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Source : Bulletin SHAP, tome XXXIX (1912)

 

pp. 284-287.

CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DE LA RÉFORME EN PÉRIGORD

 

Les trois lettres qui suivent figurent parmi les documents que j'ai retrouvés aux Archives départementales et dont il a déjà été question dans le Bulletin (t. XXXIX, p. 128 et 145).

La première, du 10 mai 1561, est adressée par Bernard de Laplace, à Jacques André, sénéchal de Périgord, pour le prier d'intervenir à temps dans le conflit qui menace d'éclater à Saint-Laurent-des-Hommes, canton de Mussidan, entre les catholiques et les réformés conduits par le ministre de Mussidan.

La seconde est adressée par Charles de Coucy, sieur de Burie, lieutenant pour le Roi en Guyenne, au même sénéchal de Périgord. Elle est datée de Burie, le 4 novembre 1561. Burie, en envoyant au sénéchal, copie de lettres du Roi sur le fait delà religion, les fait suivre d'instructions confidentielles qui ont pour l'historien la plus haute importance, et qui précisent bien la politique suivie par le sieur de Coucy, au moment où il éprouvait en Guyenne les pires difficultés.

La troisième enfin est signée de Montluc, le compagnon et le collaborateur de Burie en Guyenne et est adressée, d'Estillac, au juge mage et au procureur du Roi de Périgueux (23 juillet 1566). C'est là encore un document capital, au style nerveux et évocateur, et qui nous confirme le rôle joué par le sieur de Saint-Astier des Bories dans l'introduction à Périgueux des idées protestantes.

1561, 10 mai, Parrossias. — Lettre de M. de Laplace au sénéchal de Périgord, Monseigneur, Monsieur le Sénéchal de Périgord,

Monseigneur,

Les habitans de la parroysse de Sainct Laurens me sont venus remostrer comment celluy qu'on dict le ministre de Mussidi et grand nombre de ses complices ont entreprins venir mecredy prochain au matin pour, l'asseure, prendre et se saysir de l'esglise et temple dudict lieu de Sainct Laurens, pour faire illec dors en avant ordinerement leur prêche, ou, s'ilz n'y prennent entrée du premier jour, feront leur dict presche soubz ung grand harnaut qui est devant la porte de la-dicte esglise, de sorte, comme ils dient, qu'il ne sera plus dict de messes dans ladicte esglize. Desja, ilz se sont saisys de la chappelle de Benevant en ladicte parroysse, ou personne n'entre que eulx, et ne ce veulent contenter pour remostrance qu'on leur face et menassent de mettre tout au couteau, comme avoyent délibéré faire, si personne ce feust mictze devant eulx quant prindrent ladicte chappelle. Si est ce que ceulx de ladicte parroysse, qui ne sont de ladicte cepte, ont intencion repoudier ce dit ministre et ses gentz et leur courir sus, que ne ce pouroyt fere sans grandz excès. A ceste cause, Monseigneur, nous vous supplyons très affectueuzement nous conduire, conseilher et y mettre quelque bon ordre pour les ungz et pour les aultres, autrement ce y fera quelque grand deshordre. Nous vous serons toute notre vye de plus fort tenus. A taut prye, le seigneur Dieu, Monseigneur, vous tenir en sa saincte grâce, me recommander très, humblement à la vostre.

De votre maison de Parrossias, ce Xe mai... Vostre très humble, obeyssant serviteur et amy

De Laplace.

Portée à M. le sénéchal le XII may 1561, par Jacques Crouseil, habitant du bourg de Saint Laurens, jurisdiction de Montpon. Original papier.

1561, 4 novembre, Burie. — Lettre de M. de Burie, lieutenant pour le Roi en Guyenne, à Jacques André, sieur du Repaire Martel, sénéchal de Périgord.

A Monsieur le Sénéchal de Périgort ou son lieutenant, à Périgueux.

Monsieur le Sénéchal,

J'ay présentement receu des lettres patentes du Roy, déclaratives de son voulloir et intention sur plusieurs choses qui estoient, pour le temps présent, revocquées en doubte entre ses subjectz de ce gouvernement, touchant le faict de la religion-, et d'aultant que Sa Majesté ma expressément commandé de les faire publier par toutes les sénéchaucées de ce dict gouvernement, je n'ay voullu faillir de vous en envoier incontinant ung double deuement collationné, auquel vous adjousterez foy comme au propre original, suyvant le voulloir dudict seigneur, pour le faire promptement lire, publier et enregistrer tant en la ville cappitalle de votre sénéchaucée que a toutes les aultres d'icelle, a ce que chacun soit adverty de son debvoir et ne le puyse ignorer par cy après. Lesquelles lettres je vous enjoinctz très expressément, en tant qu'a moy est faire observer et garder de point en point, inviollablement, sur les peynes y contenues, sellon le bon plaisir du Roy ; et s'il y a quelque diversité a ce qui a par moy esté arresté, accordé et estably entre ceulx des deux religions, il fault qu'ilz s'y accomodent, en attendant que le dict seigneur y ayt aultrement pourveu, comme il est après, ainsy que de bref vous et eulx entendrez. Ce pendant, je vous ordonne, et aulx aultres officiers de vostre séneschaucée de vous comporter doulcement envers eulx èz choses que verrez ne pouvoir empescher, sans grant trouble et y claignez les yeux pour ung temps et les laissez couler, car de y procéder aultrement il n'y a moien, et seroit à craindre qu'il advint pyz que devant. Mais bien veult le dict seigneur que, s'il se trouve encores de ses séditieux et mutins, vous les faciez bien chastier ; car, tout ainsy qu'il n'en fault que deux ou trois pour corrompre toute une ville, aussy la pugnition de deux ou de trois est suffisante pour sauver ung bon pays. Je vous prye, Monsieur le Sénéchal, ne faillir à m'envoyer le procès-verbal de ladicte publication et me faictes certain de son efficacité dans quinzaine précizément, affin que je puisse faire apparoir à Sa Majesté de vostre dilligence et de la mienne, suyvant son commandement, pryant Dieu en cest endroit vous donner bonne et longue vye.

De Burie, ce iiiie jour de novembre 1561.

Votre entièrement bon amy,                             Burie.

Original, papier, traces de cachet.

1566, 23 juillet, Estillac. — Lettre de Montluc à Pierre de Marquessac, écuyer, conseiller du Roi, son lieutenant et juge-mage et au Procureur du Roy au siège de Périgueux.

Messieurs les Juge mage et procureur du Roy en la Séneschaucée de Périgort au siège de Périgueux.

Messieurs,

Dernièrement que j'estois à Périgueux, vous me fistes sy bien apparoir des dilligences par vous faictes contre les contrevenants aulx éditz du Boy que je ne puys mainctenant guières bien vous accuser de négligence ou connivence, pour n'avoir vacqué aulx contraventions ausdicts éditz depuis advenus en vostre ressort, ny m'en avoir ad-verty. Sy est-ce que je trouve bien qu'il y a du deffault de vostre debvoir, mesmes pour n'avoir procédé contre ceulx qui s'assemblèrent le dimanche viie de ce mois en la terre du sieur des Bories, avec grand nombre de personnes aultres que de ladicte terre, ou ilz firent la Cène sellon la nouvelle religion ; de quoy il a fallu que les maire et juratz se soient ingérez d'informer pour le bon zelle qu'ilz ont au service du Roy et au repoz public, a faulte que vous n'y avez mis la main. Et d'aultant que par l'édict faict à Roussillon, le iiiie aoust mil vc Lxiiii, il vous est enjoinct de procéder contre les seigneurs qui recevront ez presches et assemblées qu'ilz font faire en leurs maisons, pour le faict de ladicte nouvelle religion, aultres que leurs subjectz que librement y vouldront aller, a peyne de saisie de leur fief et privation de leur jurisdiction ; je vous envoyé lesdictes informations faictes par lesdicts maire et jurats de Périgueux pour vous sertir d'instructions, et vous prie et néammoings ordonne de procéder contre ledit sieur des Bories dilligemment par lesdictes peynes ou vous en respondrez vous mesmes ; en ayant informé, envoyez moy extraict de voz informations affin que j'en advertisse le Roy. En cependant tirez oultre, jusques a ce que vous ayez besoing de force, et lors que me le ferez entendre, j'en fourniray, de tant que les commandemens du Roy et de sa justice seront exécutés et acomplys. M. de Rambouillet (1) m'a, ces jours passez, apporté une lettre de Sa Majesté par laquelle son voulloir et intention est bien amplement declairé. Ces porteurs en ont pris coppie, laquelle ilz vous communiqueront et en pourrez prandre ung double, affin que vous l'ensuivez de vostre part, comme je feray de la mienne, ainsy qu'il m'est commandé. En attant je vois prier Dieu, Messeigneurs, vous donner bonne et longue vye.

De Stillac, ce xxiiie de juillet 1566.

Votre meilleur et plus asseuré amy,

De monluc.

Original, papier, cacheté.

Pour copie conforme : G. Lavergne.

 

(1) Nicolas d'Angennes, vidame du Mans, lieutenant général des armées du Roi.

pp. 482-485.

LA MONNAIE ROYALE DE DOMME

On sait que lorsque Charles V dénonça le traité de Brétigny, le Périgord tout entier embrassa le parti du roi de France. En récompense de leur altitude loyaliste, la plupart des villes closes de la province obtinrent alors du duc d'Anjou (2), lieutenant pour le Roi en Languedoc, confirmation ou extension de leurs privilèges. Ainsi en fut-il pour Périgueux, Sarlat, Carlux, Montagrier et Domme (1369-1370 (3).

Domme, qui avait particulièrement souffert des guerres anglaises, reçut, entre autres compensations, le droit d'avoir une fabrique de monnaie. Après l'achat de cette place par Philippe le Hardi, le sénéchal de Normandie, chargé de l'agrandissement de la ville, y avait fait dresser une batterie de menues monnaies pour payer les ouvriers (4). C'est peut-être ce souvenir, rappelé par les habitants, qui influa sur la décision de Louis d'Anjou. Eu effet, par lettres patentes données à Toulouse le 14 avril 1370 (n. st.), le second fils du roi Jean, lieutenant général en Languedoc, confirmant les anciens privilèges de Domme, ajoutait :

« volentes insuper ac etiam concedentes pro dictis consulibus singularibusque habitatoribus dicti loci Montis Dome, auctoritate, sciencia et gracia quibus supra ut ibidem moneta fiat seu fieri possit et valeat » (5).

On n'a que peu de renseignements sur l'organisation et le fonctionnement de ce petit atelier monétaire. Pillé en 1384 par des malfaiteurs, émissaires d'Archambaud V, se disant gens d'armes du Roi (6), il était peu après un centre actif de faux-monnayage. En 1384, le 23 juillet, Jean, fils de France, duc de Berry et Auvergne, lieutenant général en Guyenne, mandait au sénéchal de Quercy de ne pas contraindre les habitants de Cahors à prendre les monnaies fausses fabriquées à Agen, à Villefranche-de-Rouergue et à Domme (7); le 13 octobre 1388, un mandement analogue du roi Charles VI était adressé au sénéchal de Saintonge (8). Néanmoins, lorsqu'en 1438, la ville fut reprise par les Anglais, le Roi promit d'y établir les assises, la cour du petit sceau et la fabrication des espèces d'or et d'argent (9). Sur la foi de Tarde, on frappait toujours la monnaie à Domme dans le début du XVe siècle (10).

Cent vingt ans plus tard, la monnaie de Domme n'était guère qu'un souvenir, comme l'atteste un curieux document conservé dans le fonds de Domme aux Archives départementales de la Dordogne (série E.)

C'est une enquête ordonnée par Bernard de Saulière, élu pour le Roi en Périgord, à l'occasion d'un procès entre les consuls et habitants de Domme et le procureur du Roi en l'Election, qui voulait astreindre cette commune à payer la taille, malgré ses anciens privilèges et exemptions en cette matière (novembre 1327).

Les divers témoins assignés a Périgueux, après avoir abondamment rappelé le rôle glorieux de la ville de Domme dans le passé, et confirmé l'existence de ses nombreux privilèges depuis le XIIIe siècle, notèrent pour mémoire le droit de battre monnaie concédé par Louis d'Anjou en 1370, et leurs dépositions méritent d'être transcrites tout au long.

MeGullaume de Baussé, notaire, syndic de Somme, dit que : « Les roys de France... ont voulu et ordonné la monoye y estre baptue ».

Jean de Lapeyre, sieur de Biscot, demeurant à La Roque-Gageac (11) dépose « par ouy dire que, dans ladicte ville, il y a une muraille là où l'on dict que, auttreffoys, on batoyt monoye ; mais si c'estoit par privilège à eux bailhé par ledit seigneur ou autrement, dit ne le scavoir ».

Me Etienne Dubois, prêtre, de La Roque-Gageac, dépose qu' « y a une muraille que l'on appelle communément là où l'on batoyt la monnoye, mais si l'on y bactoit la dicte monnoye par privilège ou aultrement, ne le sçaist, sy n'est par ouy dire : et a oy dire... lorsqu'il demeuroyt a l'escolle audit lieu de Dôme, que quant les gens serchoient la piarre et labouroient la terre près ladicte murailhe, trouvoyent de plusieurs speces de monnoye, sans pouvoir cognoistre quelle monnoye c'estoyt ».

Me Antoine Laguilhemye, prêtre de Vérignac (12), a « oy dire que d'aultreffoys, en la dicte ville de Domme, on forgoyt et baptoit la lnonnoye, tellement qu'il y a ung lieu dans la dicte ville où l'on appelle communémient le lieu où la monoye se bactoit ».

Etienne Peyrebrune, laboureur de Saint-Martial (13), « a oy dire, a ses dicts prédécesseurs que, en la dicte ville, se faisoit la monnoye dudict seigneur, par privillege que ledict seigneur avoyt donné aux dicts habitants ».

Martial Delbrueil, franc archer de Saint-Martial, « dans laquelle ville dit avoir ung lieu appelle la monnoye et auquel lieu, comme a oy dire... a été bactue et forgée la dicte monnoye par priviliege que ledict seigneur avoit donné auxdicts habitants ».

Jaume Gibert, laboureur de Florimont (14), dit « qu'il a oy dire a ses dictz prédécesseurs que d'aultreffoys, dans ladicte ville de Dome, avoyt esté forgé la monnoye de par ledict seigneur... »

Noble Jean de Solmignac (15), bâtard de Peruzel (16), de Daglan, dépose qu'il y a au dedans ladicte ville ung lieu appelle la Monnoye, ou il a oy dire a ses dictz prédécesseurs ledict seigneur faisoyt bactre sa monnoye p.

Comme on le voit, ces témoignages de 1527 concordent assez avec cette phrase, écrite en 1834 :

« On voit encore à Dome, sur la place de Lo Rodo, quelques restes de fondation en maçonnerie que l’on appelle Lo Mounedo (la Monnaie). Là, sans doute, était établi l'atelier monétaire » (16).

Géraud Lavergne.

 

(1) Château de La Douire, commune de La Douze, canton de St-Pierre de-Chignac, qui appartenait à Adhémar ou Aymar, son frère et héritier universel.

(2) Louis, duc d'Anjou et comte (lu Maine, époux de Marie de Blois, et roi de Naples.

(3) Dessalles (L.), Histoire du Périgord, t. II, p. 234-287.

(4) Gourgues (A. de), Essai sur lès monnaies frappées en Périgord, Annales littéraires et agricoles de la Dordogne, t. III, 1842, p. 30.

(5) Original et vidimus, parchemin, aux Arch. dép. de la Dordogne, série E (Domme, A A). Cité dans : Documents historiques sur la ville de Domme, Chroniqueur du Périgord, t. II, 1854, p. 241.

(6) Gourgues (A. de), ibid.; Dessalles (L.), Périgueux et les derniers comtes de Périgord, p. 118 et preuves, p. 15.

(7) Bibliothèque nationale, Périgord, t. XXV, p. 100 ; Gourgues (A. de), ibid , p. 31.

(8) Documents historiques..., ibid, p. 241.

(9) Gourgues (A. de), ibid., p. 31, sans indication de sources.

(10) Les Chroniques de J. Tarde, annotées par le vicomte de Gérard, p. 159.

(11) Comm., canton de Sarlat.

(12) Comm., canton. de Carlux.

(13) Dit le Nabirat, comm., cant. de Domme.

(14) Et Caumiers, comm., cant. de Domme.

(15). Vill., comm. de Vezac, cant. De Sarlat

(16). Ham., comm. De Daglan, cant. De Domme.

(17). Documents historiques, ibid., p. 249, note 8.

pp. 236-238

LOISEL A BRANTOME

Le jurisconsulte poète Antoine Loisel a laissé un souvenir dans nos annales périgourdines. Il était avocat au Parlement de Paris, quand il vint à Périgueux comme avocat-général de la Chambre de Justice constituée par Henri III, après le traité du Fleix, c pour l'établissement de la pacification », et qui fut chargée de parcourir la Guienne pour rendre la justice. Les deux remontrances qu'il prononça, à Périgueux, l'une à l'ouverture de la Chambre (4 juillet 1583) et l'autre à la clôture (10 janvier 1584), ont été plusieurs fois imprimées (Bibliographie générale du Périgord), tome II, p. 176).

En compulsant la notice qu'en 1876 un avocat à la Cour d'Appel de Paris, M. Armand Demasure consacra à son illustre collègue du XVIe siècle : Antoine Loisel et son temps (1536-1617) (Paris, Thorin, grand in-8° de 71 pages), j'avais noté que le fonds latin de la Bibliothèque nationale (n°s 17179 et 17180) comprenait des œuvres de Loisel et que dans ces manuscrits se trouvaient des vers inédits, composés par lui en l'honneur de la ville de Brantôme, où un accident de voyage l'avait forcé de s'arrêter en revenant de Guienne.

Notre laborieux et obligeant confrère parisien, M. Joseph Durieux, a bien voulu rechercher cette poésie, qui figure dans le deuxième volume d'un recueil de pièces historiques ou juridiques, folios 420-421. Il en fait la copie reproduite ci- après.                                                                            D.-D.

brantosme

Je le reçoi, Seigneur, de ta main salutaire,

Recongnoi volontiers, sans que m'en puisse taire,

Que pour nostre proufict tu nous as visités.

Et comme tes enfans en ce lieu arrestés,

J'avai par trop long temps, la ville abandonnée,

Mis presques en oubly ma chère fille aisnée,

Mes tendres escholiers, mon petit Benjamin,

Frère, parens, amis, mon berceau Beauvoisin (1) :

M'abreuvant par trois ans aux fleuves de Guienne,

Ou plustost m'enyvrant en ceste gloire vaine,

Qui charme doucement les malheureux mondains,

Est pour quoy, nous frappant de l’une de tes mains,

Tu nous as resveillés. Mais aussi tout à l'heure

Sur le champ brise — l'os sans aucune demeure

Sortit hors du buisson proche de ce fossé

Qui malheureux nous a pour jamais offensé,

Mege, qui de sa main; ains vraiment de la tienne

Dressa l'os contre l'os, et avec peu de peine,

Et sans fiebvre esgalla les mires plus expers

Qui soudain au secours vindrent de lieux divers.

C'est toi, Seigneur, c'est toi, qui la langue ignorante

Merveilles fais chanter, et la main non sçavante

Duisse par ton esprit les plus grands maux guérir.

Au milieu de l'hyver pour mieulx nous secourir

Favorable et bening double printemps nous donne,

Et pour séjour Brantosme espouse de la Dronne.

Dronne qui l'enserrant entre ses doubles eaux,

Ou plustost l'acollant avec ses bras jumeaux

De ses moites chaleurs autre guer don n'emporte

Qu'un baiser desrobé, sans entrer en la porte,

Et que presqu'à l'instant prendre congé lui fault,

Qui est ce qu'au départ la faict crier si hault.

Brantosme, ancien séjour des nymphes, non de l'homme ;

Rien ne vois, Périgord, si joly que Brantosme.

Brantosme qui dedans soi les cheveux de hault pris

Garde éternellement de la belle Cypris.

Brantosme aux belles eaus, dont la vertu surpasse

Celles que ces menteurs ont chanté de Parnasse.

Ayant sans y songer faict poète devenir

Celui qui d'en gouster ne faisait que venir :

De la chétive Echo la retraicte certaine,

Amtois du Dieu des Dieux la maison souveraine

Et du père Benoist l'unique rejetton

Pour repeupler Guienne en sa Religion.

Petite troupe heureuse, à qui Dieu faict la grâce

De servir jour et nuict en si petit espace

Qui estant prisonniers volontaires, fermés

De fontaines, de rus, de rochers entamés,

Faictes de vos saincts chants retentir les carrières

Qui portent jusqu'au Ciel le son de vos prières.

C'est à vous, gens de Dieu, à qui je dois ce bien

D'avoir esté repeu de l’escript ancien

De maint père chrestien; et à qui doibt la vie

Celle que j'apprestai pour sainte, Eusébie.

Pendant que nos amis diversement espars,

Sesmoians des absents, presque de toutes parts

Nous envoient du secours avecques milles offres

Jusques à présenter les thrésors de leurs coffres.

Mais le Roi qui fournit à nos nécessités

Rejette cependant les libéralités

De tout autre que lui. Et pourvoira peult estre

Aux hommages reçeus, comme il nous est bon maistre.

Donne-moi seulement, mon Dieu, bien tost de veoir

Mes livres, mes amis, qui sont tout mon avoir.

Rends le père aux enfans et les enfans au père !

Achève de guérir la tombe de la mère.

Antoine Loisel

(1) Antoine Loisel naquit à Beauvais le 15 février 1536, douzième enfant de la famille. Il mourut à Paris en 1617.

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