappitaine dicelle ville, le plus tost que fre se poura
et aux moindres frais et soulaigement du peuple et, le deppartement faict,
seront les couthizés contraincts au payement chacun de leur taux et cothization
par toutes voies et manières deues et raisonnables, et comme il est acoustumé
faire par les propres deniers et affaires du Roy, nonobstant toutes exemptions,
privillèges, oppositions ou appellations quelconques et sans préjudice dicelles
de ce fre, vous avons donné et donnons pouvoir, mandement et
commission, mandons et commandons au premier sergent royal ou de hault
justicier premier sur ce requis signifier par tout où besoingt sera les
présentes et mettre à exécution les contrainctes que par vous seront sur ce
expédiées, et à tous subjectz du roy que a vous et auxd. sergens ce faisant
obeyssent, donnent faveur, ayde et prison, si mestier est et requis en sont sur
peyne de desobeyssance. Donné à Bourdeaulx le pénultième jour de mars mil cinq
cent soixante deux.
Et, plus bas, par commandement de mondict seigneur : La Place, et scellé
du sceau dud. seigneur.
[1] Chevalier de Cablanc,
Histoire de la Ville de Périgueux, MS. II.
[2] Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, XI,
304.
[3] Nous donnons ci-après
le texte inédit de ces lettres de Montluc.
[4] Registres mémoriaux
de l'hôtel-de-ville de Périgueux.
[5] Histoire politique et statistique de l'Aquitaine, II, 414.
[6] Charles de Couci, seigneur
et comte de Durie, chevalier de l'ordre du roi et son lieutenant, général au
gouvernement de Guyenne, se rendit célèbre par sa valeur et par sa fidélité à
ses souverains.
[7] Montluc, Commentaires, livre V.
[8] A. de Roumejoux, Essai sur les guerres de religion en Perigord (1551-1598).
[9] Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, XI,
396.
[10] Marquis d'Aubais, Pièces fugitives pour servir à l'histoire de
France,: Voyage de Charles IX en France.
[11] Archives historiques de la Gironde, XIX, 321.
[12] Bulletin de la Société historique et
archéologique de la Charente, 1870, p. 225.
[13] Et non au mois de mars 1562, comme l'a avancé M. de Roumejoux.
[14] Journal de François de Svreuilh, chanoine de Saint-André de Bordeaux, archidiacre de Blaye, de
l'an 1568 à l'an 1585, publié par M. Clément-Simon, p. 22-3.
[15] Jacques Pérusse, seigneur des Cars, chevalier de l'ordre du roi, combattait
vaillamment pour le roi contre les protestants. En 1562, il était à Montignac-le-Comte
; en septembre 1568, à Gramat en Quercy. Après la prise de Mussidan, où il
avait une compagnie d'hommes d'armes, étant gouverneur du Périgord, il garda
les passages de la Dordogne.
[16] Jean de Pérusse des Cars, prince de Carency, comte de La Vauguyon, avait
été, en 1560, lieutenant de Guyenne en l'absence du sieur de Burie, lieutenant
du roi de Navarre au gouvernement de Guyenne, et sous le commandement duquel il
avait eu, en 1562, une compagnie de cavalerie. Le 9 mars 1565, on le trouve à
Bergerac.
[17] Histoire de Monsieur de Thou des choses arrivées de son temps, tome III, page 242.
[18] Embrasure de canon.
[19] Grands capitaines français, édit. Lalanne, VI, 133-4.
[20] Jean de Pompadour
avait fait partie d'une expédition dirigée en 1568 par Pierre Bertrand de
Montluc, qui fut tué dans une descente à Madère. L'abbé Nadaud raconte que ce
l'ut lui qui avait reçu l'ordre d'assiéger le château d'Aubeterre, qu’incommodoit
fort l'Angoumois, le Poitou et la Saintonge... » Il avait réduit les
assiégés à une telle extrémité qu'ils s'étaient rendus à discrétion. Il les
avait traités fort humainement contre la coutume d'alors. Il avait envoyé à
Pompadour le seigneur, sa femme et ses enfants, les avait fait traiter honorablement
et renvoyer quelque temps après, sous le serment qu'ils lui avaient fait d'être
dorénavant bons serviteurs du roi.
[21] M. de Roumejoux, loc.cit.
[22] Le Frère, La vraie et entière histoire des
troubles et guerres civiles advenues de notre temps pour le fait de la religion
tant eu France, Allemagne que Pays-Bas.
[23] Chroniques, page 247.
[24] Lettre tirée du fonds Fontaneau, à la Bibliothèque nationale, n° 318-9.
[25] Nobiliaire du diocèse et de la
généralité de Limoges, II, p. 418.