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Les Syndics

(Conférence présentée par Claude R. en janvier 2005 à Saint Méard de Dronne)

 

 

Je voudrais essayer maintenant de vous présenter un tableau du fonctionnement et de l’organisation des institutions locales à Saint Méard à la veille de la Révolution française.

D’abord, il ne faut surtout pas s’imaginer que la vie politique était dominée arbitrairement par le seigneur de Fontenille. Certes, les seigneurs locaux pesaient de tout leur poids économique et foncier ; ils étaient de grands propriétaires, les revenus de leurs domaines étaient considérables, leur fortune hors du commun et leur train de vie apparaissait extravagant aux yeux des autres habitants.

Mais, depuis la Fronde au milieu du 17ème siècle qui fut particulièrement importante et violente dans le sud-ouest de la France, le pouvoir royal avait souhaité tenir la noblesse loin des affaires administratives du royaume. La vie sociale et politique avait été organisée en dehors du seigneur, même si son avis comptait sans nul doute d’un poids important.

Avant de décrire cette vie sociale et politique, je voudrais dire encore un dernier mot sur l’état d’esprit de cette noblesse, profondément marquée par ses origines, par le féodalisme du Moyen Age. Cet état d’esprit, nous le qualifierions à tort aujourd’hui de paternalisme ou de générosité suivant que nous admirons ou que nous rejetons de tels comportements. Pour éviter l’anachronisme, nous devons imaginer une vision féodale s’appuyant sur une conception hiérarchique du monde où chacun a sa place, ses devoirs et ses obligations, du plus humble au plus puissant, nous devons imaginer une société immobile dans ses fondements et assise sur le respect de ces liens hiérarchiques. Dans cette perspective, le droit féodal est un droit éternel. Un jugement, une dette, un héritage, un affermage[1], engagent les partenaires de la transaction pour l’éternité.

Dans cette perspective donc, le seigneur a des obligations envers ceux qui sont placés sous sa protection dans le cadre de cet ordre divin. Et nous trouvons des traces de ce comportement féodal dans un texte de décembre 1753[2].

Dans ce premier exemple, un domestique de la maison de Fontenille, un nommé Etienne Fourgeaud décède, laissant un jeune fils. Par acte devant notaire, le seigneur de Fontenille place le jeune homme en apprentissage chez Jean Mazeau, serrurier, et s’engage par écrit, sous le sceau notarial du roi, et donc solennellement, à payer pendant 3 ans tous les frais liés aussi bien à cet apprentissage, qu’à la nourriture, les vêtements, l’entretien quotidien du jeune apprenti.

Prenons un autre exemple à Montardit. Les Dulau d’Allemans (comme les de Fayolle) sont une des rares familles nobles de Dordogne qui survivent en France depuis le Moyen Age. Au cours du 19ème siècle, une nourrice de la famille, particulièrement aimée des enfants, sera enterrée dans le caveau de famille des châtelains, aux côtés de leurs ancêtres.

Comme dernier exemple de ce comportement féodal qui perdure jusqu’à l’aube du vingtième siècle, nous citerons, encore à Montardit, l’accueil au château de l’ensemble des habitants de la paroisse une fois l’an, pour une fête que l’on pouvait qualifier de brillante.

Ces attitudes ne peuvent guère être comprises avec notre esprit d’aujourd’hui, sans cette conception d’un ordre du monde dont je parlais à l’instant. Qui aurait de tels comportements aujourd’hui ?

Ces attitudes n’étaient probablement déjà plus comprises à la veille de la Révolution. Les seigneurs devaient être alors perçus et considérés comme des personnages qui connaissaient un sort hors du commun, qui ne travaillaient jamais, qui dépensaient leur argent sans compter et sans logique apparente, dans un cercle fermé, des gens oisifs qui par ailleurs se mariaient entre eux.

Surtout, ces seigneurs n’étaient pas soumis à la même justice que tout un chacun, car en cas de procès, ils pouvaient choisir la juridiction qui leur convenait le mieux.

En résumé donc, des êtres à part, privilégiés dès la naissance, avec des mœurs et des coutumes considérées comme bizarres. Tel était sans doute le jugement que portaient nos ancêtres sur les seigneurs de Fontenille, des personnes considérées comme si différentes qu’elles ne devaient même pas susciter d’envie ou de jalousie : il n’y a d’ailleurs aucune trace d’une quelconque violence locale exercée au cours de la Révolution à Saint Méard contre les Beaupoil de Saint Aulaire, « seigneurs de Fontenilles, Saint Méard, Coutures, et autres lieux ».

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Venons en maintenant aux institutions locales et en particulier à ces personnages des syndics :

Au cours du 18ème siècle, les syndics, y compris le syndic général qui était leur superviseur, sont élus ou plutôt cooptés pour de courtes durées, d’un an en général, au sein d’une frange restreinte de la population qualifiée de « la plus saine », « la plus compétente », « la plus apte » pour justifier cette sélection. Quelquefois ils sont aussi appelés « les plus intelligents ». Ce sont des gens de biens, et l’on peut identifier cette petite oligarchie au travers des actes notariés qui mettent en jeu ces syndics et leurs activités. Pour Saint Méard, c’est environ une douzaine de personnes qui « tournent » dans ces fonctions, sur ces postes de syndics.

Une douzaine de personnes, ce n’est pas numériquement très différent d’un conseil municipal actuel, sauf qu’il s’agissait d’un suffrage restreint et non universel, et il nous faut parler de cooptation  plutôt que d’élection. Ces syndics qui se choisissaient entre eux, « ce sont toujours les mêmes », devaient sans doute se dire les contestataires du système.

Quelles étaient leurs tâches ? leurs responsabilités ? Elles étaient en fait plus importantes que celles d’un conseil municipal aujourd’hui. Ils étaient ainsi chargés du calcul de l’assiette de l’impôt et de la collecte de cet impôt et des taxes. Ils jouaient un rôle dans la conscription et devaient désigner au sein de la population les futurs soldats qui iraient servir dans les armées du roi. Parfois, ils pouvaient être chargés d’une mission particulière, comme de veiller aux conditions de vie des plus pauvres – nous avons alors un syndic des pauvres à cet effet et qui peut prendre des mesures en faveur de ceux-ci.

Toutes ces actions engagées par les syndics, leur élection et leur nomination, font l’objet d’actes notariés pris au nom du roi et rédigés sous l’autorité du notaire qui est détenteur du sceau royal. Il nous faut imaginer une société judiciarisée à l’extrême. On avait besoin d’un notaire pour des litiges de voisinage, pour l’officialisation d’un devis, jusqu’à parfois la confection d’un simple vêtement.

A Saint-Méard, cette vie notariale est caractérisée par l’apparition d’une dynastie héréditaire, celle des Delabonne, qui  survivra jusqu’au début du XXème siècle, et qui aura donc traversé pendant deux siècles tous les régimes et secousses politiques et administratives qu’a connus notre pays au cours de cette période.

Dans cette organisation socio-politique, l’église et son curé jouent aussi un rôle important. Toutes les décisions, les actes notariés correspondants le précisent, sont prises à la sortie de la messe : « issue de messe » est l’expression consacrée, « à son de cloche », avant d’être consignés sur papier au domicile du notaire royal, Maître Delabonne, qui habita d’abord la Pichardie avant d’occuper l’actuel « château »  du bourg de Saint Méard.

Je voudrais attirer aussi votre attention sur l’importance particulière du curé à Saint Méard, et ceci depuis le Moyen Age. La cure de Saint Méard était une charge à laquelle était attachée un prestige et des coutumes locales attestées et consignées juridiquement. Ainsi au 18ème siècle, avant la Révolution, le puissant seigneur de Saint Méard qui devait bien sûr rendre hommage au roi de France, devait aussi curieusement rendre hommage au curé de Saint-Méard, sans que l’on connaisse l’origine et les raisons de cette coutume, mais cette dernière était attestée par des actes écrits depuis le 15ème siècle, après la fin de la guerre de Cent Ans. On peut donc imaginer le poids de la parole de ce curé au sein de la vie paroissiale.

 

Pour conclure, je voudrais maintenant essayer d’imaginer quels étaient les sentiments de la population vis-à-vis de cette organisation politique et administrative. Pour cela, je m’appuierai sur le texte des cahiers de doléances des habitants de Saint Méard en 1789[3].

En examinant l’ordre des articles, on est frappé d’abord par la contestation première et manifeste de l’ordre politique et juridique en place sous l’absolutisme royal :

Article 1er : Le vœu par tête et non par ordre lors de la tenue des Etats généraux.

Article 5 : La refonte, simplification et uniformité des lois civiles et criminelles dans tout le royaume.

La population ne supporte visiblement plus que l’église ou la noblesse soient exclues du sort commun, que leurs membres ne soient pas soumis aux mêmes règles que tout un chacun. C’est à mon sens le privilège qui apparaît le plus intolérable.

Vient ensuite le sentiment d’injustice face à l’inégalité devant l’impôt :

Article 3 : Que l'Egalité de l'impôt soit observée en proportion des facultés respectives de chacun sans aucune distinction.

Transparaissent aussi nettement dans certains articles  le vécu du poids de l’église, la rancœur contre l’ordre établi qu’elle représente et un sentiment de parasitisme envers la hiérarchie ecclésiastique:

Article 11 : Que les archevêques et Evêques soient tenus de résider dans leurs diocèses au moins neuf mois de l'an.

Enfin, et cela m’a surpris, il apparaît aussi dans ce texte un désir profond d’éducation et d’égalité en ce domaine dont je n’imaginais pas la maturité. :

Article 8 : Qu'il soit fondé un ou plusieurs collèges dans chaque ville où ils seront nécessaires, Pour l'Education de la jeunesse qu'en conséquence les professeurs desdits Collèges soient choisis au concours par les Etats particuliers de chaque province

 

Voilà donc une description superficielle et succincte sans doute de cette société. Il y manque certainement une description plus socio-économique. Je voudrais quand même souligner une dernière fois le caractère « participatif » de cette société sous l’absolutisme royal, où l’on voit bien qu’une partie de la population, une petite élite, une petite oligarchie, était associée étroitement à la gestion de la paroisse, et cette participation est trop souvent ignorée quand on imagine cette période de notre histoire. On peut ainsi imaginer qu’au sein de cette société un certain consensus a régné, malgré des inégalités vécues par ailleurs comme insupportables.

 

Enfin, et un peu à part, il me faut dire quelques mots sur l’attitude de la population vis-à-vis des guerres de Napoléon Bonaparte. André Gaillard, dans sa tentative de constituer un corpus exhaustif des archives de Saint Méard, a retrouvé ainsi un texte daté du 14 juillet 1799[4], au moment des grandes victoires de la campagne d’Egypte, dans lequel on nous apprend que deux citoyens de Saint Méard avait refusé la conscription et avaient rejoint d’autres insoumis du canton de Ribérac dans les bois de Vanxains. Le texte, rédigé par le commandant de la gendarmerie de Ribérac, ou plutôt son équivalent dénommé alors « la colonne mobile », nous montre que ces insoumis avaient manifestement l’appui de la population qui les protégeait et les nourrissait. A la fin, l’assaut qui est donné pour tenter de se saisir de ces déserteurs tourne au fiasco et au ridicule : les auxiliaires de la troupe s’éclipsent les premiers et les soldats de métier eux-mêmes abandonnent la poursuite, en prétextant l’obscurité des bois !

En commentaire, je remarquerai que les livres d’histoire ne nous parlent guère de ce peu d’enthousiasme de la population pour la conquête de l’Italie ou de l’Egypte, à une époque où Bonaparte qui n’était pas encore empereur, allait de victoire en victoire.



[1] Contrat d’exploitation et d’occupation d’un bien, souvent agricole.

[2] Publié par ailleurs sur ce site

[3] texte que vous pouvez trouver également sur ce site

[4] le jour donc du 10ème anniversaire du 14 juillet 1789

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