Source :
Bulletin SHAP, tome LXI (1934) pp. 117-131 (extrait).
LE
PRIEURÉ DE FONTAINES EN PÉRIGORD
CONTRIBUTIONS A SON HISTORIQUE, TEXTES ET DOCUMENTS
Sur les confins nord-ouest du
Périgord, et presque exactement à son
point de jonction avec l'Angoumois, le village de Fontaines[1]
étage ses quelques maisons aux pentes d'un coteau calcaire d'aspect assez
ingrat ; mais, abrité des vents froids, il domine une petite vallée où de vertes
prairies et quelques saules mettent un peu de gaîté et expliquent que ce site
ait pu plaire et engager des hommes à y fixer leur résidence.
Plus rien, on presque rien,
ne retient l'attention du voyageur, et ne permet de soupçonner que là, pendant des siècles, fut et prospéra un prieuré de
moniales. Dans la prairie en dessous
du village se voient, encore quelques pans de murailles, interrompues,
entourant des sources abondantes, les « fontaines » qui ont donné leur nom à ce lieu. Des traces de canalisation en diverses directions
indiquent que l'on avait autrefois utilisé ces eaux, mais tout est à l'abandon, les canaux en partie comblés, et après avoir
créé quelques pâturages dans l'étroit vallon, les eaux
vont porter leur tribut, à deux kilomètres en aval, à la Lisonne et à ses tourbières.
Dès le début du xiie
siècle, Fontaines entre dans l'histoire par son prieuré, lequel dépendait de l'abbaye royale de
Fontevrault[2].
Mais comment
la grande abbaye, qui eut souvent pour la diriger des
abbesses appartenant à la famille de nos rois, fut-elle amenée à fonder cette
filiale en notre province ? En somme, nous savons peu de chose sur ce point.
Sans doute la donation à Fontevrault de quelques métairies, quelque maine,
comprenant les précieuses fontaines, et qui parut suffisante pour assurer
l'existence d'un groupe de religieuses. L’égljse
actuelle, isolée à la partie nord du bourg, était-elle celle de l'abbaye? C'est
probable, mais non certain. Ce qui ressort des textes qui vont suivre, c'est
que pendant la guerre de Cent Ans, le prieuré fut saccagé, les moniales
dispersées, les biens pillés et les titres brûlés ; par là furent supprimés,
comme il arriva souvent alors, les précieux témoins des premiers temps de ce
monastère, et il parait peu probable que l'un puisse jamais rétablir la
chronologie et produire un historique complet.
Est-ce à dire qu'il faille
laisser dans l'oubli ce petit groupement qui contribua pour sa part à la vie
locale, à entretenir les traditions religieuses, à assurer des secours
charitables à la contrée voisine, et à procurer une retraite paisible à
beaucoup de femmes désireuses de vivre hors du monde ? Je ne l'ai pas pensé et
ai cru devoir consigner ici les textes et documents que j'ai pu recueillir,
incomplets certes, mais qui sont des jalons, auxquels d'autres, sans aucun
doute, viendront un jour s'ajouter.
Ces textes latins et autres,
jusqu'au xviie siècle, sont tirés de la Bibliothèque Nationale; les
notes postérieures à cette époque ont été relevées au vu .racles notariés ou de
titres authentiques[3].
Enfin, quelques lignes sont consacrées à la dernière prieure de Fontaines.
Analysant les textes latins
de D. Claude
Estiennot (Antiqu. Benedict. in pago Petragoricensi,
vol. 556, chap. 9, fol. 69 et suiv.), nous apprenons que le
monastère « B. Mariae de Foutanis » des moniales de Fontevrault.
— vulgairement Fontaines en Périgord — est situé dans une vallée marécageuse,
dite « le Pas de Fontaines », à trois milles du château de la
Valette, quatre ou cinq de Brantôme, deux de La Rochebeaucourt, sur la rivière
de Lisonne ; il existait avant l'année 1120, car
les archives de Fontevrault mentionnent que Robert d'Arbrissel, dont la pieuse
éloquence répandait en Périgord les doctrines de l'Evangile, reçut quelques
donations de biens-fonds et établit ce prieuré, Pétronille étant alors abbesse
de Fontevrault.
Il n'est cependant pas facile
de préciser exactement par des textes quels furent plus spécialement les
fondateurs. Car, si les seigneurs de la Valette envoyèrent quelques professes,
les seigneurs de La Rochebeaucourt en envoyèrent plusieurs. De textes
authentiques, échappés aux flammes je ne sais par quel heureux hasard, il
résulte que les seigneurs de Villebois, autrefois province du Périgord, firent
aussi don au prieuré de nombreux biens nobles. Les seigneurs de Mareuil,
voisins de Fontaines, eurent aussi le mérite d'enrichir ce monastère; ils
cédèrent aux religieuses à titre d'aumône et à perpétuité, tous les droits leur
appartenant sur le sol, et d'autres encore. Les seigneurs de Bourdeille leurs
firent également don d'hommages et cens.
De plus, les comtes de
Périgord leur confirmèrent leurs possessions dans le comté, pour en jouir
librement et en paix. Les seigneurs de la maison de Taleyrand ratifièrent à
plusieurs reprises ces libéralités, à l'occasion de l’entrée au monastère de
plusieurs religieuses issues de leur noble famille.
Quelques-unes appartenant à
la maison des seigneurs de La Rochebeaucourt furent — j'ai lieu de le croire —
ensevelies dans l'église de Fontaines, ainsi que d'autres des maisons de
Bourdeilles, de Mareuil, de la Valette. Cependant il ne subsiste aucun monument
funéraire, s'il y en eut jamais les chronique n'en font pas mention
explicitement, de sorte qu'il y a lieu de le supposer, mais non d'en fournir
les preuves. Celles-ci, s'il en est, pourraient se trouver dans les familles
nobles, mais elles me sont inconnues.
1100. La
tradition seule permet de supposer que le début de la fondation remonte environ
à l'an 1100, mais sans certitude, on tire
argument de ce que, à cette époque,
les seigneurs de La Rochebeaucourt étaient pieux et riches. Mais déjà, depuis
un siècle et plus, cette antique maison a cessé d'exister
et s'est fondue dans d'autres familles. De même notre monastère de Fontaines
s'unissait en société de prières à ceux de Saint-Sicaire
de Brantôme, de Ligueux, de Terrasson, et autres, comme
il appert des
archives de notre abbaye de Solesmes[4].
1119. — Le pape Calixte II promulgua
une bulle datée de Marmoutier, près de Tours, le
17 des calendes d'octobre 1119 (Clyp.
ord. Fontebr., 2. 2. Dissertat. 3, fol. 420),
par laquelle il confirme à l'abbaye de Fontevrault toutes
les possessions et droits qu'elle avait dans la province d'Anjou, de Maine, de
Touraine, Poitou, Angoumois. Il a eu
soin d'y ajouter les noms des
donateurs et fondateurs. Le Périgord ne se trouvant pas compris dans cette
énumération, on en
doit conclure que le prieuré de Fontaines
n'était pas encore fondé en 1119 et que la
Fondation et dotation doit être placée entre cette
année et 1130, date de la bulle
de continuation d'Innocent II,
qui est le premier
qui en fasse mention.
1164. — Cette
bulle fut confirmée par une autre d'Alexandre III, du 15
septembre 1164, où il confirme les possessions et privilèges de Fontaines dans les
mêmes termes, en nommant encore les mêmes
fondateurs.
1448. — Il est parlé de
l'abbaye de Fontaines dans une assence faite le 8 juin 1448 par Guillaume de
Vigier {Vigerii), prêtre et recteur de
Grézignac, en faveur de Pierre de Lespinasse le vieux, du mas de Lespinasse.
1449. —
Mention de soeur Marguerite, moniale de Fontevrault
et prieure de Fontaines.
1477 (n st.). — Lettres du
roi Louis XI, portant ordre au sénéchal de Périgueux de faire faire une enquête
sur les usurpations qui avaient été faites des biens et possessions du prieuré de
Fontaines. Datées 15 janvier 1476, de Bourdeaux. L'enquête a lieu
le 28 août 1477. — Faisant droit sur la requête présentée par la dame abbesse
et couvent de Fontevrault, le sénéchal de Périgord ferait faire enquête sur les
usurpations manifestes qui avaient été faites des biens et possessions du
prieuré de Fontaines, membre dépendant de l'abbaye dudit Fontevrault. La cause
de ces pertes avait été la guerre des Anglais, comme il est dit dans l'enquête
faite en vertu des ordres du roi, le 28 août 1477. Les témoins déposèrent entre
autres que les Anglais, commandés par le comte de Dorset et d'Autenton
(Huntington), avaient passé successivement dans Fontaines, avaient pris
l'église, pillé un calice, et fait brûler tous les titres ; qu'un de ceux
qui prirent La Rochebeaucourt, était
venu et entra dans l'église de Fontaines, prit les titres et documents
appartenant audit prieuré et à d'autres particuliers ; qu'après les avoir pris,
ils avaient sommé ceux à qui ils appartenaient s'ils voulaient les racheter ou
non, et que, sur leur refus, ils les avaient fait tous brûler. Puisque les
Anglais, qui venaient de La Rochebeaucourt, avaient fait plus de maux qu'aucun
des autres, prirent l'église de Goûts, et y firent beaucoup de ravages. Un des
témoins dit qu'il y a environ trente ans, et qu'au dit lieu de Fontaines, il y
avait autrefois quatre-vingt-quatorze religieuses, et qu'enfin les Anglais
avaient brûlé tous les cloîtres et confirme ce que les autres avaient déjà
avoué[5].
— (Un synode tenu en 1433 avait excommunié ceux qui
achetaient des Anglais les effets qu'ils avaient pillés dans les églises).
— ...ainsi la perte des titres qui était manifeste fit
naître sans doute l'envie aux possesseurs voisins des domaines du prieuré de
Fontaines, leur ambition fut tentée, et flattés de l'espérance que les dames
religieuses ne pourraient soutenir leur droit par leur titres déjà brûlés par
les ennemis de l'Etat, ils envahirent ce qui était à leur bienséance. Parmi
ceux qui sont accusés d'avoir voulu profiter du malheur arrivé au couvent de
Fontaines, on en trouve plusieurs de redoutables par leur puissance et
dangereux par leur crédit, et tous animés par le désir d'augmenter l’étendue de
leurs domaines au préjudice du prieuré. Tels noble et puissant Guy, baron de
Mareuil, seigneur de Villebois, de Grézignac, de Saint-Marsault-de-Viveyrols ;
François, baron de Bourdeille, Bourzac, Latourblanche; Raymond et Jean de
Salignac, frères, chevaliers, seigneurs de Chapdeuil, Verteillac; Louis de
Salignac, protonotaire du Saint-Siège, abbé de Saint-Astier; Jean de la Roche,
seigneur de La Rochebeaucourt ; Marie de Montardit, demoiselle de
Saint-Marsault ; Pierre, François, Geoffroy et Ithier de Jussac, habitants dud.
Saint-Marsault, fils de ladite Marie ; Ytier de Chaumont, seigneur dudit lieu,
écuyer ; Jeannot et François des Escudiers, écuyers; Aymeric de Brianson,
seigneur dudit lieu; les religieux et couvent de N.D. du Bournet; le prieur du
petit Bournet; les religieux et couvent du Peyrat ; le commandeur de Soullet[6].
Signé : J. Lagar, clerc et notaire.
C1B |
Ainsi, nous savons que vers
1445 — un témoin de 1477 dit : il y a environ trente ans — 1e prieuré lut
saccagé par les Anglais, les titres brûlés, les domaines en dépendant pillés et
détenus par des voisins plus ou moins éloignés. Les Anglais les
vendirent-ils ? Cela parait peu probable, puisque on voit figurer des
clercs, des religieux, parmi les nouveaux détenteurs; peut-être, les moniales
dispersées, ceux-ci furent-ils autorisés à recueillir les dépouilles de
Fontaines, car sans cela ils n'eussent pas osé passer outre à la bulle
d’excommunication.
Ce qui est certain, c'est que
Fontevrault fit revivre ce petit monastère, et telles
les abeilles dans une ruche pillée, les religieuses recommencèrent à assembler
quelques domaines, à se constituer des rentes et à
réorganiser la vie monacale selon la règle de leur
ordre. Ces résurrections sont de tous les temps! Les anciens titres disparus, il se
forma de nouvelles archives — le trésor,
comme on disait alors — mais pour la seconde fois, en 1792, elles durent sans
doute, en exécution des décrets sur les titres féodaux, les livrer aux flammes.
Et alors ce fut la fin du Prieuré.
(…)
X. de MONTEIL.
[1] Actuellement commune de
Champagne-Fontaine, canton de Verteillac.
[2] Remarquons, en passant, que Fontevrault
comporte aussi, dans l’étymologie de son nom, le toponyme « Fons »
.
[3] M. Gendraud a publié, en 1903, l’état
des biens et revenus du prieuré de Fontaines en 1790 (Bull. de la soc. hist
et arch. du Périgord, t. XXX, p. 473-474), auquel nous renvoyons le
lecteur.
[4] Les passages ci-dessus sont traduits de
Dom C. Estiennot.
[5] Le texte de cet acte est conservé par
une copie (collection de Périgord, t. XII, fol. 371).