Source : Bulletin SHAP, tome
XXII (1895), pp. 233-236.
DEUX LETTRES DU DUC D'ANJOU AU BARON
DE LA DOUZE (1569).
Ces lettres, que
nous allons publier pour la première fois, sont de nature à éclairer l'histoire
des guerres religieuses en Guyenne au commencement de l'année 1569.
Elles prouvent combien le duc
d'Anjou, frère de Charles IX, qui dirigeait alors les opérations militaires en
Poitou et en Angoumois, suivait avec intérêt les événements qui
s'accomplissaient en Périgord. Il se préoccupait surtout des mouvements de Clermont
de Piles, dont la ville de Périgueux redoutait les tentatives.
On lit à ce
propos dans l'histoire manuscrite de la ville par son maire-historien :
« Monsieur le duc d'Anjou, frère du roy,
qui estoit généralissime de toutes les forces catoliques par tout le royaume,
escrivit là dessus aux maire et consuls des lettres fort obligentes et qui nous
marquoient entre autres choses qu'il estoit bien content de nous et rendoient
lesmoignage comme quoy la ville avoit esté tousjours extrêmement fidelle a nos
roys. La suscription estoit à Mrs les maire et consuls de Périgueux, et elles
estoient escrittes et dattées du camp de La Roche-Posay le 2me febvrier
1569. »
Une semaine après cette lettre
indiquée par Chevalier de Cablanc, le duc d'Anjou écrivait au sénéchal du
Périgord pour l'engager à seconder de tout son pouvoir le comte Des Cars,
lieutenant du roi dans la province, auquel il avait donné l'ordre de faire
rompre les ponts sur la rivière de l'Ille, afin que les ennemis ne pussent s'en
servir (1).
Les 23 du même mois et 4 mars suivant, le prince faisait
appel au dévouement du baron de La Douze, auquel il adressait les deux lettres
suivantes, de son camp de Verteuil :
1° — «
Monsr de La Douze, d'aultant que je suis adverty que vostre maison
et chasteau de La Douze est l'une des plus fortes places qui soit en la Guyenne
et que je serois infiniment marry tant pour le service du roy que pour l'amour
de vous, que nos ennemys s'en fussent emparés et que je scay bien que peust que
vous y serez, vous vous donnerez sy bon ordre à la seureté et guarde dudit chasteau,
qu'ils n'auront aulcung moyen de s'en emparer. Je vous ay bien voullu escripre
la présente pour vous prier d'y prandre dilligemment guarde et n'en bouger pour
la guarder en l'obéissance du roy mondit seigneur et frère, et, en ce faisant,
vous lui ferez service aussy grand et aussi agréable que en quelque autre eust
où vous puissiez vous employer pour luy en faire, car sy nos dits ennemys s'en
estoient emparés, il seroit bien mal aysé de la reprandre et regaigner sur eux,
et pour ce que, par le désir et affection que je scay que vous pourtez au bien
et prospérité de ses affaires, je m'asseure que vous n'oblierez rien de ce qui
appartient à la seureté et conservation de vostre dicte maison. Je ne vous
feray la présente plus longue que pour prier Dieu, monsieur de La Douze, vous
avoir en sa saincte et digne guarde.
Escript
au camp de Verteuilh, le 23me jour de febvrier 1569.
Vous
pourres monstrer la présente aux baillifs et sénéchaux des lieux où vos terres
sont assizes, s'ils vous veullent poursuyvre à la contribution du ban et
arriere-ban, duquel j'entends que vous soyez exempt, faisant aultant de service
au roy monseigneur et frère, estant en vostre maison pour la guarde d'icelle,
que sy vous estiez en personne et en ceste armée, et s'il vous est besoing
d'ung certificat touchant l'exemption dudit ban, je vous en envoyeray un à
vostre première requeste.
Je vous
pry d'apprandre tout ce que vous pourrez des desseings desdits ennemys, quels
chemins ils tiennent, s'ils veulent passer à Bragerac, sy le pont en est rompu
, et du tout m'en advertirez en dilligence. »
2° — «
Monsr de La Douze, pour ce que le sieur de Montardit, que j'envoye
présentement trouver le sieur de Montluc, pourroit avoir affaire de vostre ayde
et d'escorte pour la seureté de sa personne ou de guydes pour le conduyre, je
vous ay bien voullu escripre la présente pour vous prier de luy en faire
bailher et l'adresser le mieux qu'il vous sera possible, m'asseurant bien que,
par le zelle et affection que vous pourtés au service du roy monseigneur et
frère, vous vous y employerez fort voullontiers, comme vous avez jusques à
présent faict en tout ce que vous avez cogneu estre du service dudit seigneur,
mesme à la guarde et conservation de vostre chasteau en son obéissance. En quov
je vous pry de continuer, et vous asseurant qu'où il s'offrira occasion de
faire pour vous, j'en auray mémoire pour vous faire cognoistre le contentement
que j'en ay, priant Dieu, monsieur de La Douze, vous tenir en sa saincte
guarde.
Escript
au camp de Verteuilh, le 4me jour de mars 1369.
(Ainsin signé) : Vostre bon amy, Henry;
Et
au-dessous est escript :
A M. de La Douze, chevalier de l'ordre du roy monseigneur et frère. »
Ces deux lettres ont été
collationnées sur les originaux par Jean du Castaing, greffier de La Douze, et
transcrites au greffe de la sénéchaussée de Périgueux le 7 mars suivant.
Le 13 mars, le
duc d'Anjou gagnait sur les protestants la bataille de Jarnac, après laquelle
la ville de Périgueux députait à son camp Pierre Arnaud « pour luy demander
avec instance qu'on fit le siège de Mussidan, qui nous incommodoit tousjours
beaucoup, » dit encore Chevalier de Cablanc.
Le baron de La Douze, qui recevait
de si hautes marques de confiance de la part du futur roi Henri III (2), était
Gabriel d'Abzac, seigneur de Barrière, de La Cropte, de Reillac et de Vergt, un
des personnages les plus considérables de son temps. Sa vie aurait, paraît-il,
exercé la verve de quelque biographe contemporain.
M. le marquis de
La Douze a publié dans notre Bulletin
(tome XII, p.
194) deux autres lettres que Henri III devait lui adresser après la prise de
Périgueux par les calvinistes.
A cette occasion, notre sympathique
collègue déplorait la rareté des documents concernant son aïeul. Les deux
lettres inédites du duc d'Anjou contribueront à nous montrer le vaillant
châtelain de La Douze comme un des plus fermes soutiens du parti catholique en
Périgord.
A. DUJARRIC-DESCOMBES.
(1) Voici le texte de sa lettre :
«
Monsieur le seneschal, j'escriptz presantement au conte Descars qu'il face
rompre tous les ponts qui sont sur la rivière de Lisle, ce que je vous ay bien
pareillement mandé, affin que de vostre cousté vous ne falliez à donner ordre
le plus promptement que vous pourrez à faire rompre lesdits pontz, en sorte que
nos ennemys ne s'en puissent servir pour leur passage. Priant Dieu, monsieur le
seneschal, vous tenir en sa saincte garde.
Escript
au campt, le neufviesme jour de febvrier mil cinq cent soixante-neuf.
(Ainsin signé) : Le bien vostre, Henry.
Et à la suscription : A Monsieur le seneschal de
Périgueux. »
(2) Il avait aussi la confiance
de Charles IX, dont il eut commission le 30 mai de cette année 1569 pour donner
le collier de l’ordre à Clinet d’Aydie, seigneur de Caylus et de Ribérac.