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Epilogue

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            En couverture, le seigneur de Fontenille(s) et de Saint Mer signe du nom de son fief[1]ou du château qui en est le centre et le symbole. Cette attitude nous renvoie à notre passé collectif, à la « grande pénombre médiévale »[2].

            Au dos de l’ouvrage, les futurs citoyens de la République signent le cahier de leurs doléances sous leur propre nom. Ces signatures personnelles ainsi réunies nous semblent marquer l’émergence de ce nouvel être social qui échappe définitivement à l’être collectif ancien dont le Seigneur se crut longtemps le tuteur et le protecteur.

            Un regret peut-être, de ne pas avoir explicité l’émergence en creux d’une nouvelle dynastie, celle du notaire royal héréditaire, les Delabonne dans le cas de Saint Méard. Cette dynastie perdurera longtemps, jusqu’au début de notre vingtième siècle, qui lui-même s’éloigne déjà en nous entraînant dans un impressionnant maelström technologique.

Un sentiment de soulagement surtout quand l’ouvrage est terminé, qu’il ne vous appartient plus et qu’il faut le remettre en d’autres mains qui décideront de son sort futur.

Mais peu à peu on s’aperçoit que tout n’est pas si simple, que ces ombres ne vous quitteront plus. Jehan de Mellet, Guilhem, Martialle Lavandier, Deborah de Belcier ou Jean Engerbeaud, m’accompagneront longtemps encore.

Je ne saurais sans doute jamais si Bertrand de Laplace a vraiment tout quitté pour accompagner Calvin sur la route de Ferrare, s’il a choisi ensuite comme Louis du Tillet de retourner au credo catholique, si au contraire il aura embrassé la foi réformée comme son neveu Pierre jusqu’à la mort, ou encore s’il est devenu un sceptique comme Montaigne. Ceci restera sans doute une de ces interrogations futiles qu’il nous faut chasser de notre esprit, bon gré mal gré, si nous ne voulons pas nous y perdre.

La terreur de ces guerres de religion, trop occultées à mon sens, survit toujours dans la mémoire des personnes les plus âgées de Saint-Méard lorsqu’elles fredonnent encore la chanson du « diable de Marouate » :

 

O Mourato

Lo diablé y sobato ;

Y sobato bé si fort

Qué l’aüventPignofort.

Pignofort o Creyssa

Lou diablé gu’y o ré leyssa,

Nouma ũn borrouéï dé porto :

Lou diablé y torno et l’emporto.

 

(A Marouate, / le diable y fait sabbat ; / y fait sabbat si fort / Qu’on l’entend de Peignefort. / De Peignefort à Creyssac / Le diable n’y a rien laissé, / Qu’un verrou de porte : / Le diable y retourne et l’emporte.)[3]

 

Revenons un dernier instant sur les choix accomplis par ces ombres entrevues de notre passé, sur le ressort du libre arbitre humain qui m’a fasciné ici.

Les contemporains de Bertrand de Laplace ont hésité entre deux religions, deux visions du monde, celle des racines qui a marqué les choses et les êtres autour de soi, et la séduction de la foi nouvelle.

Choix limité des femmes, forcément limité en ce temps là, entre deux vies, entre deux hommes, celui de Valérie Duranthon perdue dans ses promesses ou celui de Déborah de Belcier mariée trop jeune au temps de ces « troubles » de religion qui s’éternisaient, et qui ne respectera pas le temps du deuil.

Tuer ou ne pas tuer, choisir entre la guerre ou la paix, tenter désespérément de survivre en se cachant sur la terre qui l’a vu naître, pour Jean Engerbeaud

 

Aujourd’hui musiciens et chanteurs de passage enregistrent dans les caves du château en ruines, autrefois maudit, des chansons qui feront le tour du monde et qu’écoutent sans doute les jeunes gens de Saint Méard.

« E la nave va », ainsi disait le maestro disparu il y a tout juste dix ans, comme me l’annonce la voix du poste de radio qui accompagne l’écriture de ces derniers mots.



[1] « Sainct Mer », voir le texte présenté ici (3 E 821, Archives de la Dordogne)

[2] Richard Millet, Ma vie parmi les ombres, p. 61, Gallimard, Paris 2004.

[3] Bulletin de la SHAP n° XV (1888) p. 166-167.