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Querelle entre le curé de Saint Méard et le seigneur de Fontenilles

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(1)             Document manuscrit

(2)             Transcription

 

 

Nous nous attarderons ici plus longuement sur un document qui nous apporte quelques informations sur les seigneurs de St Méard, depuis la deuxième moitié du quinzième jusqu'à la fin du seizième siècle, et sur la situation particulière du curé de la paroisse à cette époque.

Le 4 août 1773, le curé de St Méard réclame l'hommage qui lui est dû, prétend-il, par le seigneur Beaupoil de St Aulaire. Le "puissant" marquis croit de toute évidence qu'un personnage de son importance ne saurait rendre hommage qu'au seul roi de France, et semble traiter de haut ce petit curé de campagne, dont l'arrogance l'irrite visiblement.

Mais le droit féodal[1], instrument d'une justice éternelle d'inspiration divine que nul ne peut contester, est en faveur de notre curé. Depuis plus de trois siècles, les seigneurs de St Méard ont rendu cet hommage, et le présent marquis de Fontenilles doit s'y conformer comme l'ont fait ses prédécesseurs qui sont mentionnés ici, avec les dates précises où ces hommages sont intervenus.

Nous pouvons à cette occasion vérifier un certain nombre de données concernant les seigneurs de St Méard depuis Audouin Joumard à la fin de la guerre de Cent Ans (1453), jusqu'à la prise de contrôle du fief par les St Aulaire en 1588, à la suite du remariage de la jeune veuve Déborah de Laurière[2], née de Belcier, avec Annet Beaupoil de Saint Aulaire. Cette liste des seigneurs de St Méard est donnée en annexe à cet ouvrage.

De nombreuses questions restent cependant pour nous sans réponses, et nous souhaiterions les soumettre à nos lecteurs.

Nous sommes tentés de penser que du fait même de sa configuration territoriale particulière à cheval sur les deux rives de la Dronne, Saint Méard a dû être partagé à différentes périodes entre plusieurs coseigneurs. Par ailleurs cet hommage dû au curé "suzerain" de St Méard par les seigneurs du fief nous semble effectivement relever d'une pratique hors du commun, et nous faisons là aussi appel à tout éclaircissement sur les fondements d'une telle "suzereneté"[3].

Pour conclure, nous souhaiterions opérer une digression concernant Bertrand de Laplace[4], dont le parcours au début du seizième siècle nous semble particulièrement obscur, mais cependant passionnant à tous égards.

Il est le fils aîné de Liette de Cumont et de Pierre de Laplace qui a acquis le fief de St Méard auprès d'Audouin Joumard, grâce à la fortune accumulée par ses ancêtres seigneurs de guerre en Limousin au temps de la guerre de Cent Ans. Le frère cadet de Bertrand, Pierre, seigneur de Salleboeuf et de Javerlhac[5], sera maire d'Angoulème, argentier de Louise de Savoie et jouera un rôle important auprès de François Ier. Il hébergera le jeune Calvin réfugié à Angoulème[6]. Cette période, vécue par Calvin comme un temps de félicité, verra la naissance de son amitié avec Louis du Tillet, curé de Claix[7].

On aurait pu penser que Bertrand de Laplace serait resté seigneur de St Méard toute sa (longue) vie. Hors, il n'apparaît dans les archives de Navarre que de façon épisodique[8]. A sa mort[9], la seigneurie de St Méard semble être passée partiellement aux mains des de Mellet[10] d'une part et de la famille de Belcier d'autre part dès 1546.

Certes l'époque fut terrible et bien d'autres explications sont envisageables à ce qui nous semble constituer une sorte de fugue au regard de l'ordre établi, mais il nous est venu à l'esprit une hypothèse que nous soumettons à nos lecteurs et aux spécialistes de l'histoire de la vie de Calvin. En 1536[11], Calvin se rend à Ferrare avec Louis du Tillet. Par la suite et selon certaines sources, ils séjournèrent tous deux à Lyon accompagnés d'un Bertrand et d'un Pierre de Laplace :

 

« En 1536, Calvin, Louis du Tillet, Pierre et Bertrand de La Place y avaient passé quelque temps [à Lyon] avant de se rendre à Genève, et leur exemple, leurs instructions, n’avaient fait qu’affermir les disciples dans la bonne voie »[12].

 

A ce moment-là, le jeune Pierre de Laplace, fils de Marguerite Pastoureau et de Pierre de Laplace, notable d'Angoulème, n'est âgé que de 13 ou 14 ans et il nous semble possible que ce soient les deux frères de Laplace, d'Angoulème et de St Méard, alors âgés d'environ 56 ans, qui aient accompagné Calvin et Louis du Tillet dans leur périple.

Bertrand de Laplace aurait ainsi, au moins pour un temps et comme Louis du Tillet, rejoint le camp des Réformés, et aurait alors abandonné son fief de St Méard.

Quant au jeune adolescent Pierre de Laplace, neveu de Bertrand et dont Calvin a pu être le précepteur[13], il restera toute sa vie profondément marqué par l'influence du futur recteur de Genève. Son parcours juridique et politique brillant le ménera à Paris ou il sera nommé conseiller du Roi Henri II et Président de la Cour des Aides. Cet humaniste de renom sera l'une des victimes du massacre de la St Barthelemy.

Voici le récit de sa mort par P. de Farnace, en introduction à la publication posthume du Traité de l’excellence de l’homme chrétien et maniere de le cognoistre du Président Pierre de Laplace :

 

« … de là estant arrivé jusques en la rue de la Verrerie, vis-à-vis de la rue du Coq, certains meurtriers qui l’attendoyent avec dagues nues, il y avoit environ trois heures, le tuerent comme un pauvre agneau, au milieu de dix ou douze Archers dudit de Senescay qui le conduisoyent, et fut son logis pillé par l’espace de cinq ou six iours continuels. Le corps dudit Sieur de la Place, dont l’ame estoit receue au ciel, fut porté à l’hostel de ville en un estable, ou la face lui fut couverte de fiens, et le lendemain fut jetté en la rivière. »[14]

 

 

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[1] Toujours en vigueur au temps de l'absolutisme, sous l'Ancien Régime.

[2] Déborah de Belcier, fille de Françoise du Lau de la Coste et d’Annet de Belcier, seigneur de de St Méard (au moins en partie). Ce prénom, Déborah, indique une naissance dans la foi réformée. Elle épousera Raymond de Laurière, qui décédera le 3/11/1587 des suites de ses blessures en duel avec le sieur de Carlus. Raymond de Laurière a été enterré dans l’église de Saint Méard. Quelques mois plus tard, la jeune Déborah épousera Annet Beaupoil de Saint Aulaire. Les Saint-Aulaire resteront seigneurs de Saint Méard jusqu’à la Révolution Française. Ils résideront au château de Fontenilles, bien que le droit à cette résidence leur ait été contesté par les héritiers De Laurière. (voir à ce propos le bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord (SHAP) n° XXI (1894), p. 245-251

[3] 5ème ligne, 3ème page du document présenté (Archives de la Dordogne, réf. 3 E 856)

[4] Bertrand de Laplace contestera lui aussi en son temps cette "suzereneté" du curé de St Méard : 6ème ligne, 2ème page du document présenté (Archives de la Dordogne, réf. 3 E 856)

[5] Archives des Pyrénées Atlantiques, réf. E 832, Hommages rendus au roi de Navarre, (1540), in-folio, 12 feuillets, papier, feuillet n° 9

[6] Voir notamment Florimond de Raemond Histoire de la Naissance, Progrès et Décadence de l’hérésie de ce siècle, chez Etienne Vereul, Rouen, 1622, Livre VII, ch. IX, p. 884, mais aussi Pierre Bayle (1647-1706), Dictionnaire Historique et Critique.

[7] Voir notes 17 et 18 de la préface

[8] Archives des Pyrénées Atlantiques, réf. E 671, Rôle de l’arrière-ban de la noblesse du comté de Périgord et de la vicomté de Limoges, (document du XVIème siècle, hélas non daté - probablement 1530-1540), cahier in quarto, 23 feuillets, papier, feuillet n° 15, verso.

Le document présenté ici le désigne comme seigneur de St Méard en 1524.

[9] « Bertrand de Laplace le Sgr de St Méard décédé en son lieu le Sgr des Hommes … » E. 671, ibid.

[10] voir la copie de son testament au tout début de cet ouvrage. Jean de Mellet et Bertrand de Laplace ont épousé deux soeurs Fayolle (Isabeau et Catherine).

[11] Certains auteurs situent ce voyage en décembre 1535.

[12] Samuel Descombaz, « La Réforme : Esquices historiques offertes à la jeunesse », Ed. G. Bridel, Lausanne, 1861, tome II p.43.

[13] selon Jean Laplace, l’un de leurs descendants, qui vit aujourd’hui à Alicante en Espagne.

[14] Pierre de Laplace, Traité de l’excellence de l’homme chrétien et maniere de le cognoistre. Avant propos de P. de Farnace, 1575 (SHPF n° 930).