Source: Bulletin SHAP, tome V (1878), pp. 47-51
CHARTES ANCIENNES DE SAINT-FLORENT PRÈS SAUMUR,
pour LE PÉRIGORD (1080-1186.)
L'antique et
riche monastère bénédictin qui a eu des maisons conventuelles en dix-huit
diocèses de l'ancienne France, et quatre de l'Angleterre, a possédé dans celui
de Périgueux cinq chapelles et sept églises. Les premières ont été :
Saint-Jacques de Bergerac, Ste-Marie de Bracouet, Ste-Marie de Coles, Ste-Marie
et le St-Sépulcre de Montravel. Voici la liste des églises[1], dont la
première et la quatrième ont fini par devenir chefs-lieux d'importants
prieurés, auxquels les autres, ainsi que les susdites chapelles, ont été
rattachées comme dépendances immédiates : St-Martin de Bergerac, Ste-Marie de
Brétenord, St-Pierre et Ste-Marie de la Chapelle-Irland, St-Pierre de
Mont-Caret, St-Pierre de Montpeyroux, Ste-Eulalie-sur-Dordogne et St-Front des
Revêtisons[2].
Tous ces noms,
et ceux de diverses localités non citées dans l'excellent Dictionnaire
topographique du vicomte de Gourgues[3], pour
l'indication moderne desquels il faut absolument connaître les environs de
Bergerac, sont mentionnés dans les chartes et pièces que nous publions.
Les
quarante-cinq premières ont été tirées, non sans peine[4], des débris de
parchemin représentant le Roolle ancien pour le prieuré de
Mont-Karet, que
Dom Jean Huynes a mentionné dans son histoire inédite du monastère de
St-Florent[5]. De ces
quarante-cinq numéros, trente-deux seulement sont complets. Force a été de
reproduire dans leur état de délabrement les nos 1, 5, 23, 24, 39,
40 et 41. Plus heureux pour les nos 2, 3, 4, 6, 7 et 8, nous avons
pu, en tenant compte de l'espace jadis occupé par l'écriture, ainsi que du sens
de la partie du texte existant encore, arriver au remplacement d'un certain
nombre de mots détruits. Quoique très-conjectural, ce résultat, indiqué par des
italiques, permettra au lecteur de mieux apprécier deux des plus importantes
chartes de notre Rôle : le n° 2, qui concerne les écoles de Mont-Caret, et le
n° 8, où sont racontés les méfaits d'un seigneur, son repentir et son amende
honorable, fustigation comprise. Pour l'histoire locale, presque toutes offrent
de l'intérêt. Ainsi il y est question des terres et vignes qu'on donnait à
cultiver aux paysans : fazanda, fazensia ; de diverses
mesures locales : corrigia,
emina, metaillada, saumada ; de la culture de diverses céréales : froment,
mixture, secgle ;
de vignes, de moulins et pêcheries, pessegra ; et l'on y voit
la langue vulgaire généralement employée, tant pour les noms de lieux : las Bandas, la
Cremete, Rataboho, Vilacuise et la Vogerede; que pour les
surnoms de personnes : A Fol Acointe,
Escoler, Mandagase, Orguil, Teissander et Vivre Vol. Un fait, qui
peut avoir de l'importance, est donné comme date à la charte 27e : Quando mocio
fuit in Panix. A
l'égard de la condition des personnes, on devra s'arrêter aux n0s
13, 14, 18 et 31.
Dans les quatre
lignes et demie de ce dernier, est consigné un fait très-honorable pour la
noblesse périgourdine, de la fin du onzième siècle ou du commencement du
douzième[6]. Bernard, fils
de Jean, serf d'un personnage nommé Isarn, désire épouser une serve de
St-Florent. Repoussé par les moines, qui ne veulent pas partager avec qui que
ce soit la belle postérité attendue de celle-ci, Bernard va compter sa peine au
maître qu'il sait miséricordieux. Pour faciliter le mariage, Isarn affranchit
son serf, et il fait cautionner par trois personnes l'abandon de tous ses droits,
tant sur le modeste avoir que sur la personne de Bernard. A part la joie causée
à celui-ci par son union avec la femme qu'il aime, tout le bénéfice est pour
les moines. En se mariant avec leur serve, Bernard accepte sa condition[7], et par
conséquent renonce au titre d'homme libre qui vient de lui être octroyé ;
ainsi, chacun de leurs enfants naîtra et vivra serf du prieuré de Mont-Caret.
Le
contenu de notre Rôle est non-seulement inédit, mais il n'a été connu jusqu'à
ce jour que par les sept analyses latines reproduites en note des actes
auxquels elles se rapportent. Encombré de documents originaux, et arrêté
peut-être par l’assez mauvaise écriture de celui-ci, Dom Huynes a sauté les
principaux articles et lu un peu vite plusieurs de ceux qu'il a analysés.
Au n° 46 est
complètement reproduit le texte de la pancarte originale qui fait connaître
comment l'ancien monastère de Sourzac, donné par les seigneurs de Mussidan aux
moines de Saumur, leur a été enlevé au profit de ceux de Charroux. Viennent
ensuite, d'après les cartulaires de l'abbaye angevine, cinq chartes d'évêques
de Périgueux, celle d'un archevêque de Bordeaux et deux bulles d'Urbain IV et
d'Adrien III, celle-ci provenant d'un extrait fait par Dom Huynes. Les deux
derniers numéros contiennent la liste des églises et chapelles successivement
confirmées par quatre papes, et celle des prieurés de St-Florent, dans le
diocèse de Périgueux. Accompagnés, comme les précédents, d'analyses assez
détaillées, ces onze derniers articles ont chacun une date, sinon formelle du
moins approximative, ce qui a permis de les classer par ordre chronologique.
Avant de
terminer notre travail, il était indispensable de vérifier si la volumineuse
collection formée par l'abbé de Lespine, et conservée au département des Manuscrits
de la Bibliothèque nationale, n'offrirait pas, entr'autres documents antérieurs
au treizième siècle, quelque pièce encore inconnue ou dont il n'a été trouvé
que des fragments. M. E. G. de Biran a bien voulu compulser les volumes 33, 34
et 35 de cette collection, qui contiennent toutes les pièces relatives aux
abbayes et prieurés du diocèse de Périgueux. Il est résulté de son minutieux
examen que nous n'avons aucun emprunt à faire, pour les chartes de
Saint-Florent, aux copies, extraits ou analyses réunis par l'abbé de Lespine[8].
A l'avantage
d'être aussi complet que possible, notre recueil réunit celui de reproduire les
textes les plus anciens et les plus authentiques, par conséquent les plus
corrects[9]. Aussi
espérons-nous que leur impression n'ajoutera pas seulement plusieurs
intéressantes chartes à celles déjà connues, mais qu'elle sera suivie de près
par une notice historique sur les beaux prieurés conventuels de Saint-Florent,
près Saumur, à Bergerac et à Mont-Caret.
Les Roches-Baritaud, 21 juillet 1878.
P. Marchegay,
Archiviste
honoraire de Maine-et-Loire. Membre non résidant du Comité des Travaux
Historiques.
(La suite prochainement.)
[1] Pour les noms latins, voir notamment les n°s 50, 55 et 57.
[2] Le vicomte de Gonrgnes n'a trouve aucune trace de cette église, peut-être
parce qu'au lieu de la bonne traduction, donnée par le n° 67, du nom latin de
Vestitionibus, il a eu sous les yeux un
manuscrit incorrect, portant Vestitos.
[3] Un volume in-4° ; imprimerie nationale, 1873.
[4]
Le 16 octobre 1851, M. Théodore Talbot, notaire à
Angers, mit à ma disposition divers parchemins, trouvés dans la maison où
venait de mourir Mme Guémas, veuve d'un ancien archiviste de Maine-et-Loire.
Parmi eux se trouvaient treize morceaux, mutilés sur presque toutes leurs faces
; six écrits d'un seul côté, vers le milieu du xve siècle, paraissaient
contenir des fragments de chartes. Pour chercher à rétablir leur ordre
primitif, il fallait d'abord les copier ligne par ligne, travail d'autant pins
ingrat, qu'indépendamment des ravages causés par l'humidité, la partie écrite
de plusieurs morceaux a été rognée dans toute leur hauteur, quelques-uns à
droite, les autres à gauche, sur une largeur de deux à cinq centimètres. La
copie faite, et ses feuillets rapprochés, j'ai reconnu : 1° que les morceaux de
parchemin se suivent sans interruption, mais quelques-uns mutilés au point
d'avoir seulement deux ou trois mots par ligne, le premier morceau surtout ; 2°
que les chartes transcrites concernent le prieuré de Mont-Caret, membre de
l'abbaye de St-Florent, près Saumur.
Ainsi reconstitué, le Rôle a été restauré très-simplement mais avec soin. Après en avoir nettoyé les morceaux, et remplacé par du parchemin blanc les parties coupées ou rongées, le relieur les a collés sur une bande de percale, dont le bout est fixé au bâton autour duquel elle s'enroule. Pour la partie écrite, le Rôle de Mont-Caret a 22 millimètres de largeur sur 2 mètres 69 millimètres de longueur. Le nombre de ses lignes est de 394. Aucune de ses 45 pièces n'est datée. La plupart appartiennent à fa fin du xie siècle ; la dernière peut être du commencement du xiie.
[5] Il
en
existe un manuscrit à la Bibliothèque nationale, Ms. français, n° 19862, et un
autre aux Archives de Maine-et-Loire, dont la rédaction est beaucoup plus
détaillée. C'est aux folios 118 à 120
de celui-ci, que Dom Huynes parle des églises de Saint-Florent en Périgord.
[6] On trouve les moines de Saumur établis
en Angoumois dès l'année l060, et dans la
Saintonge en 1067. C'est probablement de là qu'ils ont été appelés, vers 1067,
dans les diocèses de Bazas et de Périgueux, points qu'ils n'ont pas dépassés.
[7]
Plusieurs exemples d'époux libres, devenant serfs
par amour conjugal, sont constatés
par le Cartulaire ou Livre des serfs de l'abbaye de Marmoutier, près Tours,
notamment aux deux chartes suivantes :
N° 96. Johannes,
cum... quandam adamasset ancillam, in servitutem denuo sese propter eam, non
dubitavit offerte.
N° 108. Plectrudis, nolens dimittere virum suum, et ipsa potuit quatuor nummos super caput suum, et effecta est ancilla.
[8] Le
résultat des recherches de M.
de
Biran est constaté en note des n°s 46 à :54.