<< Retour

 

 

Obligations par delà la mort

________________________

 

(1)              Document manuscrit n° 1 (requête des Simounet)

(2)              Transcription du document n° 1

(3)              Commentaire d’André Gaillard

(4)              Document manuscrit n° 2 (accord avec le syndic des pauvres)

(5)              Transcription du document n° 2

 

 

C’est une histoire en deux temps qui va se dérouler sous nos yeux modernes et l’issue en sera d’autant plus inattendue. Les victimes en seront les Simounet, qui à l’instar du seigneur de Fontenilles, ont cru que le monde autour d’eux avait changé au point que le vieux droit féodal fût devenu obsolète.

Les Simounet mère et fils traînent le boulet d’une obligation en faveur des pauvres de St Méard, obligation faite à leur père et grand-père que le curé de St Méard Jean Mayen a couché sur son testament par devant le notaire royal. Jean Mayen a légué ses biens à son ami Sicaire Simounet, afin que celui-ci et ses descendants puissent assurer aux pauvres de Saint Méard et pour l’éternité les moyens de leur subsistance.

Noble legs.

Mais plus de quatre-vingts ans ont passé, et Jean Charles, fils de Marie Simounet devenue « caduque » et donc dans un état de santé fort délabré, croit que cette obligation est tombée en désuétude, en raison du temps écoulé et du peu d’empressement que le curé de St Méard met à « entretenir » cette obligation et à réclamer aux Simounet ce qui est dû aux pauvres, selon les termes du testament de son lointain prédécesseur. Notre esprit moderne nous incline à la compréhension et nous accorderions volontiers notre faveur à la requête de Jean-Charles, maître charron. Qui se soucierait aujourd’hui de payer les dettes d’un aïeul disparu depuis des lustres ?

L’état d’esprit des Simounet est proche de celui du « puissant » seigneur de Saint-Aulaire, lorsque le « petit » curé de Saint Méard vient lui réclamer l’hommage qui lui est dû, en invoquant une tradition remontant aux lendemains de la guerre de Cent Ans, trois siècles plus tôt [1] .

Fort de son bon droit, Jean-Charles requiert le notaire royal afin que le curé de St Méard lui permette de « moderniser » cette dette qu’il ne conteste nullement mais qu’il veut adapter aux temps nouveaux, qu’il désire « actualiser » selon notre jargon d’aujourd’hui.

Fin de l’acte I.

A l’acte II, la foudre va s’abattre sur les Simounet, et le prix de leur effronterie précédente va être très cher payé. Ils seront menacés d’être traînés devant la Grande Chambre du Parlement de Bordeaux. Tous les arriérés de la dette à perpétuité, y compris les cessions réalisées à Blanchardie par Sicaire Simounet de son vivant et portant sur les biens immobiliers hérités de Jean Mayen, seront comptabilisés scrupuleusement. L’addition de cette dette éternelle est lourde. Son règlement intégral et séance tenante suppose à l’évidence que les Simounet se retrouveront démunis à vie et rejoindront de fait la cohorte des indigents de la paroisse.

Le texte permet de déceler cet instant d’émotion intense où les malheureux découvrent le sort qui leur est « inmencablement » réservé. On peut les voir pâlir, s’effondrer, leurs traits se décomposent sous nos yeux. Ils vont gémir et supplier, implorer un sursis, la clémence et leur pardon en présence du syndic des pauvres [2] prêt à requérir à leur encontre la force armée en la personne du sergent royal, ceux-ci tous deux garants de l’ordre et de la justice, au nom du Roi, et donc au nom de Dieu qui ne connaît pas le temps des hommes.

Quinze années plus tard, cet édifice immuable s’effondrera comme château de cartes.

 

<< Retour



[1] Voir le document précédent (Archives de la Dordogne, n° III E 856 du 4 août 1773).

[2] Ce qui prouve que les syndics avaient des obligations en ce domaine.