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Source : Bulletin SHAP, tome LIII (1926) pp. 145-151.

UN GRAND PROCES PÉRIGOURDIN AU XVIe SIECLE

Jean de Vivant était le fils aîné du célèbre capitaine huguenot, Geoffroy de Vivant, sr deMelet et de Castelvieil, né en 1543, et marié en 1563 avec Anne de Cladech de Péchaud, qui lui donna dix enfants. Geoffroy avait été nommé gouverneur de Caslelnau par Geoffroy de Caumont, devenu chef de la puissante famille de Caumont, en 1562, après l'assassinat de son frère aîné, François, prieur de Brive, abbé d'Uzerche, du Vigeois et de Clairac, Geoffroy de Caumont avait deux autres frères; l'un, qui s'appelait François, comme l'aîné, avait épousé Philippe de Beaupoil, dame de La Force, et le plus jeune, Charles était marié avec une sœur du baron de Biron, le futur maréchal. Les quatre frères Caumont étaient ardents calvinistes; en 1568, Geoffroy, sans renoncer à ses nombreux bénéfices, épousa Marguerite de Lustrac, veuve du maréchal de Saint-André. Les deux époux possédaient une fortune territoriale qui pouvait exciter l'envie des plus nobles familles princières du royaume, car Geoffroy était seigneur de Caumont, Castelnau, les Milandes, Goudourville, Faulhet, Tonneins-Dessus, Monpouillan, Caslelmoron, etc, tandis que Marguerite était dame de Lustrac, Coutras, Gavaudun, Fronsac, Aubeterre, Achon, Vallery, etc.

En 1572, François de Caumont et son fils aîné furent tués à la Saint-Barthélémy ; le plus jeune fils, Jacques, échappa par miracle au massacre, ainsi que son oncle, Geoffroy; mais celui-ci mourut empoisonné en 1574, et deux mois plus tard, sa femme accoucha d'une fille qui fui appelé Annie, et qualifiée marquise de Fronsac. Pendant que Marguerite mettait cette enfant au monde, Annet de Commarque s'empara de ses plus importantes châtellenies; la veuve appela Geoffroy de Vivant à son aide et le gouverneur de Caslelneau la remit en possession de toutes ses places.

En 1578, Vivant acquit par achat et par échange, sur la paroisse de Doyssac, des terres appartenant à la jeune marquise de Fronsac et fit aussitôt construire un château, dont il reste quelques vestiges; mais Anne avait pour tuteur son oncle, Jean des Cars, seigneur de Lavauguyon, qui convoitait la riche héritière, pour la marier avec son fils aîné, Claude, devenu prince de Carency, par sa grand'mère, Isabeau de Bourbon.

En 1580, pendant que Vivant guerroyait dans le Haut-Quercy, Jean des Cars, vint à Castelnau; sa qualité de tuteur lui permit d'entrer aisément dans le château, et d'enlever sa pupille, tandis que ses émissaires s'emparaient des principales seigneuries de la marquise, de Fronsac. Marguerite de Lustrac fit une seconde fois appel à Geoffroy de Vivant, qui la remit bientôt en possession de la majeure partie de ses domaines, quoique très énergiquement défendus, et Jean des Cars ne put garder que Fronsac, Coutras et Castelnau; elle témoigna sa reconnaissance, en donnant à Vivant le gouvernement de toutes les places qu'elle possédait en propre et en usufruit.

En janvier 1586, Anne de Caumont atteignit sa douzième année et fut mariée avec Claude des Cars, prince de Carency, sous la réserve que l'union ne serait pas consommée avant la seizième année; mais le 6 mars suivant, Charles de Gontaut, tua le jeune époux dans un combat fort irrégulier, et, quelques semaines plus lard, Anne fut de nouveau fiancée avec son beau-frère, Henri des Cars.

En ce moment, août 1586, le duc de Mayenne, assiégeait la ville de Mussidan contre Geoffroy de Vivant; tout à coup, avec l'assentiment d'Henri de Béarn, le chef de la Ligue et l'intrépide huguenot, au lieu d'engager l'un contre l'autre la bataille dont le signal avait été donné, réunirent leurs forces et marchèrent ensemble vers le château de la Vauguyon, où Jean des Cars fut sommé de livrer sa pupille au duc de Mayenne, qui devait la marier plus tard avec son fils, le duc d'Aiguillon, alors âgé de huit ans. Des Cars opposa quelque résistance pour sauver son honneur; mais la marquise de Fronsac fut menée à Paris avec l'armée des Ligueurs. Dès qu'Henri IV eût achevé la conquête de son royaume, il lui fit prendre pour époux, le 16 janvier 1595, François d'Orléans, comte de Saint-Pol, frère d'Henri, duc de Longueville, mari de la célèbre duchesse.

Geoffroy de Vivant avait été tué le 31 août 159, au siège de Villandraut, et son fils, Jean l'avait aussitôt remplacé comme gouverneur de toutes les châtellenies de Marguerite de Lustrac; or, François d'Orléans, joueur et débauché, dilapidait la fortune de sa femme et la comtesse de Saint-Pol, convertie au catholicisme par ses belles-sœurs d'Orléans, cherchait dans une piété mystique la paix qu'elle n'avait jamais connue. Marguerite, irritée par cette conversion et par la vie scandaleuse de son gendre, donna à son neveu Jacques de Caumont-La Force tout, ce qu'elle avait reçu de Geoffroy de Caumont et fit de généreuses libéralités à Jean de Vivant. Ces dispositions furent immédiatement attaquées, par François d'Orléans, qui poursuivit le seigneur de Doyssac devant le Parlement de Bordeaux; sa requête, fut admise par un arrêt du 1er décembre 1597; mais Vivant fit porter le procès devant la Chambre de l'Edit, séante à Castres; par un jugement du 18 septembre 1598, dont, nous allons donner la copie, il obtint gain de cause sur les principaux articles, et le comte de Saint-Pol, condamné à fournir la preuve des accusations restées litigieuses, abandonna les poursuites.

Anne de Caumont avait suivi son mari dans ce grand procès, mue sans doute par un sentiment de devoir conjugal. En 1605, elle eut un fils, à qui le roi donna le titre de duc de Fronsac; bientôt après, elle se sépara pour toujours de François d'Orléans; son fils périt à 17 ans, au siège de Montpellier et, son mari mourut en 1621. Elle fonda sur la place actuelle de « La Bourse » un couvent des filles de Saint-Thomas, où elle mourut en odeur de sainteté, le 2 juin, 1642.

Extrait des Registres de la Chambre de l’Edit.

Entre messire Jean de Vivant, seigneur dudit lieu et autres places, capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances du Roi, impétrant et requérant l’entérinement de certains brefs royaux du 18 septembre 1596, en forme de requête civile, protestant en justice contre les arrêts de la Cour de Bordeaux y mentionnés, et autrement défendeur, d'une part;

Et messire François d'Orléans, comte de Saint-Pol, gouverneur et lieutenant général pour le Roi, en Picardie, et dame Anne de Caumont, marquise de Fronsac, mariés, défendeurs auxdits brefs et autrement suppliants et demandant par requête du 28 mars 1596, aux fins contenues, et néanmoins requérant et impétrant l'entérinement de certaines lettres royaux du 29 août dernier, pour être reçus à demander la cassation des contrats y mentionnés et autres fins y contenues, d'autre part;

Et sur les procès plaidés du 28 janvier et 2 septembre 1598, arrêt donné en. la Cour du Parlement de Bordeaux les 6, 21 et 22 avril et 8 mai 1596, du rétractement desquels est question; arrêt du Grand Conseil du 13 novembre 1596, portant cassation des arrêts donnés en la Cour du Parlement de Bordeaux, depuis la signification de la convocation; arrêt donné par le Grand Conseil du Roi, le 25 juin 1597, contenant renvoi du procès pendant audit Grand' Conseil entre les parties devant la Cour et Chambre; arrêt, de rétention des procès et instancces donné par la Cour le 1er décembre 1597 et autre arrêt de la Cour du 30 janvier 1508, sur acte de mariage d'entre feu messire Geoffroy de Caumont et dame Marguerite de Lustrac, père et mère de ladite Anne, du 13 août 1568; commission baillée par lad. dame de Lustrac le 10 octobre 1592, aud. de Vivant de toutes les places et seigneuries à elle appartenant, tant en propriété qu'en usufruit; acceptation faite par led. de Vivant de lad. commission, led. jour; acte de déclaration du 25 janvier 1596, contenant remise de la promesse faite par led. de Vivant à lad. dame de Lustrac, le 10 octobre 1592; acte de la remise de la place de Caumont du 8 mars 1596, par Pierre de Jean, sr de La Valade, lieutenant dud. de Vivant, commandant led. château de Caumont, faite entre les mains de Jean Lamaurie, habitant dud. Caumont, et procuration de lad. dame de Lustrac pour prendre possession de lad. place de Caumont, suivant le contenu de lad. procuration; acte de la décharge faite par lad. dame de Lustrac de la place de Caumont, le 8 décembre 1595, à Isaac de Salignac, sr de la Bourdarye, commandant en lad. place, sous l'autorité dud. de Vivant; audition catégorique faite par devant. Me Pierre Dufaure, commissaire député par lad. dame de Lustrac, le 25 janvier 1598; instrument de vente du 15 janvier 1579, fait par lad. dame de Lustrac, de la justice haute, moyenne et basse, de Grives et Doyssac, avec les rentes y appartenant, faite à sr Geoffroy de Vivant, pour la somme de 4.000 livres; instrument d'échange du 4 novembre 1580, de certaines rentes de la paroisse de Castelnau, fait entre lad. dame de Lustrac et led. Sr de Vivant; instrument d'achat du 15 janvier 1588, fait par, ladite, dame de Lustrac à demoiselle Anne de Cladech, femme dud. sr de Vivant du domaine de Casfclvieil et autres rentes mentionnées en iceluy, pour la somme de 2.000 livres; autre instrument de vente du 3 février 1587, de certaines rentes de Grives et Doyssac, faite par lad. dame de Lustrac aud. Sr de Vivant, pour la somme de 500 livres; autre instrument de vente, du 3 avril 1587, fait par la dame de Lustrac aux srs de Vivant, de certaines rentes de la baronnie de Castelnau, et Doyssac, pour la somme de 1.600 livres; instrument de ratification du 17 mai 1588, fait par la dame Anne de Caumont, des ventes faites par lad. dame de Lustrac au profit dud. de Vivant; instrument de nouveau fief du 28 juin 1587, fait par lad. dame de Lustrac audit sr de Vivant, de certaines paissières sur la rivière de Dordogne; extrait de comptes et clôture d'iceux du 3 mars 1589, fait entre lad. dame de Lustrac et Antoine de Guilbem, sr de Bort; acte de la remise de la place de Caumont, du 8 mars 1596, faite par Jean Lamaurie, procureur de lad. dame de Lustrac, en mains de Jacques de Caumont, sr de La Force, ou de Pierre Verlane, capitaine, son procureur; contrat du 28 juillet 1588, donné par le juge ordinaire de Castelnau, entre dames de Lustrac et de Cladech, et acte de mariage du sieur et dame de Saint-Pol, du 16 janvier 1595; divers actes, requêtes, remontrances, et autres productions des parties, dont allègue, la Cour ou la Chambre;

Faisant droit sur les lettres obtenues par led. sr de Vivant, sans avoir égard aux arrêts donnés en la Cour du Parlement, de Bordeaux, ni à tout ce qui, au moyen d'iceux, s'en est ensuite advenu, remettent les parties, en l'état qu'elles étaient auparavant iceux, et avant dire droit sur la requête desd. mariés concernant la restitution de la place de Caumont et lettres par iceux mariés obtenues, en cassation des ventes et aliénations des biens immeubles faites par lad. dame de Lustrac aud. sr de Vivant;

A ordonné et ordonne, que lesd. mariés fourniront la vérification, dans deux mois, des faits par eux dénoncés ou allégués, concernant la détention par eux prétendue de lad. place de Caumont, faite par led. sr de Vivant depuis les décharges à lui données, produites au procès après décès de lad. dame de Lustrac; ensemble les faits contenus en diverses lettres, tendant à cassation des contrats, et led. Sr de Vivant au contraire, si bon lui semble; dans le même délai, sera faite estimation de la valeur desd. biens aliénés, ayant égard au temps de la vente d'iceux et du contrat de mariage desd. mariés, et ce par experts, dont les parties conviendront par devant le commissaire qui leur sera désigné; autrement par faute de ce faire, en seront désignés d'office. Dans lequel délai, lesdits d'Orléans et Caumont mariés remettront la procédure aux officiers ordinaires de Castelnau, dont mention est faite en leurs lettres, et led. Sr de Vivant fera foi, si bon lui semble, des dettes de Geoffroy de Caumont envers Jacques de Caumont, sr de La Force, mentionnées aux contrats de vente produits au.procès. Et en ce qui touche la demande des meubles faite .par lesd. mariés, a ordonné et ordonne que lesd. mariés déclareront ou préciseront plus particulièrement, dans le mois, les meubles qu'ils prétendent avoir été pris par lesd. de Vivant père et fils, ou être détenus par Jean de Vivant; comme aussi ils préciseront plus particulièrement, les papiers, titres et documents par eux demandés, autre toutefois que ceux concernant les terres et maisons d'Achon, Aubeterre et Vallery, desquelles a relaxé et relaxe led. de Vivant;

Et, en outre, ordonne lad. Cour que pour le regard des divers hommages et autres droits seigneuriaux prétendus et demandés par lesd. mariés, pour raison des terres et bien que led. Sr de Vivant possède en la juridiction de Castelnau, les parties seront plus amplement ouies, diront, et produiront ce qui bon leur semblera dans led. délai pour, après les emquètes rapportées devant la Cour, être fait droit aux parties aux fins qu'il appartiendra, relaxant au surplus led. de Vivant des autres pétitions ou demandes à lui faites sur fruits et créances des biens de lad. de Caumont, dépopulation des bois, forêts, garennes et vignes, ou détérioration des maisons que lesd. mariés prétendent avoir été faites ou prises par led. Vivant, pendant la vie de lad. de Lustrac.

Prononcé à Castres, en ladite Chambre, le 18 septembre 1598.

Ctesse de Vivant et R. de Boysson.

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