Source : Bulletin SHAP, tome
XXIV (1897), pp. 310-68.
LES SEIGNEURS DE BERGERAC. (Fin) (1)
JEANNE DE PONS, DAME DE BERGERAC, MONTIGNAC, ETC.
Jeanne de Pons, fille de Renaud de
Ions et d'Isabeau de Lévis, avait épousé Archambaud IV, comte de Périgord, fils
d'Elie VII et de sa seconde femme, Brunissende de Foix, suivant les articles ou
pactes stipulés à Mirepoix, le 6 des kalendes de septembre 1313. Renaud avait
constitué en dot à sa sœur 500 livres de rente (2).
M. Dessalles a
raconté en détail (3) le procès auquel donna lieu la succession d'Hélie Rudel
entre Mathe d'Albret, veuve de celui-ci, et le comte de Périgord, agissant tant
en son nom qu'en celui de sa femme. Sans attendre l'issue du procès, Archambaud
s'empara par la force de la seigneurie de Bergerac.
Suivant
transaction passée en 1334 devant Domingue, notaire royal, fut adopté le texte
des coutumes et franchises de la ville de Bergerac. Cette transaction, dans
laquelle intervint Jeanne de Pons, autorisée de son mari, contenait 132
articles qui formèrent la seconde partie des statuts et des coutumes de la cité
; elle ne fut approuvée qu'en 1337 par Philippe de Valois.
Jeanne mourut en
1335, peu de temps après avoir testé en faveur de son mari, qui lui survécut
seulement de quelques jours.
ROGER
BERNARD, COMTE DE PÉRIGORD, SEIGNEUR DE BERGERAC.
Roger Bernard,
comte de Périgord, tout en se qualifiant héritier de son frère Archambaud et de
Jeanne de Pons, se maintint par les armes en Bergerac. Pendant ce temps, les
procédures continuaient devant le Parlement de Paris (1336).
Lespine a résumé dans les termes
suivants l'objet du litige et la transaction qui y mit fin :
« Roger Bernard, dit-il, était en possession de la succession
de Jeanne de Pons, qui avait recueilli celle de Renaud, son frère. Mais il y eut
des prétentions à celle de ce dernier. L'un d'eux fut Robert de Matha, sieur de
Mornac.
Les autres
prétendants étaient le sire d'Albret (héritier de Mathe d'Albret), Renaud de
Pons et Jeanne de Matha.
Le procès fut porté au Parlement de
Paris.
Roger Bernard soutenait que la
ville de Bergerac et ses appartenances et autres terres, que Renaud de Pons,
seigneur de Bergerac, tenait en Périgord, Bordelois, Bazadois, Saintonge, Carcassonnois
et ailleurs, lui appartenaient, tant à cause de Jeanne de Pons, femme
d'Archambaud, que de lui-même.
Les châtellenies de Montignac et de
Moncuq avaient aussi appartenu à Renaud, qui y avait hypothéqué et affecté la
dot de Jeanne, sa sœur. Le sire d'Albret s'empara des paroisses de ces
châtellenies.
Pour terminer ce
procès, le comte et le cardinal de Talleyrand, son frère, supplièrent le roi
Philippe de Valois de faire examiner en son conseil le droit du comte, pour en
traiter avec lui et les autres prétendants. Ce prince ayant incliné, après
avoir fait examiner en son conseil les droits du comte, les commissaires,
députés par Sa Majesté, en traitèrent avec son procureur fondé, et il fut
accordé :
1° Que tout droit que le comte avait
ou pouvait avoir en quelque façon que ce fût sur les dites terres, il
appartiendrait au comte, ses héritiers, ou ayant-cause, en propriété,
perpétuellement (sous l'assignat, déduction sur icelui et aux conditions
stipulées et réservations faites par Sa Majesté), les châtellenies et terres de
Montignac et de Moncuq, compris les paroisses qu'y tenait le sire d'Albret ;
avec toute justice et droits utiles et honorifiques. Lesquels lieux et autres,
jusqu'à la concurrence fixée (1,200 livres), Sa Majesté promet de
garantir à ses propres frais et dépens, envers
et contre le sire d'Albret, Renaud de Pons, Robert et Jeanne de Matha et contre
tous autres prétendants quelconques.
2° Au moyen de ce, le procureur fondé
du comte cède et transporte au Roi et à ses successeurs tout le droit que le comte avait et pouvait
avoir sur la ville de Bergerac et sur les autres lieux quelconques qui avaient
appartenu à feu Renaud en quelque part et sous
quelque dénomination qu'ils soient, auxquels le procureur fondé a renoncé en
faveur de Sa Majesté. Le tout mentionné amplement dans ce traité que le Roi,
par autorité royale, confirma et ratifia par ses lettres patentes données au
Bois de Vincenne l'an 1339, le 9 mars, et scellées. (Trésor des Chartes, à Pau) (4) ».
A dater
du traité de 1339, la seigneurie de Bergerac fut
rattachée à la couronne de France, du moins en
principe, car l'occupation anglaise devait se prolonger encore. C'est ainsi que
le 4 août de l'année 1363 plusieurs seigneurs et
gentilshommes firent hommage à Edouard III, roi d'Angleterre, dans la chapelle du château
de Bergerac (5). Quoiqu'il en soit, à partir de cette époque, le sort de
la ville de Bergerac n'est plus lié à celui d'un seigneur, penchant tantôt pour
la France, tantôt pour l'Angleterre ; son rôle politique s'accentue en même
temps que sa vie municipale se développe, et son histoire se confond désormais
avec l'histoire nationale. Nous sommes dès lors arrivé au terme de notre étude
sur la seigneurie de Bergerac ; mais notre intention est de poursuivre, si le
temps ne nous fait pas défaut, le cours de nos recherches sur le passé si
intéressant de notre chère ville natale.
Nous avons indiqué, dans les Notes et documents relatifs aux
institutions de la ville de Bergerac avant 1789, les principales lignes de
l'organisation municipale donnée à cette ville en vertu de la transaction de
1329, que vint compléter celle de 1337. Depuis, nous avons trouvé dans le
supplément au tome premier des Rôles gascons, supplément publié par M. Charles Bémont (6), une lettre
patente en date du 16 janvier 1255, par laquelle le prince Edouard
d'Angleterre, lieutenant du roi en Guyenne, accorde aux nobles et bourgeois de
Bergerac le droit d'avoir un maire, des jurats et une commune, suivant la
constitution donnée par ses prédécesseurs à la ville de Bordeaux. Le même acte
prescrit l'amendement, selon certaines formes, des abus qui s'étaient glissés
dans les coutumes. En outre, le prince déclare exonérer le maire, les nobles et
les bourgeois de Bergerac, des tailles et autres 23 impositions
extraordinaires, si ce n'est pour l'utilité et les nécessités communes, et du
consentement des intéressés.
Ce document est important, car il
permet de faire remonter à une époque plus reculée l'organisation municipale de
Bergerac, et il témoigne de l'ancienneté des coutumes et des franchises de
cette ville.
Elie de BIRAN.
(1) Voir Bulletin de la Société
historique et archéologique du Périgord, t. XIII, p. 394 et suiv., t. XV, p. 94 et suiv., et t. XXII, p. 292 et suiv.
(2) Lespine, vol. 48, p. 339.
(3) Dessalles, Histoire du Périgord, t. II, p. 178 et suivantes.
(4) Lespine, vol. 48, p. 340.
(5) Lespine, vol. 48, p. 340.
(6) Imprimerie nationale, 1806, p. 12, n° 4378. « Concessimus et
concedimus dilectis nostris militibus et burgensibus de Brigeriaco quod de cetero
majorem, juratos, et communitatem habeant, secundum formam Burdegalensibus
concessam a predecessoribus nostris ; item, quia per dominos Brageriaci dicebant quedam bona sua hereditaria
indebite occupata et consuetudines malas inductas, volumus et coucedimus quod
emendentur hec omnia, ita quod super hoc credatur quinque militibus et quinque
burgensibus ejusdem loci honestis et ad hoc electis et non suspectis nobis vel
ipsis in hac parte, et omnes alie bone consuetudines conserventur eisdem... A
questis eciam et talliis majorem, milites et burgenses ceteros apud Brigeriacum
commorantes absolvimus et quitamus, nisi pro communi utilitate et necessitate
ville cum bona voluntate ipsorum fuerint faciende ».