Source : Bulletin SHAP, tome
XXII (1895), pp. 113-118.
TESTAMENT D'HÉLÈNE, VEUVE DE R. VIGIER, CHEVALIER, DE TERRASSON
(1260).
Le testament,
dont le texte est publié ici pour la première fois, fait partie des archives
que M. le marquis de Saint-Exupéry possède au château du Fraisse, près de
Terrasson.
C'est un parchemin haut de 0m13
sur 0m22 de largeur; les sceaux ont été enlevés. Le texte contient
21 lignes d'écriture : on en doit la restitution à M. G. Tholin, archiviste du
Lot-et-Garonne.
La testatrice, Hélène, devait être
l'alliée de Bertrand Vigier, abbé de Terrasson, et appartenir à la famille du
Fraisse, dont un des membres, Raymond, damoiseau du château de Terrasson, est
l'auteur d'un testament (1333) présenté à notre Société dans la séance du 5 avril
dernier.
La veuve de R. Vigier testa au mois
de septembre 1260 de la manière suivante :
In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, amen.
Anno Domini M°CCLX°
mense septembris, ego Helena quondam uxor R. Vigerii mililis, bone memorie,
existens in mea sana memoria, de rebus meis ordino in hunc modum et meam ultimam
voluntatem condo. In primis eligo sepulturam meam cum viro meo in claustro
monasterii Terracinensis, si continguat me mori infra unam leucam dicte ville,
et lego monasterio predicto duo sextarios frumenti et X solidos lemovicensis
monete que habeo in manso qui dicitur Deusperiers. Et volo quod in die obitus mei faciant michi unum anniversarium
pro me et pro parentibus meis annuatum. Item, lego capellano meo Terracinensi
unum de pannis meis. Item, volo quod per annum fiat oblacio pro anima mea
cotidie in monasterio Terracinensi, si sepelior ibidem. Item, lego omnibus
monachis Terracinensibus unicuique XII denarios. Item, omnibus capellanis qui
interfuerint sepulture mee, unicuique XII denarios, diaconibus VI denarios,
subdiaconibus IIII denarios, aliis clericis unum denarium. Item, omnibus
pauperibus qui interfuerint sepulture mee unum panem duorum denariorum; omnibus
pauperibus hospitalis Terracinensis panem et vinum in die obitus mei. Item,
leprosis ejusdem ville panem et vinum in die obitus mei ; Templo et hospitali
ultramarinis unicuique V solidos ; domino episcopo Petragoricensi V solidos ;
operibus Sancti Frontonis et Sancti Stephani unicuique XII denarios. Item,
omnibus ecclesiis que sunt infra leucam ville Terracinensis unicuique XII
denarios ; Fratribus Minoribus de Montiniaco.... solidos ; Fratribus
Predicatoribus Petragorii X solidos ; monialibus de Cubas XXX solidos lemovicensis
monete ; monialibus de La Guarda XII denarios ; item, Fratribus Grandimontensibus
de Char …. Pe Girbert utricuique III
solidos; Fratribus de Bonofonte XII denarios.
Item, lego nepti mee, filie Willelmi Faidit X
libras ad maritandum eam. Si vero ……….. lego predictas X libras Willelmo fratri dicte neptis. Item, lego
Philipe, uxori Guidonis Liapec C solidos. Item, lego Willelmo filio Philipe
………….. integrum. Et, ad supradicta
complenda, accipio centum libras currentis monete, quas habeo pro dote et dono
super hereditate R. [Vigerii]... quondam viri mei. Et, si quid residuum fuerit, omnibus supradictis
completis, lego illud monasterio Terracinensi, tali pacto quod accipiant, sicut
michi promiserunt abbas et conventus Terracinenses, Willelmum Liapec supradictum in monachum et in fratrem.
Excepto etiam quod debita mea solvantur per integrum et clamores. Exequtores
vero hujus mee ultime voluntatis constituo dominum abbatem Terracinensem et
dominum capellanum ejusdem ville ; et volo quod omnia compleant cum consilio et
consensu prioris Fratrum Predicatorum Petragorii et guardiani Fratrum Minorum
de Montiniaco, et habeant plenariam potestatem omnium rerum mearum mobilium et
irnmobilium donec totum, prout dixi, fuerit persolutum. Et volo ut hec mea ultima
voluntas valeat eo modo quo valere potest, vel jure testamenti perfecti vel
imperfecti, in scriptis vel sine scriptis, vel jure codicillorum vel saltem
jure cujuslibet alterii voluntatis. Huic mee ultime voluntati testes vocavi
Bertrandum Vigerii, priorem Terracinensem, Helias de Fas et B. Delluc, monacos
ejusdem ville, B. Laquasso, clericum, Ademarum de Nozareda. Et rogavi fratrem
G. de Nozareda, priorem Fratrum Predicatorum Figiaci ….. et Bertrandum Vigerii, priorem supradictum, et P. Lacomba,
capellanum Terracinensem, ut istam meam ultimam dispositionem sigillis suis
propriis sigillarent, quod et fecerunt.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.
En l'an du
Seigneur 1260 et au mois de septembre, moi, Hélène, veuve de feu R. Vigier,
chevalier, de bonne mémoire, étant en pleine connaissance, je dispose de mes
biens de la manière suivante et j'établis ainsi mes dernières volontés.
D'abord, je désire être ensevelie avec mon mari, dans le cloître du monastère
de Terrasson, s'il m'arrive de mourir dans le rayon d'une lieue de ladite
ville, et je lègue audit monastère deux setiers de froment et dix sols en
monnaie de Limoges que j'ai dans la manse appelée des Périers. Et je veux qu'au
jour de ma mort il soit fait un service anniversaire et annuel pour moi et pour
les miens. Item, je lègue à mon chapelain de Terrasson un de mes vêtements.
Item, je veux qu'il soit fait chaque jour, pendant un an, dans le monastère de
Terrasson, une offrande pour le repos de mon âme, si je suis enterrée dans
ledit monastère. Item, je lègue à tous les moines de Terrasson XII deniers pour
chacun. Item, à tous les chapelains qui assisteront à mon enterrement, à
chacun, XII deniers, aux diacres VI deniers, aux sous-diacres IIII deniers, un
denier à chacun des autres clercs. Item, à tous les
pauvres qui assisteront à mon enterrement un pain de deux deniers ; à tous les
pauvres de l'hospice de Terrasson, le pain et le vin pour le jour de mon décès
; item, aux lépreux de la même ville, le pain et le vin pour le jour de mon
décès ; au Temple et à l'hôpital d'outremer, à chacun V sols ; au seigneur
évêque de Périgueux (1), V sols ; aux œuvres de Saint-Front et de Saint-Etienne
pour chacune XII deniers ; item, à toutes les églises qui sont à moins d'une lieue de la ville de Terrasson, à
chacune XII deniers; aux Frères Mineurs de Montignac ….. sols; aux Frères
Prêcheurs de Périgueux, X sols ; aux religieuses de Cubas, XXX sous en monnaie
de Limoges ; aux religieuses de la Garde, XII deniers; item, aux Frères de
Grandmont de …… à chacun III sols; aux Frères de Bonnefont, XII deniers; item,
je lègue à ma nièce, fille de Guillaume Faidit, dix livres pour la marier. Mais
si [elle meurt avant moi], je lègue les dix livres précitées à Guillaume, frère de ladite nièce. Item, je
lègue à Philippe, épouse de Guidon Liapec, cent sols. Item, je lègue à
Guillaume, fils de Philippe …… entier. Et pour solder les legs précités,
j'accepte les cent livres de monnaie courante que j'ai pour dot et donation sur
l'héritage de R. [Vigier], autrefois mon époux. Et si, après avoir délivré tous
les legs ci-dessus énumérés, il reste quelque chose, je lègue ce reste au
monastère de Terrasson, à la condition qu'ils recevront, ainsi que me l'ont
promis l'abbé et le couvent de Terrasson, ledit Guillaume Liapec comme moine et
comme frère. Je réserve, toutefois, que mes dettes soient payées en entier et à
la suite de proclamation. J'institue pour exécuteurs de mes dernières volontés
le seigneur abbé de Terrasson et le seigneur chapelain de la même ville ; et je
veux qu'ils fassent tout du conseil et du consentement du Prieur des Frères Prêcheurs
de Périgueux et du Gardien des Frères Mineurs de Montignac, et qu'ils aient
pleins pouvoirs sur tous mes biens meubles et immeubles, jusqu'à ce que tout
soit payé comme je l'ai dit. Et je veux que ma dernière volonté soit valable
selon la forme dans laquelle elle peut être valable, par droit de testament
parfait ou imparfait, écrit ou non écrit, ou par droit de codicille, ou de tout
autre témoignage de volonté. J'ai appelé comme témoins de mes dernières
volontés Bertrand de Vigier, prieur de Terrasson, Hélie de Fas et B. Delluc,
moines de la même ville, B. Laquasso, clerc,
Adhémar de Nozarède. Et j'ai prié le Frère G. de Nozarède, le prieur des Frères Prêcheurs de Figeac, et Bertrand de
Vigier, prieur susnommé, et P. Lacombe, chapelain à Périgueux, de sceller de
leurs sceaux l'acte exprimant ma dernière volonté, ce qu'ils ont fait.
Ce
document, rédigé sous l'épiscopat de Pierre de Saint-Astier, fournit des
renseignements que l'histoire religieuse du Périgord pourra utiliser. Les
articles relatifs aux legs fournissent une longue nomenclature d'établissements
ecclésiastiques. Les institutions d'outre-mer, les chevaliers du Temple n'y
sont pas plus oubliés que les lépreux et les pauvres de Terrasson. On
remarquera la clause d'après laquelle l'abbaye ne recevra le surplus de
l'hérédité qu'à la condition d'ouvrir ses portes à un moine.
Mais, sans contredit, la mention la
plus importante est celle des travaux que l'on exécutait alors à Saint-Front et
à Saint-Etienne de Périgueux : « operibus
Sancti Frontonis et Sancti Stephani unicuique XII denarios. »
On sait que le mot opus ne s'entend pas d'œuvre pie.
Dans les textes du XIIIe siècle, il
désigne une œuvre matérielle.
Nous en citerons chez nous un seul
exemple tiré du testament de Bernard de Raymond, en date du 27 novembre 1286.
Ce chevalier voulut contribuer à la construction du pont de Saint-Astier par un
legs, dont nous devons la connaissance à notre érudit collègue M. Durand :
« Item, operi pontis Sancti
Asterii, VIII solidos semel solvendos » (2).
A quelles
constructions relatives à l'église abbatiale de Saint-Front et à l'église
cathédrale de Saint-Etienne doit-on appliquer le double legs de douze deniers
fait par la dame veuve Vigier? Depuis longtemps, les deux édifices étaient
achevés, dans ce sens que leurs clôtures et leurs voûtes étaient complètes.
Mais on n'ignore pas combien de restaurations exigent des monuments de cette
grandeur, sans compter les additions que de tout temps on s'est bien facilement
permis de faire au plan primitif.
Dans son étude
détaillée des deux basiliques, le comte de Taillefer en a signalé des traces
non équivoques, antérieurement même à l'époque qui nous occupe.
En ce qui concerne Saint-Front, ce
ne fut pas tout d'un trait que l'on put réparer les dégâts occasionnés à
l'église et au monastère par l'incendie arrivé en 1120 sous l'épiscopat de
Guillaume d'Auberoche.
L'auteur des Antiquités de Vésone croit pouvoir reporter au XIIIe
siècle la réfection de la porte d'entrée du porche et celle des cloîtres,
notamment les arcades de la galerie de l'ouest. Le simple examen lui permit de
fixer les âges des diverses constructions de l'ancienne collégiale devenue
cathédrale en 1669 et de ses dépendances. Il faut bien s'en rapporter aux
observations du savant antiquaire, puisque la reconstruction complète de
Saint-Front a rendu désormais impossible une pareille étude.
Quant à l'église de la Cité,
refaite plusieurs fois en totalité ou en partie, elle fut toujours reconstruite
en parallélogramme, suivant la forme de la plupart des anciens temples; et son
allongement du côté de l'est, commencé, d'après M. de Taillefer, dans le XIIe
siècle, a bien pu n'être achevé qu'un ou deux siècles plus tard (3). Il faut
considérer que là, comme à Saint-Front, les constructions importantes ont eu
lieu en des temps de guerres et de dévastations : suspendues et reprises à
divers intervalles, elles ont duré plusieurs centaines d'années.
C'est ainsi que
le testament de la veuve du chevalier Vigier ajoute une date nouvelle à celles
déjà connues d'une manière positive des restaurations dont nos deux grandes
églises périgourdines ont été l'objet dans le cours des siècles.
Observons, en
terminant, que cette préoccupation des travaux publics devint héréditaire dans
la famille du Fraisse. Ce damoiseau dont nous avons parlé, Raymond, tint aussi,
par son testament, à coopérer à la construction de l'église et du pont de
Terrasson : « Item, lego edifficio
ecclesie Sancti-Juliani de Terrassino quinque solidos monete currentis semel,
edifficio pontis de Terrassino quinque solidos monete currentis semel
solvendos. »
A. Dujarric-Descombes.
(1) c'était un usage dans en temps de
laisser par testament quelques legs pies aux évêques. On les regardait, sans
doute, comme les pères communs des pauvres de leur diocèse, et on était
persuadé que c'était faire du bien à ceux-ci que de mettre les évêques en état
de les soulager.
(2) Archives de l'hôtel-de-ville
de Périgueux, série II.
Une charte d'Agen de 1280, publiée dans le recueil des travaux de la Société d'agriculture, des sciences et arts d'Agen (n° LXI), contient cette mention de la construction d'un pont sur la Garonne : « coucesserunt operi seu fabrice pontis qui construitur super flumen Garone. »
(3) Nous possédons des documents qui nous montrent le chapitre prenant, en 1333 et 1387, des mesures pour venir en aide aux réparations de leur église cathédrale.