Source : Bulletin SHAP, tome L (1923) pp. 254-258.
NOTES ARCHÉOLOGIQUES : L'ÉGLISE DE VILLAMBLARD AU XVIe
SIÈCLE
On écrit généralement que l'ancienne église de
Villamblard fut démolie par les Protestants. Cette assertion sans références
apparaît douteuse après la découverte, dans le fonds Taillefer, aux archives de
la Dordogne, du dossier de cette église au cours du XVIe siècle[1]. On y trouve, entre
autres documents, la minute d'un acte rédigé peu après 1515 et dont voici le
préambule :
« Sachent tous presens et
advenir que, comme ainsy soyt que, despuis cent ou quatre-vingtz ans en ça, le temple ou esglise de la paroisse de Villamblard, à cause de
son anticquité ou à faulte de bons fondementz, les murailhes seroyent tumbées,
et par ce moyen, toute la couverture, par troys diverses foys, dont les deux
foys les paroissiens l'auroient rhabilhé à leur pouvoir, et la troisiesme foys, à cause des troubles et
guerres civilles estant survenues en ce royaulme, ilz n'ont heu moyen ne
puissance de le reediffier...
»[2].
A s'en tenir aux indications de cet acte,
l'église de Villamblard avait donc été, du XVe au XVIe
siècle, l'objet de trois réparations. Si nous ne pouvons préciser la date des
deux premières, nous sommes en mesure d'indiquer l'époque où, pour la première
fois, on eut l'intention de reconstruire l'église en ruines.
Le 13 décembre 1546, en l'assise ordinaire de
Villamblard, tenue et expédiée par le juge de Lespine, bachelier ès droits, le
procureur de la juridiction, Hélie Durieu, exposa qu'il y eut deux ans ou
environ (1544),
l'église
s'était détruite en tombant, et que les paroissiens et habitants ne pouvaient
fréquenter ladite église. Le sacrifice divin ne pouvait s'y célébrer à cause du
grand vent froid et abondance d'eau provenant en icelle par raison de la
destruction de ladite église. Il était nécessaire, pour le profit et utilité de
la chose publique, d'attester ce piteux état de choses et de songer à
reconstruire l'église en un autre endroit. Tous les témoins cités par le
procureur d'office se rangèrent à cette manière de voir; ils choisirent comme
syndic pour la reconstruction de l'église Bertrand de Lur, seigneur de
Villamblard, qui pourrait prendre parmi la population les auxiliaires capables
de l'aider dans sa tâche[3].
De son côté, le sénéchal de Périgord, à qui
incombait le contrôle de l'administration des paroisses, avait été saisi par
les habitants de Villamblard de la situation piteuse de leur église
paroissiale.
« De la partie des manans et habitans de la parroisse de
Villemblard, écrivait-il dans une ordonnance du 14février 1547 (n. st.), nous a
esté expousé que leur esglize parroisse de Villemblard est tumbée en telle
ruyne et decadance que, se elle n'est pronptement réparée, s'en va tumber par
terre ; aussi que, pour l'affluence des parrochiens, l'esglize est si très
petite qu'elle ne les peult recepvoir. Les parrochiens d'icelle par quoy ont
advizé et délibéré, ensemble avec leur curé et archipretre dudit Villemblard,
de édiffier une esglize en aultre lieu plus sortable et compectant et plus ample
que n'estoit l'asienne (sic)[4] , que sera
souffizante pour recepvoir tous les parrochiens. L'eddifice de laquelle le
seigneur du lieu, messire Bertrand de Lur, chevalier, seigneur justicier dudit
lieu et paroisse de Villemblard, a voleu et consenty faire fere à ses despens,
tant que touche la main du maistre masson, en fournissant par lesdits
parrochiens les pierres, et faire les charroys recquis et nécessaires pour
ledict ediffice, pour lequel est besoing faire créer et eslire scindiez qui
auront la charge de ladite fabrique, et pour ce fere soy assembler, ce qu'ilz
ne vouldroyent ne oseroyent faire sans avoir ne obtenir congé et permission de
nous, nous requérant humblement icelle... »
Le sénéchal, vu le consentement des habitants de
Villamblard et l'attestation faite de la ruine et vouloir de réparation de leur
église, datée du 13 décembre 1546, autorisa les habitants à s'assembler pour
nommer des syndics chargés de la réparation jugée indispensable, enjoignant en
outre que les paroissiens seraient tenus de faire les charrois, journaulx,
manœuvres et autres fournitures, qui seraient nécessaires et ordonnées par les
mandataires de la communauté[5] .
Cette ordonnance du 14 février fut approuvée et
contresignée par le vicaire général du diocèse de Périgueux, de Pratis, que les habitants de
Villamblard avaient également mis au courant « de exiguitate, insufficentia
et vetustate »
de leur église[6] . L'autorité civile et ecclésiastique étant
d'accord, il n'y avait plus qu'à se mettre à l'ouvrage.
Bertrand de Lur, nanti de sa commission de
syndic-à la réparation, n'avait pas atermoyé. Avant qu'on eut reçu à
Villamblard l'autorisation du sénéchal, le vicomte de Roussille était entré en
rapport avec le futur architecte de l'église, Jean Laval, maître maçon à
Périgueux. Le projet de contrat qu'il passa le 12 février 1547, au
Château-Barrière de Villamblard, avec ce maitre-d'œuvre, nous a été conservé.
Les grandes lignes du plan avaient été tracées dans le mémoire suivant, tout à
fait intéressant par sa terminologie :
« Pour fere l'esglise de la parroisse de Villanbiard, premièrement, il fault considérer de la fere plus longue que l'anciene esglise de quinse piés et, pareliement la fere plus large de sixs piés qu'elle n'est : et ayant mesuré le tout, il a esté ad visé par les maystres massons de fere ladicte esglise à troys croiesiers, comprins le cœur, là où sera le grand hostel et la nef. Ledict grant autel sera d'ung crosier de vint et quatre piés de large, vint et sync piés de long, trante et deulx piés de haulteur. La nef sera des aultres deulx croyesiers, qui
contiendront syncquante piés de
long, et de parellie aulteur et
largeur que l'autre. Ou grant auter, ara
troys vitraulx, et an la nef quatre. Les murs de ladite esglise seront au fondement en massonerie de
troys piés, et au demeurant deulx et
demy, tous les vitraulx de pierre de taillie et au portes de mesmes. Plus fault fere huit pilles checune de vint et huit piés de hault, les quelles pilles passeront à travers le mur par le dedans vung pied et demy [7] de par le dehors de troys piés et demy. Item plus reste adviser du clocher ;
lequel sera dans ugne tour quarrée,
qui sera i'aicte.par le dehors du cœur de l’esglise, à cousté du grand hautel. Laquelle
tour sera vautée par lo bas d'un croiesier de la hauteur des aultres de XIIII pietz en carré,
et non pas de sy grande largeur que sera ny longeur ; et
sera ledict mur de quatre piés jusques à la vaute et puis en
amoindrissant jusques à troys avecques ung vitrau. La haulteur dud. Clochier
sera de quarante et sinc piés, comprins le tout »[8] .
Le plan que Jean Laval s'engagea à exécuter le
12 février 1547 ne différait guère de celui qui vient d'être exposé.
L'église nouvelle s'élèverait sur l'emplacement
désigné par le seigneur, l'archiprêtre et les habitants, à l'extrémité du bourg
sur une éminence du côté du levant. Elle aurait 80 pieds de toise de long sur
25 de large[9]. Elle comprendrait
trois croisiers ou travées voûtées d'ogives, le premier à cinq clefs, les deux
autres à quatre, Le nombre des fenêtres ou vitraux de pierre de taille et
mesurant douze pieds de haut sur deux pieds de large seraient de trois à la
première travée et; de deux dans les autres. L'église s'ornerait d'un portail «
en moullure et d'espèce beau et honeste ». Une épaisseur de trois pieds de
toise eu terre et de deux pieds et demi au dessus du sol et une hauteur de
trente pieds étaient prévues pour les murs de fondation. La construction
comprendrait en outre huit piles extérieures de vingt-huit pieds, huit piles
intérieures rondes pour porter les tas de charge des voûtes. Les piles de la
dernière travée seraient renforcées pour supporter le clocher, et l'une d'elles
contiendrait une « petite vis » pour monter au clocher.
Laval devait, avoir livré la nouvelle bâtisse en
deux ans, au prix de 160 livres tournois, 100 boisseaux de blé (un tiers
froment, un tiers seigle, et le dernier tiers baillarge, fèves et gesses), 25
charges de vin pur et net et huit lards valant chacun un écu d'or. Il recevrait
d'avance 10 livres tournois[10] .
Comme nous l'a-appris le préambule de l'acte de
157g, cité au début de ces notes, le contrat de prix fait du 12 février 1547 ne
fut pas exécuté, tant à cause de la mort de Bertrand de Lur, qui avait pris les
dépenses à sa charge, que du fait des troubles arrivés dans le royaume. Un autre
contrat, passé entre les habitants et Michel de Lur, seigneur de Villamblard,
quelques années après, n'eut pas meilleur sort[11].
On voit combien il est injuste d'avoir accusé
les Huguenots de la démolition de l'église de Villamblard, qui resta en ruine pendant
tout le XVIe siècle, après s'être écroulée de vétusté[12].
Géraud Lavergne.
[1] n° 187.
[2] Ibid., pièce 9.
[3] Copie authentique du 14 décembre 1629. Ibid., p. I.
[4] Elle s'élevait près du château et serre de Villamblard.
[5] Ibid., pièce 2.
[6] Ibid., pièce 8.
[7] Ici renvoi en marge illisible par suife d'une déchirure.
[8] Ibid., pièce 5. Un plan est joint.
[9] Contre 40 pieds de long-sur 20 pieds de large à l'ancienne.
[10] Ibid., pièces 6 et 7.
[11] Ibid., pièce 9.
[12] Selon Gavraud, Antiquités Périgourdines (1868), p. 18, c'est la femme de Bertrand, de Lur, Jeanne de Cardailhac, dame de Barrière, Longua et autres places, qui, après avoir embrassé la religion réformée, aurait fait démolir l'ancienne église paroissiale. Aucun document ne permet de justifier celle accusation. On sait seulement qu'Anne de Cardailhac aurait voulu fonder un temple et qu'elle avait institué dans ce but un legs de 200 livres, mais que les événements l'empêchèrent de réaliser ce projet de son vivant, c'est-à-dire avant 1575. 2Ce n'est qu'en 1624 que Daniel de Taillafer mari d'Anne de Lur, et successeur de de Lur dans la seigneurie de Villamblard, reconstruisît en vertu d'une clause, insérée à son contrat de mariage une église et temple pour la paroisse. Il s'élevait sur l'emplacement de la chapelle attenante au Château-Barrière dont la construction avait été entreprise par Bertrand de Lur afin d'atermoyer jusqu'à la bâtisse de l'église projetée. Parmi ceux qui attestèrent l'état de la construction au 10 septembre 1624, ligure Me Pierre Auger d'Estignols, docteur en théologie, prêtre et archiprêtre de Villamblard (Ibid., pièces 9 à 14.).
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