Source: Bulletin SHAP, tome XIV (1887) pp. 410-439,
& 485-507
pp. 410-439
ÉTUDES HISTORIQUES SUR LA RÉFORME
I
Influence
de la famille d'Albret. — Le
protestantisme s'étend de Nérac à Bergerac. — La bourgeoisie
de Bergerac. —
Etat
florissant des écoles de cette ville avant la fondation du collège. — Les ministres
protestants. —
Bergerac,
ville de sûreté.
Quand
on étudie les guerres de la Réforme, avec toutes leurs péripéties dans les différentes
provinces de la France, on voit que la lutte entre les catholiques et les
protestants dans l'ancien comté de Périgord, se détache comme un des épisodes
les plus émouvants de ce grand drame historique.
D'après les
chroniqueurs du xvie siècle, nulle part le succès ne fut plus
disputé : les passions politiques et religieuses y acquirent même un tel degré
de violence, que souvent les deux partis, après avoir pris une part active dans
les grands événements militaires de l'époque, continuèrent, malgré les traités
de paix, à se livrer des combats acharnés, et durant une période de trente-six
ans, couvrirent notre pays de sang et de ruines.
Il ne sera pas
sans intérêt de rechercher et d'analyser les causes qui, à cette époque, firent
peser tant de malheurs sur cette partie de la France.
Lorsque Calvin
prêcha sa nouvelle doctrine, le comté de Périgord était uni à la couronne de
Navarre et les destinées de cette province furent étroitement liées à celles de
la famille d'Albret.
Pour tenir en
échec Charles-Quint et avoir un allié fidèle aux portes de l'Espagne, François
Ier donna sa sœur en mariage à Henri d'Albret. Marguerite de Valois, déjà veuve
du duc d'Alençon, était une princesse gracieuse, spirituelle, qui exerça un
empire absolu sur l'esprit de son nouvel époux. Versée dans l'étude de
l'antiquité, elle aimait à s'entourer de lettrés et de savants. Mais si Nérac,
où la jeune reine avait établi sa cour, fut une des villes du midi où la
Renaissance brilla du plus vif éclat, elle fut aussi le premier foyer du protestantisme.
Le poète Marot, Le Febvre, Gérard Roussel, Mélanchton, Calvin fuyant la
persécution, y trouvèrent une généreuse hospitalité. Dès l'année 1535, la reine
de Navarre accordait les bénéfices et les dignités ecclésiastiques à des hommes
entièrement dévoués à la religion nouvelle : elle leur confiait même
l'éducation de la jeunesse.
Jeanne d'Albret,
fille et unique héritière de Marguerite de Navarre, épousa Antoine de Bourbon,
prince du sang; elle se montra dès le principe hostile « aux nouveautés de
religion ». Mais, à la suite de sa rupture avec les Guise, chefs du parti
catholique, elle propagea les idées de Calvin, entraîna après elle la majeure
partie de la noblesse du sud-ouest et fut dans cette région de la France, le
plus puissant soutien de la Réforme.
Encouragés par
un aussi puissant patronage, Mélanchton, dès 1541, prêchait à Tonneins, Jean
Carmen à Villeneuve, et Aymond de Lavoye à Sainte-Foy : dans cette dernière
ville, des assemblées secrètes avaient lieu dans la grange d'un nommé Grenier.
Malgré la défense du Parlement de Bordeaux, Aymard de Lavoye ayant voulu parler
en public, il fut arrêté, cité devant les juges et exécuté, le 21 août 1541[1].
Bientôt le
calvinisme eut de nombreux adhérents au Fleix et des réunions évangéliques
avaient lieu à La Force, Montcarret, Saint-Antoine, Pessac, Gensac, Montravel
et Castillon.
A Bergerac, le
15 août 1545, il fut remontré en jurade, qu'un frère de l'ordre de
Saint-François, Guillaume Marentin, avait prêché deux carêmes[2] où il avait
fait connaître la doctrine de Calvin. Son exemple avait été suivi par trois
religieux de Sainte-Foy. On signalait également le nombre toujours croissant
des Réformés et les désordres commis à main armée par plusieurs d'entre eux.
Quatre ans plus
tard, les religionnaires atteignaient un chiffre si élevé à Bergerac, que cette
ville fut désignée comme une de celles où devaient se tenir les assemblées
provinciales de trois en trois ans[3].
Plusieurs causes
contribuèrent à lui donner cette prospérité croissante qui commença avec la
Réforme et ne cessa qu'à la révocation de l'édit de Nantes.
Située dans une
riche plaine, Bergerac, dès 1332, avait été dotée par les seigneurs ses
premiers maîtres de privilèges nombreux auxquels les Anglais avaient donné une
grande extension[4]. Après la
guerre de Cent-Ans, les rois de France respectèrent ces franchises. Les
habitants, chez qui la pratique des libertés municipales avait depuis longtemps
développé l'esprit d'examen et de critique, se montrèrent favorables à la
doctrine de Calvin, et, utilisant les nombreux débouchés commerciaux de leur
ville, la répandirent dans les provinces voisines.
Par la Dordogne.
Bergerac était en communication constante avec le versant méridional du
Sarladais, le Haut-Quercy et l'Auvergne : par la Vézère, affluent de la
Dordogne, les relations s'étendaient sur le versant septentrional du
Bas-Périgord et du Limousin. Cette ville pouvait être regardée comme le centre
des transactions commerciales entre Lyon et Bordeaux.
Sa
bourgeoisie était puissante, et c'est en nous pénétrant de l'esprit qui
l'animait qu'il nous sera facile de nous expliquer les progrès de la Réforme
dans cette partie de la province.
Enrichie par le
commerce, cette classe s'était donnée avec ardeur à l'étude, parce que, dans
l'étude, elle trouvait un nouvel élément de force et de richesse.
Depuis près de
deux siècles, la noblesse recherchait d'une, manière exclusive les offices
d'épée et les charges de cour, abandonnant aux classes plébéiennes les offices
d'administration, de finances et de justice. Ces postes élevés, auxquels on ne
pouvait prétendre sans des grades universitaires difficiles à acquérir,
procuraient au titulaire des revenus souvent considérables, des privilèges
constituant comme une sorte de noblesse, l'exemption de certains impôts ou péages,
le droit d'acquérir des terres nobles sans payer des droits exigés dans ce cas
par tout acheteur roturier[5].
Grâce à leur
esprit d'économie, les officiers royaux enrichis devenaient vite les acquéreurs
de vastes domaines de gentilshommes ruinés par le luxe[6].
Pendant
de longues années, les charges de finances, d'administration et de justice,
furent occupées principalement par des membres de la bourgeoisie qui s'y
préparaient par des études sérieuses ; mais lorsque, sous le règne de François
Ier et de ses successeurs, ces mêmes charges devinrent vénales, on peut dire
qu'elles furent la propriété exclusive de la partie riche des classes
plébéiennes.
Cette aspiration
de la bourgeoisie vers les belles-lettres et le savoir se retrouve
non-seulement dans les familles aisées, mais dans celles moins favorisées de la
fortune, et à cette époque où une si large part était faite à l'initiative
privée, beaucoup de jeunes gens pauvres pouvaient se faire instruire grâce à de
nombreuses fondations faites dans les collèges.
La
ville de Bergerac, avant la création du collège sous Charles IX, possédait des
écoles très florissantes[7] tenues par des
clercs choisis par la municipalité.
Quand
un clerc voulait se mettre à la tête d'une école, il en faisait la demande à la
Jurade, qui, le postulant accepté, le présentait à son tour au maître des
écoles de Périgueux[8].
L'instruction
était donnée gratuitement, et certains professeurs jouissaient d'une grande
réputation. Nous en trouvons la preuve dans l'extrait de la Jurade du 5 octobre 1524 :
«
M. de Langlade déclare estre des escolles de la ville et que père Jean
Blanchie, docteur en théologie, leur avoit promis de faire quatre lectures,
c'est assavoir : une de Florus le philosophe, une autre en Art et Cicero, qu'il
l'avoit retenu pour lire ces lectures, et qu'à cette occasion, une grande
multitude de clercs étoit venue dans cette ville , et qu'il y en avoit plus de
cinq cents, ce qui seroit un grand profit pour les élèves et pour la ville.
Mais comme on disoit qu'on voulloit faire en aller tous ces clercs, ce qui
seroit un grand domaige pour eux et pour la chose publique, il demande qu'il soit requis
qu'il plaise à la Justice et à la ville de permettre demeurer et exercer les
dictes lectures, autrement l'escole seroit perdue »[9].
En dehors des
cours réguliers faits aux clercs, il y avait des disputes ou conférences
autorisées dans la maison des consuls[10].
Après avoir
commencé leurs études dans les écoles de Bergerac, les jeunes gens allaient
compléter leur instruction aux universités de Bordeaux[11], de
Cahors[12] et de Toulouse[13], où se trouvait
un collège très important, dit collège de Périgord, fondé au xive
siècle, par le cardinal Talleyrand, évêque d'Auxerre[14].
A leur retour
dans la province, les uns étaient pourvus de charges; les autres par le
commerce, les sciences, les arts, ou les professions libérales, devinrent les
dépositaires de cette puissance avec laquelle, à toutes les époques, il a fallu
compter - l'argent, - et on peut dire qu'au xvie siècle, cette
jeunesse studieuse eut le monopole de cette influence de la pensée que la
Renaissance des lettres fonda au profit des esprits actifs.
Ce
besoin d'apprendre qui se manifesta d'une manière si impérieuse et si générale,
surtout dans la bourgeoisie, contribua, singulièrement à favoriser la Réforme.
Le retour aux historiens et aux philosophes de l'antiquité, l'étude du
gouvernement de Rome, celui des législations de Solon et de Lycurgue,
préparèrent de grandes modifications politiques. L'esprit de critique et de
doute envahit toutes les classes de la société, transforma les arts et les
lettres, et hâta la révolution religieuse.
S'inspirant de
ces tendances. Calvin et ses disciples ne se contentaient pas d'envoyer des hommes qui combattaient par
leurs prédications l'influence du pape; ils propageaient leur œuvre
journellement et « à petit bruit »,[15] grâce à
d'humbles instituteurs et des maîtres d'écoles qui ouvraient des classes du
premier âge, où ils enseignaient aux enfants la lecture, l'écriture, le calcul
et leur parlaient des doctrines de Genève.
Un des ministres
qui montrèrent le plus d'ardeur à s'emparer ainsi de l'esprit de la jeunesse,
fut André de Lavoye, dont l'action s'étendit à la fois sur Sainte-Foy et
Bergerac[16].
D'après les
témoignages de l'abbé Tarde, un régent du collège de Bergerac faisait connaître
à ses élèves les œuvres de Buchanam[17].
Bientôt Jean de
Géret, conseiller au Parlement de Bordeaux, fonda dans cette ville le collège
de Guienne, véritable université protestante où professaient des hommes d'une grande érudition qui exercèrent une influence
considérable sur la jeunesse de notre province. A Agen, que des relations
commerciales unissaient à Bergerac, se trouvaient également des savants qui
groupèrent autour d'eux un grand nombre d'étudiants du Périgord. Il me suffira de
nommer : le régent Charles Sarrazin, Belleforest, le dominicain Jérôme
Vendover, professeur de philosophie et surtout le médecin Scaliger.
Dans
notre région, pour l'étude de la théologie et du droit, les élèves se rendaient
à Toulouse, et les sectateurs de Calvin firent parmi eux de nombreux adeptes.
Deux d'entre eux, originaires de Bergerac, ont acquis une juste célébrité :
Armand Clermont de Pilles et de Larivière. Liés d'une étroite amitié, aussitôt
après avoir pris leurs grades universitaires, ils s'enrôlèrent dans le corps
que le duc de Grammont conduisit au prince de Condé. Après la bataille de
Vergt, ils vinrent se mettre à la tête de leurs coreligionnaires et
commencèrent dans notre province une lutte mémorable contre le farouche
Montluc.
Au
milieu de cette révolution dans les arts, les lettres, les sciences et la
religion, une influence immense était due à l'imprimerie.
D'après
la table chronologique de Tymperley, dès l'année 1503, des ouvriers typographes
seraient venus se fixer dans la ville de Périgueux : l'existence de presses
typographiques à Bergerac n'est mentionnée que plusieurs années après, en 1549.
Mais à la suite de la Réforme, l'imprimerie prit dans cette dernière ville un
développement qu'elle n'eut jamais dans la capitale de la province[18] (1). Avec une
population éclairée, mais travaillée par les passions les plus ardentes, la
littérature devint une arme de combat. II ne parut pas seulement des ouvrages
de théologie : on répandit à profusion des livres où étaient agitées les graves
questions de morale, d'histoire et de gouvernement. Alors se firent jour ces
théories nouvelles destinées à modifier la pratique de l'administration et à
développer l'esprit de libre examen dans les diverses classes de la société.
Au
cours des guerres si longues dont le Périgord fut le théâtre, à chaque traité
de paix entre les catholiques et les protestants, Bergerac fut laissé aux
partisans de la Réforme, comme une ville où le nouveau culte était toléré ou
comme place de sûreté. De là une affluence énorme des calvinistes de la
province ou des provinces limitrophes.
La
bourgeoisie protestante ruinée se vit, surtout pendant la première partie des
désordres religieux, écartée systématiquement des offices d'administration, de
justice et de finances, et bien que plus tard les rois soient revenus sur ces
mesures, on peut dire que d'une manière générale, elle n'accepta la paix que
pour reprendre la lutte dans des conditions plus avantageuses.
Les
religionnaires étrangers à Bergerac qui vinrent s'y fixer ajoutèrent un nouvel
élément de désordre à ceux qui existaient déjà. Presque tous, dans les guerres
précédentes, avaient mené la vie aventureuse du soldat : ils se soumettaient
difficilement à un travail régulier. Chacun d'eux portait au cœur cette haine
implacable du proscrit : aigris par les persécutions, aux prises avec les
difficultés matérielles de la vie, ils appelaient de tous leurs vœux la guerre,
parce que dans la guerre seule, ils pouvaient trouver l'occasion de satisfaire
leur vengeance. Par le pillage, ils pouvaient espérer de refaire leur fortune
compromise ou détruite par les commotions politiques. C'est surtout dans cette
classe que se recrutaient ces hommes qui, malgré les peines les plus sévères
édictées contre le colportage, faisaient parvenir, sur les deux rives de la
Dordogne, les nombreux écrits de Calvin et les répandaient dans les parties les
plus reculées du comté.
Depuis
Henri II,
d'une
manière apparente ou cachée, Bergerac fut en lutte avec le pouvoir royal, et
ses habitants inaugurèrent un système politique nouveau qui peut être regardé
comme un premier essai du régime républicain dans notre province.
A la tête de
.cette population, nous trouvons les ministres calvinistes qui déployèrent un
zèle et une activité incroyables. En dehors de la prédication, ils organisaient
à Bergerac et dans toutes les villes voisines, de nombreuses réunions où se
développaient les doctrines de Genève et plus tard les intérêts politiques de
la région. Par ces assemblées, où se trouvaient des hommes de toutes les conditions,
ils préparèrent, pour une large part, ce grand mouvement social qui se
manifesta à cette époque.
Leur influence
fut considérable, et les habitants du sud-ouest du Périgord montrèrent pour la
religion nouvelle un attachement dont ne purent triompher ni la persuasion ni
la violence. Eloignés des fonctions publiques, les plus riches se livrèrent au
commerce, les plus pauvres prirent des métiers, et plus tard, quand ils
n'eurent d'autre alternative que de quitter leur patrie ou d'abjurer, ils
furent de ceux qui, préférant l'exil, portèrent à l'étranger, avec la haine de
la France, leur fortune et leur industrie.
Cette
concentration des calvinistes, sur un seul point de notre province, leur permit
d'avoir, dès le début de la lutte, une organisation puissante, je dirai même
supérieure à celle de leurs adversaires, puisqu'ils furent toujours prêts les
premiers, du moins pendant les premières guerres de la Réforme.
Après
le massacre de Vassy, Montluc et Burie n'avaient pas encore réuni leurs
troupes, que Duras et son armée, composée en majeure partie de religionnaires
du Bas-Périgord, s'étaient emparés de la vallée de la Dordogne, de la Gironde
et menaçaient la ville de Bordeaux.
Dans la seconde
prise d'armes, les protestants de Bergerac donnèrent le premier signal des
hostilités en attaquant le château du marquis de Trans[19].
Quand éclata la
troisième guerre religieuse, Catherine de Médicis faillit surprendre Condé et
Coligny. Blaise de Montluc avait reçu l'ordre d'arrêter Jeanne d'Albret. Mais
au moment de mettre son projet à exécution, il apprit que Clermont de Pilles, à
la tête de deux mille protestants de Bergerac, avait rejoint la reine de
Navarre et protégeait sa marche à travers l'Agenais et le Périgord.
Pendant
une longue série d'années, Bergerac ne fut pas seulement le quartier général
des calvinistes dans notre province, mais la capitale protestante de la
Guienne.
II
La
vallée de la Dronne. — Aubeterre. — François Bouchard d'Aubeterre. — Le baron
de Saint-Surin. — Prédications des pasteurs calvinistes de l'Angoumois dans le
Nontronnais et les environs de Ribérac. — Causes politiques qui ont favorisé la
Réforme dans cette partie du Périgord. — Les volontaires de la Dronne.
A la région
occidentale de notre province, la vallée de la Dronne formait une limite naturelle
entre le Périgord, l'Angoumois et la Saintonge.
En
la parcourant, on ne retrouve pas les sites si pittoresques des rives de la
Vézère, ni les perspectives parfois si grandioses des bords de la Dordogne,
mais on y voit de frais paysages et les ruines féodales qui couronnent
plusieurs de ses collines, viennent ajouter aux charmes de la nature, les
émouvants souvenirs de l'histoire.
Aubeterre
commande cette vallée.
Au
xvie siècle, cette
ville relevait de la juridiction ecclésiastique de Périgueux et, comme
châtellenie, dépendait de la sénéchaussée d'Angoulême.
Bâtie en
amphithéâtre sur los blanches falaises de la rive droite de la Dronne , elle
offre à l'œil du voyageur un assemblage étrange d'élégantes constructions
modernes et de vieilles maisons gothiques, entourées des anciens remparts
transformés en promenades que dominent les hautes terrasses de couvents
abandonnés et le fier donjon des Bouchard d'Aubeterre.
Quand
on visite ses rues aujourd'hui si paisibles, on surprend, pour ainsi dire à
chaque pas, des indices de lutte. Les monuments religieux surtout portent les
traces du fanatisme et de la guerre civile. Malgré soi la pensée se reporte à
l'ère sanglante de la Réforme où Aubeterre joua un rôle si important, où des
intérêts si divers agitèrent sa population.
Poste militaire
avancé des religionnaires de l'Angoumois, elle resta entre leurs mains
jusqu'après la paix de La Rochelle. C'était là que venaient les lieutenants de
Condé pour attendre les renforts du midi et surveiller leur marche à travers les
nauves
de
la Double.
Aubeterre, après
la bataille de Vergt, recueillit les débris de l'armée de Duras ; elle donna
également asile aux soldats de Mouvans et de Pierre de Gourdes, après le combat
de Mensignac et le désastre de Chantegeline.
Du haut de ces
murs, les protestants purent voir Montluc et sa garde[20] conduisant,
jusqu'à la frontière du Périgord, les bandes gasconnes de Charny, qui eurent
une part si glorieuse à la victoire de Dreux et méritèrent par leur bravoure
l'honneur de former nos premières compagnies de gardes françaises.
Peu de temps
après, un retour offensif de Duras et de La Rochefoucauld, qu'une seule journée
de marche séparait des catholiques, ramena le gouverneur de la Guienne près
d'Aubeterre. Montluc s'arrêta à Saint-Privat; puis, rassuré sur le sort de
l'armée du duc de Montpensier, il reprit la route de Bergerac et se rendit
ensuite à Agen. Nous trouvons dans ses Commentaires, l'impression que
lui laissa son passage à travers notre province : « Ainsi m'en revins,
renvoyant tout le monde à leur maison, n'y ayant rien en toute la Guienne qui
bougeât, n'y qui osât dire qu'il avoit esté de ceste religion, car tout le
monde alloit à la messe et aux processions, assistoit aux offices divins; et
les ministres, trompettes de tout ce boute-feu, avaient vuidé, car ils savent
bien qu'en quelque coin qu'ils fussent, je les attaquerois et leur ferais bonne
guerre. »
Prise d'assaut
après la bataille de Moncontour, la ville d'Aubeterre se rattacha plus que
jamais au parti calviniste lorsque la paix de Saint-Germain eût été conclue.
Cédée au duc
d'Alençon, chef des politiques, elle arbora plus tard le drapeau catholique, et
c'est de là que le sénéchal du Périgord, gendre du marquis de Bourdeille,
partit pour des expéditions si nombreuses, tantôt contre les protestants,
tantôt contre les ligueurs, donnant sa vie pour une cause que son père avait
ardemment combattue[21].
Aubeterre ne fut
pas seulement un point stratégique important dont les catholiques et les
protestants se disputèrent la possession. Elle fut une des premières villes qui
donnèrent leur adhésion à la Réforme, et son rôle à l'ouest du Périgord peut
être comparé à celui de Bergerac au sud de la province.
Au xvie
siècle, elle appartenait à la puissante famille des Bouchard, dont le château
se voit encore sur un rocher creusé à la base d'une église monolithe.
Cette
famille, qui a donné au Périgord, durant les troubles religieux, un évêque et
un sénéchal, avait pour chef François Bouchard d'Aubeterre, seigneur de
Saint-Martin de la Coudre[22].
Son pouvoir
s'étendait sur vingt-deux paroisses de l'Angoumois et du Périgord. Sa richesse
était grande, car, d'après un chroniqueur de cette époque, « la vicomte
d'Aubeterre valoit autant de mille livres que le boisseau de froment valoit de
sols »[23].
Lié d'amitié
avec du Bary de Larenaudie, qu'il accompagna lors de la conjuration d'Amboise,
François d'Aubeterre prit part aux nombreux combats livrés autour du château où
François II et les Guise s'étaient retirés. Fait prisonnier à Noisy, avec un
corps de partisans périgourdins[24] dont le baron
Castelnau de Chalosse avait le commandement, il passa en jugement et fut
condamné à mort. Le roi lui fit grâce de la vie; mais les Guise obtinrent la
confiscation de ses terres au profit du maréchal de Saint-André. Obligé de fuir,
il se retira à Genève où, dit Brantôme « il étoit faiseur
de boutons de son mestier, comme étoit la loi là introduite que chacun d'eux
eût un mestier et en vescut. »
Rentré en
France, à la suite de l'édit de janvier 1561, il réussit à recouvrer ses biens
et fonda à Aubeterre un temple, « ainsi qu'en fait foi la correspondance de
cette église avec Calvin »[25].
François
d'Aubeterre fut admirablement secondé dans sa propagande pour la religion
nouvelle par son frère Guy Bouchard, évêque de Périgueux, qui, après avoir
embrassé le calvinisme, se retira à la Prade, sur les confins de l'Angoumois,
et par son gendre Gabriel de la Mothe-Fouqué, baron de Saint-Surin[26], qui était
proche parent de Burie, gouverneur de la Guienne pour le roi de Navarre : aussi
ses terres étaient-elles respectées par les chefs catholiques : c'est même chez
lui que se retirèrent presque tous les gentilshommes compromis dans les
troubles de Bordeaux en 1562[27].
Des ministres
protestants de l'Angoumois vinrent souvent, à la sollicitation du marquis
d'Aubeterre et de son gendre, pour se livrer à des prédications dans la vallée
de la Dronne, c'étaient : Charles de Sainte-Marthe, Léopard et surtout Saurain,
qui accompagne ses coreligionnaires, comme aumônier militaire, attaché aux troupes
du comte de La Rochefoucauld[28]. Grâce à eux,
le calvinisme se répandit dans le pays qui entoure Ribérac et le Nontronnais.
De grands
événements politiques avaient en quelque sorte préparé dans cette région les
progrès de la Réforme.
Pour faire face
à des dépenses ruineuses, François Ier, et plus tard Henri II, avaient établi,
dans les provinces de l'ouest de la France, l'impôt de la gabelle. Cette mesure
impopulaire fit éclater en 1548 une violente insurrection dans la Saintonge. Un
gentilhomme nommé Puymarau se mit à la tête des insurgés, dont le nombre
s'éleva au chiffre de cinquante mille, parmi lesquels se trouvaient beaucoup
d'habitants du nord-ouest du Périgord.
Anne de
Montmorency fut chargé de combattre ce soulèvement. La révolte fut étouffée
dans le sang : mais les vaincus, échappés à la vengeance du connétable,
conservèrent le souvenir de cette atroce répression et se jetèrent avec ardeur
dans toutes les voies d'opposition. Plus tard, lorsque les disciples de Calvin
commencèrent leurs prédications dans la vallée de la Dronne, ils virent se
grouper autour d'eux, non-seulement ceux qui voyaient dans les idées
religieuses nouvelles une réforme aux abus, mais ceux, bien plus nombreux, qui
avaient des vengeances à exercer. Lorsque Condé et La Rochefoucauld appelèrent
la population aux armes, les anciens volontaires de Puymarau accoururent en
foule sous leurs bannières.
Dans la première
guerre de religion, François Bouchard d'Aubeterre recruta dans le Ribéracois et
le Nontronnais un corps de 600 arquebusiers, qui s'emparèrent de Poitiers et de
Tours et ouvrirent ainsi aux calvinistes du midi la route d'Orléans, où Coligny
avait son quartier général.
L'effervescence
des passions politiques et religieuses, dans toute la partie du Périgord
contiguë à l'Angoumois et à
la Saintonge, fut aussi grande que dans ces deux dernières provinces. C'est de
ce milieu de fanatisme et de haine que sont sortis deux hommes dont le nom
vivra aussi longtemps que le souvenir de nos discordes civiles : du Bary de
Larenaudie, le chef de la conjuration d'Amboise, était un gentilhomme
nontronnais; Poltrot de Méré, l'assassin de François de Guise, était un ancien
page de Bouchard d'Aubeterre.
A
Bergerac, la bourgeoisie surtout s'était montrée favorable aux nouvelles
doctrines. Dans la vallée de la Dronne, les partisans de Calvin se recrutèrent
principalement dans la grande et la petite noblesse et dans le peuple. Pour
cimenter cette alliance, Jeanne d'Albret, par lettre datée de La Rochebeaucourt
le 22 octobre 1568[29], ordonnait aux
chefs protestants de cette région de saisir les deniers royaux, les biens du
clergé, de lever les tailles et, pour faire le partage des munitions déjà
prises, de s'adjoindre quatre ou cinq habitants de chaque village.
III
La
Double. — Histoire militaire de la Double. — Armand Clermont de Pilles. — De la
Rivière. — Jean de Mesmy, seigneur de Lisle. — Le lieutenant-général Poynet à
Périgueux. -— Ministres protestants envoyés par Calvin. — Pierre Brossier. — Préparatifs
de guerre des calvinistes du Périgord.
Entre
la fertile vallée de l'Isle et celle de la Dronne, s'élève un immense plateau
que limitent, au nord, Sainte-Aulaye et Saint-Vincent-de-Connezac ; au sud, le
Pizou et Mussidan.
Cette contrée,
dont le développement est environ de 48,000 hectares[30] n'offre à la
superficie qu'un sable assez fin mêlé à du gravier el à des cailloux, uni dans
une très faible proportion à de la terre végétale. Le sol, pierreux et peu
épais, repose sur une profonde couche d'argile. Comme les pentes sont faibles,
l'eau, arrêtée dans son cours, recouvre des espaces parfois considérables ; de
là, des étangs et des marécages connus sous le nom de nauves, qui font de ce
pays un foyer de fièvre et une des régions les plus insalubres du sud-ouest de
la France. A part quelques points isolés[31] dans ce coin de
l'ancien Périgord, on ne découvre qu'une nature sauvage ; à travers les bois
taillis ou les vieilles châtaigneraies se déroulent des paysages tristes et
sombres comme ceux de l'ancienne Sologne : c'est la Double.
A l'époque où
éclata la Réforme, la Double avait le titre de vicomte, avec Légé pour
chef-lieu[32].
La juridiction
s'étendait sur dix-huit bourgs ou villes. Elle avait un archiprêtré qui, depuis
le xvie siècle, était à Vanxains et renfermait
41 paroisses[33].
Ce pays fut le
théâtre de faits de la plus haute importance, et on peut dire que son histoire
peut servir de canevas à l'histoire militaire de toute la province durant la
seconde moitié du xvie siècle.
A peine le
premier des Condé eut-il lancé son manifeste que les volontaires du midi,
commandés par de Grammont, traversaient toute la partie occidentale du Périgord
pour se rendre à Barbezieux. Après le sanglant combat de Targon, les
protestants, sous les ordres de Duras[34], se retirèrent
sur la Dronne, poursuivis par les lieutenants de Montluc : de Masse, d'Argence
et Sainthaurent, et, divisés en trois colonnes, traversèrent la Double pour
venir prendre position à Saint-Astier, Neuvic et Mussidan[35].
Menacé de voir
ses communications coupées avec l'Agenais par le duc de Montpensier, qui venait
avec des troupes catholiques de s'établir à Périgueux, Duras divise ses forces
entre La Linde, Bergerac et Sainte-Foy, puis, franchissant la Dordogne, va
chercher des renforts dans l'Agenais et le Bas-Quercy.
Informé de ces
échecs successifs, La Rochefoucauld[36], qui avait déjà
commencé son mouvement sur Paris, rentre en Saintonge et envoie aux calvinistes
du Périgord, refoulés sur le Lot, un secours de 300 cavaliers, commandés par
Bordet, trois enseignes de gens de pied sous les ordres de Montferrand, de
Saint-Paul et de Pardaillan, et quatre pièces d'artillerie. Par suite de la
négligence de Burie, les calvinistes de la Saintonge traversèrent la vallée de
la Dronne, de l'Isle et de la Dordogne sans être inquiétés et firent leur
jonction avec Duras à Gourdon.
Après de
nombreux combats sur le Lot et le Tarn, Montluc et Burie échouent à Montauban
et se rendent l'un dans l'Armagnac, l'autre sur les bords de la Dordogne.
Profitant de la division des forces catholiques, les chefs protestants se
rapprochent du Périgord, prennent d'assaut Carlux, tentent, mais inutilement,
de s'emparer de Sarlat et cherchent à gagner la rivière de l'Isle.
Informé par le
duc de Montpensier de la marche des religionnaires à travers le Sarladais,
sachant également qu'ils s'attardaient au siège et au pillage des villes les
plus importantes, Montluc résolut de les atteindre. Il quitte Lectoure, rallie les troupes
espagnoles cantonnées à Agen, entraîne les soldats de Burie, campé aux
Mirandes, passe la Dordogne à Siorac, traverse la Vézère et, tombant à
l'improviste suc l'armée de Duras, en fait un affreux carnage dans les plaines
de Vergt, 9 octobre 1562[37].
Le
lendemain, de nombreux fuyards pénétraient dans la Double. Malgré les pertes
sérieuses qu'il venait d'éprouver, le général protestant infligea à son tour un
sanglant échec à ses ennemis. Guidé par deux paysans, il réussit à cerner un
corps de 500 hommes commandés par le capitaine Laumonerie et campés au hameau
d'Emburie, près Mussidan. Tous les soldats catholiques furent tués, à
l'exception de trois[38].
Le
11 octobre 1562, Montluc, Burie[39] et le duc de
Montpensier[40] étaient réunis
à Mussidan. Les nouvelles reçues de différentes parties de la Guienne étaient
mauvaises. La population calviniste ne subissait qu'en frémissant le joug du
vainqueur. A Bergerac, sous prétexte de religion, deux riches marchands
catholiques avaient été pillés et tués. Il fut décidé que Montluc resterait,
tandis que Burie et le duc de Montpensier conduiraient au duc de Guise et au
connétable de Montmorency les troupes victorieuses[41]. Le lendemain, l’armée
catholique, composée de six compagnies de gens de pied, de cinq compagnies de
gens d'armes, de vingt-trois enseignes de Gascons et d'Espagnols, établissait
ses bivouacs entre Sainte-Aulaye et Vanxains.
Une fois de
plus, le bruit des armes cessa dans notre province ; l'attention générale se
portait sur les opérations militaires qui se préparaient autour de Paris.
Bientôt, les plus sinistres nouvelles vinrent jeter le deuil au milieu de la
population calviniste. Le prince de Condé, vaincu à Dreux, était prisonnier.
Orléans, la dernière place forte des protestants, était assiégée.
Dans des
circonstances aussi difficiles, un officier de Coligny, originaire de Bergerac,
Armand Clermont de Pilles, après avoir franchi les lignes d'investissement
d'Orléans, traversait toute la France avec une escorte de quatre gentilshommes,
pénétrait dans la Double pour gagner les bords de la Dordogne et chercher à
relever la fortune des protestants[42].
Dans son passage
au milieu de ce pays, qui s'ouvre au nord sur Aubeterre, au sud sur Bergerac, à
l'ouest sur la Saintonge et le Bordelais, à l'est sur Périgueux, Saint-Astier
et Neuvic, il comprit tout le parti qu'on pouvait tirer de cette région si
pauvre, d'un abord si difficile et forma le projet d'y revenir.
Apres
avoir révélé sa présence par quelques attaques sur Bergerac et de hardis coups
de main sur plusieurs villes du voisinage[43], il attire a lui les troupes catholiques
en simulant une retraite sur l'Agenais ; puis, changeant brusquement de
direction, il gravit les coteaux qui dominent Montpazier, traverse Beaumont et,
à marches forcées, arrive sous les murs de Mussidan, qu'il prend par escalade[44]. Cette ville
devient aussitôt le rendez-vous de tous les protestants de la province, qui
s'établissent solidement dans la partie inférieure du bassin de l'Isle et de la
Dronne.
Informé
de l'arrivée de ce nouvel ennemi, Montluc quitte Agen, donne des ordres au
sénéchal du Périgord pour lui fournir de la cavalerie et mande à son fils de
diriger de Bordeaux sur la Double de l'infanterie et du canon[45].
Malgré
l'infériorité numérique de leurs troupes, de Pilles et son lieutenant de La
Rivière[46] acceptent la
lutte.
On
croyait de Pilles à Mussidan et déjà il est aux portes de Bergerac, dont il
s'empare par surprise. Après avoir mis cette ville en état d'opposer une
résistance sérieuse au gouverneur de la Guienne, il revient sur ses pas,
rejette sur Périgueux les troupes de d'Escars de Lavauguyon[47], et, pendant
que le fils de Montluc avançait péniblement dans les marais de la Double, grâce
à la connaissance parfaite qu'il avait de ce pays, le capitaine protestant
passe du Périgord dans le Bordelais, brûle Castres, Guîtres, Léognan et
Libourne, qu'il livre au pillage, et après avoir augmenté ses forces de celles
des religionnaires de la Saintonge, reparaît près de Mussidan, chargé des
dépouilles de ses ennemis, préparé pour une lutte décisive, lorsque le traité
d'Amboise vint suspendre les hostilités.
De Pilles n'est
pas seulement le héros de Bergerac; il est aussi le héros de la Double. C'est
là où l'élève de Coligny se signala comme général et comme organisateur; c'est
dans cette partie de notre ancienne province que commencèrent ses exploits,
qui, au dire de Mézeray, « surpassent la croyance et presque la vertu humaine. »
Au mois d'août
1565, les habitants de la Double venaient saluer à Mussidan Catherine de
Médicis et Charles IX, se rendant de Bergerac à Bordeaux, après les célèbres
conférences de Bayonne[48].
Trois ans plus
tard, ils voyaient passer une reine proscrite : c'était Jeanne d'Albret allant
à La Rochelle rejoindre les chefs du parti protestant et leur offrir « sa vie,
ses moyens, ses enfants à la défense de la cause ».
A partir de la
troisième guerre de religion, on peut dire que la Double fut le rendez-vous de
toutes nos illustrations militaires. Dès le début, de Pilles la traversa,
conduisant à d'Andelot
vingt-trois enseignes pour le siège d'Angoulême[49].
Coligny,
après la défaite de Jarnac, avait pris ses quartiers d'hiver sur les frontières
du Limousin, attendant les renforts envoyés par les princes Allemands et les
sept vicomtes[50].
Pour s'opposer à
l'arrivée des protestants du midi, le duc d'Anjou et le maréchal de Tavannes
envoyèrent en Périgord le jeune comte de Cossé-Brissac, avec le marquis de
Pompadour et Henri de Guise pour lieutenants. Aubeterre fut emportée d'assaut,
et les catholiques se dirigèrent sur Mussidan, où les attendaient Blaise de
Montluc et d'Escars de Lavauguyon. On sait que Brissac et Pompadour furent tués[51] . Un de leurs officiers les plus distingués,
le colonel Sarlabous[52], fut très
grièvement blessé.
Quand les
calvinistes eurent fait leur jonction avec l'armée du duc des Deux-Ponts, le
comte de Montgommery[53], chargé par
Jeanne d'Albret de reprendre le Béarn, dont Terride s'était rendu maître, passa
dans la Double à la tête de 4,000 arquebusiers et de 500 chevaux. De Pilles,
venu de Saintes, éclairait sa marche.
La
partie du Périgord comprise entre la Dronne et l'Isle fut, après la bataille de
Moncontour, le théâtre de luttes qui peuvent nous donner la mesure des
violences auxquelles entraîne le fanatisme. Les protestants du
Comtat-Venaissin, ceux du Dauphiné, les religionnaires de l'Auvergne, du
Vivarais el du Rouergue, commandés par Montbrun, Mirebel et Verbelet[54], se voyant
séparés du gros de l'armée protestante, quittèrent l'Angoumois et la Saintonge
et cherchèrent à rentrer dans leur pays, en traversant notre province. C'était
à l'entrée de l'hiver : des pluies torrentielles avaient rendu les routes
impraticables ; la Double n'était qu'un immense marais. A peine furent-ils
engagés dans cette contrée qu'ils furent assaillis par des bandes de paysans
armés, dont le nombre ne faisait que s'accroître à mesure qu'ils avançaient. Au
passage de chaque ruisseau, dans les gorges des montagnes avaient lieu des
combats incessants. Les prisonniers et les traînards étaient impitoyablement
massacrés.
Au milieu de ces
vastes solitudes, le bruit du tocsin signalait d'un village à un autre le
passage des religionnaires, qui ne laissaient derrière eux que la ruine et
l'incendie. Partis au nombre de plusieurs milliers de la frontière occidentale
du Périgord, lorsqu'ils arrivèrent sur les bords de la Dordogne, ils n'étaient
plus que 600. Déjà leur avant-garde avait franchi la rivière, quand une crue
subite retarda le passage de l'arrière-garde, composée d'environ 300 hommes.
Surpris par la garnison de Sarlat, les soldats calvinistes, bien que harassés
de fatigues, sans munitions et presque sans armes, se préparèrent à une lutte
suprême. Sous les yeux de leurs coreligionnaires, qui ne pouvaient leur porter
secours, ils se battirent avec le courage du désespoir et furent massacrés
jusqu'au dernier.
Le traité de
Saint-Germain mit fin à toutes ces horreurs. Mais deux ans après, à la suite de
la Saint-Barthélémy, les protestants reprenaient les armes.
Lorsque la
quatrième guerre de religion eût été terminée, les calvinistes eurent pour chef
Langoiran[55], ancien
lieutenant de La Noue, et de Vivans[56], ancien
officier de de Pilles. Sans tenir compte des suspensions d'armes, ils ravagèrent
l'un le Bergeracois, l'autre le Sarladais, et tinrent en échec deux généraux
catholiques chargés du gouvernement de la Guienne, le marquis de Losse[57] et le marquis
de La Valette[58].
Ce
qui favorisait le succès des protestants exaltés, c'était la création du parti
des politiques, qui voulaient avant tout la paix et la répression des factions.
Ils eurent beaucoup de partisans dans la Double, surtout à Aubeterre, dont le
commandant était une créature du duc d'Alençon.
A cette époque,
en présence des grands événements qui se préparaient à Paris, il s'opéra une
grande concentration de troupes à Ribérac. La Noue[59] et le vicomte
de Turenne[60] traversèrent la
Double à la tête de 600 cavaliers et de 2,000 fantassins. Ces deux chefs
étaient accompagnés d'une foule de gentilshommes, parmi lesquels on remarquait
les de Saint-Geniès, le vicomte de Gourdon de Cabrières, de Beynac de Salignac, un cadet de la maison de
Limeuil, de Bonneval, de Beaupré et de Montguyon. Après plusieurs jours d'attente,
on apprit que le complot formé par le duc d'Alençon, le roi de Navarre et les
Montmorency pour s'emparer du gouvernement avait échoué, et les politiques se
retirèrent pour reprendre la guerre après le traité de Milhau.
Mais cette
situation, déjà si compliquée, devait s'aggraver par l'intervention des Guise
et la formation de la Ligue.
A partir de
cette époque, le Périgord, et surtout la partie comprise entre la Dronne et
l'Isle, furent le théâtre de luttes sans fin. Le vicomte de Turenne, lieutenant
d'Henri de Navarre, incendia plusieurs villages entre Sainte-Aulaye, Ribérac et
Neuvic. Le duc d'Epernon, gouverneur de l'Angoumois, ravagea la Double et vint
mettre le siège devant Aubeterre. Après la bataille de Coutras, les calvinistes
entrent dans notre province et s'emparent de Mussidan. Peu après, le chef des
ligueurs en Périgord, M. de Montpezat, neveu du duc de Mayenne, pénétrait dans
la même ville, après un assaut
meurtrier. Enfin, David Bouchard d'Aubeterre, ayant abandonné les politiques,
réussit à rétablir dans la Double l'autorité d'Henri III. Il y fut le dernier
et le plus vaillant champion de la cause royaliste.
A ce navrant
tableau d'une guerre commencée en 1562, et qui durait encore plusieurs mois
après la rentrée d'Henri IV à Paris, il convient d'en ajouter un autre non
moins triste. A la suite de tous ces massacres, la peste éclata à plusieurs
reprises dans l'Angoumois et à Bergerac; elle se répandit au loin et lit les
plus grands ravages, au milieu de ces populations que le fer avait déjà si
cruellement décimées.
La misère fut
extrême. Nous trouvons dans le livre des Chroniques de
Bergerac (année
1563), que la poignée de blé seigle se vendait 50 et jusqu'à 60 sols. Plus
tard, la charge de blé coûtait 260 francs au taux actuel de notre monnaie[61].
Ce pays si
éprouvé avait été visité par les disciples de Calvin, plusieurs années avant
les autres parties de la province. La doctrine religieuse nouvelle était
prêchée à Aubeterre et dans le bassin de la Dronne dès 1534, alors qu'elle ne
faisait son apparition à Sainte-Foy que vers 1537 et à Bergerac en 1541.
Bien que
nombreux, les protestants n'avaient pas encore une organisation sérieuse, quand
apparut Jean de Mesmy, seigneur de l'Isle[62]. Poussé par le
plus ardent prosélytisme, il faisait de nombreuses réunions dans la Double ;
plus tard même, il provoquait des assemblées générales à Mussidan : il se fit
dans le peuple une telle réputation et sut inspirer une telle confiance aux
ministres du nouveau culte, qu'avant l'ouverture des hostilités, au colloque
tenu à Villeneuve-d'Agen, où furent votés les articles relatifs aux
confédérations des églises qui avaient été faits au synode de Sainte-Foy, il
fut chargé de la superintendance
du fait des armes[63] .
«
Ce fut une très mauvaise provision, dit Th. de Bèze, non que le sieur de Mesmy
ne fut fort homme de bien et très affectionné, mais parce qu'avec
l'indisposition de son corps, il n'avait manié les armes et aussi avait ce
défaut qu'il était fort adonné à ses sens et ceux de sa suite[64].»
Assuré de son
influence dans la Double, Jean de Mesmy cherchait à l'étendre sur tout le
bassin de l'Isle et rattacher Périgueux aux idées nouvelles; mais il
rencontrait de grandes difficultés. Les émissaires de Calvin ne s'approchaient
qu'avec crainte de cette ville, où leurs démarches étaient surveillées, où le
sénéchal, mettant à exécution les ordres du souverain, recherchait les
religionnaires et les punissait parfois avec la dernière rigueur.
Mais
un des moyens employés pour s'opposer à la marche de la Réforme servit, au
contraire, à leur donner un plus grand développement. Henri II établit la Cour
des aides à Périgueux (1551). Le lieutenant général Poynet, « tenait la main
aux édits et la bride court aux huguenots ; mais, s'étant fait pourvoir d'un
office à cette cour, il résigna son office à son frère, qui à moins de six mois
facilita » l'apostasie[65]. »
A partir de ce
moment, les ministres protestants eurent toute latitude et les prêtres
catholiques durent se cacher. A Bergerac même, deux d'entre eux ne réussirent
qu'à grand'peine à se soustraire à la violence des religionnaires.
Ce
qui porta une grave atteinte à l'influence du parti catholique dans notre
province fut la conduite scandaleuse de Guy Bouchard d'Aubeterre, élevé en 1554
au siège de Saint-Front.
On
sait qu'en vertu d'un concordat, François Ier et ses successeurs eurent le
droit d'accorder les bénéfices ecclésiastiques, qui ne lurent donnés qu'à la
faveur. De là, les plus graves abus. Les chefs ecclésiastiques, presque
toujours absents, laissaient les soins de l'administration à des agents
subalternes qui n'avaient aucun souci des intérêts spirituels et cherchaient
surtout à assembler des richesses. On s'explique ainsi facilement comment,
après un évêque pénétré de la sainteté de son ministère, comme Foucault de Bonneval,
on trouve un prélat indigne, Guy Bouchard d'Aubeterre, qui abjura publiquement
la foi catholique et donna à son diocèse, pendant plusieurs années, le triste
exemple de la vie la plus dissolue.
Malgré son
éloignement, Calvin suivait avec le plus vif intérêt les progrès de la Réforme
dans l'ouest de la France, qui avait été le théâtre de ses premières
prédications et de ses premiers succès. Il envoya plusieurs pasteurs de Genève
: Bordat vint se fixer à Bergerac ; Chastaigne à Castillon-sur-Dordogne ;
Robert Fraysse et Armand Cordier vinrent à Eynesse, près Sainte-Foy, et
desservaient le Fleix, la Force et Gardonne ; Etienne Gragnon fut à Sarlat :
Richard à Montignac-le-Comte. Un pasteur du nom de Mazet vint prêcher à Eymet,
Saint-Cyprien, Issigeac et la partie méridionale du Sarladais : chacune des
villes où il se rendait lui payait une cotisation mensuelle de dix livres
tournois[66].
A cette date,
grâce aux sollicitations de Jean de Mesmy, un pasteur de l'Eglise réformée vint
de Rochechouart à Périgueux[67]. Il se nommait
Pierre Brossier et commettra à prêcher à l'hôtellerie du Chapeau-Vert. Dénoncé
et plus tard poursuivi par l'officier de justice, il ne réussit à su sauver
qu'en se cachant dans une maison de campagne de son protecteur. Plus tard, il
fut surpris, conduit en prison, et ne recouvra la liberté qu'à la suite de
ledit de 1561. C'est lui qui fit construire à Périgueux un temple « bien
polisse »[68].
A partir de
cette époque, grâce au zèle des pasteurs et à l'appui tantôt apparent, tantôt
caché de la famille d'Albret, le nombre des religionnaires s'accrut dans la
province dans des proportions considérables. A Bergerac, les religieux de
quatre couvents se firent calvinistes. L'église Saint-Martin, consacrée au
culte catholique, fut rasée, et avec ses matériaux, on construisit un temple au
Mercadil ; on éleva même des fortifications si importantes, que la ville
passait pour une des principales places fortes de la Guienne.
Ces
précautions prises par la population de Bergerac prouvent que les chefs protestants
avaient l'intention de défendre par les armes leurs croyances religieuses. Au
reste, cette tendance des partisans de Calvin s'était traduite déjà depuis
longtemps par des faits isolés signalés au sénéchal de la province et au
Parlement de Bordeaux.
Le 26 janvier
1552, une assemblée de gens armés avait eu lieu à Sainte-Foy, sur les terres du
marquis de Trans.
Sous François
II, aussitôt après la conjuration d'Amboise, le comte d'Escars et de Thermes
partageaient avec de Burie le gouvernement de la Guienne, parce que ce dernier
était accusé d'aider à l'organisation des calvinistes. M. de Losse, « uns très
gentil chevalier », capitaine des gardes du roi de Navarre, eut la
surveillance spéciale du Bas-Périgord[69]. Les
protestants de Bergerac détenaient les clefs de la ville et s'étaient
constitués comme indépendants[70]. Le juge-mage
de Périgueux, M. de Marquessac, étant instruit que plusieurs
habitants achetaient des armes, sollicitait du Parlement de Bordeaux le
désarmement de la population[71].
Mais
les mesures défensives prises par les calvinistes ne lardèrent pas à prendre un
caractère plus général. Au synode de Sainte-Foy, « il fut ordonné par les
gentilshommes du Périgord qu'on éliroit deux généraux, appelés protecteurs, sur
les deux Parlements de Bordeaux et de Toulouse, à chacun desquels répondaient
les colloques d'icelles : ayant aussi chacun de ces colloques son chef ou
colonel ayant sous lui des capitaines des églises de chaque colloque, le tout
pour conduire vers Sa Majesté les forces régulières des églises, si besoin
étoit, et cependant aussi pour être sur leurs gardes et pouvoir se défendre, si
leurs adversaires persévéraient à les menacer[72]. »
Avec un pareil
état des esprits, des rixes étaient inévitables : elles se produisaient même
fréquemment, surtout autour de Bergerac, et longtemps avant les guerres de la
Réforme. Au bourg de Font-de-Roque, les calvinistes réclamaient un lieu spécial
pour leur culte ; les catholiques leur assignèrent le cimetière. Plus tard, les
religionnaires se sentirent les plus forts et voulurent pénétrer de force dans
l'église. Aussitôt les deux partis coururent aux armes, et au-dessous du
château de Puyguilhem eut lieu un véritable combat, où le chef catholique,
nommé Robertie, tua d'un coup d'épée Guibert, le chef des protestants[73].
Ph. Laroche.
(La
fin prochainement.)
pp. 485-507
ÉTUDES HISTORIQUES SUR LA RÉFORME
ET LES GUERRES CIVILES DANS L'ANCIEN COMTÉ DE PÉRIGORD
(1562-1598). — (Suite et fin.)
IV
Du
rôle du Périgord dans les guerres de la Réforme par suite de sa position géographique.
— Misère extrême
des paysans. — Guerre de
partisans.
Les
populations du Sarladais et de la partie du Haut-Périgord limitrophe du
Limousin fournirent, dès le début, beaucoup moins d'adhérents à la Réforme que
celles de l'ouest de la province, et cependant le fléau de la guerre les frappa
aussi cruellement. Plus tard, sortant du rôle passif qu'elles avaient joué,
elles se lancèrent dans la lutte avec une violence sans égale, surtout dans le
pays compris entre la Dordogne et la Vézère[74].
Il
me parait utile à ce sujet de faire connaître la situation vraiment
exceptionnelle que, pendant la longue période des guerres de la Réforme, le
comté de Périgord dut à sa situation géographique.
Si
nous sortons un instant du cadre restreint que nous nous sommes tracé pour
aborder l'histoire générale de la Réforme en France, nous voyons que, dans les
deux premières guerres de religion, le plan des généraux calvinistes consistait
à chercher à surprendre la cour et à concentrer les opérations militaires du
côté de Paris, tandis qu'une armée de secours s'organisait sur les bords de la
Charente pour se porter aussi rapidement que possible sur la Loire et la Seine.
Quand, pour la
troisième fois, les calvinistes reprirent les armes, ils réunirent leurs forces
à La Rochelle, place
de premier ordre par sa position maritime, où ils recevaient de l'Angleterre de
l'argent et des munitions de guerre, en sorte que pendant une longue période
d'années, cette région de la France fut le rendez-vous de tous les volontaires
du midi.
Contenue par la
main de fer de Montluc, la population de la Guienne ne donna qu'un nombre
relativement restreint de soldats à la cause
protestante. On peut même dire que les calvinistes n'y eurent pendant longtemps
qu'une organisation imparfaite : mais dans les Etats de la famille d'Albret,
sur tout le littoral de la mer Méditerranée, dans l'ancien pays des Albigeois
et surtout sur le versant occidental des Alpes, où Calvin avait propagé
lui-même sa doctrine, la foi protestante s'enflamma de toutes les passions politiques
et les huguenots disposaient de forces redoutables.
Les soldats
calvinistes de la Navarre, du Béarn, des comtés d'Astarac, de Bigorre et de
Comminges par l'Armagnac gagnaient le Bas-Quercy et par Moissac se rendaient à
Cahors.
Ceux du comté de
Foix et du Bas-Languedoc arrivaient sur les bords du Lot par Montauban et le
pays des sept vicomtes.
Les protestants
de la partie orientale du Languedoc, du Vivarais, de la Provence et du
Dauphiné, franchissant les Cévennes et ralliant les religionnaires du Gévaudan,
traversaient le Rouergue et se rendaient dans le Haut-Quercy.
Tous
convergeaient vers le sud-est de la province de Périgord et arrivaient par
milliers entre Souillac et Gourdon.
Après avoir
traversé la Dordogne à Souillac, ils
longeaient le versant méridional du Sarladais, suivaient les riches plaines de
Saint-Cyprien, du Bugue et de Bergerac, franchissaient le bassin de l'Isle et
de la Dronne et trouvaient à Aubeterre les lieutenants de la Rochefoucauld et
de Condé.
A
l'est de la France, en prévision des secours que les princes luthériens
d'Allemagne organisaient sur les bords du Rhin, et pour barrer aux protestants
du midi et du sud-est du royaume la route de la capitale, une armée catholique
était en permanence dans le Nivernais et la Bourgogne.
Pour
répondre à l'appel des généraux calvinistes et se rendre soit sur les bords de
la Charente, soit à La Rochelle, les volontaires du Lyonnais, du Forez, du
Velay et de l'Auvergne descendaient par bandes isolées des montagnes du
Limousin et de l'Auvergne qui s'étalent à l'est de notre province comme un
immense croissant.
Ceux
qui suivaient le cours de la Dordogne traversaient toute la vicomté de Turenne
et pénétraient dans le Périgord par Carlux, Salignac et Terrasson.
De
ces trois villes qui sont à la base d'un immense triangle, dont le sommet
serait au point de jonction de la Vézère et de la Dordogne, les protestants
arrivaient dans les plaines de Saint-Cyprien par des routes différentes.
Ceux
de Carlux suivaient la région comprise entre Sarlat et la rive droite de la
Dordogne.
Ceux
de Salignac prenaient les hauts plateaux du Bas-Périgord[75], et par
Saint-Crépin, Saint-Quentin-Marcillac et Castel arrivaient à Saint-Cyprien.
Ceux
de Terrasson, par la rive gauche de la Vézère, pénétraient dans la vallée du Coly
: entre Pelevesy et Commarque, dans la vallée de la Beune, ils rejoignaient
leurs coreligionnaires sous les rochers des Eyzies.
Par
le Bugue et Lalinde, tous marchaient sur Bergerac. Les protestants venus du
Bas-Limousin entraient dans le Haut-Périgord par la rive droite de la Vézère
qui les conduisait à Limeuil.
Les
calvinistes du Haut-Limousin, partis de Saint-Yrieix, suivaient la vallée de
l'Isle, et par Jumilhac-le-Grand, Corgnac, Savignac-les-Eglises, Périgueux et
Saint-Astier, arrivaient dans la Double. Ceux qui venaient de Châlus longeaient
la Dronne, et par St-Pardoux-la-Rivière, Saint-Front, Champagnac-de-Belair,
Brantôme, Valeuil, Bourdeille, Lisle, Saint-Apre, gagnaient Ribérac et
Aubeterre.
Après
la prise de Nontron par La Rochefoucauld et d'Angoulême par d'Andelot, les
protestants de la région septentrionale du Limousin suivaient un chemin plus
direct : ils allaient à La Rochelle par le Nontronnais, l'Angoumois et la
Saintonge.
Partis
des points les plus extrêmes, des frontières d'Espagne, du littoral de la
Méditerranée, des Alpes, les réformés affluaient vers notre province et
venaient s'échelonner à des hauteurs différentes sur la route qui conduisait à
Paris [76].
Jusqu'à
la paix de La Rochelle, le Périgord fut le grand chemin des protestants du
midi, du sud-est et du centre de la France.
On
n'y livra pas de grandes batailles; mais de 1562 à 1570, ce pays fut le théâtre
de combats nombreux qui imprimèrent aux événements militaires ultérieurs une
marche favorable pour les catholiques. Le succès de Vergt prépara la victoire
de Dreux, et l'échec de Crussol d'Assier et de ses lieutenants entre l'Isle et
la Dronne fut pour les calvinistes le prélude du désastre de Jarnac. Lorsque le
prince de Condé eut été tué, l'amiral de Coligny, nommé généralissime des
troupes calvinistes, traversa notre province dans les circonstances les plus
diverses : après Jarnac, pour aller en Limousin faire jonction avec l'armée du
duc des Deux-Ponts, sous les murs de Châlus ; lorsque les protestants eurent
gagné la victoire de la Roche-Abeille, pour se rendre à Poitiers ; après
Moncontour, pour échapper à l'armée de Tavannes et du duc d'Anjou.
Coligny, qui
passait pour un des plus habiles tacticiens de son époque, ajoutait une
importance de premier ordre à la possession du Périgord. Par la Double, il
pouvait donner la main aux religionnaires de l'Angoumois et de la Saintonge et
maintenir ses communications avec La Rochelle : en remontant le cours de l'Isle
et de la Dronne, il lui était possible de gagner les montagnes du Limousin, de
pénétrer au cœur de l'Auvergne et, par la vallée de l'Allier, de gagner la
partie moyenne de la Loire, où l'armée catholique du Nivernais et de la
Bourgogne était aux prises avec les protestants allemands.
La
vallée de la Dordogne lui fournissait les mêmes avantages ; de plus, c'est par
elle que lui arrivaient sans cesse des renforts du Quercy et de l'Agenais.
Lorsque
Henri de Navarre reparut à la tête des religionnaires, les anciennes
possessions de la famille d'Albret étaient tombées au pouvoir des catholiques,
à l'exception du comté de Périgord. C'est dans cette province que, de concert
avec Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, il soutint
victorieusement les premiers efforts de la Ligue et inaugura cette longue série
de victoires qui lui ouvrirent les portes de Paris, après une lutte de près de
vingt ans.
Deux
fois, les émissaires de Catherine de Médicis et d'Henri III vinrent le trouver
sur les bords de la Dordogne pour arrêter les progrès de ses armes, et les
conditions de paix que le fils de Jeanne d'Albret dicta à ses ennemis à
Bergerac, en 1577, et au Fleix, en 1580, furent assez avantageuses pour servir
plus tard de base à l'édit de Nantes.
Pour
se faire une idée des désordres que commettaient en Périgord les troupes de
passage et celles que les événements de la guerre obligeaient à y séjourner, il
est utile de faire connaître les divers éléments qui les composaient.
En
dehors des soldats réguliers, les généraux protestants avaient sous leurs
ordres des volontaires mal disciplinés qui pour vivre soumettaient la
population à de dures réquisitions : en raison de l'extrême pauvreté du pays,
ils étaient obligés de former de nombreux détachements.
Pour
surveiller ou atteindre leurs adversaires, les catholiques divisaient aussi
leurs forces.
Pendant les deux
premières guerres de religion, Angoulême était le centre d'approvisionnement de
l'armée royale[77]. Une très
faible partie des convois dirigés vers les différents corps de troupes arrivait
à destination : presque tous étaient pillés par les partisans huguenots, et les
catholiques à leur tour se trouvaient dans la nécessité de frapper le paysan de
contributions forcées.
M. de Caslelnau,
qui accompagna le duc d'Anjou dans
la guerre de 1568 à 1570 et fut
témoin de désordres commis dans le Limousin et le Périgord, écrivait à ce sujet
: « Les pauvres laboureurs étaient chassés de leurs maisons, spoliés de leurs
meubles et bétail, rançonnés, volés aujourd'hui des uns, demain des autres, et
s'enfuyaient comme des bêtes sauvages.[78]»
Les deux partis
avaient fait appel à l'étranger. Dans l'armée catholique se trouvaient des
Suisses, des Italiens et des Espagnols. Ces derniers, qui composaient une
partie de l'infanterie de Montluc, étaient de féroces aventuriers, mutins et
pillards, qui commirent en Périgord les plus grands désordres.
Dans les deux
camps, mais principalement dans celui des calvinistes, on rencontrait des
Allemands qui se faisaient surtout remarquer par leur rapacité. Ils avaient à
leur suite d'innombrables chariots chargés du butin amassé dans les provinces
déjà parcourues. Souvent, lorsque leur solde n'était pas payée, ces mercenaires
abandonnaient leurs chefs et rançonnaient le pays, sans distinction de
religion. C'était un véritable brigandage.
Bientôt
la misère du Périgord fut extrême. Sans pain, souvent sans asile, en face d'une
société où la justice était impuissante, les malheureux habitants des campagnes
ne prirent conseil que de leur désespoir. La vengeance en fit des soldats.
Les uns, groupés
autour de leur seigneur, l'aidèrent à soutenir les armes à la main ses
prétentions féodales ; les autres, Rattachant à un soldat de fortune,
quittèrent leur village désolé
et, renouvelant les désordres des grandes compagnies du xive siècle,
portèrent sur d'autres points de la province ou dans les pays voisins, la ruine
et la mort.
Ce
fut une guerre bien plus meurtrière que celle soutenue un siècle auparavant
contre les Anglais.
Catholiques et
protestants montraient le même acharnement ; mais de plus, les sectateurs de
Calvin pillaient les églises, violaient les tombeaux des saints et brisaient
les statues[79]. On trouve
encore sur presque tous les monuments religieux remontant à cette époque des
traces de dévastation.
Plusieurs fois,
en parcourant le Périgord, les religionnaires se trouvèrent aux prises avec nos
paysans armés. Notre province n'offrait que très peu de routes. Les troupes
protestantes étaient obligées de s'engager dans des chemins profondément
encaissés, surmontés de haies élevées ou recouvertes par les épaisses branches
de vieux châtaigniers. Pendant l'hiver, ces chemins servaient de lit aux eaux
qui sortaient en abondance de tous côtés. Les cavaliers avec leurs pesantes
armures, les pièces d'artillerie, les chariots et les munitions s'engageaient
dans des gorges sans fin, où même la seule voie praticable n'était pas toujours
assez large : de là des difficultés sans nombre pour la marche des convois, et
lorsque survenait la déroute, la retraite devenait très difficile, sinon
impossible.
A des époques
diverses et sur différents points de notre province, dans les plaines de Vergt,
entre les bois de Chancelade et la Dronne, dans les sombres forêts du
Bas-Périgord; dans la Double, sur les bords de la Vézère et de la Dordogne, les
bandes de Duras, les protestants du Dauphiné, du Languedoc et de l'Auvergne,
les reitres allemands de l'amiral de Châtillon apprirent à redouter ces milices
improvisées. Mais ces luttes ne servaient le plus souvent qu'à provoquer de la
part des religionnaires de cruelles représailles, et alors la guerre prenait un
caractère de férocité et de barbarie.
Mais
les paysans périgourdins ne furent pas tous les défenseurs de la cause
catholique : ceux des environs de Bergerac, de la Double et de la vallée de la
Dronne furent souvent des auxiliaires utiles pour les chefs protestants. Armand
Clermont de Pilles et de Larivière, dès le début de leurs entreprises dans le
midi de la province, eurent surtout sous leurs ordres des troupes de paysans
armés de fourches et de faulx. Grâce à eux, ils organisèrent un système
d'espionnage très habile qui leur permit, avec des forces inférieures, de tenir
tête aux lieutenants de Montluc et de déjouer les desseins de leurs ennemis,
par la promptitude, l'audace et la sûreté de leurs attaques.
A
la suite de tous ces événements, on vit se former une classe d'hommes bien plus
dangereux que les fanatiques; je veux parler
des exploiteurs de la misère publique. On en trouve chez les catholiques et les
protestants.
Deux
lieutenants de Montluc, les capitaines de Bazac et de la Brunetière,
ravageaient la vallée du Drot, profanaient les tombeaux de la famille de Foix,
entièrement dévouée à la cause catholique[80].
Une
bande de ces audacieux partisans s'était emparée de La Roche-Chalais et
commettait de tels excès que de Montferrand, gouverneur de Bordeaux, pria
Montluc de lui venir en aide pour avoir raison de ces malfaiteurs qui, après
une longue résistance, durent se rendre à discrétion. Un d'entre eux avait tué
de sa main cent dix-sept catholiques. Tous furent passés au fil de l'épée. «
C'étaient, au dire d'un historien, des gens sans aucune religion et des
libertins. »
[81].
La vue de tous
ces pillages réveillait souvent les mauvais instincts de la
foule : il n'était pas rare, au milieu des populations catholiques, de
rencontrer des hommes du peuple guider les religionnaires dans les
perquisitions et partager ensuite avec eux le blé, le vin et les
approvisionnements des châteaux ou des couvents.
Dans
ces longues luttes qui ensanglantèrent notre sol, on ne saurait méconnaître le
rôle important que jouèrent les croyances religieuses et l'ambition des grands
; mais ce qui fit naître une crise aussi générale et surtout aussi violente
dans notre province, ce fut la misère.
Ce
qui le prouve, c'est que, lors de l'avènement d'Henri IV, lorsqu'une ère de
paix s'ouvrait pour la France, quand les chefs de tous les partis avaient
déposé les armes, les paysans du Périgord et des provinces limitrophes, dans
l'impossibilité de payer les impôts, se soulevèrent en masse, et on peut dire
que la guerre
des Croquants fut
la conséquence inévitable des guerres religieuses du xvie siècle. — De longues années de souffrances
l'avaient préparée.
V
La
noblesse du Périgord. — Les citoyens seigneurs de Périguenx. — Leur esprit
politique. — Leur rôle pendant les guerres de la Réforme. — Périgueux ville de
sûreté. — Les habitants de Saint-Astier. — Chillaud des Fieux et de Montardy. —
Le clergé de Périgueux.
Au
cours de ces luttes intestines, le Périgord fournit aux différents partis des
hommes de guerre d'une grande valeur : les deux maréchaux de Biron, Jean de
Losse, François d'Hautefort, le marquis de Bourdeille et le sénéchal
d'Aubeterre conduisirent plus d'une fois les soldats catholiques à la victoire
: dans le camp des protestants, Geoffroy de Vivans s'acquit une juste
célébrité. Ses exploits dans le Sarladais sont restés légendaires, et Montluc,
si sobre d'éloges à l'égard de ses adversaires, rendait hommage à la bravoure
et à l'habileté de Clermont de Pilles. Au reste, on peut dire que d'une manière
générale la noblesse de notre province montra les qualités brillantes d'une
caste guerrière.
Mais
l'histoire n'intéresse pas seulement par des récits de bataille ; elle est
surtout utile par l'enseignement moral qu'elle nous donne.
En
étudiant le rôle des citoyens seigneurs de Périgueux
pendant la Réforme, il nous sera facile d'apprécier l'importance capitale que
les mœurs exercent sur les destinées d'une population.
Le
mouvement intellectuel que nous avons signalé à Bergerac s'était également produit
à Périgueux. Stimulés par la présence du maître des écoles, les jeunes gens de
cette dernière ville cherchaient par des études sérieuses à obtenir les charges
si enviées de justice, de finances ou d'administration : ils se rendaient
également aux universités de Bordeaux, de Cahors et de Toulouse, où plusieurs
d'entr'eux entraînés par les novateurs, embrassaient la religion calviniste.
Toutefois,
le prosélytisme de ces nouveaux adhérents fut assez faible. Tandis, en effet,
qu'elle était extrême dans le sud et l'ouest du Périgord, l'agitation
protestante était à peine signalée au centre de la province, avant l'arrivée de
Jean de Mesmy et du pasteur Brossier.
A
partir de cette époque, le nombre des religionnaires devint plus considérable
et le Parlement de Bordeaux envoya deux conseillers, Amelin et Mesparent, pour
les surveiller (1562). Plus tard, cette mesure ayant paru insuffisante, il fut
institué un tribunal présidé par d'Escars de Lavauguyon et composé d'officiers
supérieurs auxquels on adjoignit deux présidents et quatre conseillers[82].
Malgré
l'active surveillance du Parlement de Bordeaux et les moyens de rigueur
auxquels on eut recours, les calvinistes continuèrent à commettre de nombreux
désordres dont le R. P. Dupuy nous a tracé le tableau[83].
A
l'époque du massacre de Vassy, le parti calviniste était assez puissant à
Périgueux pour ramener un pasteur nommé Romigly que le gouverneur avait fait
expulser[84].
Ces
faits nous paraissent suffisants pour établir qu'au moment où éclatèrent les
guerres de la Réforme, cette ville entraînée par le mouvement général, prenait
part à la révolte contre l'Eglise et contre le Roi ; mais à proportion qu'on
avance dans la lutte entre les catholiques et les protestants, elle se sépare
de la cause calviniste et bientôt nous voyons s'élever l'antagonisme le plus
complet entre Périgueux et Bergerac.
Un
philosophe du siècle dernier disait que « les mœurs d'un peuple lui sont plus
chères et plus sacrées que les lois : les premières sont le principe actif de
la conduite, les secondes n'en sont que le frein. »[85] (8)
Filles
du temps, les mœurs ne subissent que des changements lents et comme
insensibles, les lois se transforment et disparaissent avec les circonstances
politiques qui les ont fait naître.
L'histoire
de Périgueux nous fournit une preuve éclatante de cette vérité.
Aussi
haut que l'on remonte dans le passé de cette ville, on voit que ses habitants,
à travers des vicissitudes sans nombre, ont toujours été guidés par le même
principe, inspirés par le même esprit, et cet esprit n'est autre que celui des
anciens municipes romains.
C'est
que Vésone n'a pas seulement légué au chef-lieu de notre province des monuments
qui font encore l'admiration du visiteur. Elle laissa après elle des
institutions qui, plus encore que ses arènes, ses thermes et ses temples,
portaient l'empreinte du génie romain; car elles firent germer au sein des
populations qui se succédèrent sur cette partie du sol de la vieille Aquitaine,
l'amour de la liberté.
C'est l'amour de
la liberté qui soutint Vésone pendant les nombreuses invasions des barbares ;
il arma tour à tour la Cité et le Puy-Saint-Front contre les Archambaud et,
alors que notre province était un pays frontière, il fit de Périgueux un foyer
de résistance contre la domination anglaise.
Cette lutte
commune contre les ennemis du dehors et les ennemis du dedans, contre la
féodalité et les Anglais, avait depuis longtemps établi les liens les plus
étroits entre la Cité et les rois de France.
Poursuivant
l'œuvre d'émancipation commencée par Louis VI, si heureusement continuée par
Louis VII et le ministre Suger, Philippe-Auguste voulut récompenser, comme elle
le méritait, une ville qui lui avait donné des preuves si nombreuses et si
constantes de dévouement. Au mois de mai 1204, au milieu de son armée campée
sous les murs de Rouen, il reçut le même jour l'hommage et le serment de
fidélité du comte de Périgord et de la Cité de Périgueux.[86].
Dans cette
circonstance solennelle, il reconnut que les habitants de la Cité formaient une
corporation de vassaux nobles, marchant de pair avec les grands feudataires de
la couronne. Avec le droit de haute, basse et moyenne justice, il leur
accordait l'exemption de la taille, leur imposait l'obligation du service
militaire avec la faculté de nommer les chefs des milices envoyées pour le
service du Roi.
Tous les
citoyens nobles et roturiers, possesseurs par indivis de ces privilèges,
étaient tenus de prêter serment de fidélité entre les mains du maire et des
consuls à chaque nouvelle élection. Les membres du clergé et l'évêque lui-même
comme faisant partie de la corporation ne pouvaient se soustraire à cette
obligation.
Sous le règne de
saint Louis, la Cité et le Puy-Saint-Front, renonçant à leurs querelles, que
les Archambaud entretenaient depuis plus d'un demi-siècle, passèrent un traité
d'union qui est resté le titre fondamental de la constitution politique de
Périgueux. A celte occasion, tous les privilèges accordés par Philippe-Auguste
furent maintenus, et on peut dire qu'ils ont reçu une nouvelle consécration à
l'avènement de chacun de nos rois.
Au milieu d'une
population si favorisée et si digne de l'être par son patriotisme,
l'administration ne fut pas confiée à quelques familles privilégiées : elle
resta la charge commune, elle fut vraiment la chose publique à laquelle chaque
citoyen portait un égal intérêt. Parfois même ce sentiment s'exaltait jusqu'à
la passion.
Cet ensemble de
circonstances suffit pour donner à l'histoire de Périgueux une physionomie
spéciale, et lui assigner une place à part dans l'histoire politique de notre
pays. Municipe sous les successeurs d'Auguste, ville libre sous les
Carlovingiens, fédération noble sous les Capétiens, tout en restant fidèle à
son glorieux passé, sans cesser un seul instant d'être elle-même, Périgueux,
sous la dynastie des Valois, se trouvait une des villes les plus favorisées de
la Monarchie, grâce à une administration qui puisait sa force dans le double
principe de l'autorité et de la liberté.
Les privilèges
de Périgueux n'eurent-ils pas à souffrir du développement de la Réforme?
La Réforme ne
souleva pas seulement une question de dogme : elle fit naître bien d'autres
conflits. Elle mit surtout enjeu l'intérêt et, suivant l'expression de Bossuet,
« que l'intérêt est puissant et qu'il est hardi, quand il peut se couvrir du
prétexte de la religion[87] ! »
Au
xvie siècle, la société reposait sur deux bases : l'Eglise et la
royauté. Luther en Allemagne, plus tard Calvin en France, portèrent une grave
atteinte à la puissance du pape. La royauté devait en subir un funeste
contre-coup.
Par
une sorte de fatalité, alors que pour combattre les idées religieuses
nouvelles, il eût fallu un gouvernement prudent, mais ferme, le pouvoir tomba
entre les mains d'un enfant en bas-âge et d'une princesse italienne imbue des
idées de Machiavel. La minorité de François II vit se reproduire ce qu'avait
amené, un siècle et demi auparavant, la folie de Charles VI. Les oncles du
jeune roi, les Guise, prirent tout-à-coup une haute situation à la cour. Leur
immense fortune, leur gloire militaire, leur ambition démesurée provoquèrent la
jalousie des familles les plus considérables du royaume : de là des luttes qui
faillirent conduire la France à sa ruine.
Profitant
de ces divisions, la bourgeoisie riche et éclairée voulut, comme au temps
d'Etienne Marcel, avoir une plus large part dans les affaires publiques.
Atteints
dans leur foi politique et leur foi religieuse, les habitants des campagnes se
disaient entre eux ce que disait un paysan agenais à un gentilhomme calviniste
: « Qu'on nous montre dans la Bible si oui ou non nous devons payer la dîme[88]. »
L'anarchie
était dans les esprits, et bientôt aucune puissance humaine ne fut capable de
conjurer l'orage qui depuis longtemps s'amoncelait au-dessus du vieil édifice
social dont la Réforme avait sapé la base.
En
posant une question de conscience, il faut le reconnaître, Calvin a fait aussi
table rase de nos institutions. C'est lui qui a ouvert, pour notre pays, l'ère
des révolutions politiques et sociales.
Au
milieu de ce bouleversement général, dans le violent et dernier assaut de la
féodalité contre la monarchie, quelle pouvait être la conduite des habitants de
Périgueux ?
Périgueux
n'était pas une ville de commune, comme Bergerac ou Sarlat, une association du
Tiers-Etat dont l'existence civile était liée à celle d'un seigneur, comme la
plupart des villes de notre province. C'était une confédération à la fois
militaire et politique ayant reçu du roi des privilèges auxquels pouvaient
seuls prétendre les grands vassaux du royaume. Sa fortune était donc
étroitement liée à celle de la couronne, et comme la cause du roi se confondait
avec la cause catholique, les citoyens seigneurs de Périgueux s'armèrent pour
les défendre.
Dans
ces guerres si funestes à notre province, ils montrèrent le dévouement le plus
absolu à la cause de Catherine de Médicis et de ses enfants : mais soucieux au
plus haut degré de leurs droits séculaires, ils ne tolérèrent jamais le moindre
empiétement et surent imposer leur volonté même à leurs plus fidèles alliés.
En
mai 1563, lorsque Clermont de Pilles et de la Rivière se furent emparés de
Mussidan, le lieutenant-général de la Guienne, d'Escars de Lavauguyon, étant
venu porter secours aux catholiques à la tête de 3,000 hommes, il ne put
obtenir de faire passer ses troupes à Périgueux : on lui permit de séjourner
deux jours dans la ville et ses troupes durent rester à Agonac[89].
En
1585, le sénéchal d'Aubeterre ayant imposé à Périgueux l'entretien de cent
soldats, le conseil se réunit et ne voulut se soumettre qu'à la condition de
nommer les officiers[90].
Au
mois de décembre de la même année, le marquis d'Hautefort vint lui-même
solliciter des maire et consuls l'autorisation de laisser passer cent
arquebusiers à cheval qu'il avait laissés hors de la banlieue. On lui accorda
cette permission « grâce que ledit sieur s'étoit toujours montré affectionné au
bien de la communauté »[91].
En 1592, le
marquis de Montpezat fut chargé par le roi de la défense de la province et crut
devoir se fixer à Périgueux, comme centre de sou commandement : mais comme dans
la ville et la banlieue, le commandement n'avait jamais été exercé que par les
maire et consuls, ces derniers exigèrent de lui le serment de fidélité, qu'il
prêta après une procession solennelle à laquelle assista tout le clergé.
Ce
serment fut consigné sur les registres de l'hôtel-de-ville, « afin qu'il fût
bien reconnu que la ville ne faisoit que prêter territoire au sénéchal et que
ce dernier ne tenoit que d'elle l'auditoire, le prétoire et le sol même où
s'exerçait la justice du roi».
Le roi ayant
nommé un exécuteur des œuvres de justice criminelle ordinaire par sentence du
sénéchal, les maire et consuls s'y opposèrent formellement, soutenant que comme
le territoire était à eux seuls, ils avaient seuls le droit de nommer cet
exécuteur.
Ce sentiment du
droit qui se révélait avec tant de hauteur chez les citoyens seigneurs de
Périgueux en présence des grands seigneurs de la province, des officiers royaux
et du roi lui-même, nous expliquera la puissance de leurs efforts quand il
fallut repousser les attaques de leurs ennemis.
Ils mirent sous
les armes ou gardèrent à leur solde près de quinze cents hommes.
Dans cette œuvre
de défense commune, les maire et consuls firent preuve d'un zèle extrême.
Plusieurs d'entre eux « dressoient les capitaines, les sergents, caporaux, dixeniers
; ils leur faisoient prêter serment, leur donnant espérance avec la bonne garde
et vigilance d'un chacun, d'attendre à leurs bonnes intentions, promettant
assistance et soulagement en tout ce qu'il seroit possible. »[92]
Eux-mêmes
veillaient aux approvisionnements militaires, faisaient marché avec les maîtres
fondeurs pour se procurer des canons, dirigeaient les travaux de
fortifications, assuraient la tranquillité de la ville et de la banlieue,
conduisaient des expéditions et échangeaient les prisonniers.
Malgré
l'active surveillance des maire et consuls, les chefs protestants de Bergerac,
de Vivans, Langoiran et de Lambertie, réussirent à pénétrer par surprise dans
Périgueux et à s'y maintenir.
A
peine cette nouvelle fut-elle arrivée à Bergerac, que les calvinistes de cette
région accoururent en foule pour avoir leur part de butin[93]. L'église de la
Cité fut pillée. Les tombeaux furent violés et les cendres des saints jetées au
vent. Le palais épiscopal, les couvents des Cordeliers et des Jacobins furent
démolis et la basilique de Saint-Front ne fut conservée qu'en raison du danger
qu'aurait fait courir aux maisons voisines la chute d'une pareille masse de
pierres.
Le
château Barrière, qui appartenait aux d'Abzac de La Douze, dévoués à la cause
catholique, devint la proie des flammes.
Parmi
les habitants, les plus riches furent emprisonnés et ne purent recouvrer leur
liberté qu'au prix de fortes rançons. Un grand nombre réussit à s'échapper et
trouva asile à Brantôme, Nontron, Saint-Astier, Lisle, Bourdeille, Grignols et
Château-l'Evêque [94].
Malgré
ce grand désastre, les citoyens seigneurs de Périgueux ne tardèrent pas à
s'organiser et à reprendre les hostilités. Maîtres des principaux châteaux et
des bourgs de la banlieue de Périgueux, ils arrêtaient tous les vivres et les
secours destinés aux protestants, en sorte que pendant longtemps Langoiran et
de Vivans furent comme assiégés dans leur nouvelle conquête.
Enhardis
par quelques succès, les catholiques résolurent d'entrer de vive force dans la
ville. Aux fêtes de Noël 1577, le sieur des Coutures franchissait le mur
d'enceinte et ne se retirait qu'après un combat acharné.
Plus tard,
Guillaume de Leymarie, sieur du Bost, les sieurs de Beynac, de Trigonan, des
Bories et d'Hautefort organisaient au château du Lieu-Dieu une entreprise
semblable et qui fut aussi malheureuse.
Ces échecs
répétés, loin de jeter le découragement dans le cœur des citoyens seigneurs de
Périgueux, ne semblaient que les exciter davantage à secouer le joug des
protestants. La lutte ne cessait même sur un terrain que pour reprendre plus
vive sur un autre.
Le
juge-mage Pierre de Marqueyssac et les officiers de justice s'étaient retirés
dans la ville de Bourdeille, où habitait le sire de Bourdeille, gouverneur pour
le Roi dans la province. Les proscrits de Périgueux en ayant été instruits,
décidèrent qu'ils ne se rendraient pas dans leur ancienne ville, à quelque prix
que ce fût, tant qu'elle serait occupée par les huguenots, et ils prièrent le
sénéchal de vouloir bien désigner une autre ville où se rendrait la justice.
Au mois
d'octobre 1577, il fut arrêté et résolu que la justice royale serait rendue à
Saint-Astier.
Bien que cette
mesure eût été prise avec la permission du maréchal de Biron, gouverneur de la
Guienne, et du Parlement de Bordeaux, les calvinistes établirent un tribunal
suprême à Périgueux.
« Les officiers de
justice huguenots requéroient contre les catholiques et par leurs
appointements, les appeloient infracteurs de la paix, violateurs de la parole
du Roi, séditieux et perturbateurs du repos public, inhibant et défendant à
ceux du ressort de plaider par-devant eux, cassant la procédure, avec
condamnation d'amendes et toutes les exécutions dont ils se pouvoient aviser.
Les dits catholiques
séant et exerçant la justice à Saint-Astier, au contraire, méprisoient telles
procédures, n'oubliant pas de s'aider d'autant et rigoureuses peines contre eux
et leurs sectateurs, et faire exécuter leurs jugements qui étoient beaucoup
plus justes que les autres, remplis d'envie et d'animosité et de passions
discordantes; si bien que non-seulement le siège d'appel du sénéchal de
Périgueux, mais aussi le présidial de Périgord fut installé à Saint-Astier,
ensemble le bureau et recette des tailles.
Voyant, les huguenots,
qu'ils ne pouvoient parvenir au but de leurs desseins, ils se déclarèrent
ennemis des catholiques, qu'ils nommoient habitants de Saint-Astier, comme indignes d'avoir le nom d'habitants de
Périgueux. »
Plusieurs
fois de Vivans chercha à s'emparer de Saint-Astier; mais Jean de Chillaud,
écuyer, seigneur des Fieux, commandant la garnison de cette ville, repoussa les
attaques des huguenots « et leur en fit oublier le chemin. »
Depuis
bientôt six ans que les calvinistes étaient maîtres de Périgueux, les
catholiques n'avaient fait aucune concession.
Ni
les ordres du sénéchal, à chaque édit de pacification, ni les injonctions du
roi de Navarre, qui cependant avait sévèrement puni la révolte des habitants de
Cahors, ni les sollicitations pressantes de Henri III, qui tremblait pour sa
couronne, ne purent arrêter les citoyens seigneurs de Périgueux. L'étranger
avait pénétré dans leurs murs, ils voulaient le chasser.
Malgré
l'insuccès de des Coutures et de Leymarie, le commandant de Saint-Astier, Chillaud
des Fieux[95] et son parent
Jean de Montardy[96] formèrent, de
nouveau, le projet de chasser les protestants de Périgueux : ils furent
secondés dans cette périlleuse entreprise, par les sieurs de Chabannes, de la
Brangelie, de Trigonan, de la Mothe Saint-Privat de Sufferte, de la
Forêt, de la Roderie[97].
Partis
de Château-l'Evêque, ils arrivaient le 26 juillet 1581, jour de Sainte-Anne, à
l'hôtellerie de Sainte-Catherine, et s'emparaient d'un des forts de Périgueux.
Grâce à l'arrivée de Jean de Montardy, à la tête de 200 hommes d'armes, les
calvinistes et leur chef, le capitaine de Belzunce, durent se retirer.
Le triomphe de
Chillaud des Fieux et de ses lieutenants, constituait un fait d'une grande
importance.
La prise de
Périgueux par les huguenots, après les premiers Etats de Blois, avait été une
infraction aux traités, mais la paix de Bergerac, en 1577, celle du Fleix, en
1580, avaient laissé cette ville, comme place de sûreté, entre les mains des
religionnaires, et Henri de Navarre en exigeait la remise immédiate.
Le maréchal de
Matignon, qui avait pris la direction générale de la Guienne, et le sénéchal de
Bourdeille, avaient encouragé en secret Chillaud des Fieux et de Montardy dans
leur entreprise ; mais ils ne pouvaient ostensiblement leur envoyer des secours
: aussi les citoyens seigneurs de Périgueux formèrent-ils le projet de
s'adresser directement au roi de France pour expliquer leur conduite et
implorer sa protection, bien décidés à s'ensevelir sous les ruines de leur
ville, plutôt que de recevoir une garnison protestante.
Messire Jean de
Montardy, chevalier des ordres du roi, et Elie Desjean, conseiller au présidial
de Périgueux, furent chargés de cette mission délicate[98].
Henri III était
dans une situation des plus critiques. Ses honteuses passions lui avaient
enlevé l'estime des chefs du parti catholique. La Ligue commençait à s'étendre
dans les masses et formait déjà un parti révolutionnaire considérable. Les
factions armées étaient en présence et n'attendaient qu'une occasion pour en
venir aux mains. La révolte de Périgueux contre Henri de Navarre pouvait amener
la reprise des hostilités, et le roi irrité jugeait cet acte avec sévérité.
Par
suite de l'intervention de M. de Neuvic[99], MM. de
Montardy et Desjean obtinrent la faveur du duc de Guise, et une audience leur
fut accordée au Louvre.
Dans
un langage respectueux, mais ferme, ils exposèrent au roi les souffrances que
depuis six ans ils avaient endurées : ils firent connaître les sacrifices
qu'ils s'étaient imposés pour la défense de la cause catholique qui était aussi
la sienne, et rappelant les liens étroits qui depuis des siècles unissaient
Périgueux à la couronne, ils dirent que le premier usage qu'ils voulaient faire
de celte liberté qu'ils venaient d'acheter au prix de leur sang, était de lui
renouveler leurs serments d'inviolable fidélité.
Ces
preuves de dévouement données à un prince qui sentait le pouvoir lui échapper,
en présence d'une cour où chaque jour amenait des défections nouvelles, émurent
le cœur du roi et changèrent ses dispositions. Le sentiment de l'honneur se
réveilla pour un instant dans l'âme de Henri III, et grâce à son influence,
Périgueux ne fut plus une place de sûreté. Le roi de Navarre acceptait en
échange deux villes de l'Agenais, Monségur et Puymirol avec une somme de mille
écus en argent.
Quand
on parcourt les annales de cette époque si orageuse, on ne peut refuser son
admiration à cette population vaillante, qui, animée d'un sentiment de
reconnaissance politique, trop rare pour ne pas être signalé, soutint au prix
de tant de sacrifices, le trône chancelant des Valois.
Dans
ces temps troublés qui rappellent les plus mauvais jours du moyen-âge, où tout
cédait à la force brutale, la bannière des citoyens seigneurs de Périgueux fut
celle de la justice et du droit et ils durent leur salut à cet amour des
libertés politiques qui pendant quinze siècles avait été comme le génie
tutélaire de leur ville.
Les successeurs
de Henri II guidés par une fausse politique, peut-être aussi à cause de leur
impuissance, négligèrent trop ces fidèles alliés qui, pour sauver leurs
vieilles franchises, se jetèrent plus tard dans les bras de la Ligue.
Dans cette
dernière phase des guerres religieuses, les catholiques du centre de la
province eurent à traverser les fortunes les plus diverses; mais, conduits par
des chefs dont quelques-uns furent d'habiles capitaines et de grands citoyens,
ils luttèrent sans défaillance, et c'est surtout dans cette période si
tourmentée de son histoire que Périgueux s'est inspiré de sa belle devise :
FORTITUDO MEA
CIVIUM FIDES
Ma force, c'est la
fidélité de mes citoyens.
Aux raisons
politiques qui éloignèrent Périgueux du parti protestant, il est juste
d'ajouter une autre cause que nous retrouvons dans plusieurs villes de notre
région, notamment à Sarlat.
La majeure
partie de la population appartenait de cœur à l'Eglise catholique et en
respectait les traditions. En décrétant toutes les réformes dont l'Eglise avait
besoin, le Concile de Trente opposa aux novateurs une puissante barrière. Un
ancien officier espagnol, Ignace de Loyola, pour mieux combattre l'esprit
d'indépendance et de libre examen, fonda une Société célèbre, la compagnie de
Jésus, qui fut toujours d'un dévouement absolu envers le Saint-Siège et se
signala par son zèle pour l'éducation de la jeunesse et ses prédications.
Pendant la
longue crise qu'il eut à traverser, le clergé du Périgord lutta contre
l'hérésie avec des armes différentes.
Dans le combat
de nuit qui amena la prise de Bergerac par les huguenots, le curé Peyrarède
rallia plusieurs fois les défenseurs de la ville et, au milieu des ruines de
son église, il opposa aux soldats victorieux de Pilles une résistance héroïque[100].
Un chapelain de
Pellevesy[101] prépara le
triomphe des ligueurs à Sarlat. Dans cette dernière ville, deux grands prélats,
les Lamothe-Fénelon, l'oncle et le neveu[102], furent l'âme
de la résistance contre les protestants. Lorsque le vicomte de Turenne vint
mettre le siège devant Sarlat[103], ils
rivalisèrent de vaillance et de patriotisme avec les Carbonnières, les
Saint-Clar, les Gérard du Barry, les Fontpitou et les Montmège, qui avaient mis
leur épée au service du roi et de la cause catholique.
Lorsque
Périgueux tomba aux mains des protestants, un chanoine de Saint-Front, le père
Bord[104], resta à son
poste, et, au péril de sa vie, prodigua les consolations de son ministère à ses
malheureux compatriotes. C'est lui qui célébrait l'office divin à la chapelle
Sainte-Anne, où le culte catholique était encore toléré.
Monseigneur de
Bourdeille, entouré des fidèles proscrits par les chefs protestants, donnant du
haut de la montagne du Toulon sa première bénédiction épiscopale à la ville de
Périgueux où flottait le drapeau calviniste, doit rester comme l'image
glorieuse de cette Eglise nouvelle régénérée par l'épreuve, cherchant par la
prière à reprendre sur les âmes l'empire qu'elle avait perdu, et voulant
triompher de ses ennemis par le seul ascendant de ses lumières et de ses vertus
!
Ph.
Laroche.
[1]
Th. de Bèze. Histoire ecclésiastique, titre I, page 27.
[2] Extrait du livre des chroniques de Bergerac.
[3] D. Rennes. —
Histoire du protestantisme à
Bergerac.
[4] Dessalles. —
Histoire du périgord — T. I, p. 194.
[5] Augustin Thierry. Histoire du Tiers-Etat, p. 299( ?).
[6] Mémoires de Gaspard de Saulx de Tavannes.
[7] La bourgeoisie de la
province prenait exemple sur celle de Paris, où l'on comptait à cette époque 72
collèges et 15,000 étudiants presque tous pauvres. -Augustin Thierry, (ouv.
cité, p. 119.)
[8]
Voici la formule de présentation au maître des Ecoles de Périgueux, telle
qu'elle est formulée dans le livre des jurades de Bergerac :
« Messieurs
les consuls de la présente ville de Bragerac, à vous le maistre des Escolles de
Périgueux, vous présentons discrète personne, Me Pierre Treilhe, régent comme
idoine et suffisant pour régir, tenir les escolles de la présente ville de
Bragerac, comme il a tenu par cy-devant et pour l'année prochaine et unissant à
mesme jour, à la feste de Saint-Jean-Baptiste prochaine et finissant à mesme jour
l'an révolu, afin de confirmer et bailler les dictes Escolles.
Donné sous le scel de la dite ville de Bragerac, le premier jour de juing l546 ».
[9] En 1524, la peste faisait les plus grands ravages à
Bergerac.
[10] Je dois les principaux détails sur les Ecoles de
Bergerac à l'obligeant M. Dupuy, archiviste de cette ville. Mon excellent ami
et collègue de la Société historique, M. Charles Durand, a mis également à ma
disposition les nombreux documents qu'il a recueillis sur Bergerac : qu'ils
trouvent ici l'expression de ma reconnaissance.
[11] Fondée par Louis XI en 1473.
[12] Fondée par le pape Jean XXII en 1332.
[13] Fondée par le roi Louis IX en 1228, confirmée par le
pape Grégoire IX en 1233.
[14] Dictionnaire de Moréri. - Article Périgord.
[15] Ernest Gaullieur. Histoire de la Réformation à Bordeaux et dans le ressort du
parlement de Guienne, ch. IV, p. 59.
[16] Idem.
[17] L’Estat de l'Eglise du Périgord, par le H. P. Dupuy,
récollet.
[18] Fourgeaud-Lagrèze. — Le Périgord littéraire. L'imprimerie en Périgord (1498-1874). Ribérac 1875.
[19] Gaston de Foix, seigneur de Trans, vicomte de
Gurson.
[20]
La garde particulière de Montluc,
composée de 200 arquebusiers à cheval, 100 arquebusiers à pied et un enseigne
de gens de pied, avait pour capitaine un gentilhomme de l'Armagnac nommé
Sainthaurens, qui figure avec honneur dans 1es guerres religieuses à la défense
de Cahors, de Leyrac et au siège de Rabastens. La famille de Sainthaurens est
une des plus anciennes du midi de la France. Au Ve siècle, elle a fourni un
évêque qui a occupé le siège d'Auch et de Toulouse, où il est encore vénéré
comme un patron.
On la trouve répandue dans le Berry, le Limousin et la Saintonge. Son nom
a une orthographe qui varie dans les actes suivant les temps et les localités.
On trouve écrit Saint-Orens, Sainctorens, Saint-Aurens et Saincthaurent.
Recherches dans la généralité du Limousin, par le marquis de Magny, secrétaire du collège héraldique de France
(1846).
Un parent du capitaine des gardes
de Montluc, ancien page de la duchesse de Mercœur, se fixa à Bussac (Creuse)
sous Henri III : il était originaire d'Auch et ses descendants ont occupé une
haute situation dans la Marche.
Pour ne citer que les derniers
représentants de cette branche, je nommerai : Théophile de Saincthorent, né en
1795, ancien député de la Creuse, ancien membre du conseil général.
Jean-Marie-Théophile de
Saincthorent, son fi1s, né le 7 juin 1820, mort en 1881, ancien député de la Creuse, ancien commandant de
mobiles, auteur d'un ouvrage très estimé sur les Chevaux
de la Marche et du Limousin.
Le chef de cette famille est M. Antoine-Lucien de Saincthorent, ancien
officier de mobiles, fixe actuellement à St-Léon-sur-Vézère, par son mariage
avec Mlle Thérésa du Cluzeau de Clérant.
[21]
David Bouchard d'Aubeterre,
ayant abjuré le protestantisme, rentra en possession de ses biens, grâce à l'influence
du marquis de Bourdeille, dont il épousa la fille: il fut sénéchal du Périgord
et mourut d'une blessure reçue à l'assaut du château de Lisle, pendant les
guerres de la Ligue.
[22] Il fut assassiné
en 1573. Son fi1s, David Bouchard d'Aubeterre, fut sénéchal du Périgord.
[23] chronique protestante de l'Angoumois, par Bujeaud.
[24] Mémoires de M. de Vieilleville
[25] Chronique protestante de l'Angoumois, par Bujeaud, p. 18 et 19.
[26] M. Dujarric-Descombes, notre érudit collègue, fera
paraître prochainement une étude sur Guy Bouchard d'Aubeterre, sieur des Plassons,
évêque de Périgueux, 1S54-155B, et l'introduction du
protestantisme en Périgord.
[27] Histoire de la Réformation à Bordeaux, par E.
Gaullieur.
[28] Bujeaud, ouvrage cité.
[29] Brienne, p. 20e.
[30] Dictionnaire topographique du département de la Dordogne (de Gourgues).
[31] Des religieux (trappistes) établis près d'Echourgnac en 1868 ont fait d'importants travaux d'assainissement.
[32] Bourg de la commune de La Gemaye. De
Gourgues (ouvrage cité).
[33] De Gourgues.
[34] Symphorien de Durfort, baron de Duras,
colonel de l'infanterie légionnaire de la Guienne. Général calviniste tué au
siège d'Orléans.
[35] Rennes, ouvrage cité. Dupleix.
[36] Beau-frère du prince de Condé et chef
des religionnaires de l'Angoumois
et de la Saintonge.
[37] Commentaires de Blaise de Montluc.
[38] Histoire de la Réformation de Bordeaux, par E.
Gaullieur.
[39] Burie, gouverneur de la Guyenne pour le
roi de Navarre.
[40] Louis de Bourbon, duc de Montpensier,
prince de La Roche-sur-Yon, vint deux fois à Périgueux prendre le commandement
des troupes catholiques, 1562-1568.
[41] Commentaires de Blaise de Montluc.
[42] Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique, — de Thou. — Le R. P. Dupuy, ouvrage cité.
[43] Armand Clermont de Pilles, né à Bergerac, chef des
protestants du Périgord, fut tué à la Saint-Barthélémy, dans la cour du Louvre.
[44] Histoire ecclésiastique de Théodore de Bèze. - Rennes, ouvrage cité. — P.
Dupuy. — Dupleix.
[45] Commentaires de Blaise de Montluc.
[46] D'après Montluc, de la Rivière était le fils d'un
notaire de Bergerac. D'après M. E. Gaullieur,
le père du chef protestant s'appelait Hélie de la Rivière et était seigneur de
la Forge et de la Faurelie, près Montpont.
[47] Jean des Cars de Perusse de Lavauguyon, issu d'une
famille du Limousin, alliée aux d'Hautefort, aux de Sauvebœuf, aux de Royère,
aux de Montmège et aux de Beauroyre, a été gouverneur du Périgord et du
Bourbonnais dans les guerres de religion. On trouvera des renseignements
importants sur les des Cars de Perusse dans la sigillographie du Bas-Limousin, ouvrage d'une grande
érudition, digne complément de la Sigillographie du Périgord, dû à la plume savante de notre sympathique
vice-président, M. Philippe de Bosredon.
[48] Livre des Chroniques de Bergerac. — Chronique protestante de l'Angoumois, par Bujeaud.
[49] Chronique protestante de l'Angoumois, par Bujeaud.
[50] On appelait ainsi un groupe de chefs protestants du
Bas-Quercy. C'étaient : le vicomte de Burniquel, le
vicomte de Paulin, le vicomte de Montclar, le vicomte de Sérignac, le
vicomte de Caumont, le vicomte de Montaigu et le vicomte de Rapin.
[51] Timoléon de Cossé, comte de Brissac, a commandé
l'avant-garde de Montpensier en Périgord. Il
attaqua les protestants à Mensignac et les défit à Chantegeline. Le marquis de
Pompadour était parent des d'Hautefort. (Brantôme, Vies des hommes illustres françois. De Thou, Hist., livre 45. Le Laboureur,
tome des Hommes illustres, Davila, liv. 4 )
[52] Raymond de Cardaillac de Sarlabous, créature des
Guise, fut un de ceux qui tuèrent Coligny. Ce fut lui qui jeta par la fenêtre
le corps de l'amiral.
[53] Gabriel de Lorge, comte de Montgommery, ancien
capitaine de la garde écossaise sous Henri II, dont il fut le meurtrier
involontaire, embrassa la religion réformée. Il en fut un des chefs les plus
habiles. Il eut la tête tranchée en place de Grève en 1574.
[54] Histoire de France du P. Daniel.
[55] Langoiran, cadet de la maison de Montferrand,
s'empara de Périgueux (1575). C'était un homme cruel,
mais d'un esprit très pénétrant. Quelques jours avant la Saint-Barthélémy, il
vint prendre congé de Coligny, lui disant qu'il repartait pour le Périgord.
Comme l'amiral lui témoignait son étonnement à ce sujet, Langoiran lui
répondit: « Je quitte Paris parce qu'on nous y fait trop de caresses ». (Davila, 17. - Mathieu).
[56] Geoffroy de Vivans, né à Castelnau, gouverneur du
Périgord pour les protestants, se signalai la bataille de Coutras. (L'abbé
Audierne lui a consacré une notice biographique dans le Périgord illustré.)
[57] Jean II de Losse, né au château de Losse, près
Montignac-le-Comte, commandant de la garde écossaise de Charles IX, précepteur
d'Henri IV, gouverneur de Verdun, etc.
[58] Jean-Louis Nogaret de la Valette, depuis duc
d'Epernon, colonel de la cavalerie légère, partagea avec Jean de Losse le
gouvernement de la Guienne après Montluc.
[59] La Noue, gentilhomme breton, général protestant, qui défendit
La Rochelle contre les catholiques.
[60] Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte
de Turenne, lieutenant d'Henri de Navarre en Guienne. On trouvera des documents
sur le vicomte et la vicomté de Turenne dans la sigillographie du Bas-Limousin, par MM. Philippe de Bosredon
et Ernest Rupin. (Brive, 1886.)
[61] E. Gaullieur,
ouvrage cité.
[62] D'après m. Tamizey de Larroque, Jean de
Mesmy serait originaire du Périgord ; d'après m. e. Gaullieur
(ouvrage cité), il serait d'une famille noble de l'Aunis et de la Saintonge.
[63] Théodore de Bèze. Histoire ecclésiastique, p. d63.
[64] Id.
[65] Le R. P. Dupuy.
[66]
Bulletin de la Société du protestantisme français. Année 1869, n° l et n° 2, p. 72. Année 1860,
n° 9 et n° 10, p. 297. (Ouvrage de M. E. Gaullieur.)
[67] Ce fait eut lieu sous l'épiscopat de Pierre
Fournier.
[68] Le R. P. Dupuy (ouvrage cité).
[69] E. Gaullieur ouvrage cité
[70] Id. — Docteur Rennes.
[71] id.
[72] Rennes (ouvrage cité).
[73] E. Gaullieur
(ouvrage cité).
[74] On lira l'histoire de
la Réforme et des guerres civiles au xvie siècle, dans le Sarladais,
dans les Chroniques de Jean Tarde, chanoine théologal et vicaire-général de Sarlat. Cet ouvrage,
nouvellement édité par deux de nos savants collègues, M. le Vte
Gaston de Gérard et M.
Gabriel Tarde, a été enrichi d'annotations du plus haut
intérêt et renferme des renseignements biographiques très complets sur les
anciennes familles du Bas-Périgord.
[75] On s'accorde généralement à diviser
notre ancienne province en deux parties : le Haut-Périgord ou Périgord blanc et le Bas-Périgord ou Périgord noir. Cette
opinion est celle de Moréri (édition de 1714), Malte-Brun, de Gourgues,
Mérilhou. Mais elle n'est pas celle de C. de l'Isle, premier géographe du roi,
membre de l'Académie royale des sciences. Dans une carte dressée par lui. (carte du Bourdelois et du périgord, faite à Paris
en 1714, dont
je dois la communication à mon ami M. Paul Clergeaud, le Périgord-Noir serait
distinct du Bas-Périgord : il ferait suite à la Double et comprendrait le
Ribéracois et le Nontronnais dans la partie limitrophe de l'Angoumois.
[76] Au sortir de la province de Périgord, l'ancienne
route de Paris passait par Barbezieux et Châteauneuf. (H. Martin.)
[77] Bujeaud (ouvrage cité).
[78] Michel de Caslelnau de Mauvissière, auteur de
mémoires très estimés.
[79] Sismondi, t. XIX, p. 85.
[80] E. Gaullieur. (Ouvrage cité.)
[81] Guinodie, Histoire de Libourne. Comment. De Montluc.
[82] Eug. Gaullieur. Ouvrage cité.
[83] ouvrage cité.
[84] Histoire ecclésiastique de Th. de Bèze, tome II, p. 465.
[85] Duclos, Considérations sur les mœurs.
[86]
Dessalles, Histoire du Périgord. — L'abbé Audierne, Périgord illustré. — Recueil des titres de Périgueux. Paris 1775. On
trouve également des notions très complètes sur la municipalité de Périgueux,
dans la Sigillographie du Périgord par M. Ph. de Bosredon, et
dans le Dictionnaire topographique du
département de la Dordogne par M. de Gourgues.
[87] Discours sur l'histoire universelle, partie II, chap. XXVI.
[88] Commentaires de Blaise de Montluc.
[89] Recueil des titres de la ville de Périgueux.
[90] id.
[91] id.
[92] Recueil des titres.
[93] Histoire de la prise de périgueux par les Huguenots en 1575 et de la reprise de cette ville par les catholiques
en 1581, par M.
l'abbé Audierne, 1821, imprimerie Michelet, à Sarlat.
[94] id.
[95] La famille de Chillaud des Fieux a pour descendant
direct M. Jean-Julien Chillaud-Dumalne, chef d'une librairie militaire à Paris.
(Note de M. l'abbé Audierne dans la Prise de Périgueux.)
[96] La famille de Jean de Montardy, représentée
actuellement par MM. Edmond-Gaston et Elie de Montardy, est une des plus
aaciennes de notre province. En 146S, Jean, seigneur de Montardy, rendait
hommage à Alain d'Albret et en recevait privilèges. (Archives des
Basses-Pyrénées, E. 771.) En 1539, Antoine de Montardy était prieur de
Chancelade. En 1541, Arnaud de Montardy rend hommage à Henri de Navarre. (Archives
des Basses-Pyrénées, B. 1293, sur parchemin). En 1625, Suzanne de Montardy
était prieure au couvent de Saint-Pardoui, en Périgord
[97] Histoire de la prise de Périgueux, etc. Ouvrage cité.
[98] Id.
[99] Histoire de la prise de Périgueux, par M. l'abbé Audierne.
[100] R.P. Dupuy. Ouvrage cité.
[101] Ancien repaire noble, situé dans la commune de
Saint-Geniès, canton de Salignac. Ce château appartient à la
famille de Montmège.
[102] Le neveu succéda à son oncle en 1578.
[103] On aura des détails bien complets sur cette époque
si intéressante de notre histoire locale en lisant le Résumé de la relation des deux sièges de Sarlat, en
1587 et 1651, avec notes et
éclaircissements, par J. B. Lascous, ancien secrétaire général du Ministère de
la justice, ancien conseiller à la Cour de cassation. Paris, 1832.