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Le massacre de Périgueux (1246) BnF, collection du Périgord, tome 4, folio n° 245

 

Ce document est de notre point de vue un document "fondateur". Les chroniqueurs du Périgord, et au delà les historiens de façon générale, ont considéré ce texte comme un révélateur des difficultés qu'avaient les rois de France à s'opposer à ses puissants vassaux au 13ème siècle. Ici, c'est Louis IX (Saint Louis) qui subit l'affront du comte de Périgord, Hélie Talleyrand, ligué à Hélie Rudel, le seigneur de Bergerac.

Face à ces seigneurs féodaux, prédateurs et cruels (notre jugement sur l'ampleur et la gratuité des massacres commis ne nous semble pas avoir été inspiré par une sensiblerie moderne et anachronique), une alliance va se nouer entre les bourgeois de la Ville qui veulent défendre leurs libertés et des rois de France humiliés par le pouvoir féodal, et confrontés aux prétentions séculaires du roi d'Angleterre. La ville de Périgueux deviendra peu à peu une forteresse inexpugnable, avec ses arbalétriers professionnels, dans l'obédience constante du roi de France. Au temps de la guerre de Cent Ans, la puissance militaire de Périgueux sera mise au service constant du roi de France. Du Guesclin profita financièrement de cet engagement, mais assez peu militairement. Cette puissance militaire sera par contre un élément déterminant de la conquête de l'Aquitaine, qui se concrêtisera par la défaite et la mort à Castillon du vieux John Talbot "the great Alcides of the field, Valiant Lord Talbot" (William Shakespeare, 1 Henry VI, Acte IV, scène 7). Les forteresses de la Dordogne (Vernodes, Auberoche, ...) seront démantelées auparavant par les Compagnons de Périgueux afin que l'ennemi (surtout occitan et bien peu anglais!) ne puisse trouver de repos dans des repaires fortifiés. Le prochain ouvrage de Jean Roux, transcrivant de l'occitan Le Livre Noir, nous décrira dans le détail les divers épisodes de l'histoire de Périgueux au temps de la guerre de Cent Ans.

Le seul représentant du roi d'Angleterre qui pénétrera en vainqueur dans les murs du Puy Saint Front sera John Chandos, soldat et bâtisseur. Mais l'appêtit insatiable, peut-être faut-il dire l'avide stupidité du Prince Noir, réduira à néant les exploits guerriers passés d'Henry of Grosmont (Lancastre), comme ceux de Chandos. Ce dernier aura cependant l'intelligence de ne pas heurter la sensibilité des vaincus, et reconnaîtra les libertés de la ville de Périgueux, lorsqu'elle fut contrainte d'accepter les clauses du traité de Brétigny.

Ce serait une erreur grave à notre sens de parler ici de "nationalisme français", du moins avant le dernier quart de la guerre de Cent Ans (après Azincourt). Les bourgeois de Périgueux étaient des occitans pour qui aller à Paris, c'était aller "en France". La masse des soldats au service du roi d'Angleterre étaient des occitans, avec une poignée "d'anglais d'Angleterre". Leurs officiers s'appelaient parfois Pérot de la Ribieyra ou Péni de Fargas, et l'on trouvait de temps en temps un "Grine" (Green) aux côtés de mercenaires étrangers à la province.

C'est bien la nécessité qui a scellé l'union du roi de France et de la ville de Périgueux, qui fut bien souvent assiégée durant la guerre de Cent Ans, dans un environnement hostile, avec de fréquentes équipées sauvages jusque sous ses murs pour s'emparer de récoltes, de bétail et parfois d'êtres humains à échanger contre rançons. Il faut préciser que la justice de la Ville était tout aussi expéditive que celle de ses ennemis, et les hommes au service du Comte ou du roi d'Angleterre en subissaient cruellement les effets, lorsqu'ils tombaient aux mains de la Ville.

Le document ci-joint se situe au siècle précédent, au fondement de cette alliance en 1246, de même que, parmi d'autres documents, l'acte de bannissement d'Archambaud VI en 1399 (E634/Pau) confirme notre sentiment: c'est la menace terrible des comtes de Périgord qui n'acceptèrent jamais vraiment ces "libertés" de Périgueux, qui a soudé au cours des générations cette alliance. Et les rois de France, ne s'y trompèrent pas, prenant toujours de fait, de façon plus ou moins explicite, le parti de la Ville contre le Comte (ainsi lors des affrontements entre la garde du Comte et celle de la Ville lors des obsèques de Brunissent de Foix).

Mais laissons la parole à l'archive, en notant au préalable que Léon Dessalles et Robert Villepelet ont publié ces documents dans leurs ouvrages sur Périgueux. Notre transcription est appuyée sur la copie de Leydet alors que R. Villepelet a utilisé la copie de Lespine. Nous avons signalé entre parenthèses les (minimes) différences entre les deux copies. Enfin, nous avons emprunté à R. Villepelet les éléments de son analyse.

Nous signalons par ailleurs au lecteur que les documents d'arbitrage de Louis IX / Saint Louis en 1247 sont présentés sur ce site sous l'entrée / Archives Nationales / série JJ (JJ26), et notamment dans le document suivant en accès direct ici.

 

 

BnF Coll. du Périgord, tome 4 (Leydet) f° 245 (transcription ligne à ligne)

Universis ad quos litterae istae pervenerint, Poncius de Villa serviens domini Regis Franciae, salutem.

Tenore praesentium vobis insinuo quod, cum ego venissem in villam Podii Sancti Frontonis

Petragoricensis ratione bailiae Petragoricensis diocesis a domino [mot rayé] illustri Rege Fran-

-ciae mihi commissae, die jovis ante festum B. Mariae Magdalenae, ego conveni majorem et

burgenses dictae villae Podii Sancti Frontonis, ut michi, nomine domini Regis, traderent ostagia

pro sequendo et recipiendo jure coram domino Rege super actionibus et querelis quas

dicti major et universitas prefatae villae habebant contra Comitem et cives

Petragoricenses, et idem Comes et cives contra dictos majorem et universitatem.

Dicti vero major et burgenses prefatae villae responderunt quod ipsi parati erant

tradere mihi ostagia centum burgensium de melioribus dictae villae pro eisdem du-

-cendis nomine domini Regis ubicumque vellem, pro praemissis prosequendis et pro voluntate

ipsius domini Regis facienda. Et audita praesentatione dictorum majoris et burgensium,

ipsa die, habui colloquium cum episcopo et Comite Petragoricensi inter dictam villam et

civitatem in campis, et requisivi Comitem ut praestaret mihi securitatem de treugis

servandis dictis maiori et universitati praedictae villae et eorum valitoribus usque ad

octavas Omnium Sanctorum futuras, et quod tunc comparerent coram domino Rege iidem

Comes et cives, pro jure sequendo et recipiendo super actionibus et querelis quas se

dicunt habere contra illos et dicti major et universitas villae praedictae, et predicti

Comes et cives contra illos, et quod mihi traderent ostagia et fortalitias pro omnibus

hiis (illis) tenendis et prosequendis ad voluntatem domini Regis, dictis treugis interim habentibus

robur firmitatis. Et tunc Comes mihi respondit quod non teneret diem, nec veniret

coram Rege, nec traderet mihi ostagia vel fortalitias, et etiam dixit quod, in

Petragoricensi diocesi, dominus Rex vel Regina mater sua aliquid non habebant, et quod

si de baïlia Petragoricensi me intromitterem, minatus fuit mihi mortem et in continenti

idem Comes fecit exire de domo sua milites et servientes armatos, qui me et socios meos

inermes fugaverunt usque ad barras et lissas dictae villae, mortem mihi et sociis

vocibus clamatoriis comminando. Deinde requisivi episcopum Petragoricensem ex parte domini

Regis et sub debito fidelitatis qua ei tenetur, ut turres suas mihi traderet ad reprimendum

malitiam et superbiam illorum qui domino Regi nolunt obedire, et ad tenendum pacem

in episcopatu suo et ad jura domini Regis repetenda. Qui respondit quod turres suas mihi non

redderet et illas turres quas habet in civitate tradidit comiti et civibus Petragoricensibus

et prius dixerat [mot rayé] quod a domino Rege nihil tenebat. Qua responsione audita, affectuo-

-sissime rogavi dictum episcopum, et ex parte domini Regis ipsum (illum) requisivi, ut ipse diliginter provi-

-deret ne de dictis turribus aliquod damnum esset mihi illatum, vel sociis meis, vel gentibus

dictae villae. Ad quod ipse respondit quod super hoc ipse se non intromitteret, et

statim, cum ego recederem ab ipso episcopo, emiserunt cairellos contra me ex una turrium

praedictarum, et tunc cum uno cairello equus meus vulneratus fuit (est), et contra dictos burgenses

plures cairellos emiserunt, cum quibus quidam ex illis vulnerati fuerunt. Audivi

post modum quod dictus Comes rogabat et requirebat Heliam Rudelli et plures alios

de terra Regis Angliae, et vicecomitem Lemovicensem. Et litteratorie ex parte domini Regis

dicto vicecomiti inhibui ne dictis burgensibus aliquod damnum inferret, vel ab aliquo

terrae suae inferri permitteret, cum ipsi, sicut dictum est, se obtulissent et offerrent

ad parendum juri coram domino Rege. Eamdem inhibitionem feci illis qui sunt de terra Regis

Angliae, sed spreta inhibitione mea, immo domini Regis, vicecomes Lemovicensis, Helias

Rudelli et ejus filii, vicecomites de Fronciaco et de Benaugis, Petrus de Burdigalia, Galhardus

filius Rostandi de Solario, cives Burdigalenses, Amalvinus de Vares, (Berardus de Montlaidier) frater Heliae Rudelli, Raymundus

de Monte Alto, Boso de Granhol, Eblo de Bordelha, P. Aitz et ejus filius (filii),

Litgerius de Albaterra, milites de [mot rayé] Montagrier, et plures alii cum toto posse suo,

tam equitum quam peditum, in festo Sancti Petri ad vincula, pro ipsa villa obsidenda venerunt,

tenentes dictam villam quasi obsessam, et molendina et grangias ejusdem villae

combusserunt et destruxerunt et ortos et vineas talaverunt (laceraverunt). Item sciendum quod Petrus de

Risona, presbyter, quem Comes Petragoricensis ad curiam domini Regis miserat, rediit ab ipsa curia

die sabbati ante festum Beati Laurentii, et eidem Comite praesentavit litteras domini Regis, quibus ipse dominus

Rex dedit in mandatis dicto comiti ne personis vel rebus burgensibus villae predictae Podii Sancti

..../

Frontonis Petragoricensis usque ad adventum domini Petrus de Fay militis, quem Dominus Rex mittebat ad partes Petrag-

-oricenses, damnum inferret. Et eadem die, homines civitatis Petragoricensis mandatum similiter

receperunt. Die vero dominica sequenti, dicti comes et cives cum gentibus regis Angliae, videlicet vicecomitibus

de Fronsiaco et de Benaugis, P. de Burdigala, filio Rostandi de Solario, Almavino de Vares, Oliverio de Chalesio, Ar.

de Bovevilla, Bernardo de Monlaidier, et pluribus aliis qui sunt ex parte regis Angliae, versus duas portas dictae villae

assaliverunt, et plures hortos et vineas dictorum burgensium destructerunt, et grangias combusserunt, et ecclesiam

de Bolasac, quae non distat a dicta villa per leucam, invaserunt, et portas ipsius ecclesiae fregerunt, et res quae

erant in ipsa ecclesia, videlicet oleum (et) ceram quae erat in servitio altaris, et libros et bladum secum asporta-

-verunt, burgum ipsius ecclesiae et domos parrochiae combusserunt; quae parrochia pertinet ad dominium

ecclesiae Sancti Frontonis et ad quosdam burgenses dictae villae, ipsa die dominica aliis pluribus

gentibus plurima dampna inferentes. Die lunae sequenti, ceperunt dicti cives quemdam burgensem dictae

villae vocatum P. Agaruce, quem invenerunt extra villam sine armis cum personis religiosis, ipsaque

die lunae, dictus Comes fecit ipsum suspendi in quadam arbore ante dictam villam. Sequenti die martis,

fecerunt praedicti comes et alii magnos insultus contra dictam villam, talando (taillando) vineas ipsius villae et alia gravia

(inigne/dampna) inferendo. Et ipsa die ceperunt quemdam balistarium vocatum Ademarum qui erat in servicio dictae

villae, et sequenti die mercurii fecit ei abcidi dictus Comes manum dextram et erui oculos. (Et) in festo Sancti Laurentii,

videlicet die veneris sequenti, quidam miles, socius comitis vocatus Helias Folcaudi, abscidit labium cuidam mulieri

dictae villae, et ipsam (ipse) ad redemptionem pecuniae coegit aliis per corporis cruciatus. Praeterea filium nobilis viri

Almavini de Pestilhac, defensorem dictae villae, cum esset egressus extra portam sine armis vulneraverunt

cum quodam cairello, cujus occasione vulneris defunctus fuit. Et omnia ista, sicut superius sunt expressa,

fecerunt dicti comes et cives, contra inhibitionem domini Regis contentam in litteris quas asportaverat eisdem

nuncius comitis supradictus, et etiam contra inhibitionem meam, quam eisdem feceram per Fratres Predica-

-tores et Minores, ratione mandati specialis super hoc ex parte domini Regis a me suscepti. Die vero martis

inter festum Beati Bartholomei Apostoli, cum praedicti burgenses et gentes ipsius villae exiissent extra villam,

confisi de dicta securitate, pro bladis, lignis, racemis et victualibus quibus indigebant aspor-

-tandis, dicti comes et cives, audito ac cognito illorum egressu, cum eorum complicibus, videlicet Bosone de

Granholio, It. (H.) de Petrag. qui habent in uxores neptes G. de Malamort et Ar. de Bovevilla, nepote

Heliae Rudelli, P. Aitz, Almavino de Vares, et quibusdam aliis qui sunt ex parte regis Angliae insilientes (insiluerunt)

contra dictos majorem et burgenses, procurante hoc et faciente Guidone d’Estissac, milite, qui eosdem

majorem et burgenses prodidit, et fugiit inde, primus irruens cum sociis suis sicut hostis super praefa-

-tos homines dictae villae, et exposuit ipsos homines et gentes dictae villae in manus et potentiam comitis et

civium et hostium predictorum, qui, de ipsis burgensibus, CC homines et etiam XX mulieres, de quibus

quaedam illarum erunt praegnantes, morte turpissima et inaudita occiderunt, et CCC et amplius se-

-cum captos duxerunt, et dictus Guido juraverat super Sacra Sancta Evangelia, se juvaturum dictos

burgenses et villam contra dictos hostes, et per annum et amplius, usque ad dictam diem martis, in

expensis dictae villae fuerat, et dicta die martis exierat cum armis de dicta villa cum eisdem

burgensibus et gentibus eorum. Praeterea, cum dominus Petrus de Fay, miles, quem ad partes Petragoricenses dominus Rex

dirigebat, misisset Hugonem Massua, servientem domini Regis, die dominica post festum Beati Bartholomei Apostoli,

de nocte, cum litteris domini Regis patentibus, ad comitem et cives Petragoricenses, et etiam cum litteris

ejusdem militis per quas inhibebat eis ne dictis burgensibus et gentibus dictae villae inferrent aliquod

dampnum vel maleficium, dictus serviens, die lunae sequenti, venit cum summo mane (summo mane venit) ad comitem, et ejus

mandatum et cives supradictos, ostendens eis litteras praedictas continentes praedictum mandatum , idemque

mandatum ex parte domini Regis et ipsius militis denuntiavit eis viva voce. Qui, spreto illo mandato,

malum malo cumulentes, per totam illam diem, vineas dictae villae extirparunt et racemos ipsarum

vinearum dicti cives cum pluribus aliis in civitatem portaverunt, et socii dicti comitis ipsa die

duos homines occiderunt, et unum ceperunt, et grangias et boarias ipsorum burgensium et etiam

domum leprosorum quae vocatur de Salvanjo combusserunt, alia in captione animalium

et rebus aliis dampna non modica dictis burgensibus inferentes. Iterum (Item), post treugas firmatas

per dominum Petrum de Say, quidam agricultor villae praedictae Podii Sancti Frontonis interfectus fuit

prope istam villam, clam ab inimicis ipsius villae, diversis plagis impositis, et guture atrociter

amputato. Item filium cujusdam burgensis, quidam qui exivit de dicta civitate clam interfecit

ante lissas ipsius villae, et statim rediit in civitatem. NOS vero capitulum Sancti Frontonis Petragoricensis

presentibus litteris sigillum nostrum duximus apponendum, ad instantiam Pontis de Villa supradicti. Datum

mense septembri anno Domini M° CC° XLVI°.

J’ai transcrit la pièce ci-dessus sur une copie qui a été faite par Dom Devienne religieux

bénédictin de la congrégation de Saint Maur qui recueilloit les matériaux pour l’histoire de Guienne à

Périgueux en 1750 et 1759, l’original lui avoit été communiqué par les maire et consuls de Périgueux,

[mots rayés] et le prieur de Sainte Croix de Bordeaux qui conserve les collections pour l’histoire de Guienne, dans

une cassette dont il garde la clef, et Dom Devienne m’ont communiqué cette copie que j’ai transcrite

fidellement, ce de mot à mot, à Bordeaux, ce quatorze septembre mil sept cent soixante douze.

Leydet,

chanoine régulier de Chancelade.

Analyse (d'après R. Villepelet):

Le sénéchal, arrivé à Périgueux le 19 juillet (1246), requit aussitôt le maire et les bourgeois du Puy-Saint-Front, de lui fournir des otages, pour garantir qu'ils s'en remettaient au roi du soin de vider les querelles qu'ils avaient avec le comte et les citoyens. Le maire et les bourgeois s'engagèrent à livrer cent bourgeois, choisis parmi les plus notables, au gré du sénéchal. Le même jour, Pons de La Ville eut une entrevue avec l'évêque de Périgueux et le comte de Périgord, dans la campagne qui s'étend entre la Ville et la Cité ; il requit le comte de s'engager à garder, à l'égard du maire et de l'université du Puy-Saint-Front et de leurs alliés, une trêve jusqu'à l'octave de la Toussaint prochaine, époque à laquelle les deux parties comparaîtraient devant le roi qui prononcerait sur leurs griefs réciproques, et il lui demanda de livrer, en garantie, des otages et quelques-uns de ses ouvrages de défense. Le comte répondit qu'il ne comparaîtrait pas devant le roi et qu'il ne remettrait ni otages ni défenses, déclarant que le roi et la reine-mère n'avaient rien à voir dans le diocèse de Périgueux et menaçant de mort le sénéchal, s'il se mêlait des affaires du pays. Bien plus, il fit sortir de sa demeure des chevaliers et des sergents armés qui poursuivirent le sénéchal et ses compagnons jusqu'aux murs de la Ville, en poussant contre eux des clameurs menaçantes. Ensuite, le sénéchal requit l'évêque de Périgueux, de la part du roi et au nom de la fidélité due au souverain, de lui livrer les tours, qu'il avait dans la Cité, en vue de réprimer la malice et l'orgueil de ceux qui ne veulent pas obéir au roi, pour maintenir la paix dans l'évêché et faire observer les droits de la couronne. L'évêque répondit qu'il ne remettrait pas ses tours, qu'il livra incontinent au comte et aux citoyens, et prétendit qu'il ne tenait rien du roi. A cette réponse, le sénéchal demanda affectueusement à l'évêque et le requit de la part du roi, de veiller à ce que, du fait desdites tours, nul dommage ne fût porté à lui-même, à ses compagnons ni aux gens de la Ville. L'évêque repartit qu'il ne se mêlerait de rien. Aussitôt, comme le sénéchal s'éloignait, on lança contre lui, du haut de l'une de ces tours, des traits dont l'un blessa son cheval et dont plusieurs blessèrent des bourgeois qui l'avaient accompagné.

Sur ces entrefaites, le sénéchal apprit que le comte sollicitait le secours de Hélie Rudel, de plusieurs autres vassaux du roi d'Angleterre, et du vicomte de Limoges. Par lettres, il défendit à ce dernier, de la part du roi, de porter aucun dommage aux bourgeois, ni de permettre qu'aucun des siens leur en portât, puisqu'ils s'étaient offerts à satisfaire à la justice du roi. Le sénéchal fit la même défense aux vassaux du roi d'Angleterre. Mais, au mépris de cette interdiction, le vicomte de Limoges, Hélie Rudel et ses fils, les vicomtes de Fronsac et de Bénauge, Pierre de Bordeaux, Gaillard, fils de Rostand de Solar, tous deux citoyens de Bordeaux, Amalvin de Vares, Bernard de Mouleydier, frère de Hélie Rudel, Raymond de Montaut, Boson de Grignols, Eblon de Bourdeille, Pierre Aitz et ses fils, Ligier d'Aubeterre, les chevaliers de Montagrier, et plusieurs autres, avec toutes leurs forces, tant en cavaliers qu'en fantassins, vinrent, le jour de la fête de Saint-Pierre-ès-Liens, mettre le siège devant le Puy-Saint-Front. Ils investirent la Ville, incendièrent et détruisirent ses moulins et ses granges, et saccagèrent ses jardins et ses vignes. Il faut savoir à cet égard qu'un prêtre, nommé Pierre de Risona, envoyé par le comte à la cour du roi, revint de cette cour le samedi avant la fête de Saint-Laurent et remit au comte des lettres royales lui défendant de porter aucun dommage aux personnes ni aux biens des bourgeois jusqu'à l'arrivée de maître Pierre du Fay, chevalier, que le roi envoyait aux parties de Périgord. Ce même jour, les gens de la Cité de Périgueux reçurent un message analogue.

Le lendemain, qui était un dimanche, le comte et les citoyens, avec les gens du roi d'Angleterre, c'est-à-dire les vicomtes de Fronsac et de Bénauge, Pierre de Bordeaux, Amalvin de Vares, Olivier de Chalais, Arnaud de Bouville, Bérard de Mouleydier et plusieurs autres, tentèrent un assaut contre deux portes de la Ville, saccagèrent des jardins et des vignes appartenant à des bourgeois, incendièrent des granges et, attaquant ensuite l'église de Boulazac, distante de la Ville d'à peu près une lieue, ils en brisèrent les portes et firent main basse sur les choses qui se trouvaient dans l'église, c'est-à-dire l'huile et la cire qui servaient pour l'autel, les livres sacrés et le blé, non sans avoir incendié le bourg et les maisons de cette paroisse qui dépend de l'église de Saint-Front et de certains bourgeois de la Ville, et, ce même dimanche, ils infligèrent de nombreux dommages à beaucoup de gens.

Le lundi suivant, des habitants de la Cité se saisirent d'un bourgeois de la Ville nommé Pierre Agaruce, qui se promenait sans armes, hors de la Ville, avec des religieux, et, ce même jour, le comte le fit pendre à un arbre devant le Puy-Saint-Front.

Le mardi, le comte et ses alliés renouvelèrent leurs agressions contre la Ville, dévastant ses vignes et lui prodiguant maints graves dommages. Ils s'emparèrent, ce jour-là, d'un arbalétrier au service de la Ville, nommé Aymard, à qui, le lendemain, le comte fit couper la main droite et arracher les yeux.

Le vendredi suivant, qui était la fête de Saint-Laurent, un chevalier, compagnon du comte, nommé Hélie Foucaud, arracha la lèvre à une femme de la Ville, et, par des tortures, força maintes gens à lui payer rançon. En outre, comme le fils d'un noble, Amalvin de Pestilhac, défenseur de la Ville, avait franchi sans armes la porte du Puy-Saint-Front, il fut blessé par un trait et mourut de sa blessure. Tous ces méfaits furent accomplis par le comte et les citoyens, nonobstant l'ordre du roi contenu dans les lettres qui avaient été remises au comte, et malgré la défense du sénéchal qui leur avait été signifiée par les Frères Prêcheurs.

Le mardi avant la fête de Saint-Barthélémy, comme les bourgeois et leurs gens, se fiant à la sûreté qui leur avait été promise par le sénéchal, étaient sortis de la Ville pour aller quérir le blé, le bois, les raisins et autres aliments dont ils manquaient, le comte et les citoyens, à cette nouvelle, assaillirent, avec leurs complices, Boson de Grignols, Hélie de Périgueux, tous deux neveux de Géraud de Malemort, Arnaud de Bouville, neveu d'Hélie Rudel, Pierre Aitz, Amalvin de Vares et d'autres vassaux du roi d'Angleterre, le maire et les bourgeois, à l'instigation de Guy d'Estissac qui les livra et, ensuite, passa du côté adverse, se précipitant le premier avec ses compagnons contre les gens de la Ville. Deux cents bourgeois et vingt femmes, dont quelques-unes étaient enceintes, furent massacrés de la manière la plus horrible, et plus de trois cents habitants du Puy-Saint-Front furent emmenés en captivité. Ce Guy d'Estissac avait juré sur les Saints Evangiles d'assister les bourgeois et la Ville contre leurs ennemis et, pour ce faire, avait reçu des subsides pendant plus d'une année.

Bien plus, comme maître Pierre du Fay, chevalier, député par le roi aux parties de Périgord, avait envoyé devant lui Hugues Massua, sergent royal, porteur de lettres du roi et du chevalier du Fay lui-même, défendant au comte et aux citoyens d'infliger aucun dommage aux bourgeois et aux gens de la Ville, ledit sergent vint, le 27 août au matin, trouver le comte et les citoyens et leur lut l'ordre du roi et celui du chevalier, son délégué. Ceux-ci, au mépris de ces injonctions et mettant le comble à leurs méfaits, employèrent cette même journée à arracher les vignes des bourgeois dont les citoyens prirent les fruits ; en outre, les compagnons du comte tuèrent, ce jour, deux hommes de la Ville, en prirent un autre et incendièrent des granges et des étables appartenant à des bourgeois et même la léproserie dite de Salvanio, infligeant aux gens de la Ville, par la capture de leurs bêtes et autres biens, des dommages importants.

Même les trêves assurées par maître Pierre du Fay n'empêchèrent point de nouveaux forfaits : un laboureur du Puy-Saint-Front fut tué, en secret, près de la Ville, par des ennemis des bourgeois ; on le trouva couvert de plaies et la gorge coupée. Et un homme de la Cité tua, en cachette, le fils d'un bourgeois devant les murs de la Ville.

Sources bibliographiques:

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