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COUTUMES DE LA VILLE D'ISSIGEAC (par M. Elie de Biran).

Ici, nous n’avons pas de charte fondatrice, comme pour la Bastide de Bénévent, ou la ville de Lalinde. Les coutumes d’Issigeac sont évoquées une première fois dans les Recognitiones Feodorum (ms. de Wolfenbüttel n° 441), dans un document en occitan du 29 juin 1268, qui a été commenté (notice p. 83) dans le quatorzième volume des Notices des Manuscrits publiées par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. sous ce titre : Notice d'un Manuscrit de la Bibliothèque de Wolfenbuttel, intitulé Recognitiones Feodorum, par MM. Martial et Jules Delpit. Paris, 1841. Imprimerie Royale (in-4°, 163 pages).

Nous présentons ainsi un texte de 1298, qui confirme et – sans doute- renouvelle - ces coutumes.

Le lecteur notera d’importantes différences par rapport aux autres coutumes périgourdines présentées sur ce site. Tout d’abord, la liberté accordée aux habitants de disposer du sort de leurs filles, n’est pas mentionnée ici, alors qu’elle apparait en tout premier ordre dans les autres chartes similaires (en 2ème ou 3ème position). Ici, pas de consuls, pas de maire : le doyen est seigneur et maître, avec l’aide de son bailli.

La peine de mutilation en cas de vol avec récidive apparait également ici, comme à Sergeac en 1315 (voir doc. Pau / E611).

Apparaît ici aussi un nommé Me Raymond d’Estrées, décédé (magistri quondam Raim. de Estris). Est-il un parent du sinistre bailli Raymond d’Estrées, qui bénéficiera de l’absolution royale en 1328 (voir le document du registre JJ 65A - f°s 172r°-179v° - dans les Registres du Trésor des chartes sur notre site) ? On peut penser en effet à un éventuel lien de parenté, en raison des nombreuses références à Issigeac dans ce dernier document.

Mais laissons la parole à M. Elie de Biran (bulletin de la SHAP tome III (1876), pp. 396-403 :

Dans leur savante Notice d'un manuscrit de la bibliothèque de Wolfenbüttel, MM. Martial et Jules Delpit ont reproduit un acte en langue romane concernant la ville d'Issigeac.

D'après ce document, en date du 29 juin 1268, les prud'hommes et la commune d'Issigeac reconnaissent qu'ils doivent foi et hommage au fils du roi d'Angleterre. Mais, avant la prestation du serment de fidélité par les habitants, les lieutenants du duché de Guyenne sont tenus de jurer à ceux-ci de les défendre envers et contre tous, de maintenir et d'améliorer leurs bonnes coutumes, ainsi que d'abroger les mauvaises (et las bonas custumas que il ont et que il auront lor gardet et lor amelhoret, à bona fe, à l'esgart de sa cort et del dega et del avandich cominal et que las maies lor oste et lor tolha de tôt). Les habitants d'Issigeac avaient donc à cette époque des coutumes. Elles ne paraissent avoir été rédigées qu'en 1298. MM. Martial et Jules Delpit avaient seulement trouvé une mention à cet égard dans la Bibliothèque des coutumes, de Laurière et Berroyer, et ils exprimaient le regret que le texte lui-même eût échappé à leurs investigations.

De nouvelles recherches à la Bibliothèque nationale, dans le fonds Lespine (vol. 36, p. 85-86), nous ont permis de combler cette lacune.

En 1298, un accord fut conclu, entre Raimond Barrière[1], doyen d'Issigeac, et Bernard, abbé du monastère de Sarlat, dont dépendait le couvent d'Issigeac, d'une part, et les habitants de ladite ville, d'autre part. Les dispositions de cet acte s'appliquent à différents ordres de choses, qu'elles réglementent d'une façon assez peu méthodique ; nous nous bornerons à analyser les plus importantes.

La transaction constate tout d'abord que les habitants d'Issigeac n'ont ni maire ni consuls, ni procureurs ou syndics, et qu'ils ne prétendent point en avoir, dans le présent ou dans l'avenir, si ce n'est du plein gré du doyen, leur seigneur temporel, à qui ils promettent de rester fidèles. Nous rappellerons, à ce propos, que la déclaration de 1268 réservait également la seigneurie et les droits du doyen et de l'église (salvada et retenguda, totavia, et per tots locs, la sengnoria et la drethura del degan et del mostier sobradich).

Les habitants dudit lieu sont francs, libres et exempts, vis-à-vis de l'abbé et du couvent de Sarlat, de toute queste, taille, etc. Toutefois, la taille peut être exigée d'eux, s'il s'agit de réparer les murs et fossés de la ville, ainsi que les chemins publics ; mais, dans ce cas, elle est établie par le doyen ou son représentant et par les prud'hommes d'Issigeac.

Nul ne peut être arrêté et avoir ses biens séquestrés, si ce n'est pour cause de meurtre. Les biens d'aucun habitant ne peuvent être vendus publiquement, si ce n'est pour un crime avéré; les instruments qui lui servent à gagner son pain ne doivent pas être saisis.

Les coups et blessures, les vols, sont punis d'amendes plus ou moins fortes, suivant que le délit a eu lieu de jour ou de nuit. Le vol est l'objet des pénalités les plus sévères : quiconque a commis ce délit, et n'est pas en mesure du payer l'amende qui lui a été infligée, subit la marque et la mutilation. Le récidiviste perd la vie et ses biens.

Lorsqu'une condamnation capitale a été prononcée, tous les biens meubles du condamné sont dévolus au doyen ; les immeubles qu'il tient en fief immédiat du doyen lui-même ou d'autres seigneurs, reviennent à chaque suzerain.

Aucun habitant n'est contraint, pour quelque motif que ce soit, de combattre en duel, à moins qu'il n'ait offert lui-même de se justifier par ce moyen. — Nul ne peut être soumis à la question ou à la torture, quel que soit le crime dont il est accusé, à moins que sa réputation ne soit mauvaise, et que la voix publique ne lui attribue ce même crime.

Un article spécial détermine les moyens d'assurer la validité des testaments qui n'ont pas été faits avec la solennité légale. — Si quelqu'un meurt intestat et sans héritier présent, ses biens sont remis par le doyen à deux prud'hommes, pour les garder pendant un an et un jour. Lorsque l'héritier se présente avant l'expiration de ce délai, les biens personnels du défunt lui sont délivrés; mais les meubles et immeubles que le de cujus tenait en fief du doyen retournent à ce dernier ; les autres biens mobiliers sont acquis aux suzerains respectifs, après toutefois prélèvement du montant des dettes.

Le jeudi a lieu un marché franc ; toute personne peut y venir librement et y vendre ses marchandises, en acquittant le tribut ordinaire, pourvu qu'elle n'ait commis ni meurtre ni incendie dans la ville. Tout marchand est cru sur son serment jusqu'à concurrence de douze deniers. De plus, les livrés de tout honnête commerçant font foi, jusqu'à concurrence de vingt sols, à condition qu'il affirme sous serment la sincérité et la régularité de ses écritures.

Le doyen institue dans la ville un ou plusieurs notaires chargés de dresser les actes authentiques. Ceux qui sont relatifs à l'aliénation des fiefs ou arrière-fiefs du doyen doivent, à peine de nullité, être revêtus du sceau de ce dernier.

Nous voyons aussi qu'il existait depuis longtemps une confrérie à Issigeac. En effet, un article dispose que les voiles de soie ou de pourpre employés dans les funérailles sont conservés pour le service du monastère, et il est fait une exception à cette règle en ce qui concerne l'antique voile de soie de la confrérie.

Le doyenné d'Issigeac relève de l'abbé de Sarlat, qui donne l'investiture au doyen. Celui-ci a dans sa juridiction : Eyrenville, St-Perdoux, St-Cyprien, Montsaguel, Montaut, Mommarvès, St-Quentin, Boisse, Ribagnac, qui jouissent des mêmes franchises qu'Issigeac. L'appel des décisions du doyen est porté devant l'abbé de Sarlat.

Tout habitant est tenu de suivre, avec ou sans armes, le doyen ou son bailli, pour la défense de la ville, de la paroisse et des localités ci-dessus désignées.

Les murs, les fossés et les portes d'Issigeac appartiennent au doyen ; il confie à qui il veut les clefs des portes, pourvu que le gardien ait bonne renommée. Enfin, il a le droit d'établir chaque année deux sergents ou même un plus grand nombre, afin d'exercer leur office dans la ville.

Suit le texte de la transaction :

Transactio inter Raimondum Barriera, Decanum Issigiacensem, dioces. Petrag. Cunjunctim cum Bernardo, abbate monasterii Sarlati, cujus erat membrem conventus Issigiac. Et habitatores illius villae:

Dictum fuit : « Quod habitatores dicti loci non habent majorem, consules, procuratores vel sindicos, nec ad hoc ad presens, vel in posterum intendent, nisi de volontate dicti Decani, sed immediate omnes et singuli submittuntur Decano, Domino temporali, et stabunt fideles;

ITEM quod Decanus habet in ipsos merum et mixtum imperium, altum et bassum dominium, etc.» Joannes Vierge, Nrius. — Datum 1298, dominica post festum nativitatis B. M.

— In eadem supra dicta transactione dictum fuit, quod habitantes Issigiaci erant franchi, liberi et immunes versus pred. abbatem et conventum et decanum ab omni quaesta, tallia, albergota et mutuo, nisi gratis... Excepta tallia pro muris et fossis dicti loci de Issigiaco, et itineribus publicis reparandis et reedificandis...   Et si contingeret talliam fieri pro edificatione vel reparatione murorum, fossarum  et itinerum, debet fieri per dictum decanum, vel ejus locum tenentem et probos viros de Issigiaco.

ITEM habitatores Issigiaci habebunt medietatem coti seu gardiee Sancti Feliciani, de Monmarveso, Sancti Cypriani, de Montesaguello et de Monte Alto, etc., quam tenebunt in feudo a dicto Decano. Habitatores vero de Eyrenvilla, Sancti Perdulphi, medietatem coti parochiarum suarum in feudo a Decano... ITEM non capiatur aliquis, nec ejus bona detineantur, nisi pro murtro, etc.  

ITEM bona ipsorum non bannientur nisi pro re cognita, confessata, et non teneantur instrumenta cum quibus panem eorum lucrantur.

ITEM quicumque perçussent alium malitiose usque ad effusionem sanguinis cum manu, pede, etc., in 5 sol. Decano pro galgio puniatur si de die fiat, et si de nocte in 10 sol., et nihilominus emendet injuriam  passo si conquestus fuerit, et si cum gladio, ferreo, calibe, osse, terra, fuste, petra, glacie vel tegula, si de nocte in 6 livr. et 10 sol. Decano... Passus tamen injuriam, nullam poenam si occultaverit, patiatur, nisi ipsum constiterit cum suo adversario collussisse, et in eo casu, illud quod ille passus injuriam receperit, Decano restituere compellatur...

ITEM si animal alicujus fecerit sanguinem vel damnum, dominus emendet... vel animal det pro noxa. Si vero animal mortem fecerit, incurrat Decano.

ITEM, si qui furatus fuerit usque ad valorem 12 denar., vel infra, excepto furto fructuum, currat villam, vel in spellario ponatur; aut 20 sol. Decano solvat,  si de die fiat ; si vero de nocte 40 sol. ; et si valorem 5 sol. vel ultra de die furatus fuerit in 65 sol., si de nocte in 65 libr. et 10 sol. Et per  primum furtum quod commisit, et si non possit solvere signetur et mutiletur secundum delictum. Si vero secundo, vel  ulterius furatus fuerit, corpus et bona amittat. Ubi vero quis ex causa aliqua ad mortem damnatus fuerit, omnia bona ejus mobilia Decano sint incursa, et immobilia quae in feudo ab ipso Decano immediate tenentur, et alia immobilia aliis dominis feudalibus remaneant.

ITEM convictus de falsa mensura, ulna, cubitu, etc., prima vice in 5. sol. Decano, et ex tunc quotiescumque deliquerit, galgium duplicetur, et qui leudam furatus fuerit, in 5 sol. ; qui pedagium in 65 sol.

ITEM si solus cum sola, nudus cum nuda maritari, vel unus eorum in adulterio per bajulum, cum duobus hominibus probis fuerint deprehensi, currant nudi villam, vel solvat quilibet eorum Decano 20 sol.

ITEM quod nullus dictorum locorum ob aliquam causam, seu aliquod crimen teneatur bellum sive duellum facere nisi in responsione sua per modum belli sive duelli se obtulerit defensurum, et extunc appellans Decano in 5 sol. puniatur.

ITEM nullus quaestionibus vel tormentis subjiciatur super quocumque crimine fuerit accusatus, vel denuntiatus nisi fuerit malae famae, et super illo crimine infamatus...

ITEM quod decanus non possit terras vel alias res in feudum vel retrofeudum retinere.

ITEM concessit Decanus quod sint moselli et carteriae... et quod ipsi una cum leudariis suis de qualibet sextaria bladi per hommes de extra detur un. denar., et pro emina obolum... Et quod in dicta domo (magistri quondam Raim. de Estris), quicumque dictorum locorum possit tenere mosellum, solutis... 20 sol. pro intragio semel, et annuatim 5 sol...

ITEM quod testamenta facienda per dict. habit. licet non fuerint facta secundum solemnitatem legalem, efficaciter valeant, si facta fuerint in presentia nost. cap. dicti loci, et duorum hominum dicti loci. Si vero desint nrius, etc., valeat testamentum, si factum sit in presentia 7 testium.

ITEM si aliquis moriatur intestatus et sine herede presente, bona ejusdem duobus probis hominis dicti loci per Decanum commendentur ad tenendum per unum annum et diem... et si, infra hoc tempus, haeres appareat... ei dentur bona defuncti... alia vero mobilia et immobilia quae a Decano in feudum tenebuntur, Decano remaneant ; et alia mobilia aliis dominis, a quibus tenebuntur, solutis tamen debitis de mobilibus, si extant...

ITEM die Jovis fit mercatum francum, et quicumque ibi possit venire libere et vendere, leudam tamen solvendo, nisi murtrium fecerit, vel ignem in dictis locis imposuerit..

ITEM pisces vendantur sine leuda, excepti crea pro quo 6 denar., salmone, pro quo 2 denar. et colat, pro quibus (numero decem) 1 denar.

ITEM de quolibet vendente alecia, Decanus habeat 10 denar. pro leuda (si sint numero 100)..., et a quolibet portante ad collum alecia habeat tria...

ITEM cuilibet vendum tenenti... credatur per juramentum suum usque ad 12 denar. et cuicumque bono mercatori papirum tenenti, papiro ejus credatur usque ad 20 sol., dum tamen ipse veram et legalem ipsam scripturam affirmet, medio juramento..

ITEM sint notarius vel notarii per Decanum creati ut conficiant instrumenta quibus fides adhibeatur ; et in instrumentis... pro alienatione feudorum, vel retrofeudorum ipsius Decani, debetur poni sigillumDecani. alias non valet, et si valor rei non excedat 100 sol., pro sigillo debent solvi 12. denar.; si excedat 100 sol., debet solvi libra cerae...

ITEM pro puero defuncto a 6 annis et infra, 16 denar. et panni libere reportentur ; a 6 annis usque ad 12, 5 sol. pro pannis, si recuperare voluerint, et 5 sol. pro sepultura... A 12 annis et supra, meliores solvant 16 sol. pro sepultura et 5 sol. pro pannis ; mediocres 10 sol., minores 7. Si vero panni sericei vel purpuras cum defunctis apportentur, ad servitium dicti monasterii remaneant ; et extunc pro pannis nihil solvatur, excepto panno sericeo antiquo confrariae quod libere reportatur...

ITEM melior ordo contrahens matrimonium 8 sol., pauperes 5.. solvant. Si vero a villa exeat contrahens matrimonium, 12 sol. solvat...

ITEM dominus hospitii focum et locum … per annum totum in dictis locis vel parrochiis tenens solvat... 12 denar. pro albegio et 1. denar. pro confessione, et 1 denar. pro cerea pascali ; mulier ad puriûcationem veniens, solvat 12 denar...

ITEM Decanatus de Issigiaco est abbatis et conventus Sarlat. et Dominus abbas instituit Decanum... Et Decanus est dominus temporalis, etc. (vide supra) et loci de Eyrenvilla, Sancti Perdulphi, Sancti Cypriani, Moutisaguilli, de Monte Alto, Monmarves, Sancti Quintini, de Buxia, de Ribanhaco, quae loca pertinent ad jurisdictionem dicti loci de Issigiaco, et gaudent eisdem franchesiis, etc ..

ITEM a Decano appellatur ad abbatem Sarlat...

ITEM Decanum omnes et singuli cum armis et sine armis sequuntur... vel bajulum suum ad tuendum contra quoscumque, villam, parrochiam et loca predicta..!

ITEM muri... et fossata et portae dicti loci sunt dicti Decani et claves portarum idem Decanus vel ejus bajulus tradit cui vult, dum tamen homo fuerit bonae famae... Et habitatores possunt conjungere domos suas muris et super eis edificare, et possunt fenestras vel privatas in muris facere super altitud. 15 pedum, et pro fenestra et privata solvatur una libra cerae decano, et fossata amplitudinem habeant 40 pedum.

ITEM caneriae et plateae communes sunt Decani...

ITEM quilibet locans operas suas habitantibus in loco Issigiaci debet in suo offlcio servire Decano per 1 diem annuatim sine locatione, exceptis fabris, textoribus, sartoribus...

ITEM habet Decanus in festo Beati Martini hiemalis annuatim de quolibet sutore operarium tenente in Issigiaco, vel barriis, unum par sotularium melius quod habet, praeter duo paria, et duo paria solaum (solearum ?) cum viris (sic) necessariis...

ITEM de quolibet fabro unum cuttellum annuatim, et fabriferrantes debent ferrare equitatum et saumeriam decani et unius socii sui...

ITEM Decanus habet spiritualia dictorum locorum, etc...

ITEM inhabitantes indictis locis non habent majorem consules, etc. (vide supra)... I

ITEM Decanus duos servientes vel plures ponat annuatim qui exerceant officium servientium, etc. — Sequitur procuratio Bernardi, abbatis, et conventus Sarlat., facta Heliae de Rodis, prioris Sarlat., Augerii de Campania, camerarii, etc., ad supradictam transactionem faciendam.

Elie de Biran.



[1] Dès 1271, Raimond Barrière était doyen de St-Félicien d'Issigeac; Lespine (vol. 36, p. 81) mentionne un acte de cette même année, par lequel Guillaume Aramond, damoiseau, seigneur de St-Dizier, lui fait hommage.

 

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