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Source: Bulletin SHAP, tome I (1874), pp. 206-211.

 

CHARTE DÉLIVRÉE A L'ABBAYE DE SAINT-ASTIER

par pierre iii de saint-astier, EvEque de périgueux.

 

Nous devons à notre savant correspondant M. de Rencogne, président de la Société archéologique de la Charente, la communication d'une charte fort curieuse qui atteste l'intérêt que les évêques de Périgueux portaient aux abbayes de leur diocèse.

Ce document nous indique que Raoul, évêque de Périgueux, établit un chapitre collégial dans l'église de Saint-Astier et lui accorda de nombreux privilèges.

Raoul Ier occupa pendant treize ans le siège épiscopal (1000-1013) ; ce pieux évêque, secondé par le mouvement religieux que la reconnaissance inspirait aux populations, après les terreurs de l'an 1000, travailla à la restauration d'un grand nombre d'églises ou de monastères. L'église de Saint-Astier devait attirer son attention : une grotte et une fontaine, situées dans les environs, étaient devenues célèbres par le séjour d'un solitaire, mort dans le ive siècle ; son tombeau attirait depuis longtemps déjà beaucoup de pèlerins ; des guérisons avaient été obtenues, et la piété des fidèles amena la construction de l'église et de la petite ville de Saint-Astier.

Raoul songea à relever cette église, et, assisté des évêques de Toulouse, d'Angoulême et de Saintes, il présida la cérémonie de consécration. Le même jour, paraît-il, il fut procédé à une enquête sur la vie, les actions et les miracles de saint Astier[1], et, comme l'indique la charte qui suit, le zélé prélat érigea en église collégiale le monument qu'il venait de faire reconstruire, accordant en outre d'autres privilèges.

Plusieurs évêques se succédèrent jusqu'à Raymond III de Mareuil, qui confirma par écrit les prérogatives de l'abbaye de Saint-Astier. Le P. Dupuy[2] raconte la bonté et la piété de ce prélat qui, de 1147 à 1158, fonda plusieurs abbayes, consacra diverses églises et, notamment, celle de Cadouin, le 3 octobre 1154, consécration à laquelle assistaient les évêques d'Angoulême et d'Agen.

En l'année 1158, l'archevêque de Bordeaux venant à mourir, les évêques d'Angoulême, de Poitiers, de Périgueux et d'Agen furent chargés de désigner son successeur. Leur choix s'arrêta sur leur collègue Raymond, malgré les instances du roi d'Angleterre, Henri II, qui ne put vaincre leur noble indépendance. Le nouvel archevêque, conservant un affectueux souvenir à son premier diocèse et à ses chères abbayes, vint la même année visiter les religieux de Chancelade et mourut peu après, en 1159.

Pierre III de Saint-Astier, l'un de ses successeurs, délivra la charte que nous reproduisons, pour attester l'authenticité de celle de Raymond III ; il y confirme à son tour les privilèges accordés par ses prédécesseurs à l'abbaye de Saint-Astier. Cet illustre prélat a laissé à l'église du Périgord le souvenir de nombreux bienfaits, et l'on pourrait résumer sa vie dans ces trois mots : « Piété, dévouement et humilité. » Sa piété est attestée par ses œuvres et ses fondations[3] ; son dévouement se manifesta dans les luttes de la Cité et du Puy-Saint-Front ; Pierre de Saint-Astier, dit un docte écrivain[4], fut, pendant tout son épiscopat, un ange médiateur au milieu de son peuple. Enfin, dans son humilité, le grand évêque, désireux de déposer le fardeau de l'épiscopat, demanda plusieurs fois au Saint-Siège la permission de quitter son diocèse. Un pape lui écrivait : « Si vous n'étiez déjà évêque, ce serait à nous à vous appeler à cette portion de la sollicitude pastorale. » Il obtint pourtant l'autorisation demandée et se retira à Limoges, au couvent des Dominicains, en 1266, où il mourut en 1275 :

 

Petrus, Dei gratia Petragoricensis episcopus, universis presentes litteras inspecturis in Domino salutem. Litteras bone memorie Raymundi de Marolis, predecessoris nostri non abolitas, non abrasas, ipsius sigillo consignatas, nos vidisse noveritis et inspexisse in hec verba:

« R., Dei gratia Petragoricensis ecciesie licet indigne dictus episcopus, venerabili Gaufrido Sancti Asterii abbati ejusque successoribus totique conventui fratrum ibidem Deo servientium omnibusque in eadem ecclesia in futurum canonice substituendis, in futurum. Rerum mundanarum exigit fragilitas et temporalis ordinis inducit varietas ut ea que ob hominem fiunt ab hominum memoria decidant et oblivione evanescant. Verum que scripto commendantur facilius ad memoriam reducuntur. Ea propter presenti scripti pagina tam presentibus quam futuris notum fieri volumus quod ecclesia beati Asterii a multis retro temporibus a domino Radulpho bone memorie Petragoricensi episcopo cum de manso suo esset et in proprio predio suo fundata, canonici per ipsum ut majus Deo servitium exhiberetur, in eadem ordinati sunt. Hic equidem predictus episcopus hujusmodi libertatem predicte ecclesie concessit ut synodalia non redderet ; archidiaconus sive archipresbiter in ea nulle fungatur dominio. Nos equidem vestigia predecessoris nostri Radulphi sequentes, hec innovamus et innovando firmum et ratum haberi volumus. Innovamus etiam eorum antiquam consuetudinem et innovandam esse censemus ut firma et illabata teneatur, videlicet ut post ordinationem clericorum beati Frontonis, clerici beati Asterii, absque presentatione archidiaconi et archipresbiteri, sola presentatione abbatis sive cantoris vel alicujus honeste persone predicte ecclesie, benigna voluntate episcopi interveniente, Dei auxilio sine dilatione ordinentur. Innovamus iterum et innovando confirmamus ut crisma sive oleum infirmarum non ab archidiacano sive archipresbitero nisi ab ipsa sede et in ipsa sede predicta ecclesia recipiat, et cum ad nullius nisi a solius episcopi spectet dominium propter excessus baronum circunstantium ecclesia sancti Asterii sententiam interdicti nullo modo sustineat, nisi tamen malefactores ex ipsa villa sancti Asterii ad malefaciendum exierint, vel de malefaciendo in ipsam villam redierint. In ceteris autem ecclesiis que ad servitium beati Asterii a predecessoribus nostris sive a nobis in totum vel inpartem donate sunt, dignitatem et reverentiam archidiaconi sive archipresbiteri non negamus. Hec omnia, salvo jure et mandato episcopi canonico, firma et illabata teneri volumus et precipimus. Et ut hoc firmius et certius habeatur, scripto commendari et sigilli nostri auctoritate corroborari decrevimus. Hoc autem a nobis factum est anno ab Incarnatione Domini M°C°L°VIIII°, in urbe Roma presidente Adriano Papa IIII°, in Francia regnante illustri Ludovico rege, apud Petragoras, Bosone consule. »

Nos etiam Petrus episcopus, volentes omnia premissa et singula integra et illesa perpetuo permanere, ipsa inovando, concedendo, conftrmamus. In quorum omnium testimonium et perhennem memoriam venerabilibus viris abbati et capitulo dicte ecclesie Sancti Asterii presentes litteras concedimus nostro sigillo consignatas. Datum V Kalendas martii, anno Domini M° CC° quadragesimo mono.

 

Pierre (de Saint-Astier), par la grâce de Dieu évêque de Périgueux, à tous ceux qui verront les présentes lettres, salut dans le Seigneur. Vous saurez que nous avons vu et examiné des lettres de Raymond de Mareuil notre prédécesseur, lesquelles lettres ne sont ni détruites ni altérées et portent l'empreinte de son sceau ; en voici la teneur :

« Raymond, par la grâce de Dieu, malgré son indignité, nommé évêque de l'église de Périgueux, au vénérable Geoffroy, abbé de Saint-Astier, à ses successeurs, à toute l'assemblée des frères servant Dieu en cette abbaye, à tous ceux qui dans la suite les remplaceront canoniquement et pour l'avenir : — C'est une exigence de la fragilité des choses humaines et une conséquence de l'instabilité de l'ordre temporel, que ce qui est fait pour l'homme s'échappe du souvenir des hommes et disparaisse dans l'oubli. Mais ce qui est écrit revient plus facilement à la mémoire. Par ce motif, à l'aide du présent écrit, nous voulons que le présent sache et que l'avenir apprenne que, il y a fort longtemps de là, l'église de Saint-Astier faisant partie du patrimoine et étant bâtie sur le fonds propre du seigneur Raoul, évêque de Périgueux, de bonne mémoire, ce prélat, afin que Dieu fût mieux servi, établit dans cette église un chapitre de chanoines ; de plus il accorda à cette même église la franchise suivante, savoir : qu'elle serait exempte des droits synodaux et que ni l'archidiacre, ni l'archiprêtre n'aurait sur elle aucun droit. Et nous, suivant les traces de notre prédécesseur Raoul, nous renouvelons ces privilèges et en les renouvelant nous les confirmons et les affermissons. Nous renouvelons aussi leur antique coutume, et nous la renouvelons afin qu'elle soit tenue comme constante et non abolie, à savoir qu'après l'ordination des clercs du bienheureux saint Front, les clercs du bienheureux saint Astier soient ordonnés sans la présentation de l'archidiacre ou de l'archiprêtre, sur celle, seule, de l'abbé, du maître de chœur ou de tout autre dignitaire de l'église précitée, et cela, sans retard, avec le concours bienveillant de l'évêque et le secours de Dieu. Nous renouvelons encore, et en renouvelant nous confirmons pour ladite église, le privilège de recevoir le Saint-Crême ou l'huile des malades non de l'archidiacre ou de l'archiprêtre, mais de l'évêque même et de son palais épiscopal. Ensuite comme l'abbaye de Saint-Astier dépend uniquement de l'évêque, nous voulons que si, à cause des excès des barons environnants, une sentence d'interdit est portée, la susdite abbaye n'y soit nullement soumise, à moins toutefois que les malfaiteurs sortissent de la maison même de Saint-Astier pour accomplir leurs méfaits, ou se retirassent dans cette même maison après les avoir commis. Pour ce qui est des autres églises que nos prédécesseurs ou nous avons soumises en tout ou en partie au bienheureux Saint-Astier, nous ne les soustrayons pas au pouvoir et à la juridiction de l'archidiacre ou de l'archiprêtre. Nous voulons et nous ordonnons que tous ces privilèges soient stables et permanents, sauf le droit de l'évêque ordonnant canoniquement le contraire. En outre, afin que ces mêmes privilèges soient plus fermes et plus incontestés, nous avons décidé de les relater par écrit et de le corroborer par l'autorité de notre sceau. Donné par nous l'an 1159 de l'incarnation de Notre-Seigneur, sous le pontificat, à Rome, du pape Adrien IIIIe, en France sous le règne de l'illustre roi Louis, à Périgueux sous le consulat de Boson. »

Nous même, Pierre, évêque, désirant que tous les privilèges qui précèdent et chacun en particulier restent toujours entiers et intacts, nous les ratifions en les renouvelant et en les accordant. En témoignage de quoi et pour en perpétuer le souvenir, nous accordons aux vénérables abbé et membres du chapitre de ladite église de Saint-Astier les présentes lettres marquées de notre sceau. Donné le V des calendes de mars, l'an 1249.

 

L'original sur parchemin de ce précieux document, dont le sceau et les attaches ont disparu, fut offert en 1862 à M. de Rencogne, après avoir été trouvé dans la démolition d'un vieux mur de la métairie du Petit-Maine, en la commune de Feuillade (Charente).

Vicomte M. de Lestrade de Conti.



[1] Annales agricoles et littéraires, 1.1, p. 342.

[2] Estat de l'Église du Périgord, t. II, p. 46.

[3] Voir le Bulletin de la Société. 1re livraison, page 56.

[4] Mgr Dabert ; discours à l'occasion de la consécration de la chapelle de Sainte-Ursule, page 11.

 

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