Source: Bulletin SHAP, tome VIII (1881), pp. 150-157
NOTES HISTORIQUES
SUR QUELQUES FIEFS DU
COMTÉ DE PÉRIGORD RELEVANT DE L'ÉVÊCHÉ D'ANGOULÊME.
Les Archives départementales de la Charente renferment
de nombreux documents relatifs à l'histoire féodale du Périgord. Je
n'apprendrai à personne que, depuis un temps immémorial, des hommages étaient
dus aux évêques d'Angoulême pour des fiefs importants situés en Périgord et en
Limousin ; c'est ce qui explique pourquoi les documents intéressant ces
provinces abondent à Angoulême.
J'ai entrepris d'offrir le résultat de mes recherches,
dans cette section périgourdine de nos archives, à la Société archéologique du
Périgord, à laquelle, en bonne conscience, il revient de droit. J'espère qu'il
sera accueilli avec indulgence par cette savante Société, mon unique désir
étant d'être, par ces notes, utile à ceux qui plus tard écriront les annales de
ce pays.
Voici quelles sont les seigneuries du comté de
Périgord qui feront l'objet de ces notes : les châtellenies, baronnies et fiefs
d'Ans, d'Auberoche, Bourdeille, Bourzac, La Bussière, La Faurie, La Faye, La
Giraldie, Grésignac, Mareuil, Montchenil, Marquessac, Nontron, La Renaudie,
Saint-Angel, et La Tour-Blanche.
Je commencerai par la châtellenie de La Tour-Blanche à
laquelle mille liens affectueux me rattachent, parce que, dans l'ordre
chronologique de mes documents périgourdins ceux se rapportant à cette terre
sont les premiers en date.
I
Pendant les deux derniers siècles, les évêques
d'Angoulême ont longuement lutté avec les possesseurs des grands fiefs mouvant
de leur évêché. Sous prétexte qu'ils ne relevaient que du roi, ces seigneurs
prétendaient s'affranchir envers l'évêque des droits, honneurs et hommages
féodaux lui étant dus. Ainsi, sous les règnes d'Henri IV et de Louis XIII, nous
voyons Antoine de La Rochefoucauld réclamer du duc de Noailles l'hommage qu'il
lui devait, ainsi que le paiement des droits de mutation pour l'acquisition
faite en Limousin par le comte de Noailles, son aïeul, de Jeanne d'Albret, mère
de Henri IV, en 1581, des seigneuries d'Ayen et d'Essandon. Le duc de Noailles
ayant refusé l'hommage et le paiement des droits de lods et ventes, un long
procès s'ensuivit, qui, malgré un arrêt du Conseil d'Etat, rendu en 1614 en
faveur des prétentions de l'évêque, ne se termina qu'en 1674 ou 1676 par les
soins de François de Péricard, confirmé dans tous ses droits seigneuriaux sur
les châtellenies d'Ayen et d'Essandon, placées dans sa mouvance féodale.
Les seigneurs d'Hautefort, d'Auberoche, et autres
possesseurs de fiefs dans la châtellenie d'Ans, une des plus importantes du
Périgord[1], les seigneurs de Bourdeille, de Nontron, etc..durent
se soumettre et rendre successivement les hommages aux évêques d'Angoulême,
continuateurs des revendications d'Antoine de La Rochefoucauld. Monseigneur
Amédée de Broglie, après une procédure qui dura plus de trente ans, finit par
obtenir un arrêt forçant la maison de La Rochefoucauld, en la personne de
madame la duchesse d'Anville, à lui rendre hommage pour sa principauté de Marcillac
et sa terre de Genac, en Angoumois, alors que, comme les seigneurs dont nous
parlions plus haut, les La Rochefoucauld prétendaient relever seulement du roi.
Le récit de tous ces interminables procès n'offrirait
de nos jours qu'un bien petit intérêt à un bien petit nombre d'archéologues ;
aussi, n'avons-nous pas la prétention de vouloir en faire ici l'historique.
Mais les prétentions des évêques d'Angoulême à la suzeraineté directe d'un
grand nombre de fiefs périgourdins étaient appuyées sur des titres qui, par
leur importance, leur antiquité ou les grands personnages dont ils émanent,
appartiennent à l'histoire locale du Périgord et de l'Angoumois ; et c'est
pourquoi nous avons annexé à ces notes quelques-uns de ces documents inédits,
tels que donations, aveux et hommages qui, nous le pensous, pourront intéresser
les personnes ayant avec nous souci de l'antique illustration de leur province.
II
Vers 1698, sous l'épiscopat de Cyprien-Gabriel-Bénard
de Rezay, Honoré de Sainte-Maure[2], adjudicataire par décret de la terre, seigneurie et
baronnie de La Tour-Blanche, s'étant refusé à payer les droits de mutation et à
faire l'hommage de sa baronnie à l'évêque d'Angoulême, ce dernier porta
aussitôt sa réclamation devant les tribunaux et finit par obtenir en 1702 une
sentence l'autorisant à saisir féodalement les bois de La Tour-Blanche,
sentence qui, comme nous le verrons plus loin, paraît avoir reçu un
commencement d'exécution. Au cours de ce procès, de volumineux mémoires furent
composés de part et d'autre, tendant à prouver la validité des prétentions de
chaque partie. Chacun des procureurs se servit pour établir ses conclusions des
Titres de Périgord, alors réunis au château de Pau dans le Trésor de
Navarre[3]. Dès l'épiscopat d'Antoine de La Rochefoucauld, Jean
Mesneau, doyen du Chapitre de l'église cathédrale de Saint-Pierre d'Angoulême,
fit prendre à Nérac et à Pau, et à la Chambre des comptes de Paris, des copies
des titres originaux, nécessaires pour faire rentrer l'église d'Angoulême en
possession d'une partie de ses droits et de ses privilèges[4]. Ces recherches de titres donnèrent d'heureux
résultats et continuèrent sous les épiscopats suivants. En effet, un des
procureurs de l'évoque, dans le procès intenté au comte de Sainte-Maure,
écrivait, vers 1700, la note suivante : « On voudroit avoir éclaircissement de
tout ce qui relevoit des vicomtes de Limoges et comtes de Périgort dans la
terre et chatellenie de La Tour-Blanche située en Angoumois. Ceste terre étoit
dans la mouvance des vicomtes, mais on est en peine de scavoir si côtoit toutte
la chatellenie qui relevoit deux, ou seullement une portion, et laquelle : et
sil y avoit en ce tems la quelque portion de cette terre qui relevast du Roy.
Pour parvenir à cet éclaircissement, il faudrait se servir de quelque personne
intelligente dans la recherche des titres qui sont tout presantement à Pau et
qui ont esté cy devant au chasteau de Montignac et depuis à Nérac. Cette
personne tirera connoissance de ce qu'on désire scavoir pour les hommages et
dénombrements qui auront esté rendus de lad. terre de La Tour Blanche aux
vicomtes de Limoges. On pourra trouver dans les papiers des comptes et recettes
que les vicomtes de Limoges en auront touché les droits seigneuriaux quand lad.
terre a esté vendue. Peut-être trouvera-t-on l'aliénation de lad. terre de La
Tour Blanche par les vicomtes de Limoges. On souhaitteroit aussy que cette
personne examinast ce que contiennent certaines lettres du Roy Jean de l'an
1356 et Charles son fils de l'an 1358 portant donation et confirmation du droit
que le Roy avoit es chastellenies de Mont de Domme et de La Tour Blanche, car
on ne croit pas que le Roy possédast cette terre ny quelle relevast de luy en
aucune manière. On prie cette personne d'examiner cela exactement[5] . »
Une personne intelligente fut en effet chargée de
faire ces recherches, qui aboutirent heureusement, puisque dans l’Inventaire des pièces produites par Mre Cyprien
Gabriel Bènard de Kezay contre Mre Honoré de Sainte-Maure, pour justifier que
la terre et seigneurie de La Tour Blanche est mouvante de son évêché, » nous trouvons l'énumération suivante :
1° Aveu et hommage de Guy, vicomte de Limoges, rendu à
l'évêque d'Angoulême en l'an 1243, dans lequel ledit Guy reporte au seigneur
évêque d'Angoulême tout ce que les sieurs de La Tour-Blanche tiennent de lui,
sous ces termes : Quidquid Domini de Turre Alba
habent à nobis.
2o Autre hommage rendu à l'évêque d'Angoulême par
Marguerite, veuve de Guy, vicomte de Limoges, de l'année 1265, dans lequel
Marguerite reporte à l'évêque et reconnaît tenir de lui sous les mêmes termes, tout ce que les seigneurs de La Tour-Blanche possèdent
dans sa mouvance.
3° Un acte de foi et hommage rendu en 1275 par Marie,
fille des précédents, à l'évêque d'Angoulême, dans lequel elle reconnaît tenir
de lui sous les mêmes termes tout
ce que les seigneurs de La Tour-Blanche tiennent d'elle-même.
4° Un hommage d'Alain d'Albret, rendu à Hugues, évêque
d'Angoulême, dans lequel La Tour-Blanche est reportée à l'évêché d'Angoulême
dans les mêmes termes que les hommages précédents et en date de 1505[6].
Tous ces titres justifiaient évidemment que tout ce
qui relevait des vicomtes de Limoges dans la terre de La Tour-Blanche était de
la mouvance de l'évêché d'Angoulême. Nous trouvons en outre six arrêts, uniquement rendus
sur les mêmes titres énoncés ci-dessus, et qui établissent la mouvance de la
terre de La Tour-Blanche de l'évêché d'Angoulême.
III
De son côté, le comte de Sainte-Maure essayait de
prouver la bonne et valable justice de ses droits, par la production de divers
documents authentiques.
D'abord venaient: des lettres patentes en latin, du 13 février 1354, données par le roi Jean,
qui en qualité de comte d'Angoulême, était propriétaire de la tierce partie de
la terre de La Tour-Blanche, par lesquelles lettres, à la supplication de
Pierre de La Tour et de Marie sa sœur, seigneur et dame des deux autres
parties, Sa Majesté veut et entend, pour les gratifier, que dorénavant les
hommages qui seront faits pour La Tour-Blanche le seront à l'avenir au roi de France
ou à ses successeurs.
Puis, en date du 9 février 1369, un acte par lequel Edouard, prince d'Aquitaine, comte d'Angoulême, a reçu d'Archambault, seigneur de Bourdeille,
l'hommage lige et serment de fidélité pour les choses par lui tenues et qu'il
avoue tenir de ce prince, à savoir : « Le Chastel ville, chatellenie, et
appartenances de La Tour-Blanche, en la sénéchaussée d'Angoumois. »
En outre des lettres
patentes de Jean d'Orléans, comte
d'Angoulême, du 1er juin
1465, par lesquelles il donne à Arnaud de Bourdeille, seigneur des deux tiers
de La Tour-Blanche, les « tours et hostel, avec la tierce partie de ladite
terre, à la charge de l'hommage d'une paire d'éperons d'or et d'une rente de 40
livres par an payable à la recette d'Angoulême. »
Les justifications du comte de Sainte-Maure
s'appuyaient aussi sur beaucoup d'autres documents que nous croyons inutile
d'analyser ici et que du reste les différentes Cours du royaume ne jugèrent pas
suffisants, ainsi qu'il ressort d'une sentence des Requêtes du palais de Paris du 10 avril 1702, permettant «au seigneur requérant,
de saisir les bois dépendants de l'une des forêts de la terre de La
Tour-Blanche, qui se trouveront abattus, avec défense, à toutes personnes, de
continuer l'abatis de ladite forêt, et de faire aucune autre dégradation, à
peine de tous dépens, dommages et intérêts, et, en cas de contravention, permis
d'emprisonner les contrevenants, et de faire assigner ceux que bon lui semblera[7]. »
Cette sentence, nous l'avons dit plus haut, reçut un
commencement d'exécution, comme en font foi plusieurs significations contrôlées
les 4 et 5 janvier 1703 à Mareuil et à La Tour-Blanche, et faites par Denet et
Mallat, huissiers, à haut et puissant seigneur André de Talleyrand de Périgord,
marquis d'Excideuil, baron de Mareuil, etc., à maître François Reulhier,
procureur fiscal de Mareuil, aux nommés Jean Delabonnetze, Pierre Delaumario,
Lamontaigne, coupeurs de bois, et au nommé Pierrot, garçon du sieur La Jozé,
marchand ; et ces mêmes significations affichées par les huissiers aux « potaux des
ville et paroisse de La Tour
Blanche et de Cercles. »[8]
Malgré toutes les oppositions du comte de
Sainte-Maure, malgré l'appui qu'il eut longtemps des officiers de la couronne,
malgré celui même du roi, ce seigneur dut se soumettre et rendre hommage, pour
ses terres de La Tour-Blanche à l'évêque d'Angoulême, qui fut maintenu dans
tous ses droits seigneuriaux jusqu'en 1789[9] .
Presque tous les autres seigneurs du Périgord dont les
fiefs mouvaient autrefois de l'évêché furent aussi contraints de se soumettre,
ce que quelques-uns ne firent pas sans regret et sans de vives oppositions[10].
Nous donnons, à la suite de cette petite notice, les
pièces justificatives du procès entre Bénard de Rezay et le comte de
Sainte-Maure; nous croyons que les personnes qui voudront bien les lire seront
heureuses de trouver des princes et des seigneurs aussi illustres que Jean le
Bon et Charles V, rois de France, Edouard d'Angleterre, prince de Galles, Alain
d'Albret, Jean d'Orléans, etc., comme suzerains de cette belle seigneurie de La
Tour-Blanche, et de ce beau château, dont il ne reste plus debout aujourd'hui
que la large tour éventrée dressée sur sa motte féodale[11] .
A. de Massougnes.
(La suite prochainement.)
[1] Elle contenait dix-huit paroisses.
[2] Honoré, chevalier, comte de Sainte-Maure, marquis d'Archiac, baron de La Tour-Blanche, seigneur de La Feuillade et autres lieux, gentilhomme de Mgr le Dauphin.
[3] M. Villepelet a expliqué, dans le Bulletin de la Société archéologique, comment les archives du Périgord se trouvent à Pau.
[4] Voyez Terres et Fiefs relevant de l'évêché d'Angoulême, par Ed. Sénemaud, archiviste des Ardennes. Paris, librairie J.-B. Dumoulin, 13, quai des Grands-Au-gustins, Paris, 1867.
[5] Archives de la Charente. Fonds de
l'Evêché : Titres concernant La Tour-Blanche.
[6] Id... ut supra.
[7] Archives de la Charente. Fonds de l'Evêché : Titres concernant La Tour-Blanche.
[8] Archives de la Charente, ut supra.
[9] Ce comte de Sainte-Maure, qui
joignait aux titres relatés ci-dessus par M. de Massougnes ceux de « premier
écuyer commandant les grandes écuries du roy, grand baillif et capitaine de la
Garenne des Tuileries, plaine de saint-Denis et dépendances, » se montra jaloux de ses droits
seigneuriaux. Nous avons publié dans les Annales de la
Société d'agriculture, sciences et arts de la Dordogne (février 1875),
l'hommage que lui rendit Jean Debays, écuyer, sieur de Beauchamp, conseiller du
roi et son assesseur en l'Élection de Périgueux, pour sonflef de La Bertrandie,
situé dans la baronnie de Latourblanche (acte du 18 août 1721 devant Montozon.
Notaire de la paroisse du Chapdeuil). Le comte de Sainte-Maure avait fait
convoquer par publications faites au greffe et auditoire de Latourblanche et
affiches aux portes des églises de ladite terre et poteaux dudit lieu, tous les
vassaux « à ce qu'ils eussent à lui faire la foi et hommage de ce qu'ils
tiennent de lui à cause de ladite baronnie de La Tour-Blanche, lui en payer les
devoirs utiles, si aucuns sont deüs, et à lui faire le serment de fidélité, donner
par avens et dénombrement leurs dits fiers et vérifier le tout à leurs dépens,
conformément à la coutume du présent pays et duché d'Angoumois. » Cet acte a
été aussi reproduit dans l’Echo de la
Dordogne du 19 mars 1875.
A. DUJARRIC-DESCOMBES.
[10] Voici la réponse hautaine qu'un
seigneur de Bourdeille faisait à une réclamation émanant de l'évêché
d'Angoulême :
A Monsieur,
Monsieur Laudonnié, à St-Forsse (?)
De la salle St-Lazare, ce 19 juin 1775.
MONSIEUR
Sans avoir l'honneur de vous
connoistre, jay seluy de vous dire que jamais mes auteurs ny moy navons randu
dhomage, jamais aus Esveques d'Angoulleme. Nos homages sont rendus au roy.
Jay l’honnenr destre avec
respects, Monsieur, vostre très humble et très hobeissant serviteur.
BOURDEILLE.
Archives de la Charente, ut supra.